L’essor de la pédagogie spécialisée
Nous référant à l’historique rapporté par Tremblay (2012), Jean-Marc Itard (1774- 1838) apparaît comme le père de la pédagogie spécialisée. A l’aube du XIXème siècle, en France, il accueille Viktor, un enfant sauvage vivant seul dans les bois depuis sa naissance. Contrairement à plusieurs spécialistes – dont Pinel, père de la psychiatrie – Itard pense que Viktor, comme tout individu, est éducable. A cet effet, il développe différents dispositifs pédagogiques nouveaux, basés non seulement sur la création d’un lien affectif fort entre l’apprenant et l’enseignant, mais aussi sur les sens. Itard introduit également la notion de « transfert » des apprentissages. En effet, le but de l’éducation est que l’enfant puisse transférer ses apprentissages dans des situations nouvelles et complexes. Dans son enseignement, Itard part du concret vers le complexe, l’abstrait (Tremblay, 2012).
Ces différents aménagements sont considérés comme étant la première forme de pédagogie spécialisée. Malgré l’échec que rencontre cette tentative et les nombreuses critiques formulées face aux méthodes utilisées par Itard, ses découvertes ouvrent « pour de nouvelles catégories d’enfants à besoins spécifiques, la porte à une scolarisation fondée sur le principe d’une capacité naturelle et universelle à apprendre » (Tremblay, 2012, p.17). Quelques années plus tard, Bourneville, médecin et politicien français, croit quant à lui à l’éducabilité des « idiots ». Auparavant, voici la définition généralement donnée à l’idiotie : L’idiotie est cet état dans lequel les facultés intellectuelles ne se sont jamais manifestées, ou n’ont pu se développer assez pour que l’idiot ait acquis les connaissances relatives à l’éducation que reçoivent les individus de son âge, et placé dans les mêmes conditions que lui… Les idiots sont ce qu’ils doivent être tout le cours de leur vie : tout décèle en eux une organisation imparfaite, des forces mal employées. Ils sont incurables […] L’idiotie n’est pas une maladie, c’est un état (Esquirol, 1818, cité dans Yves, 2007, p.145).
Or Bourneville, persuadé du contraire, affine cette définition.
Il met en exergue par exemple « la multiplicité de ses manifestations, la variabilité de son intensité. Il nuance les conditions de son apparition, (…), il prend en compte l’environnement sanitaire et sociale de son développement » (Yves, 2007, p.145). A la fin du XIXème siècle, ses réflexions l’amène à créer les premières classes spécialisées en France. En Europe et en Amérique du Nord, le XIXème siècle est également synonyme de l’industrialisation, de l’urbanisation et de l’immigration. A ce moment-là, la population commence « à croire au potentiel des personnes handicapées et aux possibilités que leur réadaptation et leur éducation contribuent à améliorer leur qualité de vie et à favoriser une certaine implication dans la société » (Beauregard et Trépanier, 2010, p.34). En ce sens, diverses institutions, en particulier pour les personnes malentendantes et malvoyantes voient le jour. Ces dernières seraient finalement douées d’une certaine forme d’intelligence. Des personnages comme l’Abbé de l’Epée (1712-1789) et Louis Braille (1809-1852) appuient cette idée, en créant, respectivement, le langage gestuel et l’écriture tactile. Durant ce même siècle, en France, par l’intermédiaire de Napoléon Bonaparte et la création d’écoles publiques et gratuites, l’instruction se démocratise (De Grandmont, 2010). En Suisse, la Constitution de 1874 rend elle aussi l’école obligatoire. Cependant, cette loi n’est d’emblée pas respectée. De manière générale, les familles préfèrent que leurs enfants travaillent aux champs ou dans les usines pour subvenir à leurs besoins, la survie primant sur l’éducation. L’instruction est donc tout d’abord réservée à l’élite de la société. Il faut attendre la Loi fédérale de 1877 concernant le travail dans les fabriques, qui interdit aux entreprises d’engager des enfants de moins de quatorze ans, pour voir apparaître un nouveau public sur les bancs d’école.
L’arrivée en masse à l’école d’enfants considérés comme différents impose aux institutions scolaires de nouvelles réflexions. Il s’agit dès lors d’accueillir des enfants qui interrompaient ou ne débutaient même pas de scolarisation et de mettre en place les conditions nécessaires à cet accueil (Tremblay, 2012). Cependant, aussitôt, les enseignants mettent en évidence de grandes différences de niveaux entre des élèves du même âge. Certains se retrouvent rapidement en-dehors de la norme de leur groupe-classe. Les institutions scolaires craignent alors que ces élèves ne ralentissent le rythme de toute la classe. Cela suppose qu’il faille établir des critères pour repérer quels enfants sont capables de suivre le cursus ordinaire ou non. Pour ce qui est des élèves en situation de handicap, cela paraît relativement évident. Au contraire, en ce qui concerne les élèves ayant des difficultés intellectuelles légères, des troubles d’apprentissage ou du comportement, la création d’un outil est nécessaire (Tremblay, 2012). En 1905, en France, Binet et Simon développent l’échelle métrique de l’intelligence. Cette dernière classe les individus en deux catégories dichotomiques : les « intelligents » et les « non-intelligents » (De Grandmont, 2010). Elle constitue le principal outil utilisé à des fins de placement des élèves à besoins éducatifs particuliers dans des classes spécialisées. Progressivement, se crée deux réseaux d’école distincts: un cursus pour les élèves ordinaires et un autre pour les élèves à besoins éducatifs particuliers (De Grandmont, 2010). Nous parlons alors de différenciation structurale, dans le sens où des enfants d’un même âge ne fréquentent ni la même filière ni les mêmes locaux, selon s’ils ont des besoins éducatifs particuliers ou non. Ces cursus distincts ont pour intention « d’obtenir des groupes homogènes » (Curonici, 2006, p.3).
De l’intégration scolaire vers l’inclusion scolaire
Dans les années 1960, dans la plupart des pays industrialisés, des questionnements et des réflexions nouvelles se font sur la place de chaque être humain au sein de la société. Un accent particulier est mis sur la place sociétale des personnes en situation de handicap, jusque-là exclues de l’école ordinaire. Une prise de conscience s’opère progressivement et en découle la volonté d’intégrer dans la société toutes personnes marginalisées auparavant. De cette volonté notamment, apparaissent successivement les concepts d’intégration scolaire et d’inclusion scolaire. Nous allons les présenter plus précisément dans les paragraphes suivants. Intégration scolaire Le concept d’intégration scolaire tire ses origines de plusieurs événements et mouvements.
En 1968, Dunn critique l’efficacité des mesures d’aide séparées en affirmant que, « rien ne peut démontrer que l’éducation spéciale en milieu ségrégué prépare mieux les personnes handicapées à s’intégrer socialement tout en leur permettant d’acquérir un certain niveau d’apprentissage » (Dunn, 1968, p.35, cité dans Beauregard et Trépanier, 2010). Il critique de plus le rendement scolaire des enfants à besoins éducatifs particuliers, les effets négatifs de l’étiquetage et les conséquences néfastes sur le concept de soi de ces enfants (Vienneau, 2002). De plus, il « remarque de fortes surreprésentations sociales et ethniques » dans les classes spécialisées (Tremblay, 2012, p.51). Autrement dit, la sélection qui permet de diriger certains enfants vers ces classes paraît relativement arbitraire. Il est nécessaire de préciser qu’à ce moment-là, ses doutes ne reposent cependant pas encore sur des recherches scientifiques. Dans les années 1970, le modèle de « normalisation » apparaît tout d’abord en Scandinavie, puis s’étend aux Etats-Unis. Selon Nirje (1985), il se définit comme étant « un moyen de procurer aux personnes handicapées des conditions de vie identiques ou qui se rapprochent le plus possible des circonstances régulières et des manières habituelles de vivre en société » (Nirje, 1985, cité dans AuCoin et Vienneau, 2010, p.67). Wolfensberger ajoute à ce postulat qu’il faut également
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Table des matières
Remerciements
Résumé
1. Introduction
2. Contexte théorique
2.1. Evolution de la prise en charge des élèves ayant des besoins éducatifs particuliers
2.1.1. L’essor de la pédagogie spécialisée
2.1.2. De l’intégration scolaire vers l’inclusion scolaire
2.2. Quelques recommandations et textes de lois au niveau international, suisse et fribourgeois
2.3. La pédagogie inclusive
2.3.1. Différentes pratiques inclusives
2.3.2. Les conditions de mises en oeuvre
2.4. Questions de recherche
3. Méthode
3.1. Posture de recherche et instrument utilisé
3.2. Sujets
3.3. Déroulement de la recherche
4. Présentation des résultats
4.1. Sens donné par les enseignants interrogés à l’intégration scolaire et l’inclusion scolaire
4.1.1. Définition des deux concepts
4.1.2. Pratiques associées aux concepts d’intégration scolaire et d’inclusion scolaire selon les enseignants interrogés
4.2. Vision du passage de l’intégration scolaire à l’inclusion scolaire
4.2.1. Gains et difficultés concernant le passage de l’intégration scolaire à l’inclusion scolaire selon les enseignants interrogés
4.2.2. Conditions nécessaires au passage de l’un à l’autre selon les enseignants interrogés
4.2.3. Besoins des enseignants interrogés concernant le passage de
l’intégration à l’inclusion scolaire
5. Interprétation et discussion des résultats
5.1. Compréhension des concepts d’intégration scolaire et d’inclusion scolaire
5.2. Conditions du passage de l’intégration scolaire à l’inclusion scolaire
5.3. Obstacles et difficultés au passage de l’intégration à l’inclusion scolaire
5.4. Leviers au passage de l’intégration scolaire à l’inclusion scolaire
6. Conclusion
7. Références
Annexes
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