Les verres silicatés

Les verres silicatés

Définition du verre

La définition d’un verre ne réside pas dans sa composition puisque la silice SiO2 existe sous forme cristalline et sous forme vitreuse. Elle ne nécessite pas la présence de silice, ni même d’oxydes puisqu’il existe des verres d’halogénures comme BeF2 ou des verres métalliques. Elle n’implique pas non plus une formation par fusion-trempe, des verres pouvant être obtenus par procédé sol-gel ou par irradiation de matériaux cristallins par des neutrons (Shelby, 2007). Si les travaux de cette thèse se limitent à l’étude de verres silicatés obtenus par fusion/trempe, il est cependant nécessaire de commencer par s’interroger sur ce qui définit un verre. Il existe plusieurs définitions du verre parmi lesquelles on peut citer :
– « D’un point de vue physico-chimique, le verre est un liquide surfondu figé. » (Scholze, 1980)
– « Le verre est un solide non-cristallin présentant le phénomène de transition vitreuse. » (Zarzycki, 1982) .

Les verres ont une nature amorphe. À la différence de la structure ordonnée des cristaux, la structure de ces solides s’apparente à celle des liquides car ils ne possèdent qu’un ordre à courte distance et pas d’ordre à grande distance. Les verres peuvent être obtenus par trempe rapide du liquide correspondant. Du fait de la rapidité de ce refroidissement, la cristallisation n’a pas le temps d’avoir lieu d’où sa structure de « liquide surfondu figé ». Les verres sont, par nature, des systèmes hors équilibre thermodynamique.

La seconde définition du verre, donnée par Zarzycki (1982), nécessite d’expliquer le phénomène de transition vitreuse et donc d’étudier l’évolution de l’enthalpie H d’un matériau (ou de son volume V, qui varie de la même façon) en fonction de la température . Le refroidissement d’un liquide conduit tout d’abord à une diminution linéaire de l’enthalpie. Dans le cas de la formation d’un cristal, il existe une température Tf , qui est la température de fusion, en dessous de laquelle le matériau cristallise. Cela conduit à une brutale variation d’enthalpie à T=Tf ce qui introduit une discontinuité dans le courbe H=f(T). Dans le cas de la formation d’un verre, l’évolution de l’enthalpie avec la température est continue. Aucune discontinuité n’apparaît pour T=Tf . Une rupture de pente de la courbe H=f(T) est cependant observée à plus basse température. C’est le phénomène de transition vitreuse. La température où se produit le changement de pente est la température de transition vitreuse Tg avec Tg<Tf . Cette température n’est pas fixe, elle dépend de la vitesse de refroidissement (Neuville et al., 2013; Shelby, 2007; Zarzycki, 1982).

Structure des verres silicatés

D’après Zachariasen (1932), un verre d’oxyde ne peut se former que si :
– L’échantillon contient un pourcentage important de cations entourés de tétraèdres ou de triangles d’oxygènes.
– Ces tétraèdres ou triangles ne partagent que des sommets (pas d’arête ni de face).
– Certains atomes d’oxygène ne sont liés qu’à deux de ces cations et ne forment pas de nouvelles liaisons avec d’autres cations.

Zachariasen définit ainsi un modèle simple de « Réseau Aléatoire Continu » (Continuous Random Network ou CRN) aujourd’hui revu totalement par le modèle de réseau aléatoire modifié (Modified Random Network) (Greaves, 1985), qui sera présenté plus loin, pour les verres contenant des alcalins ou des alcalino-terreux.

Dans le cas particulier de ce verre ne contenant qu’un oxyde, le réseau vitreux est formé de tétraèdres SiO4 (ordre à courte distance) liés par sommets selon des angles pouvant être variables ce qui conduit à la formation d’anneaux de tétraèdres de tailles différentes (absence d’ordre à grande distance). L’oxyde de silicium étant ainsi susceptible de former un verre en l’absence d’autres éléments, le Si est dit formateur de réseau. Les atomes d’oxygène reliant deux cations formateurs de réseau sont dit pontants. Dans les verres non-silicatés, d’autres cations peuvent être formateurs de réseau, par exemple le bore, le germanium ou le phosphore.

Ce réseau silicaté principal (réseau polymérique) peut être modifié par la présence de cations dits modificateurs de réseau comme, par exemple, des alcalins qui conduisent à sa dépolymérisation. Les modificateurs de réseau coupent les liaisons Si-O-Si ce qui entraîne la création de liaisons nonpontantes. Les oxygènes de type Si-O⁻ qui forment les liaisons ioniques avec les modificateurs sont dits non-pontants.

≡Si-O-Si≡ + Na-O-Na → ≡Si-O⁻ ⁺Na + Na⁺ ⁻O-Si≡

Si le modificateur est un alcalino-terreux, comme Ca2+, il compense la charge de deux oxygènes non pontants. De ce fait, il est plus fortement lié au réseau qu’un alcalin. Ca2+ peut ainsi limiter la diffusion d’autres ions dans la structure ce qui améliore la résistance chimique du verre (Le Bourhis, 2008; Shelby, 2007). Le magnésium Mg est un alcalino-terreux comme le calcium Ca. Il a cependant un rayon ionique plus faible et donc une densité de charge plus importante. Dans un verre silicaté ne contenant pas d’Al, Mg a un environnement tétraédrique distordu (Trcera et al., 2011). Dans un verre d’aluminosilicate, il a une coordinance (nombre de premiers voisins) moyenne de 5 qui est donc plus faible que la coordinance 7 usuellement observée pour le Ca (Okuno et Marumo, 1993; Trcera et al., 2009). La substitution de Ca par Mg dans ces verres conduit à un réarrangement structural du verre créant une structure plus désordonnée (Libourel et al., 1992). Le degré de polymérisation du réseau silicaté d’un matériau vitreux est représenté par la notation Qn où n est le nombre de tétraèdres auquel est lié le tétraèdre SiO4 considéré . En d’autres termes, n correspond au nombre d’oxygènes pontants du tétraèdre considéré. La valeur de n varie de 0 à 4 avec Q0 un tétraèdre isolé et Q4 un tétraèdre dont les 4 sommets sont partagés avec d’autres tétraèdres (Mysen et Richet, 2005; Shelby, 2007).

Greaves introduit en 1985 un nouveau modèle dit de « Réseau Aléatoire Modifié » (Modified Random Network ou MRN) pour les verres silicatés contenant des alcalins ou des alcalino-terreux (Greaves, 1985). Ce modèle décrit ces verres comme étant composés de deux sous-réseaux : le réseau d’oxydes formé par les formateurs de réseau (ici les tétraèdres silicatés) et constitué de liaisons pontantes, iono-covalentes, et un réseau de modificateurs, liés par des liaisons majoritairement ioniques . Ce dernier peut être percolant et former ainsi des canaux qui facilitent la diffusion au travers du réseau vitreux (Greaves et Sen, 2007).

Certains oxydes, dits intermédiaires, peuvent jouer le rôle de formateur ou de modificateur de réseau (Zarzycki, 1982). C’est le cas par exemple de l’oxyde d’aluminium. Al2O3 seul ne vitrifie pas mais lorsqu’il est ajouté à de la silice, Al peut remplacer certains atomes de Si en formant des tétraèdres (AlO4)- . Al joue alors le rôle de formateur de réseau. La différence de charge liée au remplacement d’un ion Si4+ par un ion Al3+ doit être compensée, par exemple par un alcalin (ou un alcalino-terreux). Ce dernier est alors appelé compensateur de charge. Pour des verres contenant autant d’alcalins que d’Al, tous les alcalins sont compensateurs de charge et la structure ne contient pas d’oxygène non-pontant. Il se forme ainsi un « Réseau Aléatoire Continu Compensé » (Compensated Continuous Random Network ou CCRN) (Greaves et Ngai, 1995). Comme dans le cas du modèle du réseau aléatoire modifié, une micro-ségrégation des compensateurs conduit à l’existence de deux sous-réseaux : un réseau riche en compensateurs de charge et un réseau riche en formateurs de réseau.

Pour des verres contenant plus d’alcalins que d’Al, une partie des alcalins jouent un rôle de compensateurs de charge et une autre partie un rôle de modificateurs de réseau. Le réseau qui en résulte a alors une structure intermédiaire entre le « réseau aléatoire continu compensé » et le « réseau aléatoire modifié » (Greaves et Ngai, 1995). Cette structure intermédiaire et la présence d’un sous-réseau de modificateurs ont pu être mises en évidence par l’étude de verres aluminosilicatés par RMN de l’17O et RMN 2D 17O{27Al} et 17O{23Na} (Sukenaga et al., 2017). La présence de canaux percolant dans les verres aluminosilicatés a également été montrée par étude de la viscosité, mesures Raman et RMN et simulations par Dynamique Moléculaire (Le Losq et al., 2017). Le comportement des alcalino terreux est similaire à celui des alcalins si ce n’est qu’ils ont une charge double et qu’il en faut donc deux fois moins pour compenser les charges résiduelles des atomes d’Al. Pour des verres de type CNAS (CaO-Na2O-Al2O3-SiO2), Na+ joue préférentiellement le rôle de compensateur de charge et Ca2+ celui de modificateur (Lee et Sung, 2008).

Lorsque le nombre d’atomes d’Al est supérieur au nombre de cations pouvant compenser cette différence de charge, tous les Al ne peuvent pas adopter une coordinance 4 et certains apparaissent alors dans des environnements octaédriques ou pentacoordonnés (Neuville et al., 2006; Scholze et Institut du verre (Paris), 1980). L’étude de verres d’aluminosilicates de calcium (CAS) a montré que Si et Al étaient principalement sous la forme Q4 lorsque CaO/Al2O3=1 mais qu’une plus grande quantité de calcium (CaO/Al2O3>1) conduisait à la dépolymérisation du réseau en unités Q2 et Q3 . Par ailleurs, Al est présent en coordinance 5 et 6 lorsqu’il y a un déficit de compensateur de charge (CaO/Al2O3<1), comme expliqué précédemment. De façon surprenante, quelques Al en coordinance 5 sont également observables lorsque CaO/Al2O3>1 sauf pour des verres pauvres en silice et riches en Ca (Neuville et al., 2006). La répartition de l’Al dans le réseau silicaté est controversée. La «règle d’évitement de Loewenstein », établie en 1954, indique que la liaison Al-O-Al est énergétiquement moins favorable qu’une liaison Al-O-Si ce qui contraint la répartition de l’aluminium dans le réseau (Loewenstein, 1954). Cette règle semble cependant souffrir de nombreuses exceptions. En particulier, l’étude de verres aluminosilicatés par dynamique moléculaire montre que l’Al est réparti de façon aléatoire dans le réseau silicaté lorsque les verres sont pauvres en Si (Cormier et al., 2003). De même, si cette règle d’évitement est respectée pour des verres aluminosilicatés au Na, elle ne l’est pas pour ceux au Ca. La densité électronique de Ca2+ étant supérieure à celle de Na+ , les Al sont contraints d’être plus proches et donc de former des liaisons Al-O-Al (Lee et Stebbins, 1999).

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Table des matières

Introduction générale
Table des matières
Table des figures
Table des tableaux
Chapitre 1. État de l’art
1.1. Les verres silicatés
1.1.1. Définition du verre
1.1.2. Structure des verres silicatés
1.1.3. Le titane dans les verres silicatés
1.1.4. Contraintes liées à l’étude de structures vitreuses
1.2. Le laitier vitrifié de hauts-fourneaux
1.2.1. Fabrication du laitier vitrifié de hauts-fourneaux
1.2.2. Structure du laitier vitrifié de hauts-fourneaux
1.3. Le ciment et les matériaux cimentaires
1.3.1. Le ciment Portland (CEM I)
1.3.2. Les ajouts cimentaires
1.3.3. Les ciments au laitier
1.3.4. Le mortier et le béton
1.4. Réactivité du laitier vitrifié
1.4.1. Réactivité à l’eau des verres silicatés
1.4.2. Réactivité à l’eau des laitiers
1.4.3. Réactivité des ciments au laitier
1.4.4. Impact du titane sur la réactivité des ciments au laitier
1.5. Démarche de la thèse
Chapitre 2. Matériaux et méthodes
2.1. Échantillons
2.1.1. Laitiers industriels
2.1.2. Laitiers industriels refondus
2.1.3. Laitiers de synthèse de composition contrôlée
2.2. Références cristallines et vitreuses
2.2.1. Références pour l’environnement du Ca
2.2.2. Références pour l’environnement du Ti
2.3. Préparation de sections d’échantillons et de surfaces planes polies
2.4. Analyse des compositions et phases
2.4.1. Spectrométrie de fluorescence X
2.4.2. Microsonde électronique
2.4.3. Diffraction des rayons X
2.5. Microscopie électronique à balayage (MEB) et analyse dispersive en énergie (EDS)
2.5.1. Principe du MEB et de l’EDS
2.5.2. Mise en œuvre expérimentale
2.6. Spectroscopie par Résonance Paramagnétique Electronique (RPE)
2.6.1. Principe de la RPE
2.6.2. Mise en œuvre expérimentale et traitement des spectres
2.7. Spectroscopie d’absorption des rayons X (XANES et EXAFS)
2.7.1. Principe de la spectroscopie d’absorption des rayons X (XAS)
2.7.2. Mise en œuvre expérimentale
2.7.3. Traitement des spectres
2.8. Fonction de distribution de paires (PDF)
2.8.1. Principe de la PDF
2.8.2. Mise en œuvre expérimentale
Références des chapitres 1 et 2
Chapitre 3. Cas d’un laitier industriel conservé en conditions humides non contrôlées
L’essentiel du chapitre
3.1. Introduction
3.2. Présentation du matériau
3.3. Identification de l’hydratation partielle lors du stockage en conditions humides non contrôlées
3.3.1. Hydratation partielle de grains isolés
3.3.2. Propriétés de liant hydraulique du laitier
3.4. Identification des mécanismes d’hydratation
3.4.1. Dissolution du verre de laitier et formation d’une couche modifiée
3.4.2. Formation des produits d’hydratation
3.5. Conclusion et description globale des premiers stades d’hydratation
Chapitre 4. Structure des laitiers industriels
L’essentiel du chapitre
4.1. Introduction
4.2. Matériel et méthodes
4.2.1. Echantillons
4.2.2. Spectroscopie d’absorption des rayons X (XANES et EXAFS)
4.2.3. Fonction de distribution de paires (PDF)
4.2.4. Modélisation
4.3. Résultats
4.3.1. XANES
4.3.2. EXAFS
4.3.3. PDF
4.3.4. Modélisation
4.4. Discussion
4.4.1. Environnement local du Ca dans les laitiers industriels
4.4.2. Structure vitreuse des laitiers industriels
4.5. Conclusion
Conclusion générale

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