En Afrique subsaharienne, la croissance de la population urbaine a été très rapide, avec un taux estimé à 5% l’an en moyenne, durant les deux dernières décennies du XXe siècle (Satterthwaite, 2002), et continue encore de s’accélérer au XXIe siècle. Près d’un tiers de la population de la Région Afrique vit à présent en milieu urbain, dépassant ainsi l’Asie du Sud qui est à 28%. Malgré un niveau de vie plus élevé en ville qu’à la campagne, la trajectoire régressive des économies africaines a eu des répercussions négatives de plus en plus marquées sur les ménages urbains. La pauvreté s’est alors progressivement installée dans les villes, particulièrement dans les capitales africaines. Dans cette région, il y a désormais une forte incidence de pauvreté en milieu urbain, variant de 20% à plus de 60% en 2006 (KESSIDES, 2006).
Le cas de Madagascar en est l’exemple concret, un pays africain en développement bénéficiant de nombreux crédits et remises de dettes (DSRP, etc.), où l’incidence de pauvreté urbaine s’élève à 52,1%, et celle de la pauvreté rurale à 76,7% (Kessides, 2006). Madagascar est une île située au Sud- Est du continent Africain. Il est placé au 143ème rang sur 177 pays en 2008 sur l’IDH, avec une valeur de 0,533. La pauvreté chronique demeure un phénomène de grande ampleur à Madagascar touchant 68,7% de la population en 2005 avec une féminisation et une urbanisation accrue. Avec une superficie de 587295 km2 , Elle compte aux environs de 21 842 860 habitants, ayant un fort taux de ruralité jusqu’à 75% (INSTAT, 2013). Depuis les années 80, les grandes villes malgaches, spécialement Antananarivo, ont été des scènes d’exode rural massif. Les ruraux à la recherche d’une vie meilleure préfèrent immigrer en ville, où les infrastructures n’y manquent pas et sont également dans l’espoir de trouver un meilleur emploi ; d’autres dû à des causes diverses tels les jeunes malgaches dans l’objectif de poursuivre leurs études supérieures immigrent dans la capitale. Ces immigrations engendrent un taux élevé de croissance de la population urbaine estimé de 4 à 5% l’an. Par ailleurs, la succession des crises politiques (celles de 1972, 1991, 2002 et 2009), ont engendré des déséquilibres économiques et la fermeture de plusieurs entreprises franches et locales, réduisant ainsi les offres d’emploi dans les villes.
REVUES THEORIQUES
La pauvreté est un concept complexe. RAVALLION (1996), World Bank (2000) et ASSELIN (2002), analystes de la pauvreté, reconnaissent qu’il n’existe pas de définition universelle et absolue de la pauvreté. La pauvreté, comme tout objet d’étude, n’est pas un visage identique en tout lieu et en tout temps : être pauvre dans les pays développés n’a pas la même signification qu’être pauvre en Afrique, mais également, le pauvre d’aujourd’hui ne ressemble pas au pauvre d’il y a un siècle. Pour Alain DEMURGER, au Moyen Âge, la définition de la pauvreté ne peut s’inscrire uniquement en terme monétaire, car le pauvre est celui qui est faible. Le pauvre n’a pas les moyens de subsister seul, et, pendant tout le Moyen Âge, le pauvre est l’orphelin, le vieux, l’estropié, le lépreux. L’irruption de l’argent comme instrument de mesure de la richesse a fait évoluer la définition de la pauvreté. La Banque mondiale (2000) décrit la pauvreté comme suit : La pauvreté, c’est la faim, c’est être sans abri, c’est être malade et ne pas pouvoir voir un médecin, c’est ne pas avoir de travail, s’inquiéter de l’avenir et vivre au jour le jour. Les premières mesures de la pauvreté furent introduites par BOOTH et ROWNTREE vers la fin du siècle. Ces trente dernières années, les techniques multi-variées de mesure de la pauvreté se sont développées, nous pouvons citer entre autres la théorie de l’exclusion sociale de René LENOIR (1974), la théorie des capabilités d’Amartya SEN (1980), etc.
APPROCHES CONCEPTUELLES DE LA PAUVRETE
En s’imprégnant des revues de littérature de différents travaux théoriques et empiriques réalisés dans le domaine de la pauvreté, nous mentionnons que la mesure de la pauvreté est soutenue par différentes approches théoriques, de même que par différents indicateurs de mesure de la pauvreté. Dans la revue de littérature relative aux mesures de la pauvreté, on différencie deux grandes approches: l’approche en termes de ressources, c’està-dire en terme monétaire (welfariste ou utilitariste), et l’approche non monétaire soutenue par les non-utilitaristes ou non welfaristes.
APPROCHES DE LA PAUVRETE EN TERMES DE RESSOURCES OU APPROCHE MONETAIRE
Ces concepts s’intéressent particulièrement aux approches qui définissent la pauvreté comme un manque de moyens permettant d’atteindre un certain niveau de bienêtre. Deux périodes sont à distinguer pour comprendre comment le courant utilitariste s’est emparé de la problématique de la pauvreté : la première est la période fondatrice de l’utilitarisme historique avec des auteurs comme J. Bentham (1748-1832), J.S. Mill (1806- 1873) ou Sidgwick (1838-1900). La seconde période est celle du néo-classicisme économique, fondée à partir de l’utilité marginale, débouchera sur une nouvelle branche de la théorie économique : l’économie du bien-être (welfarisme). Cette discipline se détache de certaines hypothèses utilitaristes, comme l’utilité cardinale, pour passer à un utilitarisme des préférences et à la théorie du choix social.
Pauvreté selon le courant fondateur de l’utilitarisme
Bentham, Mill et Sidwick, dans leur philosophie utilitariste, confère une importance considérable dans le domaine économique. Pour eux, l’utilité est définie comme une notion psychologique, et peut être économiquement appréhendée à travers la notion de richesse. Bentham, influencé par Smith, Malthus, puis Ricardo stipule que la pauvreté serait une situation, qui est certes peu enviable, mais qui trouve ses racines dans la relation de l’homme au travail. Le mérite – l’effort que fournit l’individu lorsqu’il travaille – est récompensé par une accumulation de richesses qui lui permettra de subvenir aux besoins de sa famille. Est donc pauvre celui qui ne fournit pas suffisamment d’effort au travail, qui ne mérite pas son salaire. Selon cet auteur économiste philosophe, l’Etat ne doit intervenir qu’en cas de trop grandes inégalités, il doit faire en sorte que ceux qui ne possèdent pas les moyens physiques de subvenir à leurs besoins par le travail soient protégés. Les situations d’extrême pauvreté doivent être gérées par les gouvernements devant assistance pour réduire les inégalités naturelles. Toutefois, ce principe de solidarité ne doit pas remettre en question le principe d’utilité et ne doit pas grever l’effort au travail des plus méritants. Prendre aux riches pour redistribuer aux plus pauvres ne doit pas désinciter les méritants à travailler plus, et ne doit pas inciter le pauvre à ne pas travailler, fondant l’espoir d’une vie meilleure sur les subsides de l’Etat. Chacun doit œuvrer dans le sens d’un plus grand bonheur pour le plus grand nombre.
Pour Mill, la pauvreté serait due à deux facteurs : un manque d’éducation populaire et surtout un phénomène de surpopulation des indigents, néfaste au progrès de la société . Cette surpopulation serait, selon la loi immuable de l’offre et de la demande, la cause d’un niveau de salaire trop bas pour permettre de vivre décemment . Selon Mill (1848) « il est impossible que la population augmente à son rythme maximum sans faire baisser les salaires. Et la baisse ne s’arrêtera qu’au point où, soit par l’effet physique, soit par l’effort moral, l’accroissement de la population sera stoppé. » Derrière l’effet physique se cachent des lois de limitation et de contrôle des naissances, inspiré des politiques malthusiennes. Il n’accepte l’assistance aux plus démunis que si l’Etat peut en contrôler leur multiplication. Pour lui, la seule manière de protéger les méritants des fainéants (en d’autres termes les riches des pauvres) serait d’assurer la propriété privée puisqu’elle « garantirait aux individus le fruit de leur travail et de leur abstinence ». Les inégalités entre individus ne sont acceptables que si elles respectent l’adage à chacun selon son mérite.
Chez ces deux premiers auteurs fondateurs de l’utilitarisme, la situation de pauvreté correspond à un manque de ressources permettant de survivre. De plus, l’apparition de situations de pauvreté est due, sauf exception, à l’absence de motivation au travail, à l’absence d’effort fourni pour acquérir ces ressources vitales. L’individu pauvre est donc entièrement responsable de sa situation difficile, et l’Etat ne peut intervenir sous peine de mettre à mal le principe d’utilité. Pour sortir de cet état de pauvreté, l’individu n’aura qu’une seule solution : le travail.
La réflexion économique de Sidgwick est plus complexe. Il insiste sur un point important : il est nécessaire de distinguer le bonheur et les moyens d’atteindre ce bonheur.
Pour maximiser le premier, il est nécessaire d’offrir à tous et de manière égalitaire les seconds. En cela, il propose le concept d’égalité des chances. Pour lui, ce qui importe ce n’est pas tant que les hommes aient un bonheur égal, mais bien qu’ils possèdent une même chance au départ d’atteindre le bonheur. Il rejoint Mill sur l’importance de l’éducation, notamment celle des enfants des familles pauvres, dans la réduction des disparités des chances au départ.
Cette égalité des chances, confrontée au principe d’utilité, amène Sidgwick à réfléchir sur la place de l’Etat dans la lutte contre la pauvreté. Concernant cette dernière, il se rapproche de ses deux prédécesseurs dans la mesure où un individu est pauvre s’il ne fournit pas l’effort au travail nécessaire pour survivre. Toutefois, selon lui, l’intervention de l’Etat dans la lutte contre la pauvreté entraînerait un biais discriminatoire envers les plus méritants. L’impôt sur le revenu, que Sidgwick juge être une égalisation contrainte, est contraire à l’utilité puisqu’il s’agit de ponctionner les plus méritants pour donner sans contrepartie à ceux qui ne fournissent aucun effort au travail, et donc conduire à une désutilité du travail et à un appauvrissement général de la société. L’auteur prône donc une autonomisation et une responsabilisation de l’individu, notamment du pauvre, qui, s’il veut sortir de l’état de pauvreté, doit fournir l’effort nécessaire pour mériter un sort plus enviable.
Pauvreté selon l’approche utilitariste néoclassique
Les théories d’obédience utilitariste (welfariste) des néoclassiques, une extension de l’utilitarisme, insistent sur le critère monétaire comme espace de définition. L’approche « welfariste » exprime le bien-être en fonction du niveau d’utilité atteint par un individu, pour tous ses choix individuels ou préférences. En classant les différents états sociaux qui s’offrent à eux, les individus expriment une relation de préférence qui ne tient plus compte de l’intensité des utilités, mais simplement de l’ordre de préférence.
Selon cette approche, un individu est pauvre si elle n’atteint pas un certain niveau d’utilité permettant d’atteindre un certain niveau de vie. D’après la théorie du consommateur, les choix (ou les préférences) d’un consommateur portent sur les paniers de consommations qui sont une liste « complète » de biens et services qu’il peut acquérir. Ces choix peuvent être classés en fonction de leur attrait, et donc les utilités qui sont une façon d’attribuer une valeur aux différents paniers de consommation sont ordonnables. Ainsi, l’approche utilitariste repose sur le classement des préférences qui peuvent être représentées par une fonction d’utilité dont la valeur est supposée représenter le bien-être d’un individu. En supposant que nous ne sommes pas dans une économie de troc, le fait d’atteindre un certain niveau d’utilité présume un échange de bien contre de la monnaie. D’où la possibilité de construire des indicateurs simples et composites du bien-être au moyen des dépenses de consommation (ou des revenus), vu que l’utilité n’est pas directement observable.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : CADRE D’ETUDE ET REVUES DE LITTERATURE
CHAPITRE 1 : REVUES THEORIQUES
SECTION 1 : APPROCHES CONCEPTUELLES DE LA PAUVRETE
SECTION 2 : APPROCHES PRATIQUES, INDICES ET INDICATEURS DE MESURE DE LA PAUVRETE PLURIDIMENSIONNELLE
CHAPITRE II : REVUES EMPIRIQUES
SECTION 1 : LES RECHERCHES ANTERIEURES SUR L’ETAT DE PAUVRETE URBAINE DES PAYS D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE
DEUXIEME PARTIE : DESCRIPTION ET DYNAMIQUE DE LA PAUVRETE DANS L’AGGLOMERATION D’ANTANANARIVO
CHAPITRE3 : INDICATEURS DE PAUVRETE MONETAIRE
SECTION 1 : CARACTERISTIQUES SOCIODEMOGRAPHIQUES DES MENAGES URBAINS D’ANTANANARIVO
SECTION 2 : INDICES D’INEGALITE ET INDICATEURS DE PAUVRETE MONETAIRE
CHAPITRE 4 : DETERMINANTS DES FORMES DE LA PAUVRETE ET DE VULNERABILITE EN MILIEU URBAIN, LE CAS DE MADAGASCAR
TROISIEME PARTIE : PERSPECTIVES DE SOLUTIONS
CHAPITRE 5 : MESURES D’AMELIORATION DE L’ECONOMIE URBAINE
SECTION 1 : LES SOLUTIONS PROPOSEES
SECTION II : OBSTACLES, LEÇONS, DEFIS ET ENJEUX FUTURS DANS CES DOMAINES
CHAPITRE 6 : AMELIORATION DU LOGEMENT ET DES SERVICES DE BASE
SECTION I : SOLUTIONS PROPOSEES
SECTION II : OBSTACLES, ENJEUX ETDEFIS FUTURS
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE