LES TYPES DE SELFIE
Dans ce contexte, afin de répertorier les grandes catégories de selfie, je propose d’identifier les différents types de contexte derrière le partage de ceux-ci sur les réseaux sociaux. Le tableau suivant met en lumière les types de moments, de contextes et d’occasions durant lesquels les usagers ont le désir de se prendre en photo pour potentiellement partager leur vie sur les réseaux sociaux. Ainsi, le tableau propose quatre catégories d’auto représentations basées sur les motivations communicationnelles de l’image proposée et les métadonnées qualitatives, soit les mots-clics qui leur sont rattachés. Je tente ainsi d’expliciter les différents types de circonstances prédisposant au geste selfique. De la sorte, je me permets d’inscrire les prises de vues immersives comme étant un nouveau type d’égoportrait. J’ai conçu le tableau avec une troisième colonne qui synthétise les mots-clics stéréotypés pouvant être indexés à ce style d’image. Au travers de ces mots-clics, il est possible de communiquer d’autres attributs que les métadonnées déjà indexées au fichier.
Pour moi, la gestuelle contextuelle selfique constitue une nouvelle forme d’expression identitaire. En répertoriant ainsi quatre types de contextes propices à la prise d’égoportrait, il est possible de favoriser ces circonstances lors de mes prochaines séances de captation immersive. Le selfie immersif a le potentiel d’englober les autres types d’égoportraits énumérés, soit l’autopromotionnel, l’artistique et l’actif.
Tel qu’illustré sur la figure 5, tous les types d’égoportraits peuvent être représentés dans la même captation. Ainsi, les mots-clics suivants peuvent être indexés au fichier photo : en planche à neige, c’est l’hiver, captation 360o, on en profite dans les Laurentides !
En analysant le contexte de l’égoportrait dans la lignée de la représentation de soi, le selfie immersif devient donc un nouvel outil médiatique de la vie de tous les jours. Il est donc possible d’envisager l’archive de soi comme étant le véhicule d’une potentielle communication de moments importants en 360°, au coeur de l’espace environnant. Pour mes expérimentations, je serai partie intégrante de tous ces instants selfiques et je propose d’inscrire le selfie 360° dans le continuum de l’innovation technologique de l’auto représentation. L’étalage des différentes étapes de création et la variété des types d’égoportraits permettent de mieux planifier le volet pratique de ma recherche sur le terrain pour varier les facteurs contextuels de la double performance de la photographe photographiée. Les différentes fonctions abordées dans ce chapitre deviennent ainsi une forme de cadre de référence transposé dans un nouveau contexte médiatique : celui de l’immersion photographique. La méthodologie (qui sera expliquée dans le chapitre 3) utilisera l’ensemble de notions traitées dans ce chapitre-ci pour structurer la collecte de données.
Il y a d’abord le statut de l’image qui est changé par sa captation et son potentiel de distribution instantanée. Maintenant, en plaçant l’individu au centre du monde, il est nécessaire de s’interroger sur le point de vue immersif et les différents attributs qualitatifs qui y sont liés. C’est en ce sens que j’ai développé la typologie présentée dans le lexique (en annexe) en cours de rédaction de ce mémoire. Ceci m’amène à la question de recherche et de création du présent ouvrage : comment ma pratique du selfie 360° modifie-t-elle ma conception de la mise en scène de soi photographique ? Avant de proposer ma propre interprétation, le chapitre 2 présentera le travail de trois artistes qui ont exploré, à leur manière, le questionnement sur l’image de soi numérique.
LA MISE EN SCÈNE DE SOI QUOTIDIENNE
Dans le cadre de ce mémoire, deux grands axes se dessinent. Le premier axe cadre le contexte de la mise en scène de soi en relation avec la notion d’archives. Le second vise, par le biais d’une recherche-création, à recueillir mes prises de vue immersives de manière concrète et à partager l’ensemble de mon exploration. Avant d’aborder le côté pratique de la création, il est important de montrer comment cet intérêt envers les nouvelles méthodes de captation de soi s’illustre dans les projets de trois artistes contemporains. Ce chapitre est destiné aux artistes qui ont inspiré et guidé ma démarche artistique et qui, par leurs propos, ont influencés la recherche-création à la base de ce mémoire.
D’abord, j’aborderai la mise en scène de soi basée sur les écrits du sociologue Erving Goffman. Selon lui, chaque individu offre une performance sociale dans la vie de tous les jours. De la sorte, la relation de soi avec les autres provoque la fabrication d’une façade. Cette sorte de carapace est décrite dans son ouvrage La Mise en scène de la vie quotidienne (Erving Goffman, 1973) comme un masque porté en public et permet de comprendre certains comportements et interactions sociales. Son concept d’intersubjectivité dans la vie quotidienne (relation subjective envers soi et les autres) est abordé sous forme de performance dans la vie de tous les jours. Ces notions de perception de soi sont importantes dans mon approche de l’égoportrait immersif. On peut donc évoquer le concept de double performance, soit celle de photographe et de photographié :
Le langage distingue entre : je vois (c’est la forme transitive du verbe voir) je suis vu (c’est sa forme passive) et je me vois (c’est sa forme réfléchie). Au contraire, le modèle photographié est en même temps voyant et vu et, sitôt l’image développée, il est en même temps celui qui se voit à la fois comme voyant et comme vu. (Serge Tisseron, 2002, Le mystère de la chambre claire) .
En ce sens, la rédaction de ce travail consiste à inscrire l’égoportrait immersif avant tout comme une double performance d’utilisateur et de sujet photographié.
LE JOURNAL PANOSCOPIQUE DE LUC COURCHESNE
Luc Courchesne, aujourd’hui très actif dans la production de contenu à la Société des arts technologiques de Montréal9, est un artiste canadien pionnier du photo-journal immersif. La figure 6 est une capture d’écran d’une recherche sur le web qui permet une vue d’ensemble de la création des clichés tirés du journal panoscopique10. La figure 7 présente l’installation offerte lors d’une exposition photographique de ses prises de vues sphériques tirées du quotidien. La proposition de l’artiste de partager certains points de vue panoscopiques en matérialisant ses photos immersives sous forme d’installation permet de rejoindre un large public.
LES TECHNOLOGIES DE CAPTATION 360°
Outre l’intérêt porté à l’image de soi, il y a un engouement à mieux comprendre les bons procédés pour mieux exploiter l’outil de captation 360°. Ce chapitre sera axé sur les différentes composantes associées à la pratique qui me semblent intimement liées à la proposition créative du Selforama. Les milliers de fichiers photos recueillies pour la création ont été archivées sous forme de photo-journal. Après un an de cumul de matériel, j’ai procédé à l’impression de certaines de mes photos pour mieux communiquer ce que j’ai vécu. Ce récit de mes voyages a servi d’inspiration à mon exposition photographique SelfOrama. Pour la première fois, j’avais une vue d’ensemble de mes captations et je les contemplais sans l’interface intermédiaire de l’écran lumineux. Avant d’élaborer sur les choix liés à l’exposition de ma mosaïque photographique, je devais mieux comprendre le fonctionnement de l’outil de captation. Pour cette démarche, il a d’abord été nécessaire de bien définir :
1. Les spécificités du média ;
2. L’expérience de la prise de vue ;
3. Les types de projection.
LA DÉMARCHE DE LA PRISE DE VUE
Le système de captation utilisé est constitué d’une caméra 360° connectée à distance à un écran numérique. J’utilise, entre autres, la caméra omnidirectionnelle Orbit de Kodak (figure 12) ainsi qu’un téléphone intelligent Huawei P20. Une fois les deux périphériques connectés en réseau, il faut ajuster les paramètres de prise de photo à partir d’une application préalablement téléchargée sur le téléphone intelligent. Par la suite, le pipeline de production d’une image immersive est similaire à la création d’une image traditionnelle, soit la captation, la sélection, l’édition et la diffusion. Grâce au nomadisme numérique12, une prévisualisation en temps réel se fait directement sur les lieux de captation.
En ce sens, l’expérience utilisateur est au coeur du processus de captation omnidirectionnelle, voire 360°. N’ayant plus de distinction entre le devant et le derrière de la caméra, les objectifs des deux côtés de l’appareil capturent l’ensemble de la scène. Par conséquent, les deux prises de vue sont déclenchées en simultané et sont assemblées automatiquement en une seule image panoramique, dite équirectangulaire. On appelle communément cette étape le « stitching » (processus d’assemblage des deux prises de vue qui permet de créer une image aplanétique équirectangulaire). Cette image « stitchée » peut ensuite être projetée sur une forme volumétrique telle une sphère, pour devenir ce que je nomme une photosphère.
Au moment de la captation, il est possible de basculer d’un type de projection à l’autre simultanément et de manière interactive, via l’application mobile. Grâce à l’interaction tactile disponible sur l’interface d’un écran numérique, il suffit de balayer l’image avec le doigt pour se déplacer de manière interactive dans l’image en temps réel ou préalablement transférée. Expérimenter quotidiennement ce type de captation de soi provoque un nouveau rapport à la représentation de soi. Multiplier ces moments de présentification photographique immersive sur le terrain a été pour moi l’approche priorisée pour accumuler un maximum de données à analyser.
En raison de l’effet créé par les objectifs grand-angles, l’image est rendue avec une énorme distorsion. La conception même de la prise de vue devient une toute autre chose. Notre oeil est habitué de voir les images à plat, mais ce type d’appareil offre une tout autre spatialisation de l’espace environnant. En effet, la courbure de champ crée un effet de distorsion ; plus les objets sont proches des lentilles, plus leur taille sera exagérée. On peut qualifier de perspective alternative 13 la distorsion en barillet créée par la caméra. En ce sens, l’univers de la photographie 360° force à concevoir la composition de l’image de manière plus globale. La projection aplanétique dite équirectangulaire contrevient à la représentation canonique européenne de la perspective, telle que développée à la Renaissance (conçue pour un spectateur unique positionné directement devant le canevas). Dans le cas des différents types de projections qui seront présentés dans ce mémoire, les points de fuite ne se rencontrent pas au même endroit; ils sont multiples.
Par exemple, la figure 13 présente une prise de vue aplanétique. Telle une anamorphose, l’image est déformée. En raison de leur proximité avec la caméra, les feuilles de l’arbre occupent une plus grande importance dans la composition que moi, la selfiste à la perche. Cette même image est aussi présentée sur la figure suivante, cette fois, projetée sur une forme volumétrique sphérique. Ce système de visualisation du 360° permet une reconstitution de la spatialisation de la scène initiale. Pour faciliter la reconnaissance de ce type de projection, je la nomme photosphère, bien que certaines applications mobiles utilisées la nomment ballon-miroir ou boule de cristal.
LE PHOTO-JOURNAL COMME ARCHIVE DE DONNÉES
Tel que mentionné précédemment, l’expérience utilisatrice en contexte de nomadisme numérique, soit la captation et l’archive de la vie quotidienne 14 sur la route, a été pour moi la meilleure méthode pour cumuler des données dans ce nouveau contexte de création en immersion. Dans l’optique de vouloir saisir de bons clichés selfiques, j’ai archivé des milliers de fichiers captés, accumulés, triés et sélectionnés. Les moments d’exploration du format immersif se veulent une façon d’extérioriser l’implicite de cette démarche photographique.
À ce moment, je ne savais pas encore quel allait être le résultat artistique, mais j’ai continué de capter des centaines de moments immersifs quotidiennement, sur la route, que ce soit à Vancouver, en Ontario ou au Québec. L’apprentissage par la pratique m’a permis de favoriser, à quelques occasions, une sélection qui me plaisait. Cet élan artistique m’a permis d’alimenter le photo-journal, en quelque sorte pour témoigner de mes expérimentations photographiques concluantes concernant cette perspective renouvelée.
LES PROCÉDÉS 360°
Tel que mentionné au point 3.1, à partir d’un seul et même déclenchement, une photographie panoramique équirectangulaire est créée. Comme le démontre la séquence d’images qui suit, la même prise de vue 360° peut ensuite être transformée en différentes projections géométriques et donner des rendus complètements différents. Les grandes catégories de projection des images photographiques 360° ont été énumérées (et reprises dans le tableau de la p. 45) pour mieux répertorier et synthétiser les types de déclinaisons possibles d’une seule et même prise de vue.
LES OUTILS D’ÉDITION
L’édition du 360° offre plus de flexibilité qu’une composition à cadre fixe. Le canevas numérique de la photosphère donne accès à l’expérience personnalisée de balayer la photo du doigt pour se déplacer dans l’image. Ainsi, il est possible de faire plusieurs arrêts sur l’image de la scène capturée 360°. Tel qu’à lla figure 23, à partir d’une photosphère, visualisée sur un écran numérique, il est possible de créer plusieurs styles d’images à partir du même fichier photographique. C’est donc dire qu’à partir d’un seul déclenchement, on peut modifier la même prise de vue et offrir plusieurs nouvelles perspectives sur un même lieu familier déformé par l’angle exagéré des objectifs.
De ce fait, il est possible de replonger dans l’image et d’interagir avec le moment capturé pour le recadrer. La facilité de travailler la prise de vue 360° me fait repenser à l’environnement de captation autrement. Avec l’interaction tactile sur l’écran numérique, le retour sur l’image est illimité et plusieurs nouvelles compositions peuvent être créées. Voilà qui permet plus de présence lors du moment de captation dans mon double rôle de photographe photographié. Justement, au-delà du besoin d’archiver et de partager des moments à soi, l’expérience en soi est fascinante !
Également, comme l’illustre la figure 24, la disposition des formes sphériques sur l’affiche s’apparente à la disposition du contenu photographique de l’application mobile Theta+.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1
LA REPRÉSENTATION DE SOI
1.1 L’IMAGE DE SOI
1,2 LA TRADITION DE L’AUTOREPRÉSENTATION
1,3 LE SELFIE
1.3.1 LE STADE DU SELFIE
1.3.2 LES FONCTIONS DE L’ÉGOPORTRAIT
1.3.3 LES TYPES DE SELFIE
CHAPITRE 2
LA MISE EN SCÈNE DE SOI QUOTIDIENNE
2,1 LE JOURNAL PANOSCOPIQUE DE LUC COURCHESNE
2,2 LE PROJET SELFICITY DE LEV MANOVICH
2,3 LAVIE EN 360 DE BEN CLAREMONT
CHAPITRE 3
LES TECHNOLOGIES DE CAPTATION 360°
3,1 LA DÉMARCHE DE LA PRISE DE VUE
3,2 LE PHOTO-JOURNAL COMME ARCHIVE DE DONNÉES
3,3 LE PIPELINE DE TRAVAIL
3,4 LES PROCÉDÉS 360°
3,5 LES OUTILS D’ÉDITION
3,6 LES MODES DE DISTRIBUTION
CHAPITRE 4
LE SELFORAMA
4,1 GENÈSE DU PROJET
4,2 DESCRIPTION DU PROJET
4,3 EXPOSITION PHOTOGRAPHIQUE
CHAPITRE 5
ANALYSE DES RÉSULTATS
5.1. RETOUR SUR LA REPRÉSENTATION DE SOI EN 360°
5,2 RETOUR SUR LA MÉTHODE DU PHOTO-JOURNAL
5,3 RETOUR SUR LA NOTION DE SELFORAMA
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE