Les collections du Musée de l’Homme constituent un véritable trésor d’informations archéologiques. Elles comptent notamment des plaquettes gravées de figures humaines provenant de la Marche (Vienne). Cette grotte en a livré plus d’une centaine. Ces représentations tiennent une place importante dans l’art gravé Magdalénien de la Marche. Elles sont rares dans l’art paléolithique. La figure humaine est représentée de diverses manières, notamment de nombreux visages et profils. Nous avons souhaité étudier les modalités de représentation de ces visages et notamment les gestes qui ont concouru à leur réalisation. Ainsi l’étude de la superposition des traits ou de leur direction donne des indices sur la façon de percevoir mais aussi de reproduire et de graver ces visages humains. Une analyse à différentes échelles et sur différents supports (photographies, relevés, modèles numérisés) a été entreprise. Nous avons cherché à mettre en évidence la nature de ces visages au travers de ces multiples gravures superposées, qui sont une constante dans l’art de la Marche. Le trait gravé devient alors en lui-même un objet d’étude. L’amorce (ou commencement) du trait gravé, sa courbure, sa profondeur, sa direction et sa butée (ou sa fin) sont des indices de la construction de l’image. La structuration des visages repose-t-elle sur des conventions ou au contraire, ces représentations humaines témoignent-elles de choix provisoires ? L’observation de pièces sélectionnées et leur analyse permettent de traiter ces questions et de proposer des premières hypothèses.
La grotte et ses contextes
Contexte géographique et archéologique
La grotte de la Marche (Lussac-les-Châteaux, Vienne) s’ouvre dans un massif calcaire du Jurassique moyen. Elle est creusée à la base d’une falaise dans la vallée d’un affluent de la Vienne. La grotte mesure 20 m de largeur pour 19 m de profondeur. L’entrée est aujourd’hui constituée par un sol de terrasse artificiel. Un mur ferme le porche originel de la grotte. Léon Péricard et Stéphane Lwoff découvrent la grotte en 1937 et y entreprennent des fouilles durant cinq ans. Jean Airvaux (Airvaux 2001) localise un profil témoin à proximité de l’entrée qui montre une stratigraphie de 1,50m au-dessus du substrat naturel. Il se développe sur quatre niveaux d’occupation (Fig.1).Dans ces niveaux, la couche 3 présente la plus grande quantité de matériel archéologique. La répartition des vestiges(Fig.2) a pu être reconstituée (Mélard, 2006). Les dalles gravées et objets de parures étaient concentrés autour de deux foyers dans le fond de la grotte alors que les plaquettes gravées ont été mises au jour sur l’ensemble de la zone fouillée. Le niveau archéologique est attribué au Magdalénien de faciès de type « Lussac-Angles » caractérisé notamment par une pointe de sagaie à long biseau simple et rainure dorsale. Une datation sur os situe cette occupation entre 15904 cal. B.C. et 14996 cal. B.C.
Contexte culturel
La grotte de la Marche appartient à un territoire (centre-ouest de la France) riche en occupations du Magdalénien moyen. Les représentations humaines occupent une place importante dans les productions symboliques (Fig.3). À la Marche ces productions sont caractérisées notamment par des parures en ivoire de mammouth, des os hyoïdes perforés et cochés sur les bords et par des incisives de chevaux et poulains gravées sur leur face linguale de motifs finement quadrillés. L’art mobilier sur supports lithiques y est dominant et structuré du point de vue thématique entre représentations animales et humaines. Ces dernières s’organisent en deux groupes stylistiques : l’un « réaliste », propre à la Marche et à quelques sites de la région, et l’autre plus « stylisé » commun dans un autre faciès du Magdalénien moyen régional (Fuentes 2013, 2014 ; Fuentes et al. 2013, 2016), celui dit « à navettes » (La Garenne, Indre). La tendance au « réalisme », dominante à la Marche, se structure autour de 113 figures humaines (Mélard 2006).
Matériaux et méthode
Ce stage qui s’est déroulé sur trois semaines nous a permis de découvrir le métier et l’environnement du chercheur. L’étude des collections du Musée de l’Homme a été une grande opportunité. Elle nous a permis d’approcher les questionnements liés à l’étude de l’art préhistorique et des comportements symboliques. Nous avons vu les stratégies à mettre en place face à de tels objets chargés d’histoire.
La figuration humaine à la Marche
Nous avons débuté notre recherche par une enquête bibliographique. Léon Pales et Marie Tassin de Saint-Péreuse étudient les gravures de la Marche et publient leurs travaux en quatre tomaisons entre 1969 et 1989. Un volume est consacré à la figuration humaine (Pales et Tassin de Saint-Péreuse 1976). Ils dénombrent 58 têtes isolées (Fig. A1 en Annexes). Denis Vialou (Vialou 1976, 1981, 1985) et plus récemment, Nicolas Mélard (Mélard 2006, 2008) ont entrepris de nouvelles études sur ces séries. D’autres recherches ont intégré ce corpus (Bourrillon 2009, 2016 ; Fuentes 2010, 2013, 2014 ; Fuentes et Pinçon 2016 ; Chisena et Delage 2018). Les plaquettes gravées sont localisées dans 5 collections : Musée de l’Homme, Musée d’Archéologie Nationale, Musée Sainte-Croix de Poitiers, Musée de Lussac-les-Châteaux, et de Châtellerault. Nous avons travaillé sur les pièces conservées au Musée de l’Homme. Nous avons identifié 13 plaquettes et dalles portant des représentations humaines (Tab.1). Elles sont en calcaire sauf MH-D50-7-303 qui est en grès. Le litage naturel des calcaires permet un détachement en plaques régulières. Ce sont ces plaquettes qui servent de support à la gravure. On parle de dalles lorsque leurs dimensions dépassent 30 cm de longueur et 5 mm d’épaisseur.
Critères de sélection du corpus
Nous avons réduit notre corpus à quelques pièces démonstratives pour les besoins de ce rapport en privilégiant leur observation directe. Nous avons repris les critères établis par O. Fuentes (2013) pour permettre la sélection des profils humains, à savoir des « critères anatomiques » (marqueurs d’une construction figurative) et des « critères basiques » constitutifs de la silhouette. Ils doivent être au nombre minimum de 2 pour objectiver la représentation. Des « critères complémentaires » définissent des détails ou des segments anatomiques qui interviennent dans le degré de réalisme. Cinq plaquettes ont pu être soumises à ces critères .
Observations directes à l’œil nu et à la loupe binoculaire
Afin de nous familiariser avec ces plaquettes gravées nous avons effectué une première série d’observations directes. Ensuite, nous avons entrepris la lecture et l’analyse des gravures grâce à diverses sources d’éclairage rasant. L’utilisation d’une loupe binoculaire (Leica MZ6 1044511, x10/21B) accompagne la lecture des tracés gravés, notamment pour l’observation des fonds de traits à un grossissement de 6.3:1 (x10). Cet agrandissement s’est toutefois révélé insuffisant à certaines occasions. Les observations à l’œil nu sont reportées sur des fiches manuscrites et accompagnées de croquis de lecture qui sont ensuite intégrées dans une fiche informatique (Fig. A2 et A3 en Annexes). Les dimensions des plaquettes sont relevées. Le support et les tracés gravés y sont décrits. L’observation des croisements de traits gravés et de leurs morphologies permet d’établir une chronologie des gravures et ainsi de comprendre la structuration des figures et l’ordonnancement des tracés.
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Table des matières
Introduction
La grotte et ses contextes
Contexte géographique et archéologique
Contexte culturel
Matériaux et méthode
La figuration humaine à la Marche
Critères de sélection du corpus
Observations directes à l’œil nu et à la loupe binoculaire
Imagerie photographique et modélisation 3D
Relevés sur calque d’après photographie et traitement Illustrator
Compléments d’observations au microscope
Présentation des plaquettes
Résultats
Les gravures de visages humains
Taphonomie des plaquettes
Discussions
Conclusion et perspectives
Bibliographie
Table d’illustrations
Annexes