Si certains se posent encore la question de savoir s’il est réellement possible de philosopher avec des enfants, d’autres se donnent les moyens de le faire. C’est le cas de bon nombre d’enseignants qui pratiquent la philosophie avec des élèves d’école primaire. Bien que les appellations liées à cet enseignement soient variées et que les modalités choisies par les professeurs des écoles le soient tout autant, les pratiques philosophiques amènent des instants de réflexion et de partage. Ces temps de raisonnements sont profitables au « vivre ensemble », l’un des objectifs d’apprentissage préconisé par l’Éducation nationale.
Pratique de la philosophie avec un jeune public et son adéquation aux préconisations de l’Éducation nationale
Signification de « philosopher » et l’adaptation de cet acte à un jeune public
Philosopher ce n’est pas seulement discuter d’un thème philosophique. Philosopher requiert « rigueur intellectuelle » ainsi que des « compétences spécifiques.» Des compétences spécifiques qui ont été mises en avant, entre autre, par M.Tozzi. Ainsi philosopher exige d’être en capacité de problématiser, de conceptualiser puis d’argumenter. De ce fait, philosopher est un acte qui nécessite un apprentissage. Entre-autre à travers des cours magistraux, des textes philosophiques et des dissertations. M.F.Daniel (1997), ajoute dans cette même perspective qu’une intervention est « porteuse de sens philosophique » lorsque l’apprenant cherche à établir des relations causales. Mais également lorsqu’il tente de définir des termes, qu’il essaie de fournir des justifications et qu’il n’hésite pas à examiner des alternatives de solutions ou encore par exemple, qu’il soit capable de revenir sur ses positions.
Outre ces exigences qui peuvent sembler inadaptées et inadaptables à la pratique de la philosophie avec des enfants, E.Chirouter (2016) pointe l’importance d’apporter de manière précoce, « les outils linguistiques et culturels » qui permettront aux plus jeunes élèves de se familiariser avec la pratique philosophique et de développer la rigueur nécessaire que demande cet acte de réflexion. Selon J.Lévine (2014) qui a développé les « ateliers philosophiques de réflexion sur la condition humaine », il est important d’expliquer aux élèves de manière adaptée, ce qu’ils vont faire lorsqu’ils vont «faire de la philosophie ». Il conseille aux enseignants d’amener aux élèves les idées générales que nous avons résumées comme suivent et qui sont à adapter selon la situation. Elles permettent également de dédramatiser les exigences attendues. Ainsi l’enseignant peut dans un premier temps préciser à ses élèves l’élément suivant : « On va apprendre à réfléchir sur des questions que des hommes et des femmes se posent depuis très longtemps. » Il peut ensuite préciser que : « pour réfléchir, on va devoir prendre le temps. On va d’abord le faire dans sa tête avant de parler au groupe. » L’enseignant peut également nuancer de la sorte : « on n’est pas obligé de parler, on peut écouter les autres pendant toute la séance. » Tout en spécifiant: « il n’y a pas de mauvaise ou de bonne réponse, on ne pourra pas se tromper. » .
Malgré le fait que l’acte de philosopher (quel que soit le nom qu’il lui est attribué) soit ainsi considéré comme accessible aux plus jeunes, P.Tharrault (2007) apporte une nuance : au cycle 2, cycle dans lequel se trouve le niveau de CE1 qui fait l’objet de ce mémoire, l’auteur précise qu’à cet âge, les élèves ont une expression encore assez individualiste. Il ajoute une « faible capacité d’abstraction » et des difficultés à « déplacer la centration de son point de vue vers un autre ». De part cette constatation, P. Tharrault, amène le débat-philo davantage basé sur une «juxtaposition d’expressions individuelles que sur l’échange entre pairs ». Néanmoins cet égocentrisme de l’élève le conduit à l’expression de ses propres pensées mais également de ses émotions .
L’émergence de différents courants de philosophie avec ce public
Il semble important de le préciser : plusieurs courants de philosophie existent dans le cas d’une pratique à visée philosophique avec le jeune public. Tous évoluent avec leurs propres dispositifs et en ce qui concerne chacun d’entre eux, des objectifs sont privilégiés par rapport à d’autres. L’auteure E.Chirouter, notamment maître de conférences à l’université de Nantes et chercheuse au CREN, en explicite trois dans son ouvrage « Ateliers de philosophie à partir d’albums de jeunesse » (2016) qui sont repris ci-après :
– Le courant « philosophique » : celui-ci vise une exigence particulière dans la recherche et l’élaboration d’une argumentation fondée sur la connaissance qui va mener à un « discours philosophique ». L’enseignant a possibilité d’intervenir assez fréquemment pour amener les élèves à développer leur rigueur de raisonnement.
– Le courant « psychologique » : la principale ambition de ce courant est de permettre à l’enfant « de se découvrir comme sujet-pensant ». Ainsi dans un espace de parole qui se veut libre et le plus authentique possible, l’enfant doit s’emparer des questions qu’il se pose pour s’exprimer librement avec très peu d’interventions de l’adulte.
– Le courant dit « éducation à la citoyenneté » : insiste comme son nom l’indique en partie à faire vivre un aspect démocratique au cours des échanges. Pour ce faire, les élèves disposent de différents rôles pour faire vivre une organisation où les élèves sont autant « gouvernés » que « gouvernants ».
Tous ces courants peuvent jouer sur la manière dont l’enseignant souhaite faire vivre ces moments de discussions à visée philosophique. En effet, le rôle de l’enseignant n’est sensiblement pas le même en fonction des différents courants : ses interventions sont plus ou moins fréquentes et quantitativement importantes ou non.
Une pluralité d’approches conçues au fil du temps
Philosopher avec les jeunes élèves peut se faire à travers différentes méthodes issues de grandes approches pouvant être complémentaires. En effet, cinq grandes approches existent. Construites et reprises par des auteurs phares, en voici les tenants et les aboutissants repris également dans un mémoire de Sylvain Connac (2001), intitulé « La discussion philosophique comme institution des pédagogies coopératives ? ». Comme l’explique Sylvain Connac, il existe la méthode de l’intervenant : un échange entre un groupe repris sous le terme de « communauté de recherche » et une personne reconnue comme philosophe. Sylvain Connac souligne que le philosophe est une personne dont on peut s’inspirer, que l’on peut prendre comme exemple mais qui n’a pas la vérité absolue. Le philosophe peut prendre le rôle d’un médiateur permettant aux élèves d’échanger entre eux autour d’un thème.
Jacques Lévine (2001) quant à lui, a développé la méthode qui suit le protocole «Je est un autre ». Ici aussi l’adulte joue un rôle d’aidant. Il aide à construire le débat grâce aux ressources des élèves qui sont à la recherche de la découverte de leurs propres pensées.
La méthode d’Anne Lalanne (2002), intitulée « atelier de groupe » donne une plus grande place à l’adulte. En effet, l’adulte est présent pour garantir le respect des règles tout au long du débat et s’assurer que la technique du débat, les valeurs démocratiques et la prise en considération des exigences de conceptualisation et d’argumentation sont présentes au sein du groupe d’élèves. Anne Lalanne reprend ainsi un concept de la méthode Lipman : la communauté de recherche.
Matthew Lipman lui, est le fondateur de sa propre méthode aux Etats-Unis. Il conçoit dès les années 1970, un autre outil : la lecture à voix haute d’extraits de romans philosophiques destinés aux jeunes publics. Suite-aux premières réactions ou questions personnelles suscitées par la lecture, un ordre du jour est posé en fonction des grands thèmes perçus lors de la lecture. Puis la méthode recherche la cohésion du groupe à travers un raisonnement cohérent afin d’élaborer une argumentation possible. Des exercices d’application sont ensuite proposés et la discussion s’ouvre sur d’autres possibilités, d’autres idées, d’autres débats. La méthode Lipman a été reprise en France dès les années 80.
Une « pensée d’excellence », elle est travaillée dans le dispositif Delsol réfléchit par Alain Delsol en 1998-1999, dans sa classe de CM1. Il s’agit d’une méthode construite suite-à plusieurs adaptations. Il y a cependant division du groupe en deux sous-groupes. Cela donne la possibilité de prendre la parole plus souvent ou plus longtemps. Il y a également la présence d’observateurs qui permettent de s’interroger sur la nature des interventions. Alain Delsol fait donc le choix comme nous l’indique Sylvain Connac, de valoriser la forme des pensées au sein du débat, aux sens des idées. L’élève peut ainsi être observateur mais encore, président, re-formulateur, ou encore synthétiseur. La prise de responsabilité est donc souhaitée.
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Table des matières
Introduction
PARTIE 1 : CADRE THEORIQUE
1 – Pratique de la philosophie avec un jeune public et son adéquation aux préconisations de l’Éducation nationale
1.1. Signification de « philosopher » et l’adaptation de cet acte à un jeune public
1.2. L’émergence de différents courants de philosophie avec ce public
1.3. Une pluralité d’approches conçues au fil du temps
1.4. Les enseignements visés par les pratiques philosophiques
1.5. L’adéquation des pratiques philosophiques aux préconisations des programmes d’éducation morale et civique
1.6. Les pratiques philosophiques en concordance avec les objectifs du socle commun de connaissances, de compétences et de culture
2 – Le déroulement des pratiques philosophiques en classe élémentaire
2.1. L’enseignant, un guide pour les élèves
2.2. Les actions de l’enseignant au cours des pratiques philosophiques avec ses élèves
2.3. Les attitudes de l’enseignant durant ce moment
2.4. Des interventions enseignantes mesurées et le droit de veto
2.5. L’évolution des discussions à visée philosophique lorsque l’enseignant attribue des rôles à ses élèves
3 – L’intervention de l’enseignant au cours des discussions à visée philosophique
3.1 Les exigences d’une tâche nouvelle plus complexe
3.2. L’interaction de tutelle enseignant-élève
3.3. Diverses formes d’échanges
3.4. Un format de tutorat particulier, l’étayage
3.5. La différenciation présente pour préparer et réaliser l’étayage
PARTIE 2 : CADRE EXPERIMENTAL
PARTIE 3 : TESTS ET RESULTATS
PARTIE 4 : DISCUSSION
Conclusion
Bibliographie – Sitographie
Annexes