Les trypanosomoses animales

Les trypanosomoses animales

Symptômes

Pendant les premiers jours qui suivent la piqûre par une mouche tsé-tsé infectante, les trypanosomes entraînent, au niveau du site d’injection, une réaction inflammatoire formant ainsi un chancre d’inoculation (Dwinger et al., 1987). Cette formation cutanée est souvent peu perceptible chez les bovins. Les trypanosomes envahissent ensuite rapidement la circulation générale. La maladie qui en découle peut évoluer sous deux formes, chronique ou aiguë, en fonction du statut de susceptibilité de l’animal (cf. 1.5.1), associé à des facteurs génétiques et physiologiques intrinsèques (i.e. gestation) ou extrinsèques (i.e. ressources alimentaires disponibles, conduite d’élevage, présence d’autres maladies…) et de la virulence et la pathogénicité de la souche ((Courtin et al., 2008), (Bengaly, 2003), (Kabore et al., 2017)). L’infection aiguë provoque la mort de l’animal en quelques jours (comm. personnelle S. Thévenon : la souche T. congolense du Burkina Faso dite « Samendeni » a tué 3 bovins sur 4 en 9 jours) ou semaines mais généralement les trypanosomoses bovines évoluent vers des formes chroniques (mortalité en plusieurs mois voire années) ((Authié et al., 1999), (Berthier, 2009)). Les symptômes sont aspécifiques et ne permettent pas de poser un diagnostic de TAA. Le symptôme principal de la trypanosomose chez les bovins est l’anémie. Cette anémie résulte d’une hémolyse extravasculaire massive, dans la rate, le foie et dans la circulation systémique (Facer et al., 1982). Elle est accompagnée d’une hyperthermie importante ainsi que d’une dégradation progressive de l’état général de l’animal : pâleur des muqueuses, perte d’appétit entraînant une faiblesse profonde ou cachexie et conduisant à la mort des individus les plus sensibles. Les mammifères sauvages ainsi que certaines races bovines africaines possèdent un certain degré de tolérance à l’infection. Les parasitémies dans le sang peuvent varier de 104 à 108 trypanosomes par ml de sang en fonction de la virulence et de la pathogénicité de l’espèce de parasite présente (Murray et al., 1990).

Parmi la grande famille des Trypanosomatidés se trouvent des agents pathogènes majeurs responsables de maladies extrêmement graves affectant l’homme et l’animal en milieu tropical. On trouve notamment les parasites responsables de la Trypanosomose Humaine Africaine (THA) plus connue sous le nom de maladie du sommeil (sous-genre Trypanozoon ; espèce Trypanosoma brucei, sous-espèces Trypanosoma b. gambiense et T. b. rhodesiense), des leishmanioses (genre Leishmania, espèces L. donovani, L. infantum et L. chagasi), de la maladie de Chagas (sous genre Schizotrypanum, espèce T. cruzi) et également des trypanosomoses animales (TAA). Les trypanosomes appartenant au groupe Salivaria sont extracellulaires et se multiplient essentiellement dans le sang chez leur hôte vertébré, alors que les espèces du genre Leishmania ainsi que T. cruzi possèdent des stades intracellulaires. Tous les trypanosomes pathogènes africains appartiennent au groupe Salivaria (Rotureau and Van Den Abbeele, 2013). Chez les bovins, il existe trois espèces pathogènes majeures, il s’agit de Trypanosoma congolense, T. vivax et T. brucei brucei. La pathogénie de ces trois espèces est variable. T. congolense est le plus petit des trypanosomes pathogènes, d’une longueur de 9–22 μm. Lors d’une infection par une souche de T. congolense, la parasitémie se développe, en moyenne, 7 à 11 jours après l’infection (dpi). Au sein de l’espèce T. congolense, on a identifié 3 types qui sont le type forêt, le type savane, et le type kilifi (Sidibé, 1997). Il a été montré qu’il existe une grande diversité au sein de ces différentes souches et, que les souches de T. congolense différaient par leur virulence que ce soit entre les 3 types énoncés précédemment ou au sein du type savane (Van den Bossche et al., 2011). En effet, les auteurs ont observé, à la suite d’une étude comparative entre 62 souches de T. congolense appartenant au type Savane, que la virulence différait grandement d’une souche à l’autre. En laboratoire, les mêmes souches de T. congolense sont souvent utilisées, notamment la souche IL1180 (clone de la souche STIB212, isolée pour la première fois en 1971 sur un lion en Tanzanie (Parc du Serengeti) (Geigy and Kauffmann, 1971) et la souche IL3000. Dans la suite de ce travail, je me focaliserai sur les trypanosomes africains responsables de la TAA.

Cycle de développement

La reproduction chez les trypanosomes s’effectue généralement par scissiparité (division asexuée ou binaire). Des études ont cependant montré que les trypanosomes étaient également capables de se reproduire de manière sexuée, permettant ainsi l’échange de matériel génétique, comme c’est le cas pour T. brucei (Gibson et al., 2008), ou T. congolense (Morrison et al., 2009). Ces évènements semblent cependant être rares et beaucoup de mécanismes sont encore inconnus. L’échange génétique serait particulièrement important dans l’évolution chez les parasites car il permet la dissémination, entre les souches, de gènes impliqués dans des caractères cruciaux tels que la virulence. Le parasite effectue un cycle de développement complexe au sein du vecteur et subit alors des changements morphologiques importants (voir Figure 7) et des modifications de sa structure et composition membranaire. Les formes sanguines prolifèrent dans le sang de l’hôte infecté et sont ingérées par la glossine au cours du repas sanguin. Ainsi, pour T. congolense, les formes dites procycliques se différencient dans l’intestin moyen du vecteur (à l’exception de T. vivax (Jackson et al., 2015)). Dans le proventricule, les formes procycliques cessent leur division et deviennent uniformes en taille et en forme. Ces nouvelles formes trypomastigotes migrent ensuite vers la trompe (partie de la bouche) où elles évolueront en forme épimastigote pour enfin se différencier en forme métacyclique infectante. Ces dernières sont très petites et ne se divisent pas. Elles seront à leur tour transmises à un nouvel hôte lors d’un prochain repas sanguin puis migreront par voie lymphatique jusqu’à la circulation sanguine ((Coustou et al., 2010), (Peacock et al., 2012)).

Variabilité antigénique

En tant que parasite extracellulaire, le trypanosome est constamment soumis aux attaques du système immunitaire de l’hôte qu’il infecte. Il a donc développé des stratégies lui permettant d’échapper à cette réponse immunitaire. Les trypanosomes possèdent deux groupes d’antigènes provoquant une réaction immunitaire chez l’hôte vertébré : des antigènes variants ou VAT (Variant Antigen Type) qui sont portés par les VSG (Variant Surface Glycoprotein), et les antigènes invariants. La VSG est une glycoprotéine ancrée au niveau de la surface membranaire du parasite grâce à un groupement Glycosyl-Phosphatidyl-Inositol (GPI). Cette glycoprotéine est le composant de surface majeur du trypanosome. L’ensemble de ces protéines (107 molécules) forme un manteau dense recouvrant la totalité du corps cellulaire, y compris le flagelle (Pays and Berberof, 1995). Le manteau de VSG se rencontre uniquement chez les formes infectantes pour l’hôte vertébré (formes métacycliques ou sanguines). Il est perdu au cours de la dédifférenciation qui se produit chez le vecteur (absent sur les formes procycliques) et sera réacquis lorsque se produit la maturation des formes épimastigotes en formes métacycliques ((Boulangé, 1995), (Itard and Frézil, 2003)). Une VSG possède la double propriété d’être à la fois très immunogène et très variable, ce qui déroute continuellement la réponse immune (Pays, 1990) ; en ce sens, elle est le siège de la variation antigénique chez les trypanosomes.

Chez l’hôte mammifère, le système immunitaire induit, lors d’une infection, la production d’anticorps permettant ainsi d’éliminer la majeure partie des trypanosomes (voir Figure 8). La parasitémie diminue, aboutissant à une phase de rémission au cours de laquelle la détection du parasite est difficile. Cependant, grâce à son répertoire de plus de 1 000 gènes différents codant pour les VSG ((Van der Ploeg et al., 1982), (Van der Ploeg et al., 1992)), le parasite va pouvoir, spontanément, changer ses glycoprotéines membranaires afin de contrecarrer les vagues d’anticorps successives produites à son encontre. En schématisant, une partie mineure de la population parasitaire qui exprime un autre type de VSG portant un VAT différent se multiplie, créant ainsi une colonie nouvelle, antigéniquement différente de la première et hors de portée de la première vague d’anticorps ((Van der Ploeg et al., 1992), (Borst and Rudenko, 1994), (Horn, 2014)). La nouvelle population de trypanosomes, ayant échappé à la neutralisation par les anticorps et exprimant des nouvelles VSG va alors pouvoir croître et persister dans l’organisme donnant lieu à une recrudescence de la parasitémie et à la synthèse de nouveaux anticorps. Plusieurs phases identiques peuvent se succéder provoquant alors un épuisement de la réponse humorale de l’hôte. Cette succession des VATs assure au parasite une longue survie chez son hôte et de grandes chances d’être transmis par la glossine (Boulangé, 1995). Une étude récente a montré la complexité de la dynamique d’expression des VSG, soulignant que plusieurs populations parasitaires portant différentes VSG coexistent et se succèdent (Mugnier et al., 2015). Les antigènes invariants ou « communs » sont partagés par toutes les souches d’une même espèce et parfois par toutes les espèces de trypanosomes. Ces antigènes sont constitués par des protéines de structure (protéines du cytosquelette, protéines membranaires) ou des molécules impliquées dans le métabolisme du parasite (récepteurs, transporteurs, enzymes) (Authié et al., 1993b). Certains de ces antigènes ne sont pas directement visibles au niveau de la surface du parasite, à l’inverse des VSG, et ne seront exposés au système immunitaire que lors de la lyse du parasite et induiront alors une réponse anticorps. D’autres sont excrétés/secrétés par le parasite et interagissent avec l’hôte ((Holzmuller et al., 2008), (Geiger et al., 2010)). Ces antigènes invariants, tout comme les VSG solubles, sont utilisés pour le diagnostic sérologique (Boulangé et al., 2017).

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Table des matières

Introduction
Première partie : le triangle épidémiologique
1 Les trypanosomoses animales
1.1 Généralités
1.1.1 Contexte
1.1.2 Répartition
1.1.3 Symptômes
1.2 Les parasites
1.2.1 Classification
1.2.2 Cycle de développement
1.2.3 Variabilité antigénique
1.3 Les vecteurs
1.3.1 Taxonomie et distribution
1.3.2 Écologie
1.4 Diagnostic et lutte intégrée
1.4.1 Diagnostic
1.4.1.1 Les méthodes directes
1.4.1.2 Les méthodes indirectes
1.4.2 La lutte intégrée
1.4.2.1 Lutte contre le vecteur
1.4.2.2 Lutte par traitements trypanocides
1.4.2.3 L’usage des races trypanotolérantes
1.5 Hôte bovin
1.5.1 Définition de la trypanotolérance
1.5.2 Histoire des races bovines
1.5.3 Les races bovines africaines
1.5.3.1 Races bovines trypanotolérantes
1.5.3.1.1 Taurins à longues cornes
1.5.3.1.2 Taurins à courtes cornes
1.5.3.2 Races bovines sensibles
1.5.3.3 Races métisses
2 Les bases biologiques de la trypanotolérance chez les bovins
2.1 Les mécanismes non immunologiques
2.1.1 Facteurs physiologiques
2.1.2 Facteurs lytiques
2.2 Les mécanismes immunologiques
2.2.1 Immunité innée ou non spécifique
2.2.1.1 Réactions cutanées locales
2.2.1.2 Activation du complément
2.2.1.3 Le rôle du système hémopoïétique dans la trypanotolérance
2.2.2 Immunité acquise ou spécifique
2.2.2.1 Réponses humorales et production d’anticorps
2.2.2.2 Réponses cellulaires
2.2.2.2.1 Activation des macrophages
2.2.2.2.2 Modulation des lymphocytes T
2.2.2.2.3 Rôle des cytokines dans la modulation de la réponse immunitaire
3 Déterminisme génétique de la trypanotolérance chez le bovin
3.1 Approche QTL
3.2 Étude d’association
3.3 Signature de sélection
3.4 Approche transcriptomique
3.5 Croisement des résultats entre analyse QTL et microarrays
Deuxième partie : projet de recherche
1 Matériels et méthodes
1.1 Infection expérimentale des bovins
1.1.1 Sélection des animaux
1.1.2 Critères d’inclusion
1.1.3 Adaptation à l’étable
1.1.4 Infection des bovins et choix de la souche de parasite
1.1.5 Suivi expérimental
1.1.6 Extraction d’ARN
1.2 RNA-seq
1.2.1 Principe
1.2.2 Création des banques RNA-seq et séquençage
1.2.3 Alignement
1.2.4 Quantification des transcrits
1.3 Analyses statistiques
1.3.1 Différentiel d’expression
1.3.2 Structure des contrastes
1.4 Analyse fonctionnelle
2 Résultats
2.1 Phénotype et transcriptomes
2.2 Analyses bioinformatiques
2.2.1 Exploration du jeu de données
2.3 Analyse du différentiel d’expression des gènes
2.3.1 Observation globale des données
2.3.2 Observations entre les races avant infection (à DPI.0)
2.3.3 Observation au sein des races pendant l’infection (à DPI.20, 30, 40)
2.3.4 Focus sur les gènes les plus pertinents en termes de logFC
2.3.5 Gènes DE dans les contrastes intra et inter races
2.3.6 Focus sur des cytokines et des marqueurs cellulaires
2.4 Interprétation biologique
2.4.1 Analyse fonctionnelle des gènes DE entre les races avant infection
2.4.2 Analyse fonctionnelle des gènes DE au sein des races pendant l’infection
2.4.2.1 Diseases and Functions (DisFun)
2.4.2.2 Canonical Pathways (CanPath
2.4.2.3 Upstream Regulators (UpStream)
2.4.3 Analyse fonctionnelle des gènes DE unique à une race
2.4.4 Analyse fonctionnelle croisée des contrastes intra et inter races.
3 Discussion
3.1 Observation globale des résultats
3.2 Gènes DE au cours de l’infection
3.2.1 Gènes surexprimés dans tous les contrastes
3.2.2 Gènes surexprimés
3.2.3 Gènes sous-exprimés
3.3 Analyse fonctionnelle
3.3.1 Différences basales entre les races
3.3.2 Réponse immunitaire
3.3.3 Métabolisme
3.3.4 Différences subtiles entre les races
3.3.5 Limites
3.3.6 Perspectives
Conclusion
Annexes

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