Le«Spectre»duhandicap
Le modèle médical (individuel) du handicap
Les restrictions de participation des enfants handicapés ont longtemps été considérées comme des conséquences à des troubles et à des déficiences. Les réponses apportées à leur prise en charge reposaient principalement sur des soins et/ou des moyens auxiliaires adaptés aux spécificités de ces enfants (Gazareth, 2009). En 1980, l’OMS adopte la Classification internationale des Handicaps et santé mentale (CIH), qui établit au niveau mondial un modèle biomédical du handicap et de la déficience. Cette Classification détermine le processus du handicap comme une résultante de la déficience. En ce sens, la déficience induit l’incapacité, entravant ainsi l’intégration sociale de la personne. Dans cette perspective, « L’accent est mis sur les causes médicales et est aveugle à la dynamique sociale […] » (Hollenweger, 2014, p.8), ce qui réduit la personne à une simple catégorie, obstruant l’expérience complexe du handicap. Le modèle médical du handicap ne conçoit donc pas les facteurs environnementaux comme des facteurs générateurs de situations handicapantes. Cette perspective considère le handicap comme réalité intrinsèque à l’enfant, l’étiquetant selon les causes et les caractéristiques du trouble ou de la maladie qu’il manifeste. Le degré d’éducabilité de l’enfant est donc corrélé à des caractéristiques considérées fixes et immuables, et non à ses capacités propres. Cette approche favorise le recours au diagnostic et à la catégorisation médicale.
Pourtant, comme l’argumente Crété (2007), « […] un enfant handicapé est un enfant avant tout et primordialement un parlêtre qu’il est important et nécessaire d’entendre dans sa singularité, et non dans ce qui deviendrait peu à peu son enveloppe identitaire de handicapé » (p.13). La terminologie traditionnelle des catégories de handicaps revient ainsi à étiqueter des individus selon les représentations que l’on a de leurs compétences, sans prendre en compte leurs expériences spécifiques du handicap, et en niant de surcroît les obstacles environnementaux auxquels ils sont confrontés.
Le handicap en contexte éducatif
La CIF (OMS, 2001) est un outil important pour déceler la discrimination et les obstacles environnementaux qui se manifestent au sein des systèmes éducatifs. En effet, la Classification enveloppe un vaste champ d’application qui comprend notamment l’impact de l’environnement sur la participation et l’inclusion sociale des enfants handicapés. Dans la dynamique éducative, elle permet donc de contextualiser les difficultés des élèves selon divers facteurs environnementaux. La Classification Internationale Type de l’Education (CITE), élaborée par l’UNESCO (1997), lie la notion de handicap aux modes d’organisation et aux modalités pédagogiques instaurées par les institutions éducatives (Ebersold, 2009, p.75). Elle a ainsi incité les réformes éducatives à « […] relier les difficultés des élèves à celles des systèmes éducatifs qui peinent à se distancier de la figure de « l’élève-type » au profit d’une prise en compte de la diversité des profils éducatifs (UNESCO, 2011) » (Ebersold, Plaisance & Zader, 2016, p. 13). La Classification cherche à évaluer les capacités des établissements à s’ajuster aux besoins des élèves, et non plus à leurs déficiences.
Dans ce rapport, l’intérêt se porte sur les élèves du niveau 1 de la CITE, ce qui correspond à l’enseignement primaire obligatoire. Le niveau 1 de la Classification comprend « […] les programmes à l’attention des enfants qui ont des besoins spéciaux si le programme garantit un enseignement et un apprentissage systématique des compétences fondamentales en lecture, en écriture et en mathématiques, quel que soit l’âge du participant » (ISU, 2013, p.32). Chaque type de handicap engendre des spécificités qui lui sont propres et d’intensités variables. Dans une optique d’inclusion scolaire, il est important de prendre en compte les particularités de chaque élève en situation de handicap, car elles déterminent leur probabilité à être scolarisés et à progresser en milieu éducatif. En effet, comme le souligne le rapport mondial sur le handicap de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2010), « les taux de scolarisation varient en fonction du type de déficience […] » (p.8). Il existe donc une corrélation entre la sévérité du trouble et l’accès à l’enseignement. Dans le domaine du handicap, les variables inter-individuelles doivent impérativement être prises en compte par tous les acteurs de l’éducation. Il est primordial de reconnaître la singularité de l’élève en tant qu’enfant, afin de ne pas polariser le handicap en lieu et place du sujet. C’est à travers les difficultés éprouvées dans certaines actions ou fonctions que le handicap doit être pensé et questionné dans les pratiques des acteurs éducatifs (Crété, 2007).
Les besoins éducatifs particuliers (BEP) Avec la Déclaration de Salamanque (1994), les discours et débats internationaux liés au domaine de la pédagogie spécialisée suscitent de l’intérêt et de nouvelles considérations politiques pour les enfants et les jeunes et leur droit à l’éducation. Les élèves cessent, dans les terminologies contemporaines, d’être considérés comme « handicapés » au sens médical du terme, pour devenir des élèves à « besoins éducatifs particuliers ». Comme le soulignent Ebersold et Detraux (2013), « la réorganisation des grilles de lectures du handicap autour du besoin éducatif particulier a contribué à dissocier handicap et déficience » (p.108). Il s’agit donc d’éviter de partir de la déficience de l’élève, éventuelle ou avérée, et d’envisager ses capacités d’apprentissage, afin de rendre accessible le système scolaire aux besoins propres des enfants (Ebersold, Plaisance & Zander, 2016). Ainsi, tel que l’expriment Lavoie et Thomazet (2016), « […] les notions de besoins éducatifs particuliers et de situation de handicap affirmées en éducation inclusive renvoient plutôt à la rencontre de ses besoins spéciaux et d’une situation qui devrait chercher à y répondre » (p.59).
Il faut donc créer des environnements capables de pallier les difficultés des l’élèves. Bien que la scolarisation de tous les enfants, notamment ceux porteurs d’un handicap, soit une résolution partagée par la majorité des pays européens, il n’existe actuellement aucun consensus en ce qui concerne la définition exacte des besoins éducatifs particuliers. Le besoin éducatif est, à l’instar du handicap, une construction sociale. Ce concept sous-tend des enjeux idéologiques, notamment liés aux institutions scolaires et médicosociales (Ebersold & Detroux, 2013). Chaque pays délimite ses propres représentations et définitions : certains les interprètent, au sens classique du terme, comme des déficiences, alors que d’autres y incluent des problématiques variables, telles que des difficultés d’apprentissages, des troubles du comportement ou des désavantages sociaux (Martini-Willemin & Gremion, 2016). Ainsi, le besoin éducatif particulier n’est pas nécessairement impliqué par un trouble ou une déficience définie par une approche psycho-médicale et catégorielle du handicap. Il peut s’agir d’un moyen d’enseignement ou d’un aménagement dont l’enfant a besoin dans une situation spécifique qui le met plus en difficulté, notamment pour apprendre, que les autres, d’un handicap ou d’une maladie qui l’empêche d’apprendre comme les autres.
La vaste interprétation du champ des BEP implique une réalité effective de l’inclusion scolaire très différente d’une nation à l’autre, ainsi que des modes d’organisations institutionnelles diverses. Comme le stipule Squires (2017), « Certains pays ont une interprétation large des handicaps/BEP qui inclut les apprenants connaissant l’échec scolaire, tandis que d’autres pays limitent le terme à ceux qui ont de graves difficultés » (p.7). Les profils s’avèrent donc singulièrement différents selon les pays (Ebersold & Detraux, 2013). Néanmoins, une politique ne peut s’affirmer inclusive que s’il existe une corrélation entre les populations d’enfants vulnérables et les législations interdisant la discrimination, contraignant donc les systèmes éducatifs à considérer tous les besoins des apprenants (Ebersold, 2009). La mise en pratique d’une politique inclusive est dès lors indissociable du concept de BEP, tel que l’exprime Terzi (2011) : « […] educational approaches to disability and special education needs all adress the relation between children’s diversity and the school system » (p.36).
Il s’agit ainsi de percevoir les liens entre la diversité des profils apprenants, et la manière dont le système éducatif structure ses modalités et dispositifs en leur faveur. La notion des BEP, comme le soulignent Ebersold & Detroux (2013), ne s’appréhende qu’à la lumière des représentations dominantes du système éducatif, du rôle de l’enseignant et de l’enfant considéré comme « scolairement légitime » (p.105). Cela met en évidence la responsabilité de l’école dans la production binaire des inégalités entre les élèves en difficultés et les élèves répondant aux attentes normatives dominantes du contexte scolaire. Les préoccupations concernant l’inclusion scolaire ont évolué au cours des dernières années. Alors que l’inclusion visait initialement à défendre les enfants à « besoins spéciaux », elle se penche aujourd’hui plus particulièrement sur des politiques et des pratiques éducatives qui excluent (Hyang Choi, 2016). Depuis 2006, les droits des élèves à BEP sont formulés explicitement grâce à la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH, 2006), entrée en vigueur en Suisse en 2014.
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Table des matières
1.Introduction
2.Définitions conceptuelles: apportsthéoriques
2.1.Le«Spectre»duhandicap
2.2.Lemodèle médical etlemodèlebio-psycho-socialduhandicap
2.2.1.Lemodèlemédical (individuel) du handicap
2.2.2.Lemodèlebio-psycho-social duhandicap
2.3.Lesvariablesimpliquéesdanslehandicap
2.4.Lehandicapencontexte éducatif
2.5.Leparadoxeduhandicap
2.5.1.Lacatégorisation sociale
2.5.2.La «médicalisationdel’échecscolaire
2.6.Lesbesoins éducatifsparticuliers(BEP
2.7.Lanon-discrimination
3.Qu’est-ce-que l’éducation inclusive
3.1.L’éducationinclusivecommeidéaléducatifàatteindre
3.1.1.Lemodèleintégratifetle modèleinclusif
3.1.2.Lemodèleintégratifdusystèmeéducatif suisse
3.2.L’émergence de l’éducationinclusive
3.3.Leparadigmedel’écoleinclusiveduXXIème siècle
3.4.Différencesentrel’éducationinclusiveetl’inclusionscolaire
3.5.Leslégislationsinternationalesenfaveurde l’éducationinclusive
3.5.1.LaConventioninternationalerelativeaux droits de l’enfant(ONU,1989
3.5.2.LaConventioninternationalerelativeaux droits despersonneshandicapées(ONU,2006
4.Le conceptd’éducation inclusive au niveau européen
5.Le droità l’éducation des enfants en situation de handicapen Suisse
5.1.Leslégislationsfédérales
5.1.1.LaConstitutionfédérale
5.1.2.LaLoifédérale pour l’égalité deshandicapés(LHand,2002
5.1.3.Laloifédéralesurl’encouragementdesactivitésextrascolairesdesenfants et desjeunes(LEEJ,2011
5.2.Les législations intercantonales
5.2.1.L’Accord intercantonal surlacollaborationdansledomainede la pédagogiespécialisée (AICPS,2007
5.2.2.L’Accord intercantonal surl’harmonisationdelascolaritéobligatoire HarmoS (CDIP,2007
5.3.Analysedesterminologiespolitiquessuissesrelativesauxenfantsensituationde handicap
5.4.Lescausesprincipalesduhandicapdesenfantsen Suisse
5.5.Lesdiverstypesdecompréhensiondu besoin éducatifselonlescausesdu handicap
5.6.Lesdonnéesstatistiquesactuellesdelapédagogie spécialisée en Suisse
5.7.LestroublesoudéficiencesimpliquésparlesBEPensuisseromande et auTessin
5.8.L’intégrationdesélèvesàBEPouensituationdehandicap:lecasdu Valaiset de Genève
5.8.1.LecasduValais
5.8.2.LecasdeGenève
6.Les recommandations internationales faitesà la Suisse
7.LesmesuresdelaConfédération afin d’améliorer la mise en oeuvre de la CDE
8.LesmesuresdelaConfédération afin d’améliorer la mise en oeuvre de la CDPH.
9.Les informations attendues dans le5èmeet6èmerapportspériodiques
10.Exemples de pratiques inclusivesconsidérées comme efficientes
10.1.Lespratiquesauniveaumacro-socialconsidéréesefficientes
10.2.Lespratiquesauniveaumicro-social considéréescommeefficientes
10.2.1.Impliquerladirectionde l’école
10.2.2.Formerlesenseignantsàladifférenciationpédagogique
10.2.3.Adopterdenouvellesperceptionsduhandicap
10.2.4.Concevoirautrement «l’élève-type» de l’école ordinaire
10.2.5.Développerlacollaborationentrelesenseignantsordinaireset lespédagoguesspécialisés
Conclusion
Bibliographie
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