Les vaccins représentent l’un des progrès majeurs de l’Histoire pour la santé publique, concrétisant notamment l’éradication de la variole en 1980. Les premiers vaccins étaient développés à partir de pathogènes entiers atténués ou inactivés, ce qui présentait alors l’avantage d’une grande efficacité, au prix d’un certain nombre d’effets indésirables. Au fur et à mesure des avancées réalisées dans ce domaine, les vaccins ont naturellement évolué vers des prototypes plus sûrs, constitués de sous-unités de pathogènes, appelées antigènes. Le gain en sécurité de ces nouveaux candidats s’est vu compensé par un cruel manque d’immunogénicité, imposant l’ajout d’adjuvants. Ceux-ci ont pour but d’augmenter l’immunogénicité des antigènes par plusieurs moyens, en délivrant un signal de danger aux cellules immunitaires afin de les activer et en vectorisant l’antigène auprès de leur cible. L’objectif de ces formulations vaccinales est de générer de puissantes réponses immunitaires, comme le faisaient les vaccins historiques. Ces réponses immunitaires se traduisent par une médiation humorale à l’origine de la production d’anticorps permettant de neutraliser les pathogènes circulants, ainsi que par une médiation cellulaire destinée à éliminer les cellules infectées par des pathogènes intracellulaires. A l’heure actuelle, les principaux adjuvants autorisés pour une utilisation chez l’homme génèrent exclusivement une réponse immunitaire de type humoral. Bien que cela soit suffisant pour certains pathogènes, d’autres comme le VIH requièrent une immunité cellulaire indispensable à l’élimination du virus persistant dans les cellules infectées. Dans ce contexte, les adjuvants de vaccin sont en plein essor dans le but d’identifier de nouveaux candidats plus performants permettant de répondre à ce manque d’immunogénicité, tout en s’attachant à conserver un bon profil de sécurité. Une large gamme de vecteurs de différentes natures et propriétés ont alors vu le jour. Parmi ceux-ci, les vecteurs de type NLC (nanostructured lipid carriers) sont d’un grand intérêt. Ces vecteurs n’ont été que récemment développés, de manière à combiner les avantages des autres vecteurs en s’affranchissant de leurs inconvénients. Ces candidats stables, sûrs, biocompatibles et faciles à produire n’ont néanmoins été que très peu exploités pour des applications de vaccins, en faveur de la délivrance de médicaments. Par conséquent, l’utilisation de NLC pour la délivrance d’antigènes a tout intérêt à être explorée, ce que nous nous sommes employés à faire au cours de ce travail de thèse.
Les vaccins et le système immunitaire
Les vaccins : comment se défendre contre les pathogènes
Contexte historique et découverte
Les grandes épidémies
L’Histoire a connu un grand nombre d’épidémies, certaines dévastatrices, qui ont été favorisées par le manque d’hygiène de l’époque. Les premiers écrits relatant la propagation de maladies infectieuses datent de l’Antiquité et décrivent les fléaux tels que la peste ou la variole. Thucydide rapporte en 430 avant JC dans «L’histoire de la guerre du Péloponnèse » comment la terrible peste d’Athènes a emporté près de 30 000 Athéniens, soit à l’époque un à deux tiers de la population . Il décrit une maladie à laquelle il survécut, causant de violentes fièvres accompagnées de saignements au niveau de la gorge et de la langue et suivis par l’apparition d’ulcères. Plus tard, c’est au tour de l’Empire Romain d’être touché par un épisode de peste dite antonine (d’après la dynastie des Antonins) en l’an 165 après JC, amenée par les soldats de retour de Mésopotamie. Il est estimé que cette épidémie causa près de 5 millions de morts au sein de l’Empire. Les symptômes décrits, notamment les nombreuses éruptions cutanées sous la forme de pustules, suggèrent que la variole est à l’origine de cette épidémie, plutôt que la peste. La première pandémie de peste bubonique remonte à l’Empire Byzantin en l’an 541, et est caractérisée par l’apparition de bubons (inflammation intense d’un ganglion lymphatique généralement observée au niveau de l’aine ou de l’aisselle), la nécrose de la main et la septicémie . Connue sous le nom de peste justinienne, d’après l’empereur Justinien I, elle trouve son origine en Ethiopie et se propage par l’Egypte vers Jérusalem avant d’atteindre Constantinople par bateau en suivant les routes du commerce. C’est à Constantinople que la maladie fit le plus de dégâts, causant jusqu’à 5 000 à 10 000 morts par jour selon les estimations. Les victimes furent si nombreuses qu’il fût impossible de les inhumer et les corps furent entassés dans les églises et les tours de la ville afin d’être brûlés. Au cours des années qui suivirent, la peste se propagea en Italie, en France, dans la vallée du Rhin et au nord jusqu’au Danemark et en Irlande, puis à l’est en direction de l’Asie. A l’échelle mondiale, cette pandémie tua près de 100 millions de personnes. La deuxième pandémie de peste bubonique apparût bien plus tard en 1346 sous le nom de peste noire et se répandit depuis l’Asie en direction de l’Europe en suivant la route de la soie, par des rats contaminés, des soldats et le commerce . La maladie se manifesta aussi sous sa forme pulmonaire, plus mortelle et contagieuse que la forme bubonique, entraînant la mort en quelques jours. En conséquence, entre 30 et 50 % de la population européenne fût tuée en l’espace de 5 ans, soit environ 25 millions de victimes.
A cette époque, les maladies infectieuses et contagieuses se propagent très vite et facilement, en raison des conditions d’hygiène, notamment l’absence d’eau potable, et de l’inexistence de traitements. Ces épidémies sont par conséquent particulièrement redoutées par l’ensemble des classes sociales, car les maladies touchent sans discrimination les pauvres comme les riches, même les rois. Au cours de ces épidémies, il est remarqué que ceux qui survivent à une maladie semblent résister aux infections futures et sont les seuls capables d’approcher et soigner les malades . Ces observations sont les prémices de la conscience de notre système immunitaire et serviront de base pour le développement des vaccins.
La variolisation
Le premier traitement préventif contre une maladie infectieuse a été mis au point dans un contexte d’épidémie de variole. La variole est une maladie infectieuse causée par un virus, transmise par simple contact avec un individu infecté. La maladie produit une fièvre intense suivie d’éruptions de multiples pustules sur la totalité du corps et causant finalement la mort dans 30 % des cas. Afin de protéger les personnes de la maladie, le procédé de variolisation fût développé en Asie au Xème siècle. Les chinois réduisaient en poudre des extraits de pustules de variole et les administraient par inhalation à des individus sains. En inde, un processus similaire était appliqué avec une administration cutanée . Cette technique consiste en fait à inoculer le virus de la variole vivant et virulent à des personnes saines, qui dans la plupart des cas ne développent que des symptômes diminués de la maladie pendant quelques jours avant d’être protégés. Ce procédé est néanmoins risqué avec un taux de mortalité d’environ 1 à 2 %, mais qui demeure bien moindre qu’en cas d’épidémie avec 20 à 30% de mortalité. Au cours du procédé de variolisation, les individus sont contagieux donc isolés pour éviter la transmission du virus et une nouvelle épidémie. Les bénéfices de la variolisation traversent alors les frontières : elle apparaît en Egypte au XIIIème siècle, puis en Afrique au XVIIème siècle et enfin en Europe et en Amérique au début du XVIIIème siècle. La variolisation fût acceptée en France en 1774 après que Louis XV meurt de la variole .
La vaccination
A la fin du XVIIIème siècle, malgré la variolisation l’Europe est touchée par une grave épidémie de variole qui contamine près de 60 % de la population. Les survivants sont quant à eux défigurés par les cicatrices laissées par les pustules . Cependant, il se trouve que les fermiers ayant été contaminés par la « vaccine », ne sont pas atteints par la variole. La vaccine est en fait une maladie infectieuse des bovidés causée par un virus de la même famille que celui de la variole. Sur ces observations, le médecin Edward Jenner fait alors l’hypothèse que la vaccine peut protéger l’homme de la variole. En 1796, afin de tester son hypothèse il récolte du pus issu de pustules de vaccine sur une fermière et l’inocule à James Phipps, un enfant de 8 ans. L’enfant ne développe alors que de légers symptômes (lésions bénignes, fièvre). Trois mois plus tard, Jenner inocule cette fois-ci à l’enfant la variole humaine par le procédé de variolisation, qui ne déclare pas la maladie et ne montre aucun symptôme. Jenner en conclut alors que l’enfant est protégé grâce à la « vaccination », terme choisi en référence à la vaccine. Après avoir confirmé ses résultats sur d’autres sujets, Jenner décrit en 1798 son nouveau procédé et préconise de l’utiliser comme traitement préventif de la variole en prélevant directement la lymphe dans les pustules de vaches . Bien que suscitant de nombreuses critiques, la vaccination finit par être reconnue comme étant beaucoup plus sûre que la variolisation, et la pratique se généralise rapidement à toute l’Europe. En effet, les effets indésirables de la vaccination sont bien moindres, avec une estimation de seulement 1 cas mortel sur 1 million. La grande différence entre la variolisation et la vaccination est que dans le premier cas on inocule directement le virus humain, tandis que dans le deuxième cas le virus provient d’une autre espèce et est transmissible à l’homme avec peu de symptômes. Le virus de la vaccine est suffisamment proche de celui de la variole pour induire une protection de la même manière que par le procédé de variolisation, avec pour avantages un risque moindre de contamination et des symptômes beaucoup plus légers .
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : Les vaccins et le système immunitaire
I.1 Les vaccins : comment se défendre contre les pathogènes
I.1.1 Contexte historique et découverte
a. Les grandes épidémies
b. La variolisation
c. La vaccination
I.1.2 L’évolution des vaccins
a. Généralisation de la vaccination avec les premiers vaccins atténués
b. L’essor des vaccins atténués et inactivés
c. Les vaccins modernes
I.2 Les réponses du système immunitaire
I.2.1 Systèmes immunitaires inné et adaptatif
I.2.2 Les acteurs du système immunitaire
I.2.3 Les différentes phases de la réponse immunitaire
a. La phase d’identification du pathogène
b. La phase effectrice
c. La phase de régulation : les lymphocytes T régulateurs
d. La phase de mémoire immunologique
CHAPITRE II : Les adjuvants de vaccins
II.1 L’alum : le premier adjuvant
II.2 Les immunostimulants inducteurs de signaux de danger
II.2.1 Activation des Toll-like récepteurs (TLR)
a. Les TLR-1, TLR-2 et TLR-6 reconnaissent des protéines de surface de pathogènes
b. Le TLR-4 reconnaît des sucres de surface de pathogènes
c. Le TLR-5 reconnaît des protéines bactériennes
d. Les TLR-3, TLR-7/8 et TLR-9 reconnaissent des acides nucléiques viraux
II.2.2 Les autres récepteurs : CLR, NLR et RLR
a. Les C-type lectin récepteurs (CLR)
b . Les NOD-like récepteurs (NLR) et (RIG-1)-like récepteurs (RLR)
II.3 Les vecteurs pour la délivrance d’antigènes
II.3.1 Les propriétés physico-chimiques clés des vecteurs
a. L’effet de la taille des particules
b. L’effet du revêtement de surface des particules
II.3.2 Les différentes classes de vecteurs utilisés en vaccin
a. Les émulsions
b. Les liposomes
c. Les virosomes
d. Les virus-like particles (VLP)
e. Les vecteurs bactériens atténués
f. Les ISCOM
g. Les vecteurs polymériques
h. Les nanoparticules lipidiques solides (SLN) et nanostructurées (NLC)
II.4 Les adjuvants commercialisés et en essais cliniques
CHAPITRE III : Innovation technologique au service des vaccins
III.1 Les enjeux des vaccins du XXIème siècle
III.1.1 Une couverture vaccinale suffisante
III.1.2 La perte de confiance envers les vaccins
III.1.3 Les perspectives des vaccins
III.2 Le cas particulier du VIH
III.2.1 Présentation du VIH
a. Le VIH et ses sous-groupes
b. Description de la particule virale
III.2.2 Le cycle de vie du VIH
a. La transmission du virus
b. Le cycle de réplication du virus
III.2.3 Le traitement du VIH
a. Les symptômes de la maladie
b. La thérapie antirétrovirale
III.2.4 Les attentes d’un vaccin anti-VIH
III.3 Définition du matériel et des objectifs de la thèse
III.3.1 Définition des Lipidots®
III.3.2 Enoncé des objectifs de la thèse
RESULTATS
CONCLUSION GENERALE