L’ÉTABLISSEMENT DES RELATIONS AMICALES
L’amitié
L’amitié est une notion difficile à réduire à une seule définition, car ce mot peut être employé pour désigner une variété de relations cordiales. De plus, Krappmann (1996, cité par Keller, 2010), ajoute que bien qu’il existe des similarités culturelles par rapport au concept de l’amitié dans plusieurs sociétés, des différences au niveau de sa fonction et sa signification se révèlent. En outre, ces divergences s’appliquent en fonction du genre des individus.
Maisonneuve (2004) propose une définition spécifique : « L’amitié correspond à un lien de bienveillance et d’intimité entre deux (ou plusieurs) personnes, ne se fondant ni sur la parenté ni sur l’attrait sexuel, ni sur l’intérêt ou les convenances sociales » . De plus, il ajoute que l’amitié se manifeste comme une « valeur » existante dans toutes les cultures, à travers tous les temps. L’amitié, selon Hartup (1975, cité par Mannarino, 1980), s’articule autour de trois qualités.
La première concerne le comportement adopté par un enfant en présence d’un ami. Par exemple rire, parler ou partager avec l’autre. La deuxième qualité touche les réactions face à la séparation et s’intéresse aux changements d’humeur et au désir de proximité. La dernière qualité qu’il surligne se rapporte aux catégories conceptuelles et linguistiques qui s’appliquent à l’amitié ; il ressort que: « les concepts tels que ‘camarade’, ‘ami’, ‘aimer’, ‘ne pas aimer’ et ‘ennemi’ représentent divers aspects de l’amitié » (p. 46).
Selon Mannarino (1980), un élément essentiel pour déterminer une amitié est la réciprocité. En effet, une relation amicale entre deux individus ne peut exister si l’affection pour l’autre n’est pas donnée en retour. Cependant, il souligne qu’il est possible que dans certains cas, les enfants donnent l’illusion que leurs sentiments sont réciproques, alors que cette illusion ne représente pas la réalité.
L’établissement des relations amicales
Hartup (1996) s’est intéressé à l’identité des amis des enfants. Il a déterminé que les enfants établissent des relations amicales essentiellement sur la base d’intérêts et d’activités communs. Il a également souligné que bien qu’un des proverbes traditionnels suggère que « les opposés s’attirent », cette phrase n’a aucun soutien théorique dans le cadre de l’amitié.
Vicinité et proximité:
Selon Maisonneuve (2004), la vicinité est un terme utilisé pour désigner toute contiguïté spatiale, c’est-à-dire que « la vicinité désigne tous les modes de proximité dans l’espace » (p. 70). Maisonneuve (2004) souligne également que la vicinité délimite un cadre dans lequel sont rassemblés des individus présentant un rapport de similitude au niveau de leurs statuts et leurs styles. De plus, il accentue deux possibilités différentes face à cette vicinité : soit le rejet d’un tel voisinage, ou alors un attrait induit par des affinités. L’effet vicinitaire peut éventuellement être considéré donc comme facteur de facilitation, ou de renforcement du lien social. Ce terme représente l’effet de la vicinité sur les rapports sociaux en termes de profits et de pertes. Effectivement, « la distance coûte des efforts, alors que la proximité est utile et rassurante » (p. 72).
La proximité est une notion abordée, entre autres, par Guidetti et Tourette (2008). Selon eux, c’est sur la base de critères de proximité géographique que les relations amicales entre enfants peuvent s’établir en dehors du cadre scolaire. C’est-à-dire qu’il est probable que les enfants habitant le même quartier deviendront amis. Hartup (1996) aborde également la notion de proximité. Il met en évidence que l’observation de la recherche de proximité entre deux enfants constitue une manière d’identifier une amitié.
Similitude et homophilie:
Plusieurs auteurs, comme Ralph et Epkins (2015), Emerson, Tolbert Kimbro et Yancey (2002) et Hartup et Stevens (1997) soulignent que la similitude pourrait représenter un facteur déterminant dans le choix de nos amis. Ralph et Epkins (2015) étudient ce phénomène sous le terme d’«homophilie », qui regroupe l’ensemble des similarités entre deux ou plusieurs individus, et met en évidence son rôle déterminant dans l’établissement et la formation d’une amitié. Effectivement, les individus ont tendance à sélectionner ceux qui leur ressemblent pour devenir leurs amis. Kupersmidt et al. (1995, cités par Ralph & Epkins, 2015) ressortent que l’homophilie se perçoit surtout au niveau des caractéristiques comme l’âge et le sexe des acteurs sociaux, et Guroglu et al. (2007, cités par Ralph & Epkins, 2015) ajoutent le statut social et les styles comportementaux. En plus de la formation d’une amitié, Jugert, Noack et Rutland (2013) suggèrent que la stabilité d’une relation amicale bénéficie également de la similarité. Ils soulignent aussi les caractéristiques facilement perçues (notamment l’âge, le sexe et l’ethnicité) qui peuvent être utilisées comme critères dans le choix d’un ami, mais petit à petit les individus au sein de la relation apprennent à se connaître et découvrent d’autres traits moins visibles (comme les traits de personnalité ou les attitudes). Il est possible donc que les individus mettent fin à leur relation s’ils se rendent compte qu’ils ne sont pas similaires à ce niveau. Fink et Wild (1995) constatent que les variables qui montrent le plus haut niveau de similarité sont les critères sociodémographiques (comme le sexe et l’âge), suivi par les traits de personnalité, les attitudes et les valeurs.
Les caractéristiques de l’amitié
Bigelow et La Gaipa (1980) ont fait des recherches sur les amitiés d’enfants de six à quatorze ans. Ils ont demandé aux enfants participant à leur étude d’écrire un texte sur leurs attentes dans une relation amicale, et ce qui leur était important dans une amitié. À partir de ces textes, ils ont identifié plusieurs dimensions : les actions partagées, l’évaluation, l’admiration, l’acceptation, la loyauté et la fidélité, l’authenticité, les intérêts communs, le potentiel d’intimité, le renforcement de soi et le soutien.
Gesell (1945, cité par Mannarino, 1980) suggère qu’à chaque niveau d’âge, il y a émergence de caractéristiques particulières. Il a constaté, grâce à l’observation, que les enfants de 3 ans choisissent souvent un individu du sexe opposé et le désignent comme « ami », alors qu’à 4 ans ils privilégient une personne du même sexe. Ces relations sont marquées par des alternances entre des moments de conflit et des moments de coopération. Gesell (1945, cité par Mannarino, 1980) décrit ces amitiés comme très fragiles, notamment à cause de la nature égocentrique des enfants à cet âge. Il souligne qu’à 6 ans, les enfants accordent de plus en plus d’importance à leurs relations amicales, et ils aiment passer du temps avec leurs amis. Wenar (1971, cité par Mannarino, 1980) complète cette théorie en abordant l’alternance entre conflit et coopération. Il souligne son importance ; la succession de tels moments permet aux enfants de découvrir une des bases fondamentales des relations interpersonnelles qu’est la régulation des différends. Entre huit et neuf ans apparaît la notion de « meilleur ami » (Gesell & Ilg, 1949, cités par Mannarino,1980).
Sexe et amitié : quel lien ?
Le sexe a été choisi comme variable pour cette recherche sur la thématique de l’amitié entre enfants, car les différentes normes et les stéréotypes présents dans notre culture servent de repères qui influencent l’éducation de l’enfant ainsi que le développement de celui-ci. Ceci mène généralement à une socialisation différenciée des filles et des garçons, qui est la plupart du temps inconsciente. Cette façon d’élever les enfants participe à la construction de leur identité – dans ce cadre l’identité sexuée, et pousse les enfants à adopter les comportements et les attitudes qui correspondent à leur sexe, ainsi qu’à entreprendre des activités et des actions conformes à celui-ci. De ce fait, leurs comportements, leurs préférences, leurs choix et leurs attitudes sont normés afin de respecter les rôles sexués actuels et les attentes de la société. Ces éléments ressortent fréquemment dans le contexte de l’amitié. Krappmann (1996, cité par Keller, 2010) nous explique que rien que la définition du mot « amitié » est susceptible de varier selon le sexe de la personne qui tente de formuler une explication. En outre, l’expression des différentes dimensions de l’amitié varie en fonction du sexe de l’individu.
Comme nous avons pu le développer dans la partie précédente, l’intimité semblerait représenter un critère fondamental afin de différencier les relations significatives des autres relations moins profondes (Zalta, Nodelman, Allen & Perry, 2013), cependant Berndt (2002) a pu mettre en évidence qu’elle est plus facilement identifiée et repérée par les adolescents que par les enfants plus jeunes. Trois niveaux hiérarchiques caractérisent l’intimité de façon globale : l’intimité intellectuelle, l’intimité physique, et l’intimité émotionnelle. Cependant, un enjeu relevé par la théorie est la suggestion que l’atteinte de certains de ces niveaux d’intimité peut être empêchée par les normes sexuées en vigueur dans la société.
Effectivement, Bank et Hansford (2000, cités par Felmlee, Sweet & Sinclair) notent une résistance dans l’attitude des hommes face à des situations d’affection physique, et relient ce refus aux normes actuelles par rapport à la masculinité. Les relations amicales des filles semblent être considérées comme plus intimes que celles des garçons.
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Table des matières
INTRODUCTION
PROBLÉMATIQUE
1. PRÉSENTATION DU SUJET
2. ÉTAT DE LA QUESTION
3. VISÉES DE LA RECHERCHE
CADRE CONCEPTUEL
1. LE SEXE
1.1. LE GENRE
1.1.1. Genre comme catégorie sociale
1.1.2. Stéréotypes de genre
1.1.3. Socialisation de genre
1.2. L’IDENTITÉ
1.2.1. Culture
1.2.2. Identité sexuée
1.2.3. Groupes sociaux
1.2.3.a. Rôles sociaux
2. L’AMITIÉ
2.1. L’ÉTABLISSEMENT DES RELATIONS AMICALES
2.1.1. Vicinité et proximité
2.1.2. Similitude et homophilie
2.1.2.a. Homophilie de sexe
2.2. LES CARACTÉRISTIQUES DE L’AMITIÉ
2.2.1. Intimité
2.2.1.a. Empathie
2.2.2. Réciprocité
2.2.3. Actions partagées
2.2.4. Communication
2.2.4.a. Attentes dans une amitié
2.2.5. Particularité de l’amitié entre personnes de sexe opposé
3. SEXE ET AMITIÉ : QUEL LIEN ?
QUESTIONNEMENT
1. QUESTION DE RECHERCHE
2. HYPOTHÈSES
MÉTHODOLOGIE
1. CHOIX DE LA MÉTHODE
2. ÉCHANTILLON
3. GUIDE D’ENTRETIEN
ANALYSE ET INTERPRÉTATION
1. TRAITEMENT DES DONNÉES
2. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS EN 3H
2.1. ENTRETIEN AVEC LES GARÇONS
2.2. ENTRETIEN AVEC LES FILLES
3. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS EN 8H
3.1. ENTRETIEN AVEC LES GARÇONS
3.2. ENTRETIEN AVEC LES FILLES
4. SYNTHÈSE DES RÉSULTATS
5. COMPARAISON DES DONNÉES ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS
6. RÉPONSE À LA QUESTION DE RECHERCHE
CONCLUSION
1. DISTANCE CRITIQUE
2. PROLONGEMENTS POSSIBLES
BIBLIOGRAPHIE
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