L’espace affectif et relationnel la maison menacée par le délitement familial

En quoi la mise en scène des espaces quotidiens dans les drames familiaux d’Hirokazu KoreEda reflète-elle un point de vue critique à l’égard de la politique sociale japonaise ?

Afin de répondre à cette question, nous nous appuierons sur l’analyse d’un corpus regroupant les drames familiaux d’Hirokazu Kore-Eda, en nous concentrant sur deux films en particulier, qui font preuve d’un engagement plus radical à travers la mise en scène de l’espace : Nobody Knowset.
Une affaire de famille. En effet, ces deux films sont infiniment riches du point de vue de la mise en scène de l’espace du quotidien à portée politique. Bien que stylistiquement différents, ces deux films paraissaient dialoguer sur la question du rôle de la politique dans la perte de la maison comme centre psychique, sur la remise en question du conventionnalisme de la famille, et sur l’acte engagé que représente aussi la visibilité des marges sociales. Ces deux films sont les plus éminemment engagés socialement et politiquement parlant. Bien que ces films nous semblent êtres les éléments fondateurs de la politisation de la mise en scène spatiale, ceux-ci entrent en résonance avec le reste de la série familiale de Kore-Eda sur ces questions. C’est pourquoi les autres drames familiaux d’Hirokazu Kore-Eda, bien que moins sollicités, compléterons donc notre corpus. Nous considérerons les drames familiaux d’Hirokazu Kore-Eda comme reflets de questionnements dépendants du contexte de production et comme réponses à ces questionnements, comme une caisse de résonance aux problématiques d’une société, comme une unité de sens autonome qui s’inscrit dans un contexte particulier, celui du Japon actuel, lui-même traversé par des problématiques sociales, politiques et culturelles.
Nous tenterons de répondre à ce questionnement à partir de l’analyse filmique de la mise en scène de l’espace dans ces films, nourrie d’un arrière plan culturel sur la question spatiale au Japon.
Dans le but de répondre à notre problématique, plusieurs approches de l’espace filmique seront mobilisées lors de l’analyse interne de ces films. Par une approche de l’espace filmique à la fois scénographique (concentrée sur l’espace de la diégèse comme espace continu) , sémiologique (qui consiste à étudier la mise en scène de l’espace comme signe) , narratologique (qui concerne la structure du récit) et, plus occasionnellement,plastique (fondée sur l’espace autonome de l’image en tant qu’elle ne renvoie pas à l’espace référent, où la composition de l’image en terme de formes et de couleurs est centrale) et phénoménologique (fondée sur les sensations du spectateur provoquées par la mise en scène de l’espace), nous questionnerons d’une part, l’espace tridimensionnel de la fiction et d’autre part, l’espace de l’image, construit par les matériaux de la mise en scène.
Dans une première partie, nous montrerons que l’espace du quotidien, l’espace « géoarchitectural » des drames familiaux de Kore-Eda, ainsi que sa mise en scène sont hétérogènes et qu’ils témoignent déjà du regard critique de Kore-Eda sur la politique architecturale du pays.
L’espace quotidien urbain, dans lequel sont baignées de nombreuses familles déchirées, est majoritairement connoté péjorativement et devient l’origine d’un délitement familial. Dans une seconde partie, nous démontrerons néanmoins que ces délitement familiaux, bien que fortement influencés par l’environnement, n’ont pas pour seule origine les effets négatifs de l’espace quotidien.
Ces désagrégations familiales affectent la maison elle-même et occasionnent des décentrements intérieurs, traduits par la mise en scène de l’espace et causés par la perte de la maison comme centre psychique. Pour finir, nous expliquerons la raison pour laquelle le décentrement interne, entraîné par la perte de la maison comme point de repère psychique et conduisant à un réinvestissement des espaces publics sous forme d’errance notamment, traduit un regard éminemment critique sur l’espace politique, ce qui nous amènera à considérer la mise en scène de l’espace à la fois comme symptôme et outil de l’engagement du réalisateur.

L’espace « géo-architectural » dans les drames familiaux d’Hirokazu Kore-Eda : l’espace du quotidien familial

La ville et ses « non-lieux », caractéristiques de la ville « surmoderne »

Dans Non-lieux, essai publié en 1992, l’anthropologue du quotidien Marc Augé étudie le phénomène de ce qu’il appelle la « surmodernité ». La « surmodernité » se caractérise par trois figures de l’excès : la « surabondance événementielle », qui provient d’un besoin constant de donner du sens au monde qui nous entoure, « l’individualisation des références » liée au renforcement de l’individualisme et de l’ego, et la « surabondance spatiale », causée par l’accélération des moyens de transport, les changements d’échelle engendrés par les progrès scientifiques et par la prolifération excessive d’images. C’est cette dernière figure de l’excès, la « surabondance spatiale », caractéristique de la « surmodernité », qui engendre des « non-lieux ». Pour les définir, Marc Augé oppose les « non-lieux » aux lieux anthropologiques, qui sont, par définition, des lieux « identitaires », « relationnels » et « historiques » : « Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu. L’hypothèse ici défendue est que la surmodernité est productrice de non-lieux, c’est-à-dire d’espaces qui ne sont pas eux-mêmes des lieux anthropologiques et qui, contrairement à la modernité baudelairienne, n’intègrent pas les lieux anciens […] ». Les « non-lieux » sont donc des lieux transitoires, des lieux où l’on ne s’attarde pas, qui sont construits en fonction d’une finalité, qui n’est pas communicationnelle, mais individualiste et éphémère. Marc Augé en donne quelques exemples : « les voies aériennes, ferroviaires, autoroutières et les habitacles mobiles dits « moyens de transport » (avions, trains, cars), les aéroports, les gares et les stations aérospatiales, les grandes chaînes hôtelières, les parcs de loisir, et les grandes surfaces de la distribution […] » . Ces non-lieux, typiques de la surmodernité, parce qu’ils ne sont pas destinés à créer du lien social du fait qu’ils sont « constitués en rapport à certaines fins » et parce qu’ils établissent une « relation » contractuelle indifférenciée avec les clients (sous forme de contrôle, de billets ou de messages écrits), génèrent « solitude et similitude ». « Le non-lieu est le contraire de l’utopie : il existe et il n’abrite aucune société organique » écrit Marc Augé.Dix-sept ans après que Marc Augé publie sa théorie sur la surmodernité productrice de nonlieux qui est d’une cohérence flagrante concernant les mégapoles actrices de la mondialisation, Benjamin Thomas, spécialiste du cinéma japonais contemporain, émet l’hypothèse que la majorité des œuvres des cinéastes japonais actuels est traversée par des questionnements identitaires qui se traduisent par la mise en scène de villes aux caractéristiques surmodernes. « L’absence patente de lien » et « le présent hégémonique » dont parle Benjamin Thomas concernant Tokyo, font ostensiblement référence à la raréfaction des lieux anthropologiques, remplacés par les « nonlieux » dans les villes surmodernes.S’appuyant sur une large palette de films japonais de 1989 à 2009, Benjamin Thomas démontre que des motifs scénaristiques et scénographiques reviennent incessamment dans ces films japonais contemporains. Parmi ces motifs récurrents symptomatiques de la surmodernité, il y a par exemple la figure de l’amnésique – ces « êtres au présent », détachés de tout lien social et de toute temporalité (ils n’ont par exemple pas de famille ou d’ancêtres, comme c’est souvent le cas chez Kiyoshi Kurosawa) –, les réminiscences traumatiques d’un passé national refoulé, la mise en scène de figures solitaires surplombant une ville ou la constitution de nouveaux cercles communautaires substituant la famille, qui passent notamment par le motif du cercle et de la nature, dans un contexte où la famille ne va plus de soi. Ces motifs traduisent en fait une crise identitaire japonaise causée par l’émergence du monde surmoderne où le présent perpétuel efface toutes traces du passé et où « solitude et similitude » ont gagné les mégapoles japonaises, coupant ainsi tout lien avec les racines du Japon traditionnel qui repose sur un modèle communautaire où l’individu passe après le groupe (que ce soit dans le monde du travail, dans le monde familial ou politique). L’émergence de l’individualité au Japon n’est que très récente à l’échelle de l’histoire du pays et résulte en grande partie d’une forte influence culturelle des États-Unis, à partir de l’occupation américaine du territoire après la Seconde Guerre mondiale de 1945 à 1952, et qui continue aujourd’hui via la mondialisation contemporaine et la diffusion mondiale du modèle américain. Une grande partie des films japonais postérieurs à 1989 met donc en scène une mutation de la culture japonaise. Celle-ci est en pleine crise culturelle, selon Masahiro Shinoda et, pour Benjamin Thomas, la mise en scène de la ville surmoderne en est un symptôme évident.
Kiyoshi Kurosawa, un des cinéastes japonais contemporains le plus réputé dans le monde, est aussi un des cinéastes japonais de sa génération à illustrer clairement la théorie de la surmodernité de Marc Augé dans ses films (sans que l’on sache s’il connaît lui-même cette théorie). Nombreux sont ses films – fantastiques le plus souvent car mettant en scène des fantômes – qui dressent un portrait surmoderne de la ville japonaise, la plupart du temps, Tokyo. C’est le cas dans un de ses films les plus connus, Kaïro, qui met uniquement en scène des personnages d’une trentaine d’années, solitaires, n’ayant généralement ni ami, ni famille, et qui se réfugient devant leurs ordinateurs, se coupant du monde réel. Benjamin Thomas dira au sujet de ce film : « Certes, les personnages de Kaïro de Kiyoshi Kurosawa sont de purs « êtres au présent », au point qu’ils semblent tous issus d’une génération spontanée, sans famille, sans parents, c’est-à-dire sans lignée donc sans passé ni avenir. » . On reconnaît alors des similitudes avec les hikikomori, ces personnes, qui, au Japon, mais aussi ailleurs dans le monde, se caractérisent par une phobie sociale extrême, les conduisant à ne jamais sortir de chez eux et souvent, à se réfugier devant les écrans, s’enfermant dans une solitude sociale maladive symptomatique de la surmodernité. En 2001, année où sort ce film, les hikikomorisont encore peu connus alors que les ordinateurs personnels se répandent avec rapidement au sein des sphères privées et inspirent encore la méfiance en tant que nouvel objet technologique. Dans le film, des fantômes sortent des ordinateurs et poussent les personnes qui se trouvent sur leur chemin à se suicider, vidant ainsi la ville de ses habitants. Les personnages du film, en plus d’incarner cet esprit surmoderne par leur solitude similaire, par leur absence de lien social et ancestral, évoluent dans un décor surmoderne, froid, vide et immaculé.
D’une manière plus réaliste et plus proche d’Hirokazu Kore-eda, Kiyoshi Kurosawa tourne en 2008 un autre film, également très connu et récompensé, Tokyo Sonata, qui est une véritable chronique familiale dans le Tokyo contemporain. Dans ce film, Kiyoshi Kurosawa dresse le portrait d’une famille moderne qui habite une maison tokyoïte, à côté d’une voie de chemin de fer. Dans la première partie du film, cette famille est dépeinte comme la caricature du modèle familial japonais contemporain, fondée sur un prétendu bonheur dont la réussite professionnelle, la possession d’une maison et la constitution d’une famille de un ou deux enfants seraient garants. Ainsi, la mère est une femme au foyer dévouée à l’éducation de ses deux enfants et à l’entretien de leur maison, à l’architecture intérieure occidentale, et le père, qui incarne l’autorité absolue au sein du foyer, est cadre dans une grande entreprise avant de se faire licencier. Il se préoccupe moins du bonheur de ses deux fils que de leur future réussite comme en témoigne une dispute avec son fils aîné qui souhaite s’engager dans l’armée américaine. Après son licenciement, alors que sa femme et ses enfants le croient au travail toute la journée, le père mange à la soupe populaire et se rend quotidiennement à l’équivalent japonais de pôle emploi pour trouver un travail correspondant à son ancien statut décisionnel, redoutant moins le manque de ressources que le sentiment d’échec et de
honte lié à sa déchéance professionnelle. Le père de famille, Ryuhei, est alors confronté quotidiennement à la froideur, à la violence et au non-sens de la ville surmoderne. Désormais exclu
du système, il est témoin des défilés répétitifs et absurdes de salarymanse rendant aux bureaux et des écoliers allant à l’école, qui sont caricaturés sur le modèle des moutons de Panurge, se déplaçant en groupe, dans une même direction, au même rythme de marche et aux mêmes heures. La descente aux enfers de Ryuhei est aussi sa pérégrination dans les « non-lieux » de Tokyo, elle aussi une caricature, celle de la ville surmoderne. Acceptant de travailler en tant qu’agent d’entretien après le suicide de son ami qui était dans le même cas de figure que lui (au chômage mais mettant tout en œuvre pour sauver les apparences), Ryuhei travaille dans un de ces « non-lieu » typiques décrits par Marc Augé : le centre commercial, immense, déconnecté de toute réalité et où le personnel d’entretien n’est pas considéré par les clients (des toilettes poisseuses, une grand-mère qui gronde sa petite-fille pour avoir laissé tomber sa glace par terre, mais qui s’enfuit en courant, sans un regard ou une excuse à Ryuhei qui se trouve juste à côté avec son chariot d’entretien). Mais le « non-lieu » le plus démonstratif est sans doute le bâtiment administratif où Ryuhei se rend régulièrement pour chercher un emploi. Dans ce bâtiment en béton, gris et froid, dont nous ne voyons pas la façade (donc détaché d’un contexte géographique et temporel), des centaines de chômeurs font la queue sur plusieurs étages, dans des escaliers (un lieu transitoire), sans s’adresser la parole, tous les yeux rivés sur un livre, des papiers ou un journal (un lieu qui ne crée pas de relation, qui n’a qu’un but fonctionnel) et la communication humaine est remplacée par des panneaux de signalisation (ne pas parler et ne pas téléphoner) et par une voix désincarnée et robotique diffusée par des haut-parleurs.
Les chercheurs d’emploi sont réduits à des numéros et se succèdent indifféremment aux bureaux des personnels administratifs, habités d’une impassibilité glaçante. En plus de dépeindre la froideur du système administratif, ces séquences créent un véritable « non-lieu », miroir inversé du lieu anthropologique. Grâce à ces deux exemples issus de la filmographie de Kiyoshi Kurosawa, nous constatons qu’il y a plusieurs façons de mettre en scène la ville surmoderne : elle peut être incarnée par les personnages-mêmes, comme dans Kaïro, peut être dépeinte par les décors, comme dans Tokyo Sonata ou peut être traduite directement dans la mise en scène.

Tokyo mise en scène par Kore-Eda, ville surmoderne ?

Une partie de la filmographie d’Hirokazu Kore-Eda se déroule dans des décors urbains déjà existants. Le cinéaste privilégie systématiquement sa ville d’enfance, Tokyo, pour faire évoluer ses personnages dans un décor urbain. Même si ceux-ci se déroulent dans différents quartiers de la capitale japonaise, Nobody Knows, Une affaire de famille, Air Doll, Après la tempête, Tel père, tel fils et The third murderdressent un portait mosaïque et complexe de la mégapole à travers l’histoire de ses personnages. Nous noterons une exception pourMaborosidont la partie urbaine se déroule à Osaka. Tokyo est une ville particulière, moderne, hétérogène, labyrinthique et cinématographique.
Mais c’est surtout une ville qui concentre les problématiques de la modernité dans une société japonaise dont l’identité est fortement ancrée dans un attachement aux traditions, qui s’expriment notamment dans l’histoire de l’architecture. Choisir Tokyo comme décor urbain principal de sa filmographie est sans aucun doute un choix autobiographique, mais il s’agit surtout d’un choix scénographique. Tokyo a tout d’une ville « surmoderne » comme l’a défini Marc Augé. L’histoire de la ville contribue à délivrer cette image : maintes fois reconstruite sur ses propres ruines (suite au tremblement de terre du Kantô en 1923 ou aux bombardements de 1945 par exemple), les traces du passé tendent à disparaître, les quartiers traditionnels se font de plus en plus rares et sont progressivement remplacés par les immeubles bétonnés qui doivent répondre à une demande de logements en hausse, conséquence du fort exode rural contemporain à destination de la capitale. La ville surmoderne engendre de la similitude, non seulement entre les habitants, mais aussi entre les différentes villes du monde. Des auteurs comme Roberto Peregalli ou Alain de Botton soulignent l’esthétique de plus en plus uniforme des mégapoles d’un endroit à un autre du globe ainsi que l’effacement inexorable des particularismes architecturaux. Parlant d’un de ses voyages à Tokyo, Alain de Botton dans L’architecture du bonheurécrit à propos de Tokyo : « Les rues des quartiers d’affaires étaient encombrées de voitures et d’hommes en costumes sombres venus de lointaine banlieue : j’aurais pu être n’importe où. Avec leurs panneaux publicitaires non éclairés, les bâtiments avaient l’air obstinément ordinaires. » avant de conclure : « Tokyo semblait incarner le rêve moderniste d’un lieu où on ne pourrait jamais savoir, d’après les bâtiments seuls, dans quelle contrée on s’est égaré. ».
Les décors urbains de Tokyo dans les films d’Hirokazu Kore-Eda oscillent entre îlots humanistes et authentiques au sein de la mégapole moderne et frénétique et une succession de « non-lieux » tel que les a défini Marc Augé. Les petites boutiques de particuliers contrastent avec les supermarchés et grands centres commerciaux, les espaces transitoires abondent (transports en communs, gares, avenues, parkings et rues commerçantes), les complexes bétonnés et les tours vitrées constituent une grande part du décor urbain de Tokyo. Bien souvent, il dépeint une villecorrespondant à l’esprit de l’architecte moderne Le Corbusier, où le fonctionnel et le pragmatique ont façonné l’espace urbain et ont peu a peu remplacé les espaces anthropologiques, comme les marchés ou les parcs, en grande partie déserts. Air Doll est un film particulier dans la filmographie de Hirokazu Kore-Eda. Seule adaptation du cinéaste, Air Doll raconte la « vie » d’une poupée gonflable, Nozomi, qui a été achetée par un homme d’une trentaine d’années, Hideo, afin de contrer la solitude dont il souffre après sa rupture amoureuse. Au cours de ses errances, Nozomi nous fait découvrir un vieux quartier de Tokyo, que l’on appelle shitamachi, où elle habite avec Hideo. Au fur et à mesure qu’elle découvre la ville, qu’elle rencontre ses habitants et qu’elle tombe amoureuse, elle s’humanise, aussi bien physiquement que psychologiquement. Les personnages évoluent au sein de ce petit quartier tranquille non loin du Rainbow Bridge, un pont construit en 1993, qui relie la ville à une île artificielle, Oidaiba, symbole de la modernité japonaise, où se dresse une forêt de gratte-ciels abritant les sièges de grandes sociétés japonaises. Ce film crée une image de Tokyo qui correspond en de nombreux aspects à la description de la ville surmoderne de Marc Augé. A travers le regard candide, naïf, neuf et curieux de Nozomi sur son environnement, les dysfonctionnements sociaux, le mal-être et les absurdités propres à la ville surmoderne ressortent d’autant plus. Le premier dialogue entre Nozomi et un vieil homme, assis sur un banc sur une pelouse face aux tours du quartier des affaires, traite de cette solitude propre aux villes surmodernes, qui est le Leitmotiv du film (c’est pourquoi il est placé au centre du film). Le vieux monsieur engage la conversation avec Nozomi en métaphorisant son sentiment d’absurdité de la vie : « Dis, tu connais l’insecte appelé l’éphémère ?
L’éphémère… meurt deux jours après avoir donné la vie. Il n’a ni estomac, ni intestins. A leur place, il n’y a que des œufs. Il naît uniquement pour donner la vie et mourir. Les humains ne sont pas si différents. Ça n’a aucun sens. ». A cela, Nozomi répond en tapotant sur son cœur : « Moi aussi je suis toute vide ». En miroir, le vieil homme tapote également son cœur : « Drôle de coïncidence ! Moi aussi, je suis pareil. Je suis tout vide. ». Nozomi, pensant qu’il lui avoue être également une poupée gonflable, répond : « Je me demande s’il y en a d’autres. ». « A notre époque, ils le sont tous. » – « Tous ? » – « Oui. Et surtout les gens qui vivent dans ce genre de ville. Tu n’es pas la seule. » conclut le vieil homme, formulant ainsi le cœur thématique du film. En plus d’exprimer une nostalgie du système communautaire d’entraide, à l’image du village qui faisait le ciment de la société japonaise auparavant ou dans des régions reculées, cet échange fait ressortir les dérives des mégapoles contemporaines, où la gestion de l’espace ne répond plus aux besoins humains et sociaux et où les « non-lieux » prolifèrent, conséquences d’un mode de vie fondé sur le présent perpétuel, qui lobotomise, individualise et isole les citadins les uns des autres.
Dès la séquence d’ouverture de Air doll, la solitude et le non-sens existentiel engendrés par Tokyo, dépeinte comme ville surmoderne, sont exacerbés par la mise en scène. Une musique mélancolique accompagne cette séquence introductive qui dresse le portrait d’un salary-man, qui n’est autre qu’Hideo, le propriétaire de Nozomi, rentrant certainement chez lui après une longue journée de travail. Anonyme, seul et ordinaire, il ne fait que traverser une succession de « nonlieux » sans aucun contact social : le wagon du train, le supermarché et la rue. La première image, au cadre agité par le bringuebalement du train, nous montre un paysage urbain nocturne, superposé à des reflets lumineux : les gratte-ciels sont reconnaissables aux petits carrés lumineux des fenêtres, un pont est illuminé et des voitures roulent sur une voie rapide voisine de la voie ferrée. Le point de vue se situe derrière une vitre, dans un train en marche, d’où la présence des reflets ( image 1a). La caméra opère alors un panoramique vers la droite et s’arrête sur le visage d’un trentenaire regardant apathiquement le paysage défiler par la fenêtre, qui finit par appuyer sa tête contre la cloison du train (image 1b). Il est assis dans le sens inverse de la marche, comme nostalgique du passé amoureux dont il ne parvient pas à se détacher pour aller de l’avant. Quelques autres passagers se laissent deviner par leur forme, mais aucun contact visuel n’est opéré. La personne assise face à l’homme, que l’on devine au premier plan flouté, semble dormir. Pendant ce temps, le train entame un long virage, rappelant le non-sens cyclique, épuisant et existentiel du quotidien des salariés des grandes villes. La lumière terne du wagon accentue la froideur et la solitude de ce « non-lieu » mobile qu’est le train, où les passagers, bien qu’à proximité, s’enferment sur eux-mêmes.

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Table des matières

Introduction 
Partie I : L’espace « géo-architectural » dans les drames familiaux d’Hirokazu Kore-Eda : l’espace du quotidien familial 
A) La ville et ses « non-lieux », caractéristiques de la ville « surmoderne »
a) Tokyo mise en scène par Hirokazu Kore-Eda, ville surmoderne ?
b) Tokyo dépeinte par Hirokazu Kore-Eda : une ville surmoderne où des îlots d’humanisme persistent
B) La mise en scène de l’habitat urbain : des « maisons » interchangeables
a) Hirokazu Kore-Eda héritier de Yasujirô Ozu comme témoin de l’impact de la société en
transformation sur la cellule familiale
b) Des logements urbains symptomatiques de la ville surmoderne
c) Une affaire de famille : des contrastes de logements et de modes de vie
C) Une mise en scène qui traduit une aspiration au retour à l’habitat « traditionnel » et aux espaces naturels
a) Le magnétisme de la nature
b) Le rôle de la nature dans les relations familiales au sein des drames familiaux d’Hirokazu Kore-Eda
c) Notre Petite Sœur : mise en scène d’une communauté féminine utopique au sein d’une maison familiale traditionnelle
Partie II : L’espace affectif et relationnel : la maison menacée par le délitement familial
A) La mise en scène des repas : l’espace filmique comme expression d’une situation domestique
a) La signification culturelle du repas dans le cinéma japonais
b) Des repas illustratifs d’une situation familiale
c) Des repas générateurs de nouvelles situations familiales
B) Des situations personnelles et familiales propices à la perte de la maison comme point de repère
C) Expressions spatiales du décentrement intérieur
a) Étude de cas de Nobody Knows
b) Décadrer pour exprimer le décentrement intérieur des personnages
c) La question des marges esthétiques et politiques chez Kore-Eda : déplacer le regard
Partie III : La politisation de l’espace mis en scène dans les drames familiaux d’Hirokazu Kore-Eda 
A) Le réinvestissement des espaces publics comme symptôme de la faillite de l’espace domestique
a) Le décentrement intérieur exprimé par la fuite de l’espace domestique et par les errances dans les espaces publics
b) La perte des fonctions premières de la maison : transfert de l’espace domestique à l’espace public
B) Le microcosme de la maison en miroir au macrocosme de la société : la perte de la « maisoncentripète » comme métaphore politique
C) L’espace politique, facteur de déséquilibre de l’espace domestique koreedien
a) L’intrusion insidieuse de l’espace politique à travers le poids des conventions : un modèle familial conformiste remis en question
b) L’intrusion concrète de l’espace politique, incarné par les institutions
c) Une affaire de famille : aboutissement de la politisation de l’espace du film pour un cinéma engagé contre les pouvoirs publics
Conclusion 
Bibliographie 
I. Cinémas asiatique et japonais
– Hirokazu Kore-Eda
1) Dossiers de presse
2) Dossiers pédagogiques
II. L’espace
– au cinéma
– au Japon
– la maison
III. Le Japon
IV. Ouvrages généraux sur le cinéma / théories du cinéma
V. Autres références
VI. Sources vidéos
Filmographie
Annexe
Interview « Regard sur Kore-Eda Hirokazu » de Thierry Méranger (retranscription : Suzanne Lefèvre)
Résumé

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