L’opinion publique existe-t-elle ? Cette formulation pourrait sembler remettre en cause les réflexions bourdieusiennes sur la question alors qu’il n’en est rien. Nous verrons dans cette recherche en quoi cette question est venue s’immiscer – pourrions-nous dire par surprise ? – au sein d’un travail réflexif et empirique touchant en premier lieu aux théories foucaldiennes décrivant le contrôle social, comme l’indique explicitement le titre de cette thèse.
D’une démarche qui s’orientait au premier abord vers une étude de la sécurité, de ses moyens, de ses techniques et de ses enjeux, les questions soulevées durant le doctorat ont évolué au fur et à mesure, vers des questions touchant à l’opinion publique. Non pas des questions qui visent à interroger l’autonomie d’une opinion, comme résultat de l’exercice éclairé d’une réflexion citoyenne, et qui favorise l’émergence d’un débat public raisonné, comme principe au fondement même de l’échange démocratique. Les questions de fond qui sont apparues au cours de la prospection empirique n’interrogent pas les conditions d’émergence – ou plutôt de la fabrication – de cette opinion. En soit, parler de fabrication de l’opinion signifie d’ores et déjà remettre en cause la transparence d’un principe qui est le cœur même du débat public et du modèle républicain. La question de l’autonomie de l’opinion des couches sociales inférieures, ou de la fabrication de leur opinion par les couches supérieures, sont des objets de réflexions et d’études qui ont justement conduit Bourdieu à formuler l’idée que « L’opinion publique n’existe pas».
La poursuite des démarches effectuées en Master
De l’acceptation des identifiants biométriques…
La volonté d’élaborer une étape post-foucaldienne du contrôle social s’est élaborée dans la continuité du travail effectué en Master. Le mémoire réalisé lors du Master 1 m’a permis de « m’initier » à l’objet sécurité, ou « techniques de sécurité » pour être plus précis, puisque ce dernier portait sur l’acceptation des identifiants biométriques , dans un contexte dans lequel ces derniers occupaient l’actualité en agitant l’opinion, ou pas .
De la casse d’une machine à l’entrée de la cantine du lycée de Gif-sur-Yvette en 2005, au livre bleu du GIXEL (Groupement des Industries Électroniques) qui venait de fuiter et faire scandale chez les défenseurs des libertés individuelles, à une exposition alors en cours sur l’avenir biométrique à la Villette et qui value d’ailleurs une nomination de la Cité des sciences et de l’industrie, tout comme de son directeur au Big Brother Awards , la biométrie était très présente dans l’espace public. D’un côté pour assurer une relance économique via l’essor de l’industrie électronique , dans laquelle le tout biométrique comprenait une place de choix. De l’autre par les oppositions de toutes formes qu’elle a engendrées, tout comme les travaux scientifiques nombreux par la suite, qui se sont penchés sur ce nouvel objet.
Un objet à la croisée du corps et de la technique ; de l’identité et de l’identification ; de la question de l’habeas corpus à un État de plus en plus intrusif ; de la mémoire de l’anthropométrie durant la Seconde Guerre mondiale aux projections dans un futur dystopique ; de la neutralité d’une technique à ses usages différenciés ; de l’usage fait par une institution à l’usage fait par une autre institution ; d’un usage encadré dans un régime politique à un usage abusif dans un autre ; mais aussi, et comme c’est le cas des dispositifs d’identification : d’une époque à une autre.
D’ores et déjà l’intérêt de l’approche socio-historique m’est apparu comme nécessaire à la compréhension d’un objet ne pouvant être interrogé uniquement au présent. C’est à la lecture de l’ouvrage coordonné par Xavier Crettiez et Pierre Piazza, Du papier à la biométrie , rappelant l’historicité d’une technique à la pointe de l’innovation et qui évoquait dans les consciences, la possibilité du contrôle absolu, que ce constat s’est réalisé. Ouvrage central dans une initiation à la recherche qu’est la réalisation d’un mémoire de Master 1, il m’a permis par la suite, en m’orientant vers les travaux de Gérard Noiriel de comprendre en quoi ces logiques liées à l’identification des citoyens constituent une réalité historique en lien avec la construction de l’État moderne .
L’enquête réalisée s’est focalisée sur les dynamiques d’acceptations sociétales de l’éventail des techniques et usages englobés par ce terme générique de biométrie, tout en s’intéressant aux arguments contestataires . Il est à noter, que ces identifiants ont fait un « flop » au final, mise à part une réactualisation de leur utilisation via la téléphonie mobile, ou leur usage dans certaines institutions, ces derniers ne se sont pas déployés tel que le souhaitait le GIXEL, ni ne le craignaient les opposants, on ne peut à proprement parler de révolution biométrique hormis l’augmentation du nombre d’empreintes palmaires sur les passeports et cartes d’identités.
… à l’acceptation et la critique du déploiement des dispositifs
L’enquête menée en Master 2 s’est construite autour des mêmes interrogations liées à l’acceptation, mais en élargissant à un ensemble de techniques de sécurité, pour appréhender ces questions de sécurité et de surveillance, non pas par la répercussion d’une technique isolée, mais comme un ensemble hétérogène formant un tout uniforme et répondant à une même logique globale. S’il m’a été donné de commencer à « gratter à la surface » des apports foucaldiens durant le Master 1, le travail conceptuel sur ses travaux s’est intensifié durant le Master 2, en empruntant une notion qui est devenue l’une des bases de mes recherches, la question du « dispositif de sécurité » et la proposition d’Agamben pour actualiser ce concept, au risque d’en étendre spéculativement le champ de compréhension concret. Ce dernier proposait en effet en 2007 :
« d’abandonner la philologie de l’œuvre de Foucault pour situer les dispositifs dans un nouveau contexte. […] En donnant une généralité encore plus grande à la classe déjà très vaste des dispositifs de Foucault, j’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. […] Au développement infini des dispositifs de notre temps correspond un développement tout aussi infini des processus de subjectivation. » .
C’est une ligne que nous avons suivi en élargissant les techniques que nous avons fait entrer dans cette catégorie du dispositif, une démarche opérante au regard du développement des réseaux sociaux ou des applications de téléphonie mobile enregistrant des données personnelles constitutives du Big Data, ou du déploiement de la vidéoprotection sous différentes formes etc. L’idée d’un déploiement infini des dispositifs, même si, à cet apport d’Agamben il serait possible de contre-argumenter par une question simple : Qu’est-ce qui n’est pas un dispositif ?
Tant son champ de compréhension touche tout objet anthropologique.
C’est finalement la médiation d’un individu usager d’institutions et de techniques de contrôle que nous avons étudié, tout en posant cette dynamique d’acceptation au sein de cette médiation. Les apports de Michalis Lianos sur la question nous ont permis d’éviter le piège de l’analogie pure et simple dans le recourt à Foucault pour se projeter dans un contexte sociétal autre que celui de l’intellectuel français, notamment par la notion de « périoptisme » au sein de la « toile institutionnelle », de cercles vicieux de l’incertitude ou encore le principe de cindynisation quant à l’expérience citoyenne dans une société traversée par un discours sur le risque omniprésent , qui façonne alors des comportements individuels de stratégies d’évitement des risques.
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Table des matières
Introduction générale
Premier temps de la démarche : l’étape post-foucaldienne du contrôle social
Partie I : Méthodologie, cadre conceptuel et problématique
Introduction de partie
Chapitre 1 : Une démarche socio-historique
Chapitre 2 : Le sociologue face à l’histoire
Chapitre 3 : Problématique : critère de moralité nationale et suspicion durant la IIIe République, la régulation de l’opinion publique en question
Partie II : Évaluer et gérer la dangerosité : des jeux d’échelles entre le local et l’international
Introduction de partie
Chapitre 4 : Des spécificités locales pour réguler la menace
Chapitre 5 : Le Carnet B : généalogie d’un dispositif
Chapitre 6 : La surveillance en Seine-Inférieure
Conclusion de partie
Partie III : Opinion et espaces publics
Introduction de partie
Chapitre 7 : Mesurer l’opinion publique dans la reconstruction politique nationale après la Première Guerre mondiale
Chapitre 8 : Le 6 février 1934: À l’origine de la lutte fasciste – antifasciste et de ses conséquences politiques sur l’état d’esprit des populations
Chapitre 9 : L’Après 6 février et le nécessaire retour à la normale
Chapitre 10 : S’affronter en public : discours et espace
Chapitre11 : Affronter l’adversaire : l’avènement de la violence politique
Conclusion de partie
Partie IV : Veille et répression de l’espace oppositionnel
Introduction de partie
Chapitre 12 : Les années 1921-1933: le contrôle d’une opposition fragmentée
Chapitre 13 : Paroles de femmes, femmes militantes
Chapitre 14 : 1934-1937 : Du Front commun à l’avènement du front populaire
Chapitre 15 : 1937-1938 le retour à une opposition conflictuelle
Chapitre 16 : Le passage à la répression à partir d’août 1939
Conclusion de partie
Conclusion générale
Bibliographie