L’éther dans les théories électromagnétiques de 1850 à 1900

Avant de choisir ce sujet de thèse, ma réflexion a commencé par s’articuler autour de deux questionnements. Le premier est « comment ». Comment les « équations de Maxwell » ont-elles été trouvées ? Comment les entités que sont les champs électriques et magnétiques ont-elles été introduites en physique ? Comment, enfin, la théorie électromagnétique a-t-elle été construite ? Le second mot serait «pourquoi ». Plus particulièrement, une question me frappait : pourquoi l’éther, le milieu de propagation si important dans la physique du XIXe siècle, notamment pour l’optique, a-t-il totalement disparu de l’enseignement des équations de Maxwell ? Ces questions furent pour moi le point de départ de la réflexion.

Le rôle de l’éther 

Mais commençons par définir ce que nous entendons exactement par « éther ». Concept existant depuis l’Antiquité, l’éther désigne dans la physique d’Aristote (IVe siècle avant J.- C.) l’unique élément constitutif du monde supra-lunaire, par opposition aux quatre éléments présents sur Terre (terre, eau, feu et air). Il est de nature différente de ces quatre éléments du monde sublunaire : par exemple, l’éther ne peut pas se transformer, mais uniquement se déplacer localement, selon le mouvement propre du monde supra-lunaire, le mouvement circulaire perpétuel. Il est également responsable de la lumière et de la chaleur des astres, « en se frottant au feu, il enflamme celui-ci pour créer la chaleur et la lumière ». Platon (Ve IVe siècle avant J.-C.), dans son Cratilus, fait dériver le mot même (αiθηρ = aether) de cette idée de mouvement (α∈iθ∈i = je cours).

Le terme d’éther persiste jusqu’au XVIIe siècle, où il apparaît dans les travaux de plusieurs auteurs, en particulier chez Descartes (1596-1650). Dans son ouvrage Le monde, Descartes décrit une cosmogonie basée sur trois éléments. Le deuxième élément, apparu initialement,  est constitué de sphères minuscules. Le premier élément, qui constitue notamment le Soleil, et le troisième élément, qui constitue la matière ordinaire, sont eux mêmes créés à partir de ce deuxième élément qui représente la « matière subtile » transmettant notamment la lumière, comme une pression.

L’éther apparaît également chez Newton (1642-1727), à plusieurs reprises dans ses différents travaux (notamment dans les « Queries » de son Optique), et bien qu’il ne cherche pas vraiment à décrire la nature même de cet objet. Certaines caractéristiques reviennent pourtant : l’éther de Newton est, comme chez Descartes, constitué de particules minuscules ; ces particules se repoussent entre elles, et repoussent également la matière ordinaire. L’éther est similaire à l’air, mais « plus rare, plus subtil, et plus fortement élastique ». Les particules d’éther agissent donc entre elles par des actions à distance, contrairement à l’éther de Descartes qui est un éther plein, d’actions de contact. La gravitation de Newton peut s’expliquer par un gradient d’éther, plus dense loin des corps, et qui exerce donc une répulsion dirigée vers le corps attractif.

Avec les expériences d’interférences de Thomas Young (1773-1829) en 1801, puis la théorie ondulatoire de la lumière d’Augustin Fresnel (1788-1827) à partir de 1815, la nécessité d’un milieu intermédiaire pour la lumière semble incontournable. Des premiers modèles tentent d’expliquer la propagation de la lumière, comme celui de Fresnel qui représente l’éther constitué de couches parallèles de particules agissant entre elles par des forces à distance (voir Annexe n° 2). Le déplacement successif des couches permet de décrire le caractère transverse de la lumière, et d’expliquer notamment les expériences de polarisation d’Étienne-Louis Malus (1775-1812) de 1810. Dans les années 1830, Augustin Louis Cauchy (1789-1857) tire des travaux de Fresnel une description dynamique des particules de l’éther, avec une équation du mouvement.

C’est à partir des années 1840 que la trajectoire de l’éther se rapproche grandement de celle de l’électromagnétisme. Peignons à grands traits la construction de cette théorie, qui décrit ce qu’on appelle aujourd’hui l’électromagnétisme classique.  Avant les années 1840, les actions électriques et magnétiques sont considérées comme étant des actions à distance. Cette loi, élevée au rang de dogme par la physique laplacienne du début du XIXe siècle en France, se base sur la loi newtonienne de la gravitation universelle, sur laquelle la loi de Coulomb de l’électrostatique a notamment été calquée. Les actions électriques et magnétiques ne peuvent exister qu’en présence de deux corps, et sont instantanées. Ces actions à distance sont d’ailleurs celles qui agissent sur les particules même des éthers optiques de Fresnel ou de Cauchy.

Le premier physicien à faire intervenir le milieu intermédiaire dans le raisonnement est l’anglais Michael Faraday (1791-1867), expérimentateur surdoué qui s’intéresse aux phénomènes magnétiques. Ses idées novatrices sont ensuite « traduites » mathématiquement par l’écossais James Clerk Maxwell (1831-1879) dans les années 1860, qui détermine les relations entre différentes quantités : force électrique, force magnétique, courant électrique…, toutes ces quantités agissant au travers d’un milieu intermédiaire, élément central de la théorie comme siège de l’énergie. De sa théorie, Maxwell pose l’identité de ce milieu intermédiaire et de l’éther luminifère. L’éther est présent dans la plupart des théories britanniques, mais sa nature peut différer : alors que l’éther initial de Maxwell est un fluide, d’autres théories, comme celles de William Thomson (1824-1907, futur Lord Kelvin), considèrent l’éther comme un solide élastique.

La théorie de Maxwell est perpétuée par quelques physiciens britanniques, qui développent ses idées et ses méthodes. Mais c’est en Allemagne qu’elle reçoit une preuve éclatante, avec les expériences de Heinrich Hertz (1857-1894) en 1888 qui prouvent l’existence des ondes électromagnétiques prédites par Maxwell. À partir de cette année-là, la théorie de Maxwell devient dominante, et plusieurs auteurs prennent les idées de l’écossais comme point de départ. C’est notamment le cas de Hertz lui-même, qui construit une théorie attribuant aux forces électrique et magnétique le rôle central, puis de Hendrik Antoon Lorentz (1853-1928), qui franchit un pas important en attribuant la charge électrique à des particules de matière libres de se déplacer par rapport à l’éther. La construction de ces théories successives se fait très rapidement, et occupe à quelques années près la seconde moitié du XIXe siècle.

Au fil de ces théories, le rôle et la nature même de l’éther sont largement modifiés, de la même façon que l’éther électromagnétique est aussi bien différent de l’éther optique de Fresnel, ou de l’éther gravitationnel de Newton. Maxwell lui-même reconnaît que plusieurs éthers ont été introduits dans les théories de la physique. Dans l’article « Éther » qu’il rédige en 1878 pour l’Encyclopedia Britannica, il détaille les utilisations de l’« éther », qu’il décline au pluriel : « Les éthers furent inventés pour que les planètes s’y déplacent, pour constituer les atmosphères électriques et les effluves magnétiques, pour transmettre les sensations de part et d’autre de notre corps, et ainsi de suite, de telle sorte que l’espace a été empli entièrement trois ou quatre fois d’éthers ».  Mais alors quel sens donner à l’«éther», puisque ce terme recouvre, au gré des époques et des physiciens, des objets qui semblent si différents, ou tout du moins occupent des fonctions si différentes ?

Nous prendrons comme définition de départ celle donnée par l’historien des sciences John Heilbron : les éthers sont « des substances subtiles qui transmettent les interactions entre les corps ordinaires. Subtiles signifie ténues ou rares, hautement pénétrantes, et indétectables directement par les sens. Transmission signifie la capacité de propager une action ou le potentiel d’une action sans se déplacer dans l’ensemble ». Soulignons bien que ces substances peuvent transmettre l’action en elle-même, mais également le potentiel de l’action.

La croissance de l’électricité 

Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, on assiste parallèlement à l’émergence de l’électricité au niveau industriel. Quittant le statut de curiosité de laboratoire,  elle devient un outil incontournable dans les procédés techniques grâce à la mise à disposition de générateurs de puissance (machines de la compagnie l’Alliance, machine de Gramme en 1869, etc.). Plusieurs domaines sont ainsi concernés : éclairage public — l’avenue de l’Opéra à Paris est en 1878 la première avenue éclairée à l’électricité — et multiplication des types de lampes (bougie Jablochkoff à arc en 1876, lampe Edison à incandescence en 1881, etc.) ; transmission de puissance avec le développement des transformateurs au début des années 1880 permettant de s’affranchir du lieu de production de l’électricité (controverse Marcel Deprez – Lucien Gaulard sur l’utilisation du courant continu ou alternatif pour la transmission de puissance) ; transports, avec les premiers tramways électriques, etc.

De plus, le télégraphe, déjà utilisé depuis son développement par Charles Wheastone dans les années 1830, est étendu avec la pose de câbles sous-marins. Le premier câble transatlantique fonctionnel est posé dès 1858 entre l’Irlande et le Canada (bien qu’il rompe quelques semaines plus tard à cause d’une surtension). Certains grands noms de la science britannique participent au développement de cette télégraphie sous-marine, comme William Thomson qui, par ses calculs sur la transmission télégraphique, permet l’établissement d’un autre câble transatlantique en 1865.  Le téléphone enfin, pour lequel Elisha Gray et Graham Bell déposent tous deux un brevet en 1876, s’ajoute à la liste des inventions basées sur l’électricité.  De la même façon que nous avons défini l’éther, il nous paraît nécessaire de préciser la nature de l’ « électricité ». Cette nature n’est pas évidente, et nous verrons que certains auteurs de l’époque posent directement la question : « qu’est-ce que l’électricité ? ». Dans son ouvrage principal, le Treatise on Electricity and Magnetism, Maxwell utilise le terme electricity, mais d’une façon trop floue qui perdra beaucoup de ses lecteurs. L’« électricité » doit-elle désigner le fluide électrique, la charge électrique, la force électrique, ou encore les ondes électromagnétiques. Autant de concepts qui voient eux-mêmes leur définition varier au gré des théories. Il nous semble préférable de n’adopter aucune de ces options, et de prendre le seul chemin cohérent : « l’électricité » n’existe pas. Du moins elle n’existe pas en tant qu’entité physique. Pour nous, elle désignera de façon générale le domaine d’application des phénomènes électriques. Nous parlerons ainsi du « domaine de l’électricité », de « l’industrie de l’électricité », ou même de « l’essor de l’électricité ». Mais nous prendrons garde à ne pas désigner par ce terme les différentes entités physiques intervenant dans les théories considérées.

Quelle place pour l’éther ? 

En histoire des sciences, l’électromagnétisme a déjà été étudié dans une large mesure. Plusieurs auteurs ont traité de la construction des théories et des aspects expérimentaux (Buchwald, Darrigol, Hunt, Siegel, Whittaker, …).  À partir du début du XXe siècle, l’électromagnétisme classique ne subit plus de modifications majeures, et il est nécessaire de considérer l’histoire de la relativité et celle de la théorie quantique qui entrent en jeu. Quant à elle, l’histoire de l’électricité est nourrie, du côté de l’histoire des techniques, par les travaux de plusieurs auteurs (Beltran, Cardot, Caron, …), histoire qui est régulièrement revue, tant la place de l’électricité évolue dans nos sociétés.

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Table des matières

Introduction
I L’éther dans les théories électromagnétiques de 1850 à 1900
1 Les débuts d’une science
1.1 Premières expériences
1.2 Les fondateurs de l’électromagnétisme
2 Maxwell, de l’hypothèse à la théorie
2.1 L’effet Faraday
2.2 On Faraday’s Lines of Force
2.3 De l’analogie au modèle
2.4 Exegi monumentum
2.5 Maxwell et l’éther
3 Les Maxwelliens et la gestion de l’héritage
3.1 FitzGerald et la théorie de Maxwell
3.2 Changements radicaux
3.3 L’usine de Lodge
3.4 Heaviside : de la télégraphie aux équations
4 Vers un éther conceptuel
4.1 Le triomphe de Maxwell
4.2 Les dernières théories de l’éther
II L’éther et les théories électromagnétiques dans les formations pour ingénieurs
5 Des Champs Élysées à Grenoble : la mise en place des institutions de l’électricité en France
5.1 L’enseignement supérieur avant 1881
5.2 L’exposition internationale d’électricité
5.3 L’électricité industrielle : une dynamique globale, des vitesses variées
6 L’électromagnétisme à Polytechnique
6.1 La place de la physique dans l’enseignement
6.2 Contenu général des cours
6.3 De l’éther optique à l’éther électromagnétique ?
6.4 La difficile percée de l’électricité
7 Les écoles d’application se mettent à l’électricité
7.1 Un système bien rodé
7.2 L’arrivée de l’électricité
7.3 Le contenu des cours
7.4 Une position ambiguë
8 Les établissements civils et la diversité des enseignements
8.1 L’électricité ouvre de nouvelles voies
8.2 Les grandes écoles civiles
8.3 Dans les pas de Paul Janet : de la faculté de Grenoble aux instituts électrotechniques et à l’ESE
III La diffusion des théories électromagnétiques
9 Journaux, ouvrages et bulletins
9.1 La physique dans les journaux
9.2 Les revues électriciennes
9.3 La diffusion de la SIE
10 La Lumière Électrique : du journal technique aux articles de recherche
10.1 De la Lumière à l’Éclairage
10.2 Vers une revue théorique
10.3 Le journal The Electrician : un modèle outre-manche ?
11 Poincaré et l’éther dans les théories électromagnétiques
11.1 Une figure de l’enseignement
11.2 L’éther de Maxwell vu par Poincaré
11.3 Les théories de Hertz et Lorentz par Poincaré
12 Alfred Liénard et sa contribution à l’électromagnétisme
12.1 Biographie
12.2 Publications théoriques
Conclusion
Annexes
Bibliographie

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