Les violences conjugales : se protéger
Les VC sont un sujet non maîtrisé par les médecins et qui les déstabilise. « C’est quand même un sujet chaud, c’est pas léger. » entretien (E.) 5 Ils se sentent seuls face à la détresse de leurs patientes. « je pense qu’on est un peu démunis nous aussi effectivement dans le cabinet » E. 6 Certains médecins témoignaient d’expériences mal vécues. Ils se sentaient pris de cours par des situations complexes et imprévues. « j’ai trouvé que c’était assez traumatisant de l’entendre » E. 6 Les « révélations » de cas passés de violences représentaient un échec. Ils exprimaient de la culpabilité. « Donc un sentiment oui de, d’échec. Sentiment d’échec. Par ce que tu te dis que tu aurais pu aider la personne, tu aurais pu la convaincre de l’avouer […] De chercher de l’aide […] Qu’elle n’en ait pas honte […] ben non. Pourtant tu avais, tu étais là, tu la voyais souvent… et c’est jamais venu. » E 12.2 Ils regrettaient une carence de dépistage dans leur pratique passée et refusaient de passer à côté d’un diagnostic futur.
Les expériences antérieures de confrontation aux VC ont rendu certains médecins défaitistes. Elles aboutissaient à une insatisfaction professionnelle et personnelle.
Les médecins exprimaient une déception dans les démarches entreprises, l’attitude des collaborateurs et des patientes, ambivalentes. « Ben la patiente en question, elle a porté plainte […] j’ai dit « mais la police est allée le voir ? – ben non toujours pas ». ça fait juste un mois.» E. 9
Ils exprimant un sentiment de frustration, colère voire révolte devant la fatalité à laquelle se soumettaient leurs patientes. « on a envie de les aider et puis on, quelque part, enfin c’est chronophage […] la patiente un coup elle dit oui un coup elle dit non» E. 9 L’attitude de leurs patientes pouvaient susciter un sentiment de trahison. « Un sentiment de…. Ça me donne la chair de poule. Par ce que je pensais avoir une bonne relation avec cette patiente tu vois et euuh eh ben non. La preuve c’est qu’elle est pas allée jusqu’à la CONFIDENCE. » E. 12.2
Ces émotions demandaient une grande capacité de gestion des émotions et majoraient la charge mentale des praticiens. Eviter le dépistage des VC était un moyen pour les médecins de se protéger d’un épuisement professionnel et émotionnel.
Le dépistage systématique : inconcevable
Les médecins considéraient que le dépistage systématique était une approche inadaptée en médecine générale et aux VC. Ils l’assimilaient à un dépistage de masse, perçu comme non motivant et inconfortable. « Systématiquement c’est pas possible » E. 3 Une partie des médecins n’abordaient pas le sujet, ne faisant pas partie de leur réalité. « Je pense que nous on se pose pas la question. […] pour moi de principe les gens ils sont bons. » E. 6 Les médecins généralistes vivaient mal le dépistage des VC : il allait à l’encontre du respect de l’intimité de leurs patiente, principe moral auquel ils étaient attachés. Certains n’assumaient pas le dépistage, considéré comme indiscret et intrusif. Il empêchait un déroulé logique, fluide des consultations et l’utilisation de leur « feeling ». « je me dis « mais là je vais choquer quoi si je parle de ça là, à cette occasion-là. » » E. 3
« Oui après, oui peut être pas forcement de façon systématique, est ce qu’on a le droit de tout savoir sur la relation des gens, c’est peut-être pas obligatoire. […] L’intrusion dans la vie de couple, la vie affective bon est ce que c’est vraiment notre rôle ? si on ressent pas autre chose derrière ? » E. 4
La relation de confiance que les médecins entretenaient avec leurs patientes était au centre de leurs préoccupations. Ils la sacralisaient et mettaient tout en œuvre pour la préserver. « […] t’as toujours un peu peur […] de les perdre un peu dans leur relation que t’as avec eux » E. 3
Les médecins avaient conscience qu’en pratiquant un dépistage systématique par rapport à un dépistage ciblé, ils risquaient de mettre en évidence plus de cas de violences. Cette possibilité augmentait leurs appréhensions. « si on pose plus souvent la question on amènera plus souvent des réponses positives, si on pose jamais la question y’aura pas de problème hein – rires » E. 4 Ils préféraient parfois choisir de ne pas se mettre en danger. « on est pas bons donc on évite le sujet. […]. Par ce que [on] se sent en danger en fait. […] [on] sait pas après comment réagir. » E. 6
Les médecins se sentaient dépassés et submergés. Les différents dépistages déjà demandés par les autorités sanitaires étaient perçus comme trop nombreux et stressants. « on a tellement de choses après que en fait on oublie, on y repense plus… » E. 6
Dans ce contexte, rajouter une tâche comme le dépistage des VC leur était inconcevable, d’autant plus en systématique. « Je pense que y’a des gens qui seraient motivés pour le faire mais qu’en fait ils sont tellement débordés que à un moment donné ils posent pas la question. » E. 6 Pourtant, le caractère systématique permettait à certains d’alléger leur charge mentale. « je me suis même pas posé la question. » E. 6 Effectuer un dépistage systématique par périodes courtes et répétées leur paraissait envisageable alors qu’un dépistage systématique absolu et continu était perçu comme impossible.
« je pensais plus […] comme je l’ai fait là […] par périodes, par vagues » E. 6
Les médecins étaient en réflexion permanente sur la façon de le mettre en pratique : Comment ? Quand ? A quelle fréquence ? « en fait faudrait que tu le fasses à quel rythme ? tous les 3 mois, tous les 6 mois, tous les ans ? toutes les semaines ? […] chaque fois ? faudrait que tu demandes… à quel rythme ? » E. 12.2 Ils étaient dans l’attente d’un cadre de pratique en vue de faciliter l’initiation et l’ancrage de cette nouvelle habitude de dépistage.
Le questionnaire WAST : des bénéfices insuffisants
Pour les participants, le questionnaire WAST constituait une aide au dépistage des VC. Son application systématique était réalisable s’ils s’organisaient en ce sens. «Par ce que là je m’étais bien organisé mais après avec la maison et tout c’est plus compliqué. » E. 6 Pour certains, il était plus rapide que ce à quoi ils s’attendaient. Le bénéfice potentiel du dépistage systématique compensait le temps consacré. «systématiquement […] ça m’a pas posé de problème, ça n’a pas été chronophage, ça m’a pas pris beaucoup de temps » E. 10
Les médecins mettaient tout en œuvre pour maximiser l’acceptation du dépistage. Ils ont apprécié le déroulé progressif du questionnaire. Les médecins adoptaient une attitude prévenante et prudente. Ils demandaient aux patientes leur consentement. « faut toujours être très prudent sur ce qu’on fait. » E. 5
Ils disaient être plus à l’aise lors du dépistage dans un contexte favorable : nouvelle patiente, femme seule, en couple, motif de consultation adapté, consultation gynécologique. « Très à l’aise. Quand c’était adapté, c’était facile à poser. » E. 3 Leur sentiment d’intrusion était minimisé. « c’était bien, c’est une façon d’introduire la chose […] ça me parait suffisamment progressif pour éventuellement après avoir, permettre des réponses véritables quoi. » E. 4 Ils utilisaient un prétexte pour aborder le sujet. « c’est difficile de l’introduire naturellement sans prétexter un truc un peu formel » E. 9 .
Le questionnaire était très bien accueilli par les patientes, ce qui a soulagé les médecins. «de le faire on se rend compte que c’est bien accepté et que y’a pas de raison de louvoyer comme c’est fait » E. 7 Le questionnaire a pu être employé comme prétexte à aborder le sujet des VC. Cela permettait aux médecins de proposer un espace de parole. « le questionnaire […] permet d’ouvrir la discussion. C’est-à-dire qu’on pose des questions au départ et en fait après ça permet de rentrer dans le vif du sujet. » E. 6 Disposer d’une trame à suivre leur évitait d’improviser. Elle leur donnait l’impression de pratiquer un dépistage :
– concis, « Il faut des questions simples et courtes. » E. 8
– précis,
– clair,
– rapide, « le questionnaire il est pas long» E. 6
– efficace,
– rigoureux, « ça c’est carré, c’est bien » E. 5
– reproductible, « ça permet [..] d’être cartésien […] de poser toujours la même question. » E. 5
Le WAST permettait d’objectiver un ressenti. Ils appréciaient pouvoir bénéficier d’un support constituant un pense bête et contribuant à diminuer la charge mentale. «l’avoir sous la main ça permet d’y penser. » E. 7
Le fait de disposer des ressources fournies par l’investigatrice rassurait les médecins, leur donnait confiance en eux et dans leur démarche. « ce qui est utile c’est d’avoir un répertoire de points de chute quand on a besoin d’aide. » E. 8 Munis du WAST et des ressources, les médecins disaient se sentir plus crédibles et légitimes pour aborder le sujet et poser un diagnostic. Le questionnaire permettait aux médecins d’évaluer le contexte, le mode de vie de leurs patientes afin d’identifier des terrains ou facteurs de risques de violences, et d’anticiper une prise en charge future éventuelle. « l’intégrer dans le mode de vie, la profession, l’environnent social, professionnel patatipatata… Pour connaitre nos patients ouai. » E. 11 .
Les révélations consécutives au dépistage ont permis aux médecins de mieux connaître et comprendre leurs patientes, de résoudre des énigmes diagnostiques. « c’était assez surprenant […] qui paraitraient être assez fortes et qui en fait – comme quoi l’image qu’on a des gens en patientèle c’est complètement voilà, faut faire attention, qui avaient subi des choses comme ça » E. 5 Ceci leur donnait le sentiment de renforcer leur relation. « j’avais l’impression que intérieurement elles se disaient « ah tien, il s’intéresse à moi, il s’intéresse euuh à ma vie » […] Et même à la fin je trouve qu’elle étaient un peu apaisées » E. 10 .
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Table des matières
Introduction
Objectifs
Méthode
Résultats
Les violences conjugales : se protéger
Le dépistage systématique : inconcevable
Le questionnaire WAST : des bénéfices insuffisants
Discussion
Conclusion
Bibliographie
ANNEXE I – Le WAST
ANNEXE II – Grille COREQ
ANNEXE III – Guide d’entretien
ANNEXE IV – Verbatims
Annexe V – Arborescences thématiques
ANNEXE VI – Notice d’information et formulaire de consentement
Annexe VII – Ressources fournies aux médecins
ANNEXE VIII – Retours à plus d’un an
ANNEXE IX – Résultats redontants avec la littérature
ANNEXE X – Réflexion des auteurs
Résumé et Abstract