Les usages et les services écosystémiques de la mangrove

L’objectif de cette thèse est d’analyser l’évolution des mangroves du sud du Sénégal au cours des 60 dernières années et d’étudier les facteurs des dynamiques identifiées. Cette recherche s’inscrit dans un contexte international de recul à peu près généralisé des mangroves (FAO, 2007, Van Lavieren, 2012). En Afrique la mangrove couvre, selon la plupart des estimations, une superficie d’environ 3,2 millions d’hectares, ce qui représente environ 19% de la superficie totale de mangrove de la planète. Le littoral atlantique africain occidental de la Mauritanie à l’Angola accueille 1,9 millions d’hectares soit 63 % des mangroves de la planète. Au Sénégal la superficie couverte est estimée à 1287 km², en déclin par rapport à 1980 année où elle était estimée à 1680 km² (Corcoran et al., 2007).Celle de la Casamance n’est pas en reste. Ici, les superficies de la mangrove qui étaient estiméesà150.000 ha au début des années 1980ne couvraient en 2006 que 83.000ha (Bos et al., 2006).Il y a donc une forte perte des surfaces de mangrove dont les causes s’expliquent par une série de facteurs naturels et humains. Il s’agit en premier lieu des modifications climatiques (IPCC, 2014) qui depuis les années 1970 ont engendrées des années de sécheresse sur toute la zone sahélienne dont la Casamance. Les manifestations notées sur nos sites de recherche sont une baisse de la pluviométrie et du débit des cours d’eau, une hausse des températures ainsi que de l’évaporation. Cette situation a favorisé l’invasion d’eaux salines et réduit l’espace favorable à la mangrove. Le phénomène a par ailleurs été aggravé par la mise en œuvre d’aménagements hydro-agricoles entrainant des coupes de la mangrove et la construction de routes qui bloquaient la circulation de l’eau à l’intérieur des terres. Ils s’y ajoutent, enfin, l’impact des mouvements démographiques qui découlent de la sécheresse, celui de la crise politique qui oppose le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC) à l’Etat du Sénégal et l’annexion de surfaces de mangroves destinée à l’extension des villes dont les populations en constante augmentation ne cessent de la surexploiter.

La Basse Casamance : un long conflit et un développement économique sous la contrainte géopolitique

La résistance au pouvoir central en Casamance a connu un rebondissement après l’indépendance du Sénégal en 1960. Des considérations politiques vont alors amener le président Léopold Sédar Senghor à infléchir son programme initial. Après s’être appuyé sur les campagnes – et notamment celle de la Casamance – pour vaincre son adversaire Lamine Gueye de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), il va modifier la donne en se préoccupant davantage de la situation des villes en pleine explosion démographique et menacées de fortes tensions sociales liées à la flambée des prix des denrées de premières nécessité. L. S. Senghor fait le choix du riz importé à bas prix, les importations étant financées par les revenus de l’exportation de l’arachide. Les « marabouts de l’arachide », grands pourvoyeurs de voix aux élections, sont ainsi favorisés. Ce choix politique se fait au détriment des paysanneries paysannes et des cultures vivrières désormais concurrencées par les importations. La conséquence de ces choix, et notamment la crise financière que connaît le Sénégal à la fin des années 70, aggravée par la sécheresse, amène l’État, sous ajustement structurel, à rechercher de nouvelles sources de devises. C’est alors qu’on redécouvre les potentialités agricoles casamançaises et qu’on découvre aussi de nouvelles potentialités : le bois, la pêche, le tourisme et même du pétrole (Marut, 1995). L’afflux de capitaux et d’hommes généré par ces découvertes va se traduire non seulement par un développement des infrastructures hydrauliques mais aussi par de grandes frustrations et des conflits sociaux au niveau local. La multiplication des échecs des sociétés d’intervention et des projets de développement, l’insuffisance chronique des infrastructures et la «sénégalisation » croissante de l’administration, de la pêche, de la terre et du commerce vont accentuer les tensions entre les autochtones et les nouveaux venus (Darbon, 1985). Ces faits s’accompagnent de la montée de sentiments de rejet à l’égard des « Nordistes », davantage présents dans les services administratifs et considérés comme des accapareurs de terres, de richesses et d’emplois. En effet, en se référant aux frontières notamment avec la Gambie et la Guinée Bissau et au travers de sa situation géographique, la Casamance présente une particularité. Elle est coupée du reste du territoire étatique par le territoire d’un autre Etat : La Gambie, ancienne colonie britannique. Cette situation engendre ainsi une perception d’un espace casamançais à la fois séparé du Sénégal et dont 90 % des limites sont des frontières internationales. Une marche de revendication indépendantiste est alors organisée par le MFDC à Ziguinchor le 26 décembre 1982. Elle est fortement réprimée par l’armée sénégalaise et se solde par la mort de six gendarmes égorgés (Gueye, 2001). La répression sanglante qui s’en est suivie a marqué le point de départ de l’affrontement entre les rebelles du MFDC et l’armée sénégalaise. C’est à la suite de cet événement que les insurgés ont pris le chemin du maquis déclenchant ainsi le conflit qui oppose depuis le MFDC au gouvernement sénégalais, le MFDC revendique l’indépendance de la Casamance (Dramé, 1998). Le discours séparatiste exploite les hésitations de la France quant au statut du territoire casamançais au sein de son empire (Darbon, 1988). Le territoire casamançais était-il une colonie indépendante, une région rattachée au Sénégal ou rattachée à la Guinée Bissau ? Dans tous les cas la Casamance a connu plusieurs statuts (district, territoire). Mais c’est le statut spécial de « cercle » que le MFDC retient pour affirmer que la Casamance était avec le Sénégal et non pas dans le Sénégal (Marut, 1995). En 2015 la situation reste tendue malgré les accords de paix et des tentatives de compromis si bien que les problèmes économiques et sociaux demeurent entiers.

Les impacts du conflit : un retard économique et des déplacements de populations 

Le conflit casamançais maintient ainsi la région dans une situation de « ni guerre ni paix » depuis plus de 30 ans. Il a occasionné beaucoup de dégâts humains et économiques avec entre autre une paralysie presque totale de tous les secteurs de développement. Du point de vue humain les affrontements ont occasionné beaucoup de blessés, des milliers de morts et de déplacés. C’est le début des déplacements forcés des populations de leurs villages, une généralisation de l’insécurité, des basculements brutaux dans la vie des familles. C’est aussi l’éclatement des familles et l’apparition des orphelins de guerre. Au rang des blessés on dénombre les mutilés qui deviennent de surcroît des handicapés, réduisant ainsi leur force de travail à une situation de dépendance. Le déplacement des populations d’une localité à une autre, d’une zone de conflit à une zone stable, a entraîné un abandon des richesses générées sur le territoire d’origine mais a aussi transformé ces populations en réfugiés, manquant de repères sociaux et culturels.

Du point de vue économique cette situation de guerre civile larvée a appauvri la région à cause de la fermeture de multiples unités de production et de la disparition de la main d’œuvre qualifiée qui a émigrée. Par ailleurs, la population habituée à collecter des produits de la forêt pour sa propre consommation et pour la vente, a désormais un accès limité à ce milieu à cause de la présence de mines anti personnel et des combattants de l’aile armée du MFDC. L’insécurité générale a également conduit au départ d’ONG, de structures étatiques d’encadrement, de recherche, d’administration et finalement à l’arrêt ou au report de nombreux projets de développement. Du point de vue environnemental les déplacés ont été contraints de se tourner vers la mangrove et ses ressources halieutiques pour notamment satisfaire à leurs besoins alimentaires. Cela occasionne une surexploitation de ces ressources attestée par le déclin des prises enregistrées ces 30 dernières années (IDEE Casamance, 2008).

Le contexte géographique et le développement de la problématique 

La mangrove de Basse Casamance a vu sa superficie diminuer sensiblement depuis une soixantaine d’années dans le secteur des villes de Ziguinchor, Tobor et Niaguis, victime de trois types d’atteintes : l’augmentation des prélèvements de ressources naturelles les aménagements hydrauliques associés aux essais de développement agricoles et l’expansion urbaine. D’une façon générale, nous nous demanderons comment concilier, d’une part, la gestion conservatoire des mangroves dans un contexte marqué par des changements climatiques, politiques et socio-économiques et, d’autre part, l’exploitation des ressources de la mangrove dans la perspective d’un développement durable.

La mangrove de Basse Casamance : une pression humaine forte et récente 

Les sources anciennes signalent fort peu le potentiel économique des mangroves et leur exploitation par les populations vivant le long des littoraux. Souvent décrites comme insalubres, voire dangereuses, les mangroves étaient, au mieux, considérées par les occidentaux comme inutiles (Tengberg, 2005 ; Cormier-Salem, 2015).

L’histoire de la relation qui existe entre la mangrove et la population dans notre secteur d’étude s’articule autour de trois idées fondamentales :
➤ Des usages traditionnels sans conséquences notables sur la disponibilité des ressources de la mangrove.
➤ Une crise à partir des années 1970 causée par la sécheresse dans la bande du Sahel, le début de l’exode rural des jeunes dans les années 1950, l’application de la loi sur le domaine national de 1964, les troubles politiques en Casamance à partir de 1982 avec comme conséquences des déplacements de populations et de nouvelles formes d’usage plus destructrices pour la mangrove.
➤ A partir des années 1990 le retour d’une situation climatique plus favorable (Sané et al., 2011; Andrieu et al., 2008) et l’amorce d’une réflexion sur la gestion conservatoire à laquelle participe les organismes de développement et ceux impliqués dans la restauration.

La mangrove est un écosystème et un espace aquatique géré collectivement selon la tradition (Cormier-Salem, 1992). Elle appartient à l’ensemble de la communauté qui l’exploite suivant les règles traditionnelles établies par l’ensemble des habitants depuis des générations (Diaw, 1985). La fixation des périodes de récoltes des huîtres ou encore celle des zones de repos biologique des poissons sont entre autres des exemples de pratiques respectées suivant un code coutumier (Cormier Salem, 1989). Ainsi, l’extension de la mangrove durant la période des explorations faites par les navigateurs et les commerçants européens et même jusqu’aux années 1950 est remarquablement commentée par les anciens explorateurs portugais et français et par les personnes ayant encore gardé des souvenirs anciens de ce milieu (Pélissier, 1966 ; Cormier Salem, 1989, 1994, 1999 ; Bosc, 2005). Ces principes de gestion ont connu des changements depuis la sécheresse des années 1970, avec la réalisation d’aménagements hydro-agricoles (loi sur le domaine national) et l’accroissement de la population urbaine.

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Table des matières

Introduction générale
La Basse Casamance : un long conflit et un développement économique sous la contrainte géopolitique
Les impacts du conflit : un retard économique et des déplacements de populations
Chapitre 1 : Le contexte géographique et le développement de la problématique
1.1. La mangrove de Basse Casamance : une pression humaine forte et récente
1.2. Les fondements scientifiques de l’étude
1.3 L’analyse des concepts
Conclusion chapitre 1: les hypothèses de travail et les axes de la recherche
Chapitre 2 : La méthodologie et les outils de la recherche
2.1. La recherche bibliographique
2.2. La collecte des données de terrain
2.2.1. Les données statistiques, cartes et plans
2.2.2. Les photographies de terrain
2.2.3. Les sites de recherche
2.2.4. Les enquêtes de terrain
Conclusion chapitre 2
Chapitre 3 : Les caractéristiques physiques du terrain d’étude
3.1. L’histoire géologique de la Casamance
Les dépôts du Quaternaire, en revanche, sont observés sur l’ensemble du Sénégal là où les  conditions hydrologiques sont spécifiques. Ce sont par exemple les dépôts d’alluvions dans la vallée du fleuve Sénégal et les vases sur les estuaires du Saloum et de la Casamance
3.2. Les conditions climatiques
3.3. L’hydrographie : le fleuve Casamance et son bassin fluvial
3.4. Les sols et la végétation
3.5. La mangrove : un écosystème spécifique des régions tropicales
3.5.1. L’écologie de la mangrove
3.6. Les usages et les services écosystémiques de la mangrove
3.6.1. Les feuilles
3.6.2. Les racines et les graines
3.6.3. Le bois
3.6.4. Les relations entre mangrove et ressources halieutiques
3.6.5. Les relations entre palétuviers et production d’huîtres
Conclusion chapitre 3
Chapitre 4 : Les dynamiques démographiques et socio-économiques
4.1. Une dynamique urbaine historique impulsée par les Européens
4.1.1. Le cas de Ziguinchor
4.1.2. Le cas de Niaguis
4.1.3. Le cas de Tobor
4.2. Le dynamisme des activités socio-économiques
4.2.1. L’importance des transports
4.2.2. L’activité agricole
4.2.3. La pêche
4.2.4. Le commerce
4.2.5. Le tourisme
4.3. La nature du peuplement
4.3.1. La diversité ethnique
4.3.2. Historique de la diversité ethnique
4.3.3. Le droit foncier coutumier chez les populations autochtones
4.3.4. Le droit foncier colonial
4.3.5. Le droit foncier actuel
Conclusion chapitre 4
Chapitre 5 : Cartographie et quantification du recul de la mangrove
5.1. La méthodologie
5.1.1. Les données satellitaires
5.1.2. La classification des images satellitaires
5.1.3. Les données photographiques
5.1.4. Les traitements post-classification
5.2. L’Analyse de l’évolution spatiale de la mangrove
5.2.1. L’occupation du sol en 1957
5.2.2. L’occupation du sol en 1984
5.2.3. Evolution de la mangrove entre 1957 et 1984
5.2.4. L’occupation du sol entre novembre 2009 et mai 2010 (fig.29)
5.2.5. Evolution de l’occupation du sol de 1957 à mai 2010
Conclusion chapitre 5
Chapitre 6 : Une exploitation traditionnelle adaptée au contexte socioéconomique et environnemental jusqu’aux années 1960
6.1. La mangrove de Ziguinchor, Tobor et Niaguis : une exploitation classique jusqu’ à la fin des années 1960
6.1.1. Les anciennes techniques culturales
6.1.2. Les types de rizières et les techniques traditionnelles de nouvelle acquisition
6.1.3 Des coupes pour des usages différents
6.1.4. De petits circuits de pêche
6.1.5. Les grands circuits de pêche traditionnelle
6.2. L’exploitation des huîtres : le travail des femmes
6.2.1. Les règles liées à la cueillette
6.2.2. De la cueillette à la consommation des huîtres : une organisation spécifique
6.3. La production du sel
6.4. Une exploitation basée sur une connaissance des relations écologiques et un suivi généralisé des règles de gestion coutumière
6.5. La faiblesse de l’urbanisation avant 1960
6.6. Une quasi absence d’infrastructures industrielles et touristiques avant 1960
Conclusion chapitre 6
Conclusion générale

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