On entend souvent dire que les filles sont moins douées en mathématiques que les garçons. Ainsi, en France, on compte plus de 70% d’hommes dans les professions scientifiques, ce qui pourrait nous amener à penser qu’il y a bel et bien une différence de capacité entre les filles et les garçons en mathématiques. Or, aucune étude n’a prouvé de différence d’aptitudes entre les hommes et les femmes dans ce domaine. Les stéréotypes influencent tellement notre pensée qu’ils sont capables de réduire effectivement les compétences des filles en sciences. Les stéréotypes sociaux sont l’ensemble des croyances que des individus entretiennent à l’égard de l’ensemble des membres d’autres groupes ou du leur (Bourhis, 1994). Ces stéréotypes sont susceptibles d’affecter leurs comportements et leurs attitudes. En effet, les stéréotypes finissent par nous conditionner et par avoir une influence sur notre pensée, sur notre cerveau et sur notre comportement. Si nous admettons l’existence de ces stéréotypes dans notre société et leur ancrage persistant dans les pensées de beaucoup de personnes, il est intéressant de voir leur impact sur des enfants qui rentrent à l’école sans à priori sur les différentes matières scolaires mais qui sont baignés par tout genre de stéréotypes diffusés par leur entourage, les médias ou encore les autres enfants. La réussite des élèves dans une matière varie en fonction des caractéristiques des élèves, c’est-à-dire selon les variables motivationnelles, affectives, cognitives, métacognitives et les habiletés psychomotrices des élèves mais également des pratiques pédagogiques établies en classe ainsi que les valeurs éducatives transmises par l’entourage (Wang et al., 1993). Tout au long de notre réflexion, nous allons donc nous demander : quelles sont les influences des stéréotypes de genre en mathématiques sur les résultats scolaires, la motivation et le cheminement scolaire des élèves ?
L’état actuel des stéréotypes de genre en mathématiques chez les élèves
La mesure explicite
Il existe un premier type de mesure des stéréotypes : la mesure explicite ou directe qui consiste à demander directement aux participants s’ils adhèrent ou non au stéréotype selon lequel il y aurait une différence de genre en mathématiques. Il peut s’agir par exemple d’un questionnaire à réponses auto-rapportées qui permet de mesurer l’adhésion des élèves aux stéréotypes de manière standardisée. Un des plus connus est l’échelle Les mathématiques comme domaine masculin (Fennema et Sherman, 1976). D’après la mesure explicite, les élèves entretiennent moins que dans le passé ce stéréotype (Blanton et aL, 2002 ; Leder et Frogasz, 2002 ; Schmader et aL, 2004). Cependant, ce questionnaire laisse supposer aux participants qu’il existe une différence entre les filles et les garçons en mathématiques ce qui peut influencer leurs réponses. En effet, le questionnaire Mathematics as a male domain suggère que les garçons sont favorisés en mathématiques alors que les participants n’y auraient peut-être pas pensé autrement (Forgasz et collab., 1999). On peut donc faire la critique que ce questionnaire ne mesure que la croyance selon laquelle les garçons seraient favorisés en mathématiques mais pas la croyance inverse selon laquelle les filles seraient favorisées en mathématiques. C’est pour cela que Leder et Forgasz (2002) ont mis en place un nouveau questionnaire selon le même principe mais avec trois échelles de mesure différentes : Les mathématiques comme domaine masculin, Les mathématiques comme domaine féminin et Les mathématiques comme domaine neutre. Cette étude a montré que la plupart des élèves n’entretiennent plus de stéréotypes de genre en mathématiques.
Cependant, cette mesure reste sous le contrôle des participants et donc est susceptible d’être altérée par la désirabilité sociale. En effet, les participants peuvent chercher à répondre en fonction de « ce qui est acceptable » plutôt que ce qu’ils croient vraiment (Dambrun et Guimond, 2004 ; Wilson, Lindsey et Schooler, 2000)).
Une expérience qui vient contredire ce premier constat
Une expérience consiste à présenter, à deux groupes d’élèves de niveau égal en mathématiques, une figure géométrique assez complexe. Ils doivent la mémoriser pendant une minute trente et la reproduire sans modèle en moins de cinq minutes. Au premier groupe, on dit qu’il s’agit d’un test de dessin. Au second groupe, on annonce qu’il s’agit d’un test de géométrie. On cherche à savoir si les performances des filles et des garçons sont les mêmes dans les deux conditions. Cette expérience a été réalisée en France sur plus de 600 élèves de niveaux et d’origines sociales différents. Les copies sont corrigées selon une méthode de notation précise. Quand on dit qu’il s’agit d’un test de géométrie, les filles réussissent moins bien cet exercice que les garçons alors que lorsque l’on dit que c’est un test de dessin, on obtient l’inverse : les filles réussissent mieux cet exercice que les garçons. Cette expérience montre l’impact de la perception des disciplines sur le genre. Ce stéréotype peut créer un stress émotionnel qui joue en défaveur de la performance. Ce stress émotionnel est plus probable chez les filles que chez les garçons car les filles peuvent craindre de confirmer la mauvaise réputation qui est faite à leur groupe d’appartenance (Neuville 2005). Quand on annonce un test de géométrie, les filles perdent en moyenne 2 points sur 20 par rapport au test de dessin. Contrairement à ce que peuvent laisser penser les mesures explicites des stéréotypes, les élèves sont toujours plus ou moins sous l’influence des stéréotypes sociaux de genre en mathématiques.
La mesure implicite
Il est possible de mesurer de manière implicite les stéréotypes entretenus par les personnes notamment par des tests d’associations implicites. On demande à des personnes interrogées, des hommes et des femmes, de placer le plus vite possible les mots qui apparaissent à l’écran dans une des deux colonnes. Dans la première colonne intitulée « Lettres ou Féminin », ils doivent placer les mots qui leur font penser soit aux matières littéraires soit aux femmes : par exemple « Littérature » ou « Philosophie ». Dans l’autre colonne « Science ou Masculin », ils doivent placer les mots qui leur font penser soit à la science soit aux hommes. Ils doivent ranger le mot « mathématiques ». Les mathématiques sont une science, le mot va donc dans la deuxième colonne. Ensuite, on bouleverse les catégories et on associe la science avec ce qui est féminin et les lettres avec ce qui est masculin. Ils doivent de nouveau ranger le mot « mathématiques ». Les mathématiques sont toujours une science, le mot va donc dans la colonne « Science ou Féminin » pourtant les hommes comme les femmes mettent environ 25% de temps en plus à ranger le mot « mathématiques » dans la catégorie « science » quand cette catégorie est associée à quelque chose de féminin (Nosek, Banaji et Greenwald, 2002). Inconsciemment, nous associons donc les mathématiques à ce qui est masculin. Ce test a été réalisé sur des milliers de personnes partout dans le monde. A chaque fois, les résultats obtenus sont toujours les mêmes. Ces stéréotypes sont donc des raccourcis, des automatismes dans notre cerveau, qui durant notre quotidien, sans que nous nous en rendions compte vraiment, vont guider nos pensées, nos comportements à notre insu.
On peut également évoquer le « paradigme de la menace du stéréotype ». Une enquête a été menée auprès d’étudiantes en mathématiques mais on peut imaginer qu’un élève de l’école primaire aurait la même réaction. Elles doivent résoudre toute une série de calculs mentaux. Pour la première série de calculs, on leur précise qu’il n’y a aucune différence de performance entre les hommes et les femmes. Lors de la deuxième série de calculs, on leur dit qu’il a été montré que les hommes et les femmes avaient des performances différentes. Quand les participantes s’attendent à une différence de résultat, leurs performances baissent de 10%. Elles sont plus lentes dans leurs calculs et commettent davantage d’erreurs. D’après Pascal Huguet, Directeur de Recherche CNRS à Aix-Marseille Université, dans leur cerveau, les participantes mobilisent un certain nombre de neurones dans le lobe pariétal. Quand on leur suggère qu’elles seraient moins bonnes en mathématiques, les neurones utilisés sont beaucoup plus nombreux alors que le résultat final est moins bon. On observe aussi une activation de la région orbitofrontale, une zone liée aux émotions qui peut influencer les prises de décisions. L’émotion négative provoquée par le stéréotype perturberait les capacités de raisonnement. Les hommes réagissent exactement de la même manière aux stéréotypes quand ils leur sont défavorables. Les idées véhiculées par l’environnement peuvent s’ancrer dans notre cerveau et modifier notre comportement. C’est pourquoi il suffit parfois de dire à quelqu’un « Tu es nul ! » pour qu’il ou elle le devienne. Ceci concerne aussi bien les filles que les garçons.
Même si de nombreuses personnes ne veulent pas l’avouer, beaucoup entretiennent encore des stéréotypes de genre en mathématiques. Ce sont des conceptions intégrées, le plus souvent inconscientes dont les individus ne veulent pas révéler l’existence (Banaji, Nosek et Greenwald, 2004). Les mesures implicites et les mesures explicites ne nous donnent pas accès aux mêmes informations. Les mesures explicites permettent d’évaluer l’adhésion personnelle des participants aux stéréotypes (Devine, 1989 ; Karpinski et Hilton, 2001) alors que les mesures implicites permettent de mesurer les stéréotypes socialement transmis et partagés par une culture (Devine, 1989 ; Karpinski et Hilton, 2001). Autrement dit, les mesures implicites permettent de révéler si les participants sont conscients de ces stéréotypes mais ne permettent pas de mesurer leur adhésion.
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Table des matières
Introduction
Partie théorique
I- L’état actuel des stéréotypes de genre en mathématiques chez les élèves
1) La mesure explicite
2) Une expérience qui vient contredire ce premier constat
3) La mesure implicite
II- Des stéréotypes véhiculés par l’environnement des élèves
1) Les enseignants
2) Les parents
3) Les autres élèves
4) Les médias et les manuels scolaires
III- Un ordre de préférence des différentes matières scolaires
IV- Des stéréotypes susceptibles d’influencer la motivation des filles
V- Susceptibles de jouer sur la confiance en soi
VI- Susceptibles d’influencer les futurs choix de carrière
VII- Des préconisations du gouvernement pour lutter contre les stéréotypes filles-garçons
Expérimentation
Participants
Méthode
Test statistique prouvant les résultats
Résultats
1) Le classement des différentes matières scolaires
2) L’intérêt des élèves pour les mathématiques
3) Les domaines des mathématiques
4) Le niveau en mathématiques estimé par les élèves eux-mêmes
5) Le choix du futur métier
6) L’importance de travailler en géométrie
7) L’intérêt du calcul
8) L’utilité des mathématiques
Conclusion
Bibliographie
Annexes