L’ESTHETIQUE DE ROUSSEAU

De la mélodie

   Avant que Rousseau n’essayât d’écrire des théories musicales, la musique était dominée par d’autres méthodes, mises en place par d’autres théoriciens et d’autres philosophes. Son intervention est motivée par le fait que ces méthodes alourdissaient la musique. C’est pourquoi, il a senti la nécessité de l’alléger. C’est la raison pour laquelle il entreprendra de mettre en place un projet de réforme, consistant à doter la musique de nouveaux signes, parce que, selon lui, « la méthode ordinaire » rendait l’étude de la musique difficile. Dans son texte intitulé Dissertation sur la musique moderne, il présente son nouveau système comme étant plus facile et plus accessible que la méthode ordinaire. Il est aisé de justifier par l’expérience qu’on apprend la musique en deux et trois fois moins de temps par ma méthode que par la méthode ordinaire, que les musiciens formés par elle, seront plus sûres que les autres à égalité de science, et qu’enfin sa facilité est que quand on voulait s’en tenir à la musique ordinaire, il faudrait toujours commencer par la mienne pour y parvenir plus sûrement et en moins de temps. Son objectif est donc de corriger les difficultés que les théoriciens ont mises dans l’apprentissage de la musique, tout en rappelant que son entreprise n’est pas un paradigme radical qui déboucherait fatalement sur la disparition pure et simple de la méthode ordinaire, mais il se chargera de la renforcer. Le projet musical de Rousseau se divise en deux parties qui sont : « L’un de noter la musique et de toutes ses difficultés d’une manière plus simple, plus commode, et sous un moindre volume. » Ceci consistera à proposer un autre type de notation musicale dont l’objectif ne sera rien d’autre que de faciliter l’accès et l’étude de la musique. « Le second et le plus considérable est de la rendre aussi aisée à apprendre qu’elle a été rebutante jusqu’à présent, d’en réduire les signes à un plus petit nombre sans rien retrancher de l’expression, et d’en abréger les règles de façon à faire un jeu de la théorie, et à n’en rendre la pratique dépendante que de l’habitude des organes, sans que la difficulté de la note y puisse être pour bien. » Le second objectif semble être plus important parce qu’il facilite l’étude de la musique pour que celle-ci ne cause plus beaucoup de difficultés aux musiciens et aux compositeurs. Rousseau veut dégager des pistes que pourront entreprendre les chercheurs et les philosophes animés par une envie de réfléchir et de participer au développement de la musique. Il essaie donc de préparer et de balayer la route pour que ceux qui, après lui, emprunteront cette route puissent voir clairement et marcher sûrement sur le terrain de la musique. C’est dans ce sens qu’il écrit : « Je voudrais seulement tacher d’établir quelques principes, sur lesquels, en attendant qu’on en trouve de meilleurs, les maîtres de l’art, ou plutôt les philosophes pussent diriger leurs recherches : car, disait autrefois un sage, c’est au poète à faire de la poésie, et au musicien à faire de la musique ; mais qu’il appartient qu’au philosophe de bien parler de l’une et de l’autre. »  Ceci montre que, contrairement aux autres arts que Rousseau condamne, il valorise la musique, pour en faire un art qui est audessus de tous les autres. Cela pourrait aussi témoigner de l’amour et de l’attirance qu’il ressent envers la musique. Voilà pourquoi sa vie n’a pas de sens s’il ne chante pas, s’il n’écrit pas sur la musique, parce que si l’on en croit Philippe Lefebvre : « Rousseau se disait né pour la musique et pensait que la musique était « le seul art qu’il ait aimé constamment et dans tous les temps.» La musique doit chanter pour plaire. Ceci est donc son premier objet. C’est-à-dire que le chant ou la mélodie devrait se sentir ou devrait prendre le dessus sur les autres parties pour permettre à la musique de jouer son rôle d’émouvoir les cœurs. Il considère cela comme une règle qui doit être respectée et dont la violation est inacceptable. « En effet le premier et le principal objet de toute musique est de plaire à l’oreille ; ainsi tout air doit avoir un chant agréable : voilà la première loi, qu’il n’est jamais permis d’enfreindre. » Tous les musiciens devraient concourir à remplir cette prérogative parce qu’étant la première règle qu’ils devraient observer scrupuleusement. Si notre musique ne plait pas, donc elle devient autre chose, et ainsi elle ne nous satisfait point. La musique nous fait quitter le champ de la sensation physique pour nous plonger dans le niveau le plus élevé de la sensation interne pour atteindre l’âme. « La musique est avant tout chant, douceur de la voix, respiration de tendresse, de paix, lieu où l’enfance prolonge sa présence dans les émois de l’adolescent. » La querelle excitée dans l’opéra permet à Rousseau de montrer que la mélodie doit prendre le dessus sur l’harmonie. Il est absolument nécessaire que la musique ne soit pas un chant dans lequel on doit multiplier les accords pour renforcer l’harmonie, mais il faudrait plutôt renforcer la voix chantante pour qu’elle puisse dominer le chant. Il y a une différence entre l’harmonie et la mélodie parce qu’elles n’ont pas les mêmes terrains d’intervention. La mélodie relève de la nature tandis que l’harmonie est quelque chose d’artificiel relevant de l’œuvre du compositeur. La mélodie dépasse les sens pour choquer directement l’âme, alors que l’harmonie s’arrête au niveau le plus élémentaire de la sensation physique. Rousseau oppose de plus en plus clairement la mélodie de l’harmonie. La mélodie, « pure ouvrage de la nature », transmet les sentiments, est expression d’émotion. C’est par elle que la musique pénètre en nous, bouleverse l’âme. L’harmonie, elle, n’est qu’une production de l’art, incapable de retenir notre attention, d’attacher notre cœur : elle fait impression sur les sens, produit un certain plaisir physiologique sur les organes, mais laisse insatisfait. Cette thèse soutenue par Philippe Lefebvre sera partagée par Jean Starobinski qui, dans son ouvrage intitulé Jean-Jacques Rousseau la transparence et l’obstacle, montre que le favoritisme rousseauiste de la mélodie et sa méfiance de l’harmonie, réside dans la spécificité de chacune des deux parties. La mélodie est le fruit de la nature tandis que l’harmonie est l’art du compositeur. La mélodie provoque de l’émotion en nous. Cependant, l’harmonie impressionne les sens, tout en excitant les organes, mais malgré tout, elle ne nous satisfait point. Ainsi selon lui : « La mélodie a le pouvoir de toucher le cœur à coup sûre : proposition capitale dans la théorie musicale de Rousseau, et qui justifie sa prédilection sur la mélodie, sa méfiance pour l’harmonie. »La mélodie nous va droit au cœur, c’est pourquoi elle prend le dessus sur l’harmonie. Le modèle ramiste de la musique est l’art de l’acteur parce qu’il montre la compétence du compositeur, s’efforçant de faire de son mieux pour avoir une bonne harmonie. De l’avis même de Jean Starobinski, ceci fait partie des points de discordes entre Rousseau et Rameau. « Il déteste une musique destinée à faire briller l’exécutant, et refuse une musique qui ne s’adresse qu’au plaisir des sens. » Les points qui opposent ces deux auteurs semblent maintenant être clairs. Rousseau s’insurge contre l’idée d’une musique qui est l’œuvre de l’acteur et contre une musique qui n’excite que les sens. Pour montrer la différence qui existe entre la mélodie et l’harmonie, Rousseau, dans l’Essai sur l’origine des langues, prend l’exemple du dessin pour montrer que les sons ne déterminent pas la musique, de la même manière que les couleurs ne déterminent pas la peinture. L’élément le plus important dans la peinture, c’est le dessin. « La mélodie fait précisément dans la musique ce que fait le dessin dans la peinture ; c’est elle qui marque les traits et les figures, dont les accords et les sons ne sont que les couleurs. » Dans la peinture, il est important de mettre l’accent sur le dessin parce qu’il détermine les couleurs. Le rôle des couleurs dans la peinture, c’est de donner une sorte de beauté au dessin. Tel est également le rôle de la mélodie dans la musique. Les sons jouent le même rôle que les couleurs. Ce qui nous fait aimer la musique ne réside pas dans les sons parce que ce ne sont pas les couleurs qui nous font apprécier la peinture. « Comme les sentiments qu’excite en nous la peinture ne viennent point des couleurs, l’empire que la musique a sur nos âmes n’est point l’ouvrage des sons. » La mélodie doit prendre le dessus sur toutes les autres parties parce qu’elle seule, a le pouvoir d’impressionner nos cœurs. Le musicien qui considère l’harmonie comme étant l’élément le plus important dans la musique baigne dans des préjugés et des idées reçues qui offusquent son entendement. Celuici est dans un voile, lui empêchant d’appréhender la réalité et voir les choses d’une manière plus claires. C’est ainsi que Rousseau écrit : « Que dirons-nous du musicien qui, plein de préjugés semblables, voit dans la seule harmonie la source des grands effets de la musique. » Les gens se basaient souvent sur les sons et sur les couleurs pour définir la musique et la peinture. C’est ainsi qu’ils ont pensé que la musique est l’art de combiner les sons d’une manière agréable à l’oreille et que la peinture, c’est l’art de combiner les couleurs de manière agréable à la vue. Rousseau s’insurge contre ces genres de définitions en montrant que, ce qui est important, ce n’est pas les couleurs, mais plutôt le dessin ; ce ne sont pas les sons, mais plutôt la mélodie. C’est la mélodie et le dessin qui font de la musique et de la peinture des arts d’imitations. Comme donc la peinture n’est pas l’art de combiner des couleurs d’une manière agréable à la vue, la musique n’est non plus l’art de combiner des sons d’une manière agréable à l’oreille. S’il n’y avait que cela, l’une et l’autre seraient au nombre des sciences naturelles et non pas des beaux-arts. C’est l’imitation seule qui les élève à ce rang. Or qu’est-ce qui fait de la peinture un art d’imitation ? C’est le dessin. Qu’est-ce qui de la musique en fait un autre ? C’est la mélodie. Cette position rousseauiste sera renforcée par Philippe Lefebvre dans L’esthétique de Rousseau en ces termes : « Le fondement esthétique de l’art est pour Rousseau dans l’ « imitation », la représentation ». Or c’est la mélodie et non l’harmonie qui fait de la musique un art d’imitation, équivalente du dessin pour la peinture. La musique, grâce à la mélodie, parle des émotions morales qu’elle suscite. » Si nous considérons la mélodie comme imitation, un art qui a comme fonction d’éduquer et de soulager les hommes, nous devons faire appel à un autre principe outre que l’harmonie. C’est sans nul doute ce qui explique l’expression suivante : « Mais prise pour art d’imitation par lequel on peut affecter l’esprit de diverses images, émouvoir le cœur de divers instruments, exciter et calmer les passions, opérer, en un mot, des effets moreaux qui fassent l’empire immédiat des sens, il lui faut chercher un autre principe : car on ne voit aucune prise par laquelle la seule harmonie, et tout ce qui vient d’elle, puisse nous affecter ainsi. » La musique est un art d’imitation, et c’est la mélodie et non l’harmonie qui en fait un. Cela témoigne aussi la supériorité de la mélodie sur l’harmonie. Le chant dépend de la langue, elle est la condition de possibilité d’une musique. C’est pourquoi Rousseau pense qu’il y a des langues faites pour la musique et des langues ne pouvant véhiculer une musique agréable. « On peut concevoir des langues plus propres à la musique les unes que les autres ; on en peut concevoir qui ne le seraient point du tout. Telle en pourrait être une qui ne serait composée que de sons mixtes, de syllabes muettes, sourdes ou nasales, peu de voyelles sonores, beaucoup de consonnes et d’articulations, et qui manquerait encore d’autres conditions essentielles, dont je parlerais dans l’article de la mesure. » Les accents de la langue sont d’une importance capitale à la mélodie, parce que la langue est la condition de possibilité d’une belle mélodie. Les accents permettent à la langue de produire une mélodie agréable. C’est pourquoi, les langues qui n’ont pas beaucoup d’accents sont dépourvues de chant. « C’est l’accent des langues qui détermine la mélodie de chaque nation ; c’est l’accent qui fait qu’on parle en chantant, et qu’on parle avec plus ou moins d’énergie, selon que la langue a plus ou moins d’accents. Celle dont l’accent est plus marqué doit donner une mélodie plus vive et plus passionnée ; celle qui n’a que peu ou moins d’accent ne peut avoir qu’une mélodie languissante et froide, sans caractère et sans expression. » La richesse de la langue est importante pour produire une bonne musique. Dans une musique où la langue est composée de choses que Rousseau vient de décrire, il n’y aura point de chant parce que les sons ne seront plus clairs et que la musique sera criarde. Rousseau note beaucoup de difficultés dans la musique de cette langue. « Premièrement, le défaut d’éclat dans le son des voyelles obligerait d’en donner beaucoup à celui des notes, et parce que la langue serait sourde, la musique serait criarde. » Si les sons ne sont pas clairs, la musique sera d’une voix aiguë dont le son blesse l’oreille. C’est-à-dire que le son rend la musique désagréable.

L’avilissement du théâtre

   Rousseau est un défenseur de la vertu. Pour lui, la beauté morale doit être au-dessus de toutes les autres beautés. Au lieu de passer tout son temps à contempler ou à s’intéresser à la beauté des lettres, il faut mettre en place des « belles mœurs » et une beauté morale capable de contrôler l’action des lettres et des arts. C’est cette considération qui va pousser Rousseau à considérer le théâtre comme étant un art dont l’objectif est de dénaturer la vertu. Le spectacle n’a pas le pouvoir de modifier les sentiments ni les mœurs, parce que la moralité lui est étrangère. Le théâtre n’est donc pas une école de bonnes mœurs et c’est pourquoi, il est considéré comme n’étant qu’une bassesse. « Qu’on attribue donc pas au théâtre le pouvoir de changer les sentiments ni des mœurs qu’il ne peut que suivre et embellir. » Cependant, cette position rousseauiste semble être rejetée par Jean Bardet selon qui : « Le théâtre est réformable au même titre que la société. Il peut devenir un fabuleux instrument d’éducation, de diffusion des idées des lumières. » Maintenant, le théâtre prend une autre dimension, c’est-à-dire une école de la société et un outil de contestation. Pour le citoyen de Genève, le théâtre est vil parce qu’il ne corrige pas les mœurs, mais il ne fait que les dégrader. Ainsi, en ne faisant qu’exciter les pulsions et en armant les passions des hommes, il ne fait que prendre la vertu en otage en la ridiculisant et en permettant aux hommes de se moquer d’elle au lieu de se conformer à elle. C’est ainsi que pour corroborer cette acception, Rousseau écrit : Or par une suite de son inutilité même, le théâtre qui ne peut rien pour corriger les mœurs, peut beaucoup pour les altérer. En favorisant tous nos penchants, il donne un nouvel ascendant à ceux qui nous dominent ; les continuelles émotions qu’on y ressent nous énervent, nous affaiblissent, nous rendent plus incapable de résister à nos passions ; et le stérile intérêt qu’on prend à la vertu ne sert qu’à contenter notre amour-propre, sans nous contraindre à la pratiquer. Le théâtre, au lieu de purger les passions des hommes, ne fait que les exciter. Son rôle n’est pas d’éduquer les hommes en leur montrant les comportements néfastes qu’il ne faut pas adopter pour une meilleure harmonisation de la société. « Je sais que la poétique du théâtre prétend faire tout le contraire, et purge les passions en les excitant. » Les vices qui naissent des spectacles affectent le cœur de l’homme en y semant une mauvaise graine. Pour nous en persuader, Rousseau écrit : « il nous faut, pour sentir la mauvaise foi de toutes ces réponses, que consulter l’état de son cœur à la fin d’une tragédie. » Á la fin d’une tragédie, le cœur de l’homme est alourdi par beaucoup de vices, de passions difficiles à surmonter. C’est sans nul doute, la pertinence des interrogations rousseauistes suivantes : L’émotion, le trouble et l’attendrissement qu’on sent en soi-même et qui se prolonge après la pièce, annoncent-ils une disposition bien prochaine à surmonter et régler nos passions ? Les impressions vives et touchantes dont nous prenons l’habitude et qui reviennent si souvent sont-elles bien propre à modérer nos sentiments au besoin ? Pourquoi l’image des peines qui naissent des passions effacerait-elle celle des transports de plaisirs et de joie qu’on en voit aussi naitre, et que les auteurs ont soin d’embellir encore pour rendre leurs pièces agréables ? Ne sait-on pas que toutes les passions sont sœurs, qu’une seule suffit pour en exciter mille et que les combattre l’une par l’autre n’est qu’un moyen de rendre le cœur plus sensible à toutes ? Ceux qui prétendent que le mal peut combattre le mal ont donc tort parce que le vice n’est pas l’antidote du vice, il ne fait qu’augmenter sa puissance et son éradication en deviendrait après cela presqu’impossible. La corruption règne déjà dans la société, c’est la raison pour laquelle Diderot pense que pour sauver les mœurs, il faut faire appel au spectacle parce que celui-ci n’est pas comme le pense Rousseau une source de corruption des meilleurs, au contraire, il est le lieu où celles ci sont purifiées. C’est dans ce sens qu’il écrit : « C’est surtout lorsque tout est faux qu’on aime le vrai, c’est surtout lorsque tout est corrompu que le spectacle est plus épuré. » Le spectacle est légitime, parce que la comédie est dépourvue de vice, et ce n’est pas le théâtre qui cultive le mal. « Le citoyen qui se présente à l’entrée de la comédie y laisse tous ses vices pour ne les reprendre qu’en sortant. » Dans le théâtre, le spectateur est purifié, même s’il est vicieux, il abandonne ce comportement à la maison pour se conformer aux règles du spectacle, dans lequel il devient un honnête homme. « Là il est juste, impartial, bon père, bon ami, ami de la vertu (…) » C’est à travers les émotions excitées que le spectacle parvient à éduquer la société. Le théâtre n’est donc pas une école du vice, il permet aux hommes d’éduquer la société. Dans le spectacle, le vice est souvent condamné, et la vertu est applaudie. L’homme vicieux est souvent invité à comparaitre au tribunal, tandis que l’homme vertueux est couronné et récompensé. « Diderot reprend aussi à Aristote l’idée que c’est en jouant sur les émotions du public que le théâtre peut remplir son rôle éducatif. » Si on en croit Gérard Noiriel, le spectacle est le moyen le plus efficace pour purger les mœurs de la société. La condamnation du mal et l’apologie du bien permettent au malfaiteur d’abandonner son mauvais comportement pour adopter un autre pour une meilleure harmonisation de la société des hommes. « Un spectacle réussi nous émeut parce que l’impression qu’il communique « demeure en nous, malgré nous ; et le méchant sort de sa loge moins disposé à faire le mal que s’il eût été gourmandé par un orateur sévère et dur. » Gérard Noiriel préfère la conception de Diderot à celle de Rousseau, parce que le théâtre de Diderot reflète la société, il représente les choses les plus importantes de la vie quotidienne, tandis que celui rousseauiste est une condamnation à tort bien sûr de l’art du comédien. Ainsi selon lui : « Miroir d’une société bourgeoise qui prend alors son essor, le théâtre que prône Diderot veut s’adapter aux mœurs du monde « civilisé » – et il énumère les « conditions » qu’il voudrait voir représentées au théâtre : « l’homme de lettre, le philosophe, le commerçant le juge, l’avocat, le politique, le citoyen, le magistrat, le financier, le grand seigneur, l’intendant. » Le théâtre de Diderot donc est la société en miniature. Au lieu de représenter des choses qui existent depuis des temps immémoriaux, il faudrait mieux représenter les réalités de sa propre société.

Théâtre comme art du plaisir

   Chaque art a un objectif qui lui est spécifique que tous les spécialistes concourent à remplir. Le théâtre n’échappe pas à cette prérogative. C’est ainsi que son but est de satisfaire le désir du parterre en flattant ses passions afin que le public puisse satisfaire son besoin d’amusement. Pour mieux nous en rendre compte, Rousseau écrit : « Au premier coup d’œil jeté sur ces institutions, je vois d’abord qu’un spectacle est un amusement ; et s’il est vrai qu’il faille des amusements à l’homme, vous conviendrez au moins qu’ils sont permis qu’autant qu’ils sont nécessaires, et que tout amusement est un mal, pour un être dont la vie est si courte et le temps si précieux. » Le fait que le théâtre consacre toute son énergie à l’amusement est un mal parce que ce type d’amusement n’est pas nécessaire. Voilà la raison pour laquelle il ne doit pas nous faire perdre notre temps si précieux. L’homme doit s’habituer à travailler, seul le travail mérite de nous amuser et de nous occuper « Aussi voit-on constamment que l’habitude du travail rend l’inaction insupportable, et qu’une bonne conscience éteint le gout des plaisirs frivoles. » L’implantation d’un théâtre de comédie dans une ville caractérisée par le travail est selon le citoyen de Genève un risque. Le désir d’assister à l’apologie du ridicule risque de prendre la place qui devrait être accordée au travail. Lorsque les hommes seront déroutés par le plaisir du comique, ils deviendront oisifs, et l’habitude du travail qui les caractérisait, sombrerait dans la barque de l’oubli. Ce plaisir inutile ne mérite pas de nous attirer, notre temps si précieux devrait être consacré à des choses beaucoup plus importantes et dont l’objectif serait de renforcer la vertu pour une bonne harmonisation de la société. Un pays qui veut sortir du sous-développement et se hisser en bonne place parmi les nations émergentes, devrait ériger un rideau de fer sur lequel se heurterait la profession de comédien, parce que celle-ci chante les éloges du comique qui sèment le vice et l’oisiveté au sein de la société. Rousseau pense que, le spectacle, du point de vue économique, ne fait que ralentir le développement d’un Etat. Dans les pays où le spectacle connait un développement considérable, l’économie connait un recule extraordinaire, parce que l’amour du travail se voit remplacer par le plaisir du comique qui rend l’homme paresseux. Si ce plaisir parvient à gagner le cœur de l’homme, cela aura des répercussions néfastes au sein de la société, parce que entrainant un sous-développement et une corruption des mœurs. Pour Rousseau, le spectacle n’a aucune utilité, l’amusement est la seule et unique récompense dont bénéficie le parterre après avoir consacré tout son temps au théâtre. Ce plaisir n’a aucun effet bénéfique chez l’homme, c’est la raison pour laquelle l’homme ne devrait pas avoir du temps pour des futilités. Cette conception rousseauiste semble être rejetée par Denis Diderot pour qui la plaisanterie de théâtre a un impact considérable sur le spectateur. Mais la plaisanterie de société, elle est stérile. La plaisanterie de société se faisant avec des êtres réels, ne choque point notre sensibilité. Tandis que celle théâtrale, occasionnée par des chimères, des fictions et des fables affecte notre sensibilité et imprime sa marque sur la société des hommes. « La plaisanterie de société est une mousse légère qui s’évapore sur la scène ; la plaisanterie de théâtre est une arme touchante qui blesserait dans la société. On n’a pas pour les êtres imaginaires le ménagement qu’on doit à des êtres réels. » Au spectacle, sont représentées des choses que le spectateur pourra imiter pour une bonne marche de la société. La plaisanterie de théâtre peut être utilisée à des fins bénéfiques parce qu’elle pourrait être un moyen efficace de lutte et de contestation de la société, ou un lieu où le mal se verrait condamné et puni. Pour les Grecs, la comédie n’est pas uniquement un art d’amusement, mais elle sert aussi à nous rendre meilleur pour une bonne harmonisation de la société. « Ils (les Grecs) voulaient, non pas amuser seulement leurs citoyens mais les rendre meilleurs » Le spectacle est un moyen efficace dont l’objectif est double. Il peut être utilisé pour servir d’amusement au citoyen, mais il peut aussi être un moyen d’éducation de la société. La thèse rousseauiste n’est pas radicalement réfutée par les grecs, ils acceptent l’amusement que nous procure le théâtre parce que l’homme parfois a besoin de se soulager après une journée de dur labeur. Mais selon les Grecs, le spectacle doit conjuguer amusement et instruction, parce que le spectacle n’aurait aucun sens, si son rôle ne se limitait uniquement qu’à exciter en l’homme un plaisir frivole. De même, le spectacle serait insensé s’il n’était qu’un art d’éducation. Après avoir bombardé l’esprit avec des leçons de morale, il faut un moment de pause qui consiste à alléger l’esprit pour faciliter l’assimilation et la mémorisation des principes enseignés. Le comédien ne peut pas corrompre la jeunesse parce qu’il n’a pas le dernier mot. C’est le poète qui lui dicte le comportement qu’il doit adopter. Le comédien ne fait que suivre le chemin qui lui a été tracé. S’il y a une quelconque corruption des mœurs, cela est l’œuvre du poète. C’est lui qui conditionne le comédien en le faisant emprunter le comportement de son choix. Ainsi selon Diderot : « Un grand comédien est un autre pantin merveilleux dont le poète tient la ficelle, et auquel il indique à chaque ligne la véritable forme qu’il doit prendre. » Le comédien ne fait que jouer le rôle de l’acteur, c’est pourquoi les mœurs ne souffrent pas directement à cause de lui. Il joue donc le rôle d’intermédiaire entre le poète et les spectateurs. Le comédien, contrairement à l’idée rousseauiste selon laquelle il a le pouvoir de corrompre la société, est selon Diderot, celui que le poète veut qu’il soit, il n’est rien par lui-même, il est une manipulation du poète.

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Table des matières

INTRODUTION
PREMIERE PARTIE : LA MUSIQUE
CHAPITRE I : De la mélodie
CHAPITRE II : De l’harmonie
CHAPITRE III : De la mesure
DEUXIEME PARTIE: LE THEATRE
CHAPITRE I : L’avilissement du théâtre
CHAPITRE II : Théâtre comme art du plaisir
CHAPITRE III : Théâtre et vérité
TROISIEME PARTIE : ART, SCIENCE ET VERTU
CHAPITRE 1 : Art, science et corruption de la société
CHAPITRE II : Art, science et dépréciation des mœurs
CHAPITRE III : Art, science et culture du vice
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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