La prose
Si les traductions poétiques sont majoritaires dans les revues littéraires et périodiques sélectionnés, le genre est légèrement moins représenté en volumes, au profit des romans. Alors que dans les périodiques, les auteurs contemporains anglo-saxons publiés sont aussi, le plus souvent, des auteurs interdits par les listes de censure, les catalogues des éditeurs présentent une offre de choix plus hétérogène. Chez eux, « auteur contemporain » ne signifie pas toujours « auteur interdit ».
Sur 177 textes en prose référencés, presque la moitié sont des romans policiers. Les contes et romans sentimentaux sont également largement publiés sous l’Occupation, et leurs auteurs sont des écrivains anglais ou américains contemporains. La rubrique « Autres » regroupe quelques romans chrétiens, historiques, fantastiques, humoristiques, psychologiques, ésotériques, de science-fiction, les sagas familiales et une chronique de vie, un roman sur la nature (Tarka la loutre) et un essai politique publié clandestinement. Certaines œuvres répondent à plusieurs genres à la fois, comme le roman de Willa Cather, Une Dame perdue, qui mêle roman psychologique et roman d’aventures ou La Vague qui passe de Clemence Dane que l’on peut considérer à la fois comme un conte et un récit de science fiction.
Les romans sont souvent l’occasion de placer l’intrigue dans un décor exotique, l’Inde dans le cas des récits de Louis Bromfield (La Nuit de Bombay, La Mousson) et de Philip Meadows Taylor (Mémoires d’un Thug), l’Ouest américain pour Kenneth Roberts (Le Grand passage) et Willa Cather (Une Dame perdue) ou Seul de l’Amiral Richard E. Byrd, les mémoires d’un séjour en Antarctique. Sur le nombre total d’œuvres en prose, on compte environ 45 rééditions de traductions françaises datant d’avant l’Occupation, dont deux recueils de contes de Kipling (Simples contes des collines et Histoires comme ça, pour les petits) qui regroupent à eux deux 32 « textes ».
Bien que les listes de censure interdisent explicitement « toutes les traductions de l’anglais, excepté les ouvrages d’auteurs classiques », ces titres sont traduits et publiés pendant l’Occupation.
Cette tendance révèle que le contenu d’une œuvre tombe davantage sous le coup de la censure que son auteur lui-même. Ainsi, les instructions données par les listes Otto ne sont pas respectées dans la pratique : « toutes » les traductions ne sont pas interdites et il n’y a pas d’exception seulement pour les « auteurs classiques ». Finalement, tout est laissé au bon vouloir des services de censure. On constate que les romans policiers, les contes, les romans sentimentaux et les récits autobiographiques ou biographiques sont donc à la fois autorisés par les services de censure et plébiscités par les éditeurs français. Michele K. Troy, qui a mené une étude sur le livre de poche sous le III e Reich à travers son ouvrage Strange Bird: The Albatross Press and the Third Reich, inscrit cette flambée de la littérature de divertissement dans une démarche économique :
En 1938, la littérature étrangère était devenue si populaire qu’elle avait attiré l’attention du Service de Sécurité (S. D.), la branche du renseignement de la SS. Son rapport annuel sur l’état de la littérature déplorait un « nombre effroyable de traductions d’autres langues ». Il observait que les traductions avaient eu tendance à répondre au désir des lecteurs d’échapper aux réalités politiques, en prenant pour exemple le cas d’Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell. Le rapport affirmait qu’avec de telles traductions, les éditeurs avaient placé leurs « préoccupations économiques » avant leurs responsabilités culturelles et politiques. Mais il admettait également que les traductions avaient satisfait un besoin auquel les livres allemands n’avaient pas répondu.
Ce constat, qui s’applique à l’Allemagne à l’orée de la guerre est également valable en France au début de l’Occupation. L’importante politique (inachevée) de traduction d’œuvres allemandes en français (il s’agit de la « liste Matthias » du 6 février 1941 et qui désigne quelques 500 ouvrages à traduire) concerne surtout des ouvrages de littérature classique et ne répond pas aux besoins des lecteurs avides « d’action et de suspense », de livres « plus légers, plus joyeux ». Dans la politique d’aryanisation des maisons d’édition françaises, les « préoccupations économiques » auxquelles M. K. Troy fait référence semblent désormais concerner les Allemands eux-mêmes. L’exemple des éditions Ferenczi est flagrant. La maison d’édition (qui, une fois aryanisée en 1941, devient les Éditions du Livre Moderne) possède avant la guerre un important catalogue de littérature populaire, et principalement des romans « à l’eau de rose », dans la collection « Le Livre Moderne illustré ». Le rapport d’activités du Gruppe Schrifttum pour la période du 2 au 9 août 1941 révèle que les Allemands ont voulu utiliser cette popularité pour pouvoir créer de nouvelles collections en faveur de la politique allemande et pour développer une littérature de propagande bon marché :
Une grande partie des livres publiés est issue en fait du catalogue de la maison d’édition historique : les romans « grand public » (romans sentimentaux, humoristiques, d’aventures ou pour la jeunesse) voisinent les grands classiques de la littérature française. À côté de ces livres tournés vers le divertissement, quatre nouvelles collections destinées cette fois à la réflexion politique sont peu à peu introduites : « Le Livre moderne européen », la « Collection d’histoire et de critique », la « Collection Nouvelle Europe » et la « Collection nouvelle d’études politiques et sociales ». La nouvelle ligne éditoriale est ici mise au service de la politique de l’Occupant.
Dans ces nouvelles collections, on peut lire des essais fustigeant la politique anglaise, des écrits des personnalités du nouveau régime traitant des thèmes chers à l’Occupant allemand et des opuscules racistes. À ces ouvrages politiques s’ajoutent également des traductions de romans TROY, Michele K., op. cit., p.161. L’auteure cite « Das Schrifttum im Jahre 1938 » in Boberach, Meldungenaus dem Reich, 2 :155-56. « By 1938, foreign literature had grown so popular that it caught the attention of the Security Service (S.D.), the intelligence-gathering wing of the S.S. Its annual report on the literary realm complained of “the appallingly high number of translations from other languages.” It observed that translations tended to feed readers’ desire for escape from political realities, citing Margaret Mitchell ’s Gone with the Wind as a case in point. Through such translations, the report argued, publishers placed “economic considerations” over their cultural and political responsibilities. But it also conceded that the translations filled a need that German books were not filling. » (Nous traduisons). « People want books with action and suspense…the craving for lighter, more cheerful reading ». (Nous traduisons). Troy cite un rapport de la branche du renseignement de la SS de novembre 1940. Ibid., Service de la propagande allemande en charge des questions littéraires et en lien avec les maisons d’édition. allemands qui, sous couvert de distraire, ont clairement une visée politique, et tout particulièrement antiaméricaine […].
Les romans de divertissement permettent de répondre à une forte demande des lecteurs en littérature d’évasion, un besoin déjà présent avant l’Occupation, en France et en Allemagne, mais qui s’intensifie dans les conditions plus difficiles de la guerre. Cependant, la place importante occupée par cette littérature sur le marché de l’édition française entre 1940 et 1944 correspond également à une logique économique qui permet à certaines maisons de pouvoir lancer de nouvelles collections en accord avec les idées ou les valeurs qu’elles souhaitent promouvoir :
Les éditeurs jugent qu’il aurait mieux valu réduire l’ensemble de la production mais, à la proposition de réduire ou même de supprimer la littérature populaire, les éditeurs répondent que nombre d’entre eux seraient privés de la base qui leur permet de publier la vraie littérature.
Ainsi, les éditeurs publient tout ce qu’il est possible de publier pour pouvoir continuer leurs activités.
S’ils éditent un grand nombre de romans sentimentaux, un genre principalement destiné aux jeunes femmes et aux mères de famille , certaines maisons font également place à la littérature de jeunesse.
Les Éditions du Clocher (Toulouse) publient Le Mystère du prieuré de Herbert Hayens dans la collection « Pour la jeunesse » en 1941 (tr. Yvonne Tribillac et Jean Riecca). Delagrave et Calmann-Lévy rééditent des contes de Kipling en 1941. Ils publient respectivement : Histoires comme ça, pour les petits (tr. R. D’Humières et L. Fabulet) et Simples contes des collines. Cette dernière édition ne comporte aucune mention relative à la traduction ni à l’éditeur. Elle précise néanmoins le nom de la collection dans laquelle elle paraît : la « Collection Pourpre », qui est rattachée à la maison Calmann-Lévy. Nous pouvons supposer que la traduction française a été effectuée par Madeleine Vernon et Henry D. Davray dont les noms apparaissent dans la réédition de 1947. La publication des œuvres de Kipling est d’ailleurs un résultat intéressant de notre base de données. En effet, on observe une forte tendance à traduire ou à rééditer des romans ou des contes ayant pour toile de fond les Indes britanniques. On remarque par ailleurs la présence d’auteurs indiens contemporains d’expression anglaise, qui sont à la foispubliés en volumes et dans les revues. Cette littérature semble avoir été totalement acceptée par l’Occupant, notamment parce que celui-ci y voit une occasion de nourrir l’anglophobie ambiante.
Le théâtre
La traduction théâtrale connait une incroyable expansion au XX e siècle avec, en France, une tendance à la traduction au mot à mot jusque dans les années 1950. Sont traduits un grand nombre d’auteurs britanniques dont les pièces sont jouées dans les théâtres parisiens durant l’Occupation, qu’elles soient classiques ou plus contemporaines. Il est fréquent de trouver dans les journaux l’annonce de ces représentations, même dans les revues collaborationnistes. Ainsi La Nouvelle Revue Française annonce-t-elle une représentation de La Femme silencieuse de Ben Johnson (adapt. Marcel Achard) au Théâtre de Paris en février 1941 mais aussi Sainte Jeanne de Bernard Shaw au Théâtre de l’Avenue. Les pièces de théâtre semblent en effet avoir un statut particulier, comme si l’œuvre représentée était moins dangereuse que l’œuvre publiée. Dans ce domaine, les « adaptations » ou « versions françaises » sont fréquentes, et sont annotées, parfois même significativement modifiées, pour répondre aux exigences d’une représentation sur scène. Ainsi, l’adaptation étant, selon la définition de Delisle un « procédé de traduction qui consiste à remplacer une réalité socioculturelle de la “langue de départ” par une réalité propre à la socioculture de la “langue d’arrivée” convenant au public cible du “texte d’arrivée” », elle permet de donner naissance à une traduction souvent à la limite de la réécriture, ce qui, pour certains, s’assimile à une recréation de la part du traducteur, à un texte en soi. Celles-ci restent généralement peu adaptées au jeu sur scène, et ce n’est qu’à partir de 1945, et jusqu’à la fin des années 1960, que la distinction entre les traductions destinées à être lues et celles destinées à la représentation sur scène sera appliquée.
Si, pendant l’Occupation, pour les pièces anglo-saxonnes, on note en effet quelques « adaptations » ou « versions françaises », les traductions fidèles (souvent annotées) demeurent la pratique la plus courante. De plus, on s’aperçoit que le théâtre américain est peu représenté et, même s’il est de plus en plus joué sur les scènes parisiennes à partir des années 1920, c’est véritablement après la guerre qu’il prendra une ampleur significative. Les années 1920-1930 voient des collections de théâtre apparaître dans plusieurs grandes maisons d’édition, à l’instar de la « Collection nouvelle de laFrance dramatique » de Stock créée en 1922 ou de la « Collection bilingue des classiques étrangers » d’Aubier en 1924 dans lesquelles nous retrouvons un nombre significatif de dramaturges anglo-saxons. De la même manière sont créées « Feux croisés : âmes et terres étrangères » chez Plon (1927), « Les classiques pour tous. Collection étrangère » chez Hatier (environ 1920), « Collection des deux textes » chez Payot, « Bibliothèque Classique de Cluny » (1937), mais aussi des collections dédiées telles que « Œuvres de Bernard Shaw » (1925) chez Aubier, et la Collection « Shakespeare » aux éditions Les Belles Lettres (1936). Sous l’Occupation , on retrouve quasiment toutes ces collections mais Shakespeare est le dramaturge le plus traduit en français, avec plus d’une quinzaine de pièces publiées. Il est par ailleurs l’auteur concerné par le plus grand nombre de maisons d’édition : Aubier, Bibliothèque Larousse, Desclée de Brouwer, Éditions de Cluny, Gallimard, Hatier ou encore Horizons de France. C’est pourquoi, en termes de diffusion, Shakespeare est sans doute l’écrivain anglais qui a touché le plus de lecteurs dans la période qui nous intéresse, d’autant plus que l’on trouve également plusieurs traductions françaises de ses Sonnets sous l’Occupation.
La publication de traductions interdites : entre prises de risques et passe-droits
Le monde de l’édition française a subi de profondes mutations dès le début de l’Occupation. La circulation des textes se dessine davantage dans les publications périodiques qui nécessitent une abondance de textes de différents auteurs, et tout autant de traducteurs, dans des délais très restreints.
Disséminés dans le monde entier, les périodiques, et en particulier les revues littéraires, doivent user de méthodes extraordinaires pour se procurer des textes et, dans le cas de titres anglo-saxons, pour les faire traduire. La publication d’œuvres en volumes ne répond pas à la même logique éditoriale et n’est pas soumise au même type de contrôle. Parmi les mesures qui ont renforcé le contrôle des Allemands sur l’édition française, la Commission de contrôle de papier d’édition est mise en place le 1er avril 1942 et contrôle tout manuscrit avant de délivrer la précieuse autorisation de paraître. Aucune impression ne pouvait être entreprise sans un numéro d’autorisation, et le but premier de la commission était d’opérer un premier tri et de limiter les chiffres de tirages. Ensuite, toute publication devait obtenir le visa de la Propaganda-Abteilung (service de propagande allemande). En parallèle, les Allemands ont pris possession des Messageries Hachette pour contrôler aussi la distribution des livres.
Dès le début de l’Occupation, les nazis, par divers moyens de persuasion, sont parvenus à convaincre le Syndicat des éditeurs français d’établir avec eux une liste d’ouvrage interdits qui formeront la première liste Otto publiée en septembre 1940. Une deuxième paraîtra en juillet 1942, qui sera suivie d’une troisième en mai 1943. Cette liste d’« ouvrages retirés de la vente par les éditeurs ou interdits par les autorités allemandes » créée avec le concours relatif des éditeurs français, comporte la mention suivante : « [l]es autorités allemandes ont enregistré avec satisfaction l’initiative des éditeurs français et ont de leur côté pris les mesures nécessaires ». Mais la réalité est en fait plus complexe : [L]es confrères [de Bernard Grasset] n’étaient pas allés aussi loin [que la publication d’articles pour exprimer une communauté de vues avec les nazis, antisémitisme, antimaçonnisme et anticommunisme] mais, puisque la direction unanime du Cercle de la librairie, Fernand Nathan compris, encourageait les éditeurs à confectionner ces listes de proscription et à les confier à Henri Filipacchi qui travaillerait, dans son bureau des Messageries Hachette, en accord avec le censeur allemand affecté à cette tâche, la très grande majorité des professionnels participa sans état d’âme à cette destruction de ce qui était le cœur même de l’univers des livres et de la pensée, les catalogues qui affichaient orgueilleusement leurs auteurs et leurs titres de gloire. Issues par conséquent d’une authentique collaboration entre autorités allemandes et dirigeants du Cercle de la librairie appuyés par les chefs des grandes maisons ayant pignon sur rue, les trois listes Otto, celle du 2 octobre 1940 et les suivantes de juillet 1942 et mai 1943, reflètent la commune volonté de continuer à travailler malgré l’Occupation et ses contraintes.
Stock, Delamain et Boutelleau
Créée en 1708, Stock est l’une des plus anciennes maisons d’édition françaises. Les éditions tirent leur nom actuel de Pierre-Victor Stock, neveu de la veuve de Nicolas Tesse qui avait repris le fonds en 1839. P.-V. Stock développe les éditions et rachète en 1900 le fonds Albert Savine qui possède déjà une « Bibliothèque cosmopolite » (qui deviendra, plus tard, le « Cabinet cosmopolite »). Pendant l’affaire Dreyfus, Stock s’exprime ouvertement contre l’antisémitisme ambiant :
Certain de l’innocence par des recoupements divers, il prend part au procès de Zola après J’accuse et publie tout ce qui est en rapport avec l’affaire en collaboration avec la Ligue des Droits de l’Homme.
En 1897, la collection de la « Bibliothèque sociologique » regroupe les écrivains anarchistes prisés par Pierre-Victor Stock, tels que Louise Michel, Charles Malato ou Mikhaïl Bakounine. Les convictions profondes et originelles de la maison d’édition révèlent un esprit de liberté et, déjà, une certaine implication dans les évènements politiques de la fin du XIX e et du début du XX e siècle, ce qui ne laisse rien présager de l’attitude que la maison va adopter durant l’Occupation.
En 1921, Jacques Boutelleau (alias Jacques Chardonne, jeune secrétaire d’Albert Savine) et son beau-frère Maurice Delamain rachètent les éditions Stock et créent une prestigieuse collection, le « Cabinet cosmopolite », qui propose, à l’origine, « des romans à grands tirages et des œuvres plus exigeantes ». La littérature anglo-saxonne reste la « terre d’élection » de la collection.
André Bay, « digne héritier spirituel » de la maison
La maison d’édition dispose sous l’Occupation de deux fortes personnalités : Jacques Chardonne et André Bay. Le premier s’est tourné vers la collaboration. Le second, angliciste, aucunement engagé dans une quelconque activité politique, a œuvré toute sa vie pour la promotion de la littérature anglo-saxonne, ainsi que pour la réhabilitation de son beau-père Jacques Chardonne .André Bay (1916-2013) né Dupont, est en effet le beau-fils de Jacques Boutelleau, alias Jacques Chardonne, ce dernier étant le second époux de sa mère. André Bay (« B ») est le pseudonyme d’André Boutelleau, le nom de plume d’André Dupont. La proximité avec Jacques Boutelleau « favorisera son amour des livres ». En 1940, il entre aux Éditions Stock, alors dirigées par Jacques Boutelleau (Chardonne) et Maurice Delamain, « qu’il considérait comme son oncle alors qu’ils n’avaient aucun liens familiaux ». Il est, dans un premier temps, chef du lectorat pour le domaine étranger. En 1941, il devient directeur littéraire de la maison d’édition. Angliciste de formation, il peut vivre pleinement sa passion de la littérature étrangère, notamment par le biais de la collection du « Nouveau Cabinet cosmopolite » qu’il crée la même année. Dans cette nouvelle fonction, il gère à la fois le comité de lecture et le suivi des traductions, et rédige souvent des préfaces pour les œuvres de ses auteurs . À cette époque, la maison d’édition a tout d’une entreprise familiale : Jacques Boutelleau et Maurice Delamain sont à la direction, André Bay, le beau-fils, est le directeur littéraire, Germaine Delamain, l’épouse de Maurice, traduit les auteurs anglo-saxons. André Bay dirigera également la collection « Cosmopolite » avec son épouse Marie-Pierre (qui sera traductrice pour la maison d’édition dans les années 1970).
En parallèle, André Bay est écrivain et traducteur de l’anglais (il a traduit Mark Twain, Lewis Carroll, Jonathan Swift et bien d’autres). Ses romans paraissent principalement après la guerre, Amoren 1947 (Paris, Fontaine), L’École des vacances en 1950, La Fonte des neiges en 1953 ou encore La Carte du Tendre en 1959, publiés chez Gallimard, mais aussi des livres pour enfants, Nouveau recueil de poésies à dire et à lire pour les enfants publié en 1939 chez Delamain et Boutelleau, Comptines et Les archives ont été reçues mais n’ont pas encore été triées et classées. Nous ne savons pas quand elles pourront être consultables. poésies choisies pour les enfants chez Stock en 1951 ou encore Trésor des comptines (pour lequel il a été éditeur scientifique) publié au Club des Librairies de France en 1961 et réédité de nombreuses fois.
André Bay a tout d’un « esprit libre » et d’un éditeur « moderne ». Dans un entretien accordé à Le Monde, lorsqu’on le questionne sur sa manière de dénicher de bons auteurs, il répond : « Oh… pourréussir, il faut être libre dans ses choix, n’avoir pas d’“objectif”».
Les idées en mouvement : la circulation des intellectuels et des importateurs de littérature anglo-saxonne pendant l’Occupation
Nouveaux réseaux, anciens réseaux : reprendre contact après la débâcle
En juin 1940, l’armistice signé entre Pétain et Hitler provoque le départ précipité de nombreux périodiques et maisons d’édition qui fuient la capitale pour s’établir en zone libre. La dispersion des écrivains mobilisés pendant la « drôle de guerre » et l’exil de ceux qui tentent d’échapper aux persécutions du régime nazi entraînent l’éclatement de certains réseaux. Le poète Jean Lescure, frustré d’être réduit au silence, souhaite agir contre la domination culturelle qu’exerce l’occupant. C’est ainsi qu’il décide de créer une revue littéraire : Messages. Il évoque alors le sentiment de confusion qui règne chez les intellectuels parisiens à cette époque et les difficultés qu’il rencontre pour rassembler les gens autour de son projet :
Où trouver des complices ? On se sentait seul. Où était Daumal ? Emmanuel venait de me faire prévenir par une amie qu’il était « quelque part » au Sud. On ne me précisait pas où. […] Jean Wahl n’était plus chez lui. Du moins je m’en persuadais. Landsberg non plus, je l’avais vérifié. Selon Pierre Assouline dans le livre qu’il consacre à l’éditeur, Gaston Gallimard éprouvait la même confusion au début de l’Occupation. Replié dans sa maison secondaire juste avant l’annonce de la guerre, il pensait qu’il pourrait s’engager davantage en retournant à Paris. Nombreux, comme Jean
Lescure et Gaston Gallimard, veulent être utiles. C’est aussi le sentiment que le philosophe suisse Denis de Rougemont partage dans son journal : « Me taire ou ne parler que de notre belle nature me semblait également intolérable, tant qu’Hitler sévissait en Europe .» Le paysage éditorial français s’est profondément modifié au début de l’Occupation, tout comme le champ des revues littéraires. L’annexion de La NRF par les Allemands y fut pour beaucoup – il s’agit d’une revue autour de laquelle nombre d’écrivains français de premier plan gravitaient avant que Pierre Drieu la Rochelle n’en prenne la direction. C’est ce que souligne François Vignale dans sa thèse consacrée à la revue Fontaine.
|
Table des matières
Remerciements
Sommaire
Introduction
Chapitre I : Les voix de la résilience : les réseaux de circulation des textes anglo-saxons entre 1940 et 1944
1.1 Étude quantitative et qualitative des traductions de l’anglais
1.2 La publication de traductions interdites : entre prises de risques et passe-droits
1.3 Les idées en mouvement : la circulation des intellectuels et des importateurs de littérature anglo-saxonne pendant l’Occupation
Chapitre II : Les revues littéraires, un espace privilégié de circulation des œuvres anglo-saxonnes pendant l’Occupation
2.1 La destitution des grands périodiques parisiens
2.2 Les revues littéraires de zone libre et les grands foyers d’importation de la littérature anglo saxonne contemporaine
2.3 Les numéros de revue consacrés à la littérature anglo-saxonne contemporaine : des ambitions littéraires et politiques
Chapitre III : Sortir de l’ombre : le statut du traducteur et des traductions de l’anglais sous l’Occupation
3.1 Qui sont les importateurs de littérature anglo-saxonne sous l’Occupation ?
3.2 La présentation des traductions
3.3 La traduction des poètes classiques
Conclusion
Bibliographie
Index alphabétique des noms propres
Table des matières