LES TROUBLES DU SPECTRE DE L’AUTISME
Un peu d’histoire
Le terme « autisme » vient du grec ancien autos qui signifie « soi-même ». Le psychiatre suisse E. Bleuler l’introduit en 1911 pour définir le retrait relationnel symptomatique de la schizophrénie. Bien plus tard, en 1943 et pour la première fois, L. Kanner, psychiatre autrichien décrit l’autisme avec des caractéristiques proches de celles que nous connaissons aujourd’hui. Il désigne un syndrome spécifique de l’enfant qu’il nomme d’abord « perturbation autistique du contact affectif », puis « autisme infantile ». Il décrit dans un article ses observations concernant des enfants présentant des difficultés relationnelles et de communication. « Le trouble fondamental le plus frappant est l’incapacité de ces enfants à établir des relations de façon normale avec les personnes et les situations dès le début de leur vie. » (Kanner, dans Perrin et Maffre, 2013, p.1). L. Kanner voit l’autisme comme un trouble inné et s’inscrit dans un mouvement visant à différencier la psychopathologie de l’enfant et celle de l’adulte. Dans le même temps, H. Asperger, psychiatre lui aussi autrichien, décrit la « psychopathie autistique ». Dans un article écrit en 1944, il évoque des signes tels que des relations inappropriées, des centres d’intérêts restreints, un langage inadapté et des maladresses motrices. Dès les années cinquante et jusqu’aux années soixante-dix, l’essor des théories psychanalytiques vient remettre en cause l’idée de L. Kanner selon laquelle l’autisme serait inné. Les psychanalystes font l’hypothèse d’une origine psychogène. Et notamment, B. Bettelheim, psychanalyste américain. Il pressent des défaillances maternelles précoces, la mère réfrigérateur, comme potentiellement génératrices des troubles de la relation chez l’enfant. A la même période, les premières études épidémiologiques démontrent l’importance de facteurs génétiques dans l’autisme. L’autisme est reconsidéré dès les années soixante-dix comme une problématique neurodéveloppementale suite à l’observation de fréquentes associations entre l’autisme et les pathologies organiques. En 1980, à la parution de la 3e version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-III) de l’Association Américaine de Psychiatrie (APA), les théories psychogènes sont réfutées à l’instar de l’approche descriptive. Dès lors, l’autisme prend une place centrale dans la psychopathologie de l’enfant dans le cadre des « troubles globaux du développement » qui deviendront les « Troubles Envahissants du Développement » (TED) dans le DSM-IV.
Définition
L’autisme, bien que difficile à définir du fait de ses différentes formes cliniques et de son large spectre, peut être décrit comme une atypicité du développement neurologique. Les critères de diagnostic de l’autisme, en fonction des différentes classifications, seront détaillés par la suite . Selon l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM, 2018), l’autisme aurait une origine multifactorielle mais largement génétique.
Epidémiologie
La prévalence correspond au « nombre de cas de maladie ou de personnes malades […] dans une population déterminée, sans distinction entre les cas nouveaux et les cas anciens, soit à un moment précis, soit au cours d’une période donnée. » (CNRTL, s. d.). En 2010, en France, seules 75 000 personnes étaient diagnostiquées TSA et accompagnées (Autisme France, 2020), ce nombre s’élevait à 120 000 en 2017 selon Santé Publique France (2020). Toutefois, ces chiffres semblent encore loin de la réalité ; le Secrétariat d’Etat chargé des personnes handicapées estime – dans son dossier de presse du 6 avril 2018 – à 700 000 le nombre de personnes présentant un TSA en France. Nous comprenons bien ici les enjeux d’un dépistage précoce et de la stratégie diagnostique, ils seront évoqués plus loin . Il serait estimé qu’environ 1% de la population serait atteinte de TSA. C’est un chiffre en constante augmentation révélé notamment par de nouvelles méthodes diagnostiques. Pour une raison encore indéterminée, la prévalence des TSA diffère selon le sexe : ces troubles seraient quatre fois plus diagnostiqués chez les garçons que chez les filles selon l’Institut Pasteur (2019). Néanmoins, ces chiffres varient en fonction des caractéristiques cliniques ; les filles et les femmes sans retard mental seraient sous-diagnostiquées par rapport aux hommes car moins bien repérées (Hull et al., 2017). Attwood (2017) révèle que les filles seraient plus difficilement repérées et diagnostiquées en raison de techniques d’imitation et de camouflage. Le DSM-5 souligne également que « les filles sans déficit intellectuel ou sans retard de langage pourraient être sous diagnostiquées en raison d’une présentation clinique atténuée des difficultés sociales et de la communication » (APA, 2015). En effet, les filles présenteraient un phénotype autistique plus discret comprenant des difficultés moins flagrantes dans les relations sociales, une plus grande empathie, des intérêts moins atypiques, des comportements davantage internalisés, avec cependant des particularités sensorielles plus prononcées. Toutes ces caractéristiques, combinées à une aptitude accrue au masking (camouflage) et aux comportements compensatoires contribuent à l’errance et au sous-diagnostic des filles et des femmes TSA (Melal, 2018).
Les plans autisme
A l’échelle nationale, le gouvernement a mis en place depuis 2005 plusieurs plans autisme afin d’insister sur la mise en œuvre de l’accompagnement de ces personnes dans notre pays. Le premier plan autisme (2005-2007) a joué un rôle majeur dans la reconnaissance et la prise en charge des TED. Il a permis la création de Centres Ressource Autisme (CRA) dans chaque région de France ainsi que l’élaboration de recommandations professionnelles pour le dépistage et le diagnostic dans l’enfance.
Le deuxième plan (2008-2010) comportait trois axes principaux visant à « mieux connaître pour mieux former », « mieux repérer pour mieux accompagner » et enfin « diversifier les approches, dans le respect des droits fondamentaux de la personne». Le troisième plan (2013-2017) visait à proposer, à tous les âges, des interventions évaluées et contrôlées en renforçant la coopération entre les mondes de la recherche, du sanitaire, du médico-social et de l’éducation, tout en mettant en œuvre une nouvelle forme de gouvernance qui associe pleinement les personnes elles-mêmes et leurs familles. Ce plan était structuré autour de cinq grands axes que voici : « diagnostiquer et intervenir précocement », « accompagner tout au long de la vie », « soutenir les familles », « poursuivre les efforts de recherche » et « former l’ensemble des acteurs de l’autisme ». Le plan actuel, le quatrième (2018-2022), prend en compte l’ensemble du parcours de vie des personnes TSA, de la petite enfance à l’âge adulte. A nouveau et dans la continuité des précédents plans, l’accent est mis sur l’importance du diagnostic précoce suivi d’une prise en soin adaptée. Il s’accompagne désormais d’un objectif de meilleur taux de scolarisation pour les enfants dès l’âge de 3 ans. En ce qui concerne les adultes, les objectifs visent à un meilleur repérage et diagnostic ainsi qu’à un développement des dispositifs d’emploi afin de faciliter leur insertion professionnelle. Un point d’honneur est mis sur l’accompagnement et le soutien aux familles. Enfin, sur la lancée des précédents plans autisme, le gouvernement insiste sur l’importance de consolider la formation des professionnels de santé et travailleurs sociaux tout en renforçant les efforts de recherche déjà mis en œuvre.
Classifications actuelles et diagnostic
Le diagnostic des TSA repose sur des observations cliniques et ce depuis L. Kanner. Comme nous allons le voir dans les classifications, la présence d’un certain nombre de symptômes chez un sujet permet de poser le diagnostic. Il s’agit d’une démarche protocolisée menée par une équipe pluridisciplinaire en raison du caractère multidimensionnel des signes cliniques des TSA. Le diagnostic initial de TSA est possible dès l’âge de 18 mois. Avant 18 mois, un diagnostic de Trouble du Neurodéveloppement (TND) est à privilégier « en raison des difficultés d’un diagnostic formel et du caractère hétérogène et non spécifique des trajectoires précoces de développement » (HAS, 2018). Diverses classifications existent et permettent de suivre l’évolution des définitions et des critères diagnostics de l’autisme. Actuellement, deux classifications font office de référence à l’échelle internationale : la CIM-10 (Classification Internationale des Maladies) et le DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). La Haute Autorité de Santé (HAS) recommande de formuler le diagnostic en référence à la CIM-10, dans l’attente de la CIM-11 et ce bien que le DSM-5 soit la classification la plus actualisée de nos jours.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. LES TROUBLES DU SPECTRE DE L’AUTISME
A. Un peu d’histoire
B. Définition
C. Epidémiologie
D. Les plans autisme
E. Classifications actuelles et diagnostic
1. Les troubles envahissants du développement dans la CIM-10
2. Les troubles du spectre de l’autisme dans le DSM-5
3. L’arrivée prochaine de la CIM-11
F. Dépistage précoce
G. Comorbidités
H. Le spectre de l’autisme : différents degrés de sévérité
I. Le développement des enfants TSA
1. Domaine psychomoteur
1.1. Développement moteur
1.2. Les particularités sensorielles
1.3. Fonctions exécutives
1.4. Cognition motrice et cognition sociale
1.5. Capacité d’imitation
2. Domaine relationnel
2.1. Le regard comme lien à l’autre
2.2. Pointage et attention conjointe
2.3. Théorie de l’esprit et empathie
2.3.1. Théorie de l’esprit
2.3.2. Empathie
2.3.3. Différence entre théorie de l’esprit et empathie
J. Autisme et psychomotricité
K. Pour conclure
II. MASQUE ET EMOTION
A. Le masque
1. Les différents types de masque
1.1. Le masque chirurgical
1.2. Le masque inclusif, ou masque transparent
2. Port du masque pour les personnes TSA
3. Observations et vécu personnel autour du masque chirurgical
B. Les émotions c’est quoi ?
1. Définition
2. La richesse du répertoire émotionnel
3. Ontogénèse des émotions chez l’enfant typique
4. L’émotion, au cœur de la psychomotricité
5. Processus de lecture des émotions sur le visage d’autrui
6. L’émotion dans les habiletés sociales
7. Lecture faciale des émotions dans les TSA
7.1. Le eye tracking, une nouvelle méthode pour comprendre l’autisme
7.2. Des études pour y voir plus clair
III. LE CABINET LIBERAL
A. Cadre thérapeutique de l’activité libérale en psychomotricité
B. Un décret relatif à l’accomplissement d’actes psychomoteurs
C. Histoire du cabinet et situation actuelle
D. Ma place de stagiaire
E. Présentation des patients
1. Narima
1.1. Anamnèse
1.2. Bilan psychomoteur
1.3. Projet thérapeutique
1.4. Suivi et évolution
1.5. Vignettes cliniques
1.5.1. Narima, le ruban et le miroir
1.5.2. Narima et la roue des émotions
2. Travin
2.1. Anamnèse
2.2. Bilan psychomoteur
2.3. Projet thérapeutique
2.4. Suivi et évolution
2.5. Vignettes cliniques
2.5.1. Travin et son plus beau sourire
2.5.2. Travin et le jeu des émotions
3. Yavane
3.1. Anamnèse
3.2. Bilan psychomoteur
3.3. Projet thérapeutique
3.4. Suivi et évolution
3.5. Vignette clinique, l’hétéro-agressivité de Yavane
IV. DISCUSSION
A. Une question de norme
B. L’influence du masque chirurgical sur la lecture des émotions faciales
C. La lecture des émotions faciales, mais pourquoi faire ?
D. Un corps expressif et des outils pour soutenir la compréhension des émotions
E. Le masque, un frein pour le patient, mais pas seulement
F. Les bénéfices d’un tiers
G. Les limites d’une problématique portée sur l’actualité
CONCLUSION