Les « vérités » du néolibéralisme

Malgré les nombreuses critiques lui étant adressées, le néolibéralisme jouit d’une position attrayante au cœur de notre société (Foucault, 1978-1979; Harvey, 2005; Read, 2009; Robichaud et Turmel, 2012). Guénin-Paracini et al. (2014, p. 2) précisent d’ailleurs ce qui suit : « […] [despite the fact that] key intellectuals have denounced its harmful effects […], [i]t is as if the neoliberal model is today capable of surviving under any circumstances, and even to feed off and emerge strengthened from the worst predicaments ». C’est au centre de cette notion de la « reproduction » du néolibéralisme que vient s’inscrire l’objet de cette étude.

En investiguant cette reproduction, Guénin-Paracini et al. (2014) stipulent qu’en temps de crise financière, la désignation d’un bouc émissaire permettrait, en plus de détourner l’attention (face aux véritables problèmes), d’esquiver toute remise en question du néolibéralisme. Différemment, Macris (2011, p. 20) montre, selon une théorie de reproduction socio-culturelle (voir Bourdieu et Passeron, 1977), « how the dominant neoliberal ideology works, pedagogically, to produce and reproduce social inequalities […] and education systems play one of the most (if not the most) important roles in inculcating the dominant ideology and sustaining the system of domination ».

Méthode d’analyse des commentaires sélectionnés 

Tel qu’illustré par Paillé (1994, p. 147) :  » L’analyse qualitative est une activité fascinante. À l’entrée, une masse imposante de données brutes […]; à la sortie, une description et une analyse minutieuses d’un phénomène savamment questionné. Entre les deux, une activité longue et patiente d’interprétation passant par une série de procédés précis, une suite de réflexions, de remises en question, de découvertes et de constructions toujours plus éclairantes, toujours mieux intégrées.  »

C’est dans ce sens que nous cherchons à attribuer une signification à l’ensemble des commentaires analysés en les associant, d’une manière ou d’une autre, à un discours commun (Freund, 1978), soit le néolibéralisme. Nous présumons qu’il existe un « sens endessous » de ces commentaires et donc, nous tentons « de surprendre sous les mots un discours qui serait plus essentiel » pour l’interprétation (Foucault, 1994, p. 565).

La première étape analytique a été de procéder à la lecture (et re-lecture) des commentaires sélectionnés. En effet, les 113 lettres de répondants constituent le bassin principal des données visées par l’analyse. Tel que mentionné par Miles et Huberman (1984, p. 22): « [f]rom the beginning of data collection, the qualitative analyst is beginning to decide what things mean, is noting regularities, patterns, explanations, possible configurations, causal flows, and propositions ». Dès la première lecture des commentaires, nous songions à certaines lignes directrices (potentielles) pour l’analyse.

Ensuite, nous avons préparé des résumés des commentaires sélectionnés, et ce, sans trop se préoccuper d’idées préconçues que nous pouvions avoir à l’esprit. Nous tentions d’être aussi neutres et représentatifs que possible. Patton (1990, p. 372) indique comment: « [t]he problem is that […] there are no absolute rules except to do the very best with your full intellect to fairly represent the data and communicate what the data reveal given the purpose of the study ». À partir de ces résumés, nous nous sommes alors penchés sur les tendances émanant des commentaires analysés. C’est au cours de l’étude de ces résumés que les résultats préliminaires de l’analyse ont commencé à prendre forme. Cette étape comportait une facette assez laborieuse d’itérations. C’est à travers celles-ci que nous avons pu déceler différentes façons par lesquelles les répondants exprimaient des idées similaires pouvant alors être classifiées selon certaines catégories.

Cadre théorique 

La théorisation offerte comporte un assortiment de concepts provenant de divers ancrages théoriques, s’inscrivant ainsi dans un mouvement plus général de flexibilité analytique . L’objectif est de construire une lentille théorique qui – à travers une analyse interprétative des commentaires sélectionnés – permettra d’examiner les tangents du discours néolibéral qui se sont infiltrés dans la composition des arguments dressés contre la rotation obligatoire des cabinets d’audit. La théorisation illustrera comment le pouvoir discursif du néolibéralisme se manifeste concrètement à travers certains préceptes considérés comme des « vérités » – servant ainsi la reproduction du régime de domination néolibéral. Il sera donc question de théoriser, d’une part, une représentation du pouvoir discursif et, d’autre part, certaines « vérités » du néolibéralisme.

Vision du pouvoir 

  » Power is not something that is acquired, seized, or shared, something that one holds on to or allows to slip away; power is exercised from innumerable points, in the interplay of nonegaliterian and mobile relations. (Foucault, 1978, p. 94)  » .

Foucault, Digeser (1992, p. 980-981) nous le rappelle, insiste sur l’idée que le pouvoir « is everywhere. There is no escaping from it: […] [it] is co-extensive with the social body […] [and] there are no spaces of primal liberty between the meshes of its network ». Lorsque nous mobilisons une notion si abstraite, mais en même temps si présente, ayant d’innombrables points d’existence (ou d’exercice), il s’avère indispensable de théoriser adéquatement les assises conceptuelles de l’étude. C’est ce qu’ici on tente de faire – à travers une re-conceptualisation foucaldienne de la vision du pouvoir tridimensionnelle de Lukes (2005) selon qui:  » [W]e need to think about power broadly rather narrowly – in three dimensions rather than one or two – and that we need to attend to those aspects of power that are least accessible to observation: that, indeed, power is at its most effective when least observable.  »

Dans ce sens, Dreyfus et Rabinow (1983, p. 134) précisent que, pour Foucault, «[m]odern ‘power is tolerable on condition that it masks a substantial part of itself. [Moreover] [i]ts success is proportional to its ability to hide its own mechanisms’ ». Selon notre compréhension, c’est précisément cette dissimulation du pouvoir que Lukes (2005) vulgarise bien dans sa vision tridimensionnelle.

Selon sa première dimension du pouvoir, Lukes (2005) met l’accent sur la possibilité d’influencer – activement et intentionnellement – les résultats émergeant de processus décisionnels controversés. Par l’exercice du pouvoir, il devient alors possible d’avoir gain de cause dans une prise de décision où il y aurait des conflits d’intérêts (subjectifs et observables).

Par le biais d’une deuxième dimension du pouvoir, Lukes (2005, pp. 24-25) invite à considérer, en plus des processus décisionnels « concrets », les divers mécanismes par lesquels « decisions are [(or can be)] prevented from being taken on potential issues over which there is an observable conflict of (subjective) interests ». Il est notamment question de limiter le champ d’action politique (et décisionnel) aux enjeux jugés « innocents » (ou non-controversés). Par exemple, le pouvoir de contrôler le contenu de l’agenda politique afin de contourner (ou d’éviter) les confrontations.

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Table des matières

INTRODUCTION
Premier article
Deuxième article
Troisième article
Bibliographie
ARTICLE 1 – Les « vérités » du néolibéralisme à l’encontre de la rotation obligatoire des cabinets d’audit : Une analyse critique de discours
Résumé
Introduction
Mise en contexte et aspects méthodologiques
La sélection des commentaires des répondants
Méthode d’analyse des commentaires sélectionnés
Cadre théorique
Vision du pouvoir
Les « vérités » du néolibéralisme
Analyse et discussion
À la recherche de la valeur ajoutée de la rotation obligatoire
Les freins « inacceptables » aux processus de croissance des entreprises
« Promouvoir » la compétitivité au sein des marchés
Conclusion
Bibliographie
ARTICLE 2 – Amélioration de la qualité de l’audit : apparences, déformations et mythifications 
Résumé
Introduction
Objet d’étude et méthodologie – le projet ICCA-CCRC
Le projet et ses conclusions principales
La perspective analytique
Théorisation du mythe
Appliquer la méthode barthésienne : quelques précisions
Composition du mythe
(Dé)Construction d’un mythe
Analyse et discussion
Est-ce un mythe que de parler de l’amélioration de la « qualité de l’audit » ?
L’évaluation complète par le comité d’audit : le mythe de la solution idéale ?
En somme
Conclusion
Bibliographie
ARTICLE 3 – Repenser l’expertise en audit en période de turbulence : Gouvernance en silo et inféodation à l’environnement « externe »
Résumé
Introduction
Méthodologie
L’initiative canadienne et les interviewés
Les entrevues et l’analyse
Théorie
Modernité : tensions entre doutes et mise en confiance
La modernité et les systèmes d’expertise de la comptabilité et de l’audit
Interaction, spécialisation et gouvernance
Analyse et discussion
Améliorer la qualité de l’audit : une approche de gouvernance en silo
Les normes comptables : un problème assez généralisé
Au-delà des normes comptables : le problème du monde financier
Conclusion
Bibliographie
CONCLUSION

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