Les tyrannies de la livraison à domicile

L’explosion du e-commerce

Le marché : La vente sur internet ou e-commerce a considérablement bouleversé nos modes de vie et nos modes de consommation. Ce qu’hier nous achetions dans des boutiques ou commandions par correspondance est aujourd’hui accessible à tout moment, dimanche ou jour férié, à portée de clic. En phase avec les évolutions d’une société plus urbaine, moins motorisée et plus connectée, le e-commerce est aujourd’hui ancré dans nos modes de consommation et connaît une croissance qui ne faiblit pas (+14,6 % de chiffre d’affaire en 2016 d’après la Fevad, la Fédération du ecommerce et de la vente à distance). Depuis peu, le m-commerce, c’est-à-dire la vente sur l’internet mobile (téléphones portables et tablettes), prend le relais du ecommerce avec une croissance en 2016 de plus de 30% du chiffre d’affaire .Le e-commerce n’est aujourd’hui plus un marché de niche. Limité à 0,05% du commerce de détail en 1999, il représentait en 2016 8% du commerce de détail. Dans certains secteurs, le e-commerce possède des parts de marché beaucoup plus importantes, comme c’est le cas pour les produits culturels (physiques et dématérialisés) avec 43% de part de marché en 2016, ou encore l’habillement (16% de part de marché en 2016).
Les consommateurs : Aujourd’hui, une large palette de consommateurs a recours au e-commerce pour ses achats. Début 2017, 36,6 millions de français avaient déjà acheté sur internet, soit 82,7% des internautes. L’achat en ligne n’est pas réservé aux populations aisées, urbaines et jeunes. Comme l’illustre la figure 1, le taux de pénétration de l’achat en ligne au sein des internautes est très élevé, dans toutes les catégories de la population, même chez les plus de 65 ans (74,8%), et dans les différentes catégories socio-professionnelles. On assiste aussi à une banalisation de l’achat en ligne. Selon la Fevad, le panier moyen d’achat sur internet est en baisse chaque année et tend vers le panier moyen en magasin traditionnel. Début 2017 il est de 69€, en baisse de 5% par rapport au premier trimestre 2016. L’achat en ligne n’est plus un achat exceptionnel, on achète maintenant sur internet comme on achèterait dans un magasin physique.
Les sites marchands : L’éventail des sites marchands ne cesse de s’accroître avec +11% de sites marchands supplémentaires par an. Les consommateurs y trouvent leur compte puisque les e-commerçants offrent un choix de produits bien plus vaste et pratiquent des prix souvent moins élevé que les magasins physiques ne peuvent proposer, car ils n’ont ni frais de gestion de magasin, ni personnel de vente. C’est ainsi que certains e-commerçants se placent avec succès sur le segment du discount, et proposent des produits en promotion tout au long de l’année. C’est le cas de Cdiscount (2e site de e-commerce français) ou encore Venteprivée.com et Showroomprivé qui se placent sur le segment de la mode. Mais la vente par internet est aussi un moyen de contourner les circuits de distribution classiques et de mettre en place des circuits courts. Les consommateurs souhaitent de plus en plus savoir d’où proviennent les produits qu’ils consomment et créer du lien avec les producteurs. Des sites comme La Ruche qui dit Oui, permettant de commander sur internet des produits de différents agriculteurs ou artisans, témoignent de cette évolution des modes de consommation, favorisée par internet.

Les livraisons, indispensables à la survie des e-commerçants

        Le développement du e-commerce n’est pas sans impact sur la logistique urbaine. Tous les achats e-commerce n’engendrent pas de livraison, c’est le cas par exemple des produits culturels dématérialisés, des achats de billets d’avion ou de train. Mais pour de nombreux produits (habillement, électroménager, produits high-tech, produits culturels physiques,…), la livraison est la condition d’existence de ces transactions sur internet. Pour soutenir cette croissance du e-commerce, des livraisons fiables et efficaces sont donc nécessaires.  Malheureusement, les livraisons du e-commerce restent encore peu documentées car les études sur la logistique en ville prennent rarement en compte ce type de flux. Quelques estimations chiffrées existent cependant. La Fevad estime que le nombre de colis du e-commerce aux particuliers atteindrait 460 millions en 2016, un chiffre en croissance de 14% par rapport à 2015. Ces colis représenteraient une part non négligeable de la logistique urbaine puisque la livraison liée au e-commerce serait responsable de 26% des livraisons en ville en Ile-de-France. A New-York celle-ci représenterait déjà 36% des livraisons en ville, laissant entrevoir la part qu’elles pourraient prendre en France dans quelques années si le e-commerce français conserve sa dynamique de croissance. La livraison à domicile reste, avec la livraison en point relais, la solution plébiscitée par une majorité de consommateurs français. Une étude menée en 2017 par la Fevad montre que 85% des acheteurs en ligne avaient déjà eu recours à la livraison à domicile au cours des six derniers mois. Les livraisons en points relais sont aussi fréquemment proposées par les e-commerçants et très appréciées des consommateurs français (ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays). Les points relais sont des commerçants possédant un magasin physique, qui acceptent de réceptionner des colis contre une indemnisation. Les consommateurs se déplacent alors en point relais pour récupérer leurs colis. Selon cette enquête, 85% des acheteurs en ligne avaient eu recours à la livraison en point relais au cours des six derniers mois. Le retrait en magasin ou Click&Collect est pour le  moment nettement moins utilisé avec seulement 36% des e-acheteurs. Il nécessite l’existence d’un réseau de magasins physiques, ce que beaucoup de e-commerçants ne possèdent pas. La livraison en consigne fait quant à elle peu à peu son apparition : elle consiste à livrer dans des boîtes à colis sécurisées et accessibles 24 heures sur 24, souvent situées dans les gares ou les bureaux de poste.

L’impact sur les petits commerces

       Les petits commerces sont eux aussi fortement impactés par l’explosion de la vente en ligne, puisqu’ils sont directement concurrencés par de nouvelles entreprises qui exercent leur activité sur internet sans posséder les contraintes des magasins physiques : les pure players (Amazon, Vente-privée.com, etc.). Par petits commerces, nous n’entendons pas les chaînes de grands supermarchés qui ont réussi avec succès à implanter des supérettes dans les centres-villes (Carrefour city, Auchan A2pas, Franprix, Monop’ etc…) mais bien les petits commerces indépendants qui ne sont pas présents sur internet et ne bénéficient pas des économies d’échelle des grands groupes. Quel avantage reste-t-il à se déplacer en magasin lorsqu’on peut recevoir chez soi le même type de produit, au  même coût et parfois moins cher, et ceci sans payer la livraison? L’expansion tentaculaire du choix de produits disponibles sur internet et les livraisons gratuites et rapides mettent sérieusement en question l’avenir des petits commerces. La mairie de Paris s’est inquiétée du lancement d’Amazon Prime Now, à l’été 2016 dans la capitale. Ce service, réservé aux abonnés Premium du site internet, permet de se faire livrer en moins de 2h une multitude de produits, y compris des produits alimentaires (frais, surgelés, pain). La mairie considère que le service Prime Now peut « déstabiliser gravement les équilibres commerciaux parisiens » .Les mairies ont de quoi être inquiètes car ces petits commerces indépendants, déjà menacés par les grandes surfaces, donnent vie aux centres-villes et sont un élément d’attractivité important pour les habitants. Nous développerons en quatrième partie quelques propositions qui selon nous pourraient permettre aux petits commerces de tirer leur épingle du jeu.

La précarité de l’emploi

        Ce travail de livreur à vélo est avant tout décrié car c’est un travail précaire. Les micro-entrepreneurs sont des indépendants qui fournissent un service à leurs clients (les vendeurs et destinataires de la livraison). Mais les plateformes ne sont pas leur employeur et n’ont aucune obligation de leur fournir un nombre de courses minimum ou même une rémunération horaire minimale. Un coursier peut se voir déconnecté de la plateforme du jour au lendemain et perdre sa source de revenu. De plus, il ne dispose pas de congés payés et doit donc lui-même économiser s’il souhaite prendre des jours de repos. Lorsqu’il ne travaille pas, le livreur n’est pas payé et risque de voir sa notation sur la plateforme se dégrader.

La réponse législative : la loi El-Khomri

      La France a voulu apporter une réponse législative aux critiques formulées à l’égard du statut de micro-entrepreneur tout en permettant au modèle des plateformes d’exister et de rester viable. L’article 60 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi El-Khomri, s’applique aux « travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique ». Cet article 60 de la loi El-Khomri, suivi d’un décret d’application publié le 4 mai 2017 pendant l’entre-deux tours des présidentielles, accorde plus de protections sociales aux micro-entrepreneurs travaillant pour des plateformes. Ces protections seront applicables à partir du 1er janvier 2018. Les plateformes qui « déterminent les caractéristiques de la prestation de service fournie » et « fixent le prix » de la prestation ont une responsabilité sociale envers les travailleurs qui se connectent à cette plateforme. Cette responsabilité sociale comprend un équivalent du droit de grève, puisque les « mouvements de refus concerté [des travailleurs] de fournir leurs services […] ne peuvent, sauf abus, ni engager leur responsabilité contractuelle, ni constituer un motif de rupture de leurs relations avec les plateformes, ni justifier de mesures les pénalisant dans l’exercice de leur activité ». Les travailleurs des plateformes bénéficient aussi « du droit de constituer une organisation syndicale, d’y adhérer et de faire valoir par son intermédiaire leurs intérêts collectifs ». Enfin, les travailleurs de ces plateformes électroniques qui ont un chiffre d’affaire annuel supérieur à un certain seuil (de l’ordre de 5000€), verront leurs cotisations d’assurance accident du travail remboursées par la plateforme ainsi que leur contribution à la formation professionnelle. L’article 60 de la loi El-Khomri dénote une réelle volonté politique de faire perdurer les plateformes collaboratives. Les pratiques de ces plateformes étaient jusqu’ici dans une zone grise juridique et la loi El-Khomri a sécurisé ces plateformes sur le plan juridique tout en cherchant à mettre fin aux critiques du modèle social de ces entreprises. Cette sécurisation a été très bien accueillie par les plateformes. Ces protections semblent aller dans le bon sens mais sont-elles suffisantes? Une récente enquête montre que la sociologie des livreurs à vélo évolue et que de plus en plus de livreurs exercent ce travail à temps plein. Ce statut et ces protections sont-elles suffisantes pour ces nouveaux travailleurs?

Où sont les charges patronales?

       Le recours aux travailleurs indépendants soulève la question des charges sociales payées par l’entreprise. En effet une entreprise qui emploie des salariés doit payer des charges patronales sur le salaire dit « super-brut ». Ces charges sont notamment reversées à l’Urssaf et servent à financer notre système de protection sociale (assurance maladie, assurance vieillesse ou encore allocations familiales). Une fois ces charges prélevées, le salaire brut est aussi amputé de nouvelles charges (de l’ordre de 22% dans le privé, un pourcentage donc similaire aux prélèvements de charges sociales des micro-entrepreneurs). Les plateformes ne paient quant à elles pas de cotisations patronales sur le travail des livreurs car ceux-ci ne sont pas salariés. Ne retrouverait-on pas là les 20 à 30% de baisse de coûts que ces plateformes sont supposées apporter par rapport à une livraison classique ? Dans le secteur du transport de passager, l’entreprise Uber a bien compris l’intérêt de ce statut du micro-entrepreneur. L’Urssaf, qui estime avoir établi la preuve qu’Uber a recours à du salariat déguisé, a engagé deux procédures à l’encontre de l’entreprise californienne à la rentrée 2015. L’une au pénal pour travail dissimulé par contournement de statut, et l’autre devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale, pour exiger le remboursement des cotisations patronales non perçues. Cette procédure pourrait mettre 5 à 6 ans à aboutir si l’affaire va en cour d’appel et en cour de cassation33. Ces entreprises ayant recours à des indépendants ont-elles vraiment un mode de fonctionnement différents des entreprises traditionnelles, et les travailleurs sont-ils vraiment indépendants ? On peut questionner l’impact de ces plateformes sur le reste de l’économie. Des entreprises plus traditionnelles proposent aussi de la livraison à vélo comme La Petite Reine, rachetée par Star’s service. Comment peuvent-ils concurrencer des entreprises de livraison comme Stuart ? Les plateformes n’exerceraient-elles pas de la concurrence déloyale en ayant recours à des micro-entrepreneurs? Ne profiteraient-elles pas d’un coût du travail artificiellement bas? La plateforme Deliveroo dit faire appel à une flotte de plus de 7000 livreurs, ce qui n’est pas négligeable. Ne court-on pas le risque de voir d’autres entreprises se convertir à l’auto-entreprenariat ? Le financement de notre modèle social ne serait-il pas remis en cause par une généralisation du microentreprenariat ?

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Table des matières

Introduction
Démarche
1. Le e-commerce et l’avènement de la livraison à domicile
a. L’explosion du e-commerce
b. La tyrannie de la livraison
c. L’impact sur les petits commerces
2. L’émergence d’une nouvelle économie
a. De nouveaux acteurs : les plateformes
b. Un modèle social qui suscite de vives critiques
c. Une concurrence déloyale?
d. Des rapports de force qui évoluent
3. Le modèle des transporteurs traditionnels bousculé
a. Le modèle social des transporteurs du dernier kilomètre
b. Le e-commerce intensifie la pression sur les coûts
c. Les solutions apportées par les transporteurs : un virage stratégique?
d. Le chauffeur-livreur est la véritable variable d’ajustement
4. Propositions
a. Les livreurs micro-entrepreneurs de plateformes
b. Mieux réguler le secteur du transport de colis
c. Accompagnons les petits commerces !
d. Sensibilisons le consommateur!
Epilogue
Conclusion

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