Les variations passées du niveau de la mer
Les variations passées (avant la période des mesures instrumentales) du niveau de la mer sont estimées de manière indirecte, à partir d’informations issues d’archives sur les fossiles (récifs coralliens, débris de plages émergées), les sédiments (sédiments marins) et les fouilles archéologiques (structures portuaires). La combinaison des trois sources d’informations est utilisée pour reconstruire les variations passées du niveau de la mer sur plusieurs dizaines de millions d’années (Masson-Delmotte et al. 2013) :
(1) la mesure du rapport isotopique de l’oxygène (rapport 18O/16O) contenu dans les sédiments marins. Cela permet d’estimer le volume des glaces continentales, donc les variations de masse de l’océan. Les variations du volume des glaces continentales modifient la composition isotopique de l’eau de mer, donc la composition isotopique de la calcite d’espèces marines contenues dans les carottes de sédiments marins (Siddall et al. 2006 ; Rohling et al. 2007). Cette méthode permet d’estimer les variations du volume d’eau des océans jusqu’à 80 millions d’années dans le passé, après correction des effets des variations de température de l’océan (Cramer et al. 2009; MassonDelmotte et al. 2013).
(2) La stratigraphie séquentielle permet d’estimer les dépôts sédimentaires qui se produisent sur les marges continentales lors des fluctuations successives du niveau de la mer. Ces marges continentales enregistrent ainsi les variations des lignes de rivage, donc du niveau de la mer relatives sur les dernières centaines de millions d’années (Vail et al. 1977; Haq and Al-Qahtani, 2005; Haq and Schutter, 2008).
(3) La datation des récifs coralliens fournit des enregistrements du niveau de la mer sur des échelles de plusieurs centaines de milliers d’années avec une précision de ±5 m (Bard et al. 1991, 2010).
Des temps géologiques au dernier interglaciaire (-125 000 ans)
La vitesse du niveau de la mer, sur des échelles de temps géologiques (plusieurs dizaines à plusieurs centaines de millions d’années) est particulièrement lente (avec une hausse de 0.01 mm/an). Le niveau de la mer présente de fortes variabilités, par fois supérieures à 100m. Ces variations sont principalement causées par les mouvements de la croûte terrestre (collision des continents, production de plancher océanique au niveau des dorsales océaniques) entraînant des changements de forme des bassins océaniques (Vail et al. 1977 ; Rowley, 2002 ; Cogné and Humler, 2004 ; Miller et al. 2005 ; Müller et al. 2008 ; Kopp et al. 2009, 2013 ; Raymo et al. 2011 ; Dutton and Lambeck, 2012 ; Lambeck et al. 2012 ; Raymo and Mitrovica, 2012).
Durant la période chaude du Pliocène moyen (il ya 3 à 3.3 millions d’années), le niveau de la mer était plus élevé qu’aujourd’hui d’environ 10 à 20m (Masson-Delmotte et al. 2013). Cela est principalement causé par une absence quasi totale de glace au Groenland (contribuant à environ 7m à la hausse du niveau de la mer) et en Antarctique de l’Ouest (plus quelques zones côtières de l’Antarctique de l’Est ; contribuant à ~7m à la hausse du niveau de la mer) (Naish et al. 2009 ; Kopp et al. 2009, 2013 ; Passchier, 2011 ; Thompson et al. 2011 ; Masson-Delmotte et al. 2013).
Au cours du dernier million d’années, les variations du niveau de la mer ont été dominées par celles du volume d’eau des océans causées par la dynamique (formation et fonte) des calottes de glace continentales. Le niveau de la mer sur cette période, présente des variations rapides (pouvant atteindre jusqu’à 40 mm/an sur quelques siècles) (Bard et al. 2010; Deschamps et al. 2012) et de fortes amplitudes (Rohling et al. 2009 ; Dutton et al. 2009 ; Miller et al. 2011). Cette période est marquée par une succession de glaciations (périodes froides d’une durée d’environ 100 000 ans en lien avec les variations de l’excentricité de la Terre autour du Soleil) et la formation des calottes de glace au nord de l’Europe et de l’Amérique. Cela entraîne une baisse du niveau de la mer de plus de 100 m (Raymo and Mitrovica, 2012 ; Lambeck et al. 2010). Ces glaciations sont interrompues par des périodes interglaciaires (chaudes). Durant ces périodes interglaciaires (la dernière date de -125 000 ans), les calottes de glaces continentales fondent complètement (à l’exception du Groenland et de l’Antarctique) et le niveau de la mer est proche de l’état actuel (Masson-Delmotte et al. 2013).
De la dernière glaciation (-20 000 ans) au dernier millénaire
Le dernier maximum glaciaire il y a 20 000 ans, a été suivi par une période de fonte des grandes calottes de glace qui recouvraient le nord de l’Amérique et de l’Europe, causant une remontée du niveau de la mer de ~130 m en moyenne pendant environ 13 000 ans (jusqu’en environ -7000 ans), soit une hausse de 10 mm/an (Lambeck et al. 2002; Masson-Delmotte et al. 2013). Sur la période allant de -7000 à -3000 ans, le niveau de la mer a augmenté moins vite (de 2 à 3m) (Masson-Delmotte et al. 2013), avec des fluctuations de moins de 25 cm sur quelques siècles (Woodroffe et al. 2012), puis s’est stabilisé il y a environ 2000 à 3000 ans (Milne et al. 2008 ; Lambeck et al. 2010 ; Masson-Delmotte et al. 2013). Au cours des 2000 dernières années avant le début de l’ère industrielle (au milieu du 18éme siècle), l’analyse des sites archéologiques (Lambeck et al. 2004) et la datation des microfossiles de marais maritimes (Miller et al. 2009 ; Kemp et al. 2011) montrent que le niveau de la mer global n’a pas connu de fortes variations (la tendance ne dépasse pas les 0.5 à 0.7 mm/an) (Masson-Delmotte et al. 2013).
Les variations du niveau de la mer : post-industrielle à nos jours
Les mesures instrumentales du niveau de la mer ont commencé au début de l’ère industrielle (il y a un peu plus de 2 siècles) à l’aide de marégraphes, et depuis le début des années 1990 avec les satellites altimétriques de grande précision.
Les marégraphes (~1750 – présent)
Pour faciliter l’accès des gros navires sur les ports, les premiers marégraphes ont été installés dans certains ports d’Europe du Nord-Ouest au cours du 18éme siècle, afin de mesurer le marnage causé par les marées (Wöppelmann et al. 2006, 2008, 2014a; Mitchum et al. 2010). Depuis le début du 19éme siècle, le nombre de marégraphes a augmenté dans les ports d’Europe du NordOuest, mais aussi d’Amérique du Nord. Les mesures marégraphiques ont commencé seulement à la fin du 19ème siècle dans l’Hémisphère Sud (Church et al. 2013 ; Wöppelmann et al. 2014b).
Au cours du 20éme siècle le réseau de marégraphes s’est élargi le long de certaines côtes continentales et sur quelques îles, mais avec une répartition géographique non homogène, largement dominée par l’Hémisphère Nord (Wöppelmann et al. 2007, 2014b ; Holgate, 2007 ; Ray and Douglas, 2011 ; Church et al. 2013). De plus, la couverture temporelle de la majorité des séries marégraphiques fait défaut. Cela est lié à des absences de données de plusieurs années de mesures (Wöppelmann et al. 2006, 2014b ; Jevrejeva et al. 2006, 2008; Church and White, 2006, 2011). Une autre difficulté vient du fait que les marégraphes fournissent une mesure relative du niveau de la mer par rapport à une référence locale (car en plus du changement de niveau de la mer et de sa variabilité, ils enregistrent aussi les mouvements verticaux de la croûte terrestre) (Wöppelmann et al. 2007, 2013 ; Wöppelmann and Marcos, 2016 ; Hamlington et al. 2016). Ces mouvements verticaux sont soit induits par la tectonique des plaques, le rebond postglaciaire (GIA -Glacial Isostatic Adjustment- ), l’affaissement du sol dans les deltas de grands fleuves sous l’effet du poids des sédiments fluviaux, ou encore par les activités humaines (l’extraction des eaux souterraines et des hydrocarbures entraînant l’enfoncement des sols) (Wöppelmann et al. 2007, 2009 ; Santamaria et al. 2014 ; Wöppelmann and Marcos, 2016 ; Hamlington et al. 2016 ; Spada, 2016).
L’analyse des quelques longues séries marégraphiques de qualité (en tenant compte de la couverture inhomogène dans l’espace et dans le temps des données de marégraphes et en corrigeant les mouvements verticaux de la croûte terrestre) indique qu’au cours du 20ème siècle, le niveau moyen global de la mer (GMSL -global mean sea level- en anglais) s’est élevé à une vitesse moyenne de 1.7 mm/an (Church and White, 2006, 2011 ; Collilieux and Wöppelmann, 2011 ; Wöppelmann and Marcos, 2012 ; Marcos et al. 2013 ; Church et al. 2013 ; Wöppelmann et al. 2014b ; Hamlington et al. 2016). Cela est illustré plus loin par la courbe bleue de la Fig.1.5 montrant l’évolution temporelle du GMSL (avec une tendance de 1.8 ± 0.6 mm/an sur la période 1900-1992) estimée à partir d’une reconstruction des données marégraphiques par Church and White, (2011). A noter cependant que quelques articles récents proposent une hausse du niveau de la mer au 20e siècle comprise entre 1.1 mm/an et 1.9 mm/an (Hay et al. 2013 ; Jevrejeva et al. 2014 ; Hamlington et al. 2016).
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Table des matières
Introduction
1. Les variations passées et actuelles du niveau de la mer
1.1 Les variations passées du niveau de la mer
1.1.1 Des temps géologiques au dernier interglaciaire (-125 000 ans)
1.1.2 De la dernière glaciation (-20 000 ans) au dernier millénaire
1.2 Les variations du niveau de la mer : postindustrielle à nos jours
1.2.1 Les marégraphes (~1750 – présent)
1.2.2 L’altimétrie spatiale (~1990 – présent)
1.3. Les causes des variations actuelles du niveau de la mer (20ème siècle et période altimétrique)
1.3.1 La hauteur stérique du niveau de la mer
a. Expansion thermique des océans
b. Le niveau de la mer halostérique
1.3.2 Les variations de masse de l’océan
a. La fonte des glaces continentales : glaciers et calottes polaires
b. Échanges d’eau avec les terres émergées et l’atmosphère
1.3.3 Les causes influant la variabilité régionale et locale du niveau de la mer
2. Bilan du niveau de la mer et estimation des contributions manquantes ou mal connues
2.1 Niveau de la mer altimétrique : inter-comparaison des produits CCI, AVISO, CU, NOAA, GSFC et CSIRO
2.2 Les contributions climatiques à la hausse du niveau de la mer
2.2.1 Contribution stérique à la hausse du niveau de la mer : données Argo
2.2.2 Contribution de masse de l’océan à la hausse du niveau de la mer : en utilisant les satellites de gravimétrie spatiale GRACE
2.3 Bilan du niveau moyen global de la mer (GMSL) : sur la période Argo/GRACE
2.3.1 Estimation des contributions manquantes à la hausse du niveau de la mer : contenu thermique de l’océan profond sur la période 2003-2012
Article inséré à la fin de la section 2.3.1 : Dieng et al. 2015a
2.3.2 Analyse des incertitudes des termes de l’équation bilan du niveau de la mer
Article inséré à la fin de la section 2.3.2 : Dieng et al. 2015b
2.3.3 Cycle global de d’eau : estimation de la contribution totale des eaux continentales à la hausse du niveau moyen global de la mer
Article inséré à la fin de la section 2.3.3 : Dieng et al. 2015c
2.4 Bilan du GMSL sur la période altimétrique (1993-2014)
Article inséré à la fin de la section 2.4 : Chambers D.P., Dieng H.B. et al. 2016
2.5 Amélioration des données niveau de la mer altimétriques du CCI
Article inséré à la fin de la section 2.5 : Ablain M., Dieng H.B. et al. 2016
3. Influence d’ENSO (El Niño et La Niña) sur la variabilité interannuelle du niveau moyen global de la mer
3.1 Le phénomène ENSO : El Niño & La Niña
3.2 L’influence d’El Niño et de La Niña sur le niveau de la mer et la variation de masse du Pacifique tropical Est
Articles insérés à la fin de la section 3.2 : Cazenave A., Dieng H.B. et al. 2012 Dieng H.B. et al. 2014
4. Evolutions récentes de la température moyenne de la Terre et du niveau de la mer
4.1 Le système climatique au cours des années 2000
4.2 Evolution de la température moyenne globale de surface de la Terre et du contenu thermique des océans; déséquilibre énergétique du système climatique au cours des années 2000
Article inséré à la fin de la section 4.2 : Dieng et al. 2017
4.3 La hausse du niveau moyen global de la mer (GMSL) durant les années 2000
Article inséré à la fin de la section 4.3 : Cazenave A., Dieng H.B. et al. 2014
Conclusion et Perspectives
Bibliographie
Annexe