Les wu et shiwu : exorcistes/médiums et maîtres-exorcistes
Les wu à l’époque Song-Yuan et leurs influences
Le Yudi jisheng 輿地紀勝 compilé par Wang Xiangzhi (1163-1230) et le Linting zhi 汀志 en 1259 sont les deux documents les plus anciens à évoquer les wu à l’ouest du Fujian. Tous les deux mentionnent un temple consacré à un culte des « wu 巫/wuxi 巫覡 » : Le temple du Maître Immortel Huang 黃仙師廟 est situé au sud du district de Ninghua. Des esprits de la montagne et des monstres des rochers 山精石妖 causaient des torts immenses aux habitants. Huang le Septième Sieur 黃七公, un wu, élimina ces esprits et ces monstres au moyen de rituels avec des talismans 符法. Il se cacha ensuite dans les rochers. Seule une silhouette apparaissait vaguement sur le mur de roche. Quand on la regardait, elle ressemblait tout à fait à la figure du Maître Immortel.
Le temple des Maîtres Immortels Huang était situé dans une gorge rocheuse au sud de Zhongliaochang 鐘寮場, l’ancien chef-lieu du district de Shanghang. Entre deux montagnes très proches l’une de l’autre, se trouvait un défilé dont la longueur était d’environ un demi-li. Jadis, le bruit courrait qu’il y avait eu des monstres, des démons, des tigres et des loups nuisibles pour les habitants et ceci avant l’établissement du chef-lieu du district (à Zhongliaochang). Huang le Septième Vieillard 黃七翁 et ses deux fils, tous xi 覡, allèrent alors les détruire, et se dissimulèrent ensuite dans les rochers. Les monstres furent donc réprimés. Quand il y avait du vent et qu’il pleuvait, on pouvait entendre vaguement des bruits de gongs et de tambours dans les rochers. Les habitants avaient une peur révérencieuse des trois xi, ils établirent alors un petit temple pour eux, au-dessous de la Roche de l’Encensoir 立祠香爐石下. De plus, chacun dessinait un portrait des trois xi pour vénérer à la maison 家繪其像以奉之. Peu après le transfert du chef-lieu du district, ils construisirent un temple annexe à l’ouest du nouveau chef-lieu.
Une comparaison entre ces deux textes permet de confirmer que le temple des Maîtres Immortels enregistré dans le Yudi jisheng est le même que celui du Linting zhi. Il se situait dans le district de Shanghang. Le Yudi jisheng a été rédigé principalement suivant des extraits de centaines de monographies locales et de manuels illustrés. La note consignant le temple y est basée probablement sur un texte plus ancien. Dans le Yudi jisheng, l’emplacement du temple, « au sud du district de Ninghua », reste un peu vague; la divinité y est « Huang le Septième Sieur qui est wu ». Brièvement, le Yudi jisheng consigne les miracles de Huang le Septième Sieur. On peut confirmer son statut de maître rituel, car il éliminait des esprits et des monstres au moyen de rituels avec talismans. Par comparaison avec le Yudi jisheng, le Linting zhi précise mieux l’emplacement et la date de fondation du temple. Le rôle principal a été changé de « Huang le Septième Sieur qui est wu » en « Huang le Septième Vieillard et ses deux fils, qui tous les trois étaient xi ». Selon la phrase « avant l’établissement du chef-lieu du district (à Zhongliaochang) », les Huang vécurent au début du XIe siècle au plus tard. A l’époque, les formes principales du culte des Maîtres Immortels consistaient en l’établissement d’un temple au lieu où ils avaient réprimé des monstres, et dans la vénération de leurs portraits dans les maisons des habitants. L’établissement d’un temple annexe au nouveau chef-lieu prouve que le culte des Maîtres Immortels était devenu important au plus tard au milieu du XIIe siècle.
Une autre note dans le Linting zhi mentionne que les habitants comptaient sur les wu pour la guérison des maladies. Chen Ye 陳曄, Rihua comme surnom, un natif de Changle 長樂, descendant du Sieur Guling, assumait la charge de chef de la préfecture (de Linting, plus tard Tingzhou 州) en la deuxième année de l’ère Qingyuan 慶元 (1196) … Les habitants vénéraient les esprits et se fiaient aux wu 鬼信巫…Quand on était malade, on n’allait pas chez le médecin mais on demandait aux wu de guérir la maladie. Cela provoquait souvent une mort prématurée. Chen Ye recherchait alors les techniques démoniaques, les doctrines fausses 妖怪左道 術, confisquait les statuettes ou portraits divins et les talismans d’incantation, il les brûlait et punissait sévèrement les wu, il interdisait strictement leurs activités. Les mœurs ont alors été considérablement changées.
Chen Ye quittait son poste de préfet de Linting au huitième mois de la quatrième année de l’ère Qingyuan (1198). Donc, cette note reflète des renseignements sur Tingzhou à la fin du XIIe siècle. En ce temps-là, les habitants de Tingzhou préféraient inviter les wu à guérir leurs maladies. Ces wu avaient des instruments rituels comme des statuettes ou des portraits divins, des talismans d’incantation, etc. Leurs rituels étaient considérés comme des techniques démoniaques et des doctrines fausses par les fonctionnaires. Leurs activités étaient donc punies et interdites par le gouvernement.
Le Registre généalogique des Li à Changtan du district de Yongding, compilé en 1982 et basé sur un registre généalogique conservé par des Li de la province du Jiangxi 江西, mentionne les shiwu 師巫 sous la dynastie des Yuan à l’occasion de l’examen des langming 郎名 de leurs ancêtres: Les ancêtres ci-dessus vécurent tous à l’époque des Yuan. Les gens d’alors se fiaient aux shiwu, et prenaient tous un langming comme prénom. Il est difficile de les distinguer par leur langming, comme les langming se confondent souvent. Ainsi, les descendants veulent vénérer leurs ancêtres (en ligne directe), mais ils ne peuvent pas les reconnaître. Quel dommage! Le Sieur Jiyu 積玉公 avait eu la chance de vivre sous le règne de l’Empereur Hongwu 洪武 de la dynastie des Ming, il possédait alors un prénom qui était facile à suivre. (Nos ancêtres) quittaient alors le groupe des barbares et s’attachaient au groupe des Han 出夷歸華. Que les mérites de l’Empereur Hongwu sont grands!
Le compilateur attribue les langming de ses ancêtres à leur croyance aux shiwu. On a su ainsi que les shiwu avaient joué un rôle important dans la vie des gens d’alors. Les shiwu devaient prendre eux-mêmes un langming, ainsi les langming trouvent-ils leurs origines chez les shiwu. C’est le même cas que les langming et autres noms d’ordination examinés par Chan Wing-hoi .
L’apparition des sanggong et leurs rituels
Au plus tard au milieu de la dynastie des Ming, un genre de spécialistes de rituels qui ont des rapports étroits avec le taoïsme commença à apparaître à l’ouest du Fujian. Leur tradition a été transmise de génération en génération jusqu’à maintenant. A notre époque, ces spécialistes de rituels se considèrent et sont considérés comme taoïstes. On les appelle généralement « 公 » ou « 師公 ».
Selon les rapports d’enquête de ces dernières années, les sanggong de l’Ecole des Dames 夫人 教 au centre et au nord de Changting croient que leur école provient de Shaowu 邵武, au nord de la province du Fujian. Les habitants locaux les appellent « 師公 », « 獅公 », ou « 道士 ». Ils s’appellent eux-mêmes « Taoïstes de l’Ecole du Yin et du Yang du Très-haut Vieux Seigneur » 太 上老君陰陽教道士. Parmi eux, la tradition des sanggong portant le nom Zeng à Cewu 策武 apparaissait aux environs du milieu des Ming ou vers la fin des Ming. Les ancêtres des sanggong portant le nom Huang à Xinqiao 新橋 avaient immigré de Shaowu depuis la fin de la dynastie des Ming et au début des Qing, et leur tradition rituelle a été transmise pendant 14 générations. Les divinités principales sont le Très-haut Vieux Seigneur, la Vieille Dame Immortelle Wang 王 姥仙娘, le Neuvième Maître des Trois Fonctionnaires du Mont Lü 閭山三官九郎, les Trois Dames Chen, Lin et Li 陳林李三奶, etc. Si ces sanggong appellent leur école « Taoïsme du Yin et du Yang », c’est parce qu’ils pratiquent des « rituels rouges » 紅事, ainsi que des « rituels blancs » 白事. Pourtant, ils appellent plutôt leurs activités rituelles « faire de l’encens et des chandelles longues » 作香火, un terme populaire depuis toujours, qu’ils nomment aussi « faire l’aire rituelle du Tao » 作道場. Les rituels rouges/du Yang incluent principalement les rituels jiao consacrés aux dieux, les rituels pour protéger la vie et les prières pour la longévité. On appelle les premiers aussi « rituels jiao du Yang » 陽醮. Le rituel jiao du Yang le plus caractéristique est celui qui honore les dieux du Sol 社公. Quant aux derniers qui servent à protéger la vie, leur objet est la famille: le « Remerciement aux Dames » 謝夫人 comme prière votive pour avoir des héritiers; « cacher les âmes d’un enfant dans un vase de terre cuite à large panse et ouverture étroite » 藏盎, « chauffer le vase cachant les âmes d’un enfant » 暖盎, « couper les passes » 斬關 pour éluder les passes maléfiques; « rattraper les âmes d’un malade » 追魂, « cacher les âmes effarouchées » 藏驚 pour protéger les enfants; « fouiller la maison » 搜房, « guérir la maladie » 整病 pour rattraper les âmes et chasser les esprits malfaisants 煞; « accueillir les divinités astrales et adresser une prière au Boisseau du Nord » pour la longévité des hommes âgés, etc. Les rituels blancs/du Yin désignent les rituels funéraires. On les appelle aussi « rituels jiao du Yin » 陰醮 ou « rituels jiao du jeûne » 齋醮.
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Table des matières
Introduction
PREMIÈRE PARTIE: LINGYING-TANG À L’OUEST DU FUJIAN
Chapitre 1 – Les spécialistes de rituels à l’ouest du Fujian: histoire et présent
1. 1 Les wu et shiwu : exorcistes/médiums et maîtres-exorcistes
1. 2 Les taoïstes
1. 3 Les moines bouddhiques
1. 4 D’autres spécialistes de rituels
1. 5 Remarques finales
Chapitre 2 – Lingying-tang et ses maîtres
2. 1 Le fondateur et l’autel des maîtres ancestraux
2. 2 La formation des maîtres de la deuxième génération et leur vie avant les années 1950
2. 3 Retrait hors du taoïsme et changements de métier
2. 4 Retour au taoïsme et la recomposition
2. 5 Rédactions des rituels et des textes taoïstes
2. 6 Le taoïsme du point de vue de Maître Dingling
DEUXIÈME PARTIE: RITUELS ET PANTHÉON
Chapitre 3 – Les rituels de la tradition du Sang
3. 1 Conjuration des esprits maléfiques par des prières
3. 2 Réchauffage du vase d’enfermement pour cacher les âmes
3. 3 Rappel des âmes [du malade] et tournoiement du bambou
3. 4 D’autres rituels
3. 5 Remarques finales
Chapitre 4 – Le panthéon de la tradition du Sang
4. 1 Les peintures des trois autels
4. 2 Le panthéon de la tradition du Sang au Lingying-tang
4. 3 Les Trois Autels
4. 4 Le Treizième Maître Zhao Hou et les Rites du Sud
4. 5 La Dame Chen et ses méthodes rituelles
4. 6 Les Cinq Furies
4. 7 Les maîtres célestes
TROISIÈME PARTIE: DIVINITÉS, RITUELS ET SOCIÉTÉ LOCALE
Chapitre 5 – Les cultes des comtes-sires, dieux du Sol et des ducs-rois à l’ouest du Fujian
5. 1 Modèles de culte et le culte des divinités territoriales à l’ouest du Fujian
5. 2 Les dieux du Sol: leur culte et les rituels jiao qui leur sont dédiés
5. 3 Les ducs-rois: leur culte et les rituels jiao qui leur sont dédiés
5. 4 Les dieux du Sol qui mangent des hommes
5. 5 Remarques finales
Chapitre 6 – Le culte des Trois Maîtres Immortels Huang et Xing
6. 1 Inscription sur une stèle et légendes orales
6. 2 Une brève excursion historique
6. 3 Les Trois Maîtres Immortels qui sauvegardent la nation
6. 4 Des textes canoniques dédiés aux maîtres immortels
6. 5 Remarques finales
Chapitre 7 – Les femmes dans la tradition des maîtres rituels en Chine du Sud: une étude axée sur
le culte de la Reine-mère
7. 1 La Fille Merveilleuse: une maître rituelle d’exorcisme bouddhique sous les Tang
7. 2 Xue la Deuxième Dame: une maître rituelle qui servait le Roi du Ciel d’Or
7. 3 Chen Jinggu: fille et disciple d’une immortelle
7. 4 Les femmes maîtres rituelles depuis la dynastie des Song
7. 5 Le culte de la Reine-mère chez les maîtres rituels contemporains
7. 6 La Reine-mère dans les rituels d’ordination en faveur des femmes
7. 7 Remarques finales
Chapitre 8 – Vase d’enfermement: une pratique de la tradition des maîtres rituels
8 .1 Rites et textes contemporains
8. 2 Les gonggai fa depuis la dynastie des Song
8. 3 Les méthodes servant à emprisonner les êtres malfaisants
8. 4 Les divinités principales dans la pratique du vase d’enfermement
8. 5 La pratique du vase d’enfermement contemporaine dans un village de Shanghang
8. 6 Remarques finales
Conclusion