Les troubles du comportement alimentaire
MÉTHODOLOGIE
Afin de confronter ma problématique avec la réalité du terrain, j’avais choisi de récolter les données de deux manières : par le biais d’entretiens et de questionnaires. En effet, certain·e·sdes jeunes interrogé·e·s habitent en France. Cependant, en raison de la crise du Coronavirus quia touché le monde entier, j’ai décidé, en accord avec mon directeur de travail de Bachelor de ne faire passer que des questionnaires.
Pour trouver des adolescent·e·s acceptant de se confier pour mon travail de Bachelor, j’ai pris contact avec plusieurs associations et centres de traitement en Suisse romande. Ma demande a été bien accueillie par les institutions, certaines soulignant l’importance de cette problématique.
Finalement, une association et une clinique de traitement ont affiché ma recherche de témoignage (cf. annexe) sur leurs réseaux sociaux ainsi que dans les espaces de soins de leurs patient·e·s.
J’ai également pris contact sur Instagram avec des jeunes ayant un profil public dédié à l’anorexie et / ou à la boulimie. Après avoir expliqué le but de ma démarche, j’ai été étonnée des réactions positives des adolescent·e·s. J’ai finalement pu interroger 7 adolescent·e·s âgé·e·s de 17 à 24 ans. Il y a 5 filles et 2 garçons et 3 jeunes habitent en France. Les adolescent·e·s suisses viennent de plusieurs cantons romands.
Pour pouvoir créer le questionnaire, j’ai repris chaque hypothèse et sous-hypothèse où j’ai souligné les mots-clés puis j’ai créé un certain nombre de questions. J’en ai ensuite adapté certaines et rajouté d’autres.
RISQUES ET ENJEUX ÉTHIQUES
Le code éthique de la recherche indique que « la recherche agit nécessairement sur les personnes et les institutions, ne serait-ce que parce qu’elle peut modifier leurs représentations de la réalité ». Cette notion est d’autant plus importante que la population ciblée par mon questionnaire se situe entre 13 et 25 ans et est donc influençable. Les questions posées ou la remémoration de certains souvenirs traumatiques pourraient créer un inconfort psychique et émotionnel chez des jeunes encore fragiles.
Afin que l’éthique de la recherche soit respectée, j’ai introduit un petit texte en préambule de mon questionnaire avec les informations suivantes :
Une brève présentation de mon statut
Le but de ma recherche
La finalité du travail de Bachelor
Des points essentiels tels que la protection des données, l’anonymat, la confidentialité ont également été abordés avec les adolescent·e·s interrogé·e·s. Pour la jeune fille mineure que j’ai questionnée, une fiche de consentement a été signée par ses parents.
ANALYSE
Les adolescent·e·s anorexiques / boulimiques créent des relations par le biais d’Instagram.
Les adolescent·e·s anorexiques et boulimiques cherchent à entrer en relation avec les autres via Instagram comme en témoigne un jeune homme de 21 ans : « […] La maladie nous pousse à nous renfermer sur nous-même ne parlant plus à nos amis/ famille. Mais à côté de ceci, on se cache derrière un écran, essayant de chercher des personnes qui nous disent que ce que l’on fait n’est pas forcément bien ou nous encourage ». Alors que certain·e·s préfèrent communiquer avec leurs ami·e·s, les autres privilégient les relations avec des inconnu·e·s. Petiau (2011) indique que les jeunes sur internet « se retrouvent autour de leur passion commune, mais se sentent également appartenir à une communauté autour de ces goûts partagés ». Ils et elles sont donc intégré·e·s dans des groupes de jeunes ayant les mêmes centres d’intérêt qu’eux. Les jeunes se sentent donc compris·e·s par d’autres adolescent·e·s comme l’explique une jeune de 17 ans : « J’ai tissé des liens forts avec 4-5 filles souffrant de tca. Ce sont de véritables amies à mes yeux au-delà de la maladie ». Cette solidarité qui se crée sur internet peut influencer le comportement des anorexiques ou des boulimiques et leur permettre ainsi de lutter contre la maladie. Les relations amicales ainsi constituées éloignent les adolescent·e·s de la solitude que l’anorexie et la boulimie ont construite.
Sur les sept adolescent·e·s interrogé·e·s, seulement deux d’entre eux m’ont confié ne pas avoir tissé de liens avec d’autres jeunes sur Instagram. Il me semble cependant nécessaire de préciser qu’ils sont légèrement plus âgés que leurs camarades. Toujours selon Petiau (2011) « Les blogs et les réseaux sociaux apparaissent comme de nouveaux moyens à la disposition des adolescents et préadolescents pour développer leur propre univers culturel, indépendamment de leur famille.
C’est aussi un nouveau vecteur d’identification à des groupes générationnels, par lesquels les jeunes conquièrent une autonomie et construisent leur identité ». Il se pourrait donc que seuls les adolescent·e·s étant toujours à la recherche de leur identité se tournent vers Instagram pour créer de nouvelles relations.
Instagram offre donc la possibilité aux jeunes de créer des liens avec d’autres adolescent·e·s victimes de troubles du comportement alimentaire. Leur vécu commun leur permet ainsi de se sentir compris·e·s et intégré·e·s dans un groupe de pairs.
Les adolescent·e·s souffrant de troubles alimentaires préfèrent se confier sur Instagram qu’auprès de leurs familles ou ami·e·s
Deux adolescent·e·s interrogé·e·s ont relevé que la maladie les poussait à se refermer sur eux et à s’éloigner de leur famille alors que, dans le même temps, ils et elles se livraient sur Instagram.
Ce paradoxe est d’ailleurs souligné par une adolescente de 17 ans : « Dans mon cas, cela m’a permis de parler, de rencontrer des personnes traversant les mêmes difficultés et en même temps cela m’a longtemps retenue de parler à mes proches dans la vraie vie, car justement j’avais déjà une écoute/entre-aide. »
La notion d’écoute et d’échange est importante pour la plupart des adolescent·e·s. Les discussions qu’ils et elles peuvent avoir sur Instagram leur permettent de ne pas se sentir seul·e·s comme l’explique une jeune fille de 18 ans : « on peut continuer à parler à d’autres personnes au lieu de rester réellement seuls ». Ce lien, bien que virtuel, contribue également à l’évolution positive de la maladie selon une femme de 21 ans : « Ce lien qu’on crée avec les autres est indispensable pour la guérison ». Un témoignage confirmé par l’enquête Anamia22 qui souligne que « pour les personnes atteintes de TCA, la perte de sociabilité peut avoir des conséquences catastrophiques sur leur bien-être et leur développement personnel. Être en conflit permanent avec la nourriture nuit à la vie de famille, aux loisirs et à la convivialité. Les réseaux sociaux sont pour ces personnes une manière de restaurer des liens, de partager ».
À l’instar de ce que nous avons vu dans les chapitres précédents, les troubles du comportement alimentaire sont des maladies qui impactent fortement l’environnement de l’adolescent·e et donc également sa famille. Les parents ont parfois tendance à minimiser ou refusent de voir la réalité de la maladie sur leurs enfants comme l’affirme Alvin (2013) « Cela est perceptible notamment à la mesure du déni que certains parents eux-mêmes font porter sur la réalité de la maladie de leur enfant : l’amaigrissement, l’aménorrhée, l’anorexie, l’isolement datent. Et pourtant, la première consultation intervient en urgence ». Il n’est pas rare que des conflits éclatent comme le démontre une femme de 21 ans « Mon papa avait peur donc hurlait beaucoup ». Ces tensions compliquent donc le quotidien des adolescent·e·s, Instagram leur permet donc de prendre du recul et de s’éloigner de ces différends comme le décrit Petiau (2011) : « internet, tout particulièrement les messageries instantanées, offrent de nouveaux lieux virtuels pour l’intimité amicale, loin du regard des professeurs ou des parents ». Ainsi les adolescent·e·s cherchent du soutien de personnes qui leur ressemblent et qui les comprennent, le plus souvent du même âge. En effet, Sébal (2012) explique que l’adolescent·e « appelle à l’aide d’une façon qui n’est pas forcément intelligible pour les adultes. Il sollicite les adultes afin qu’ils l’aident à comprendre le monde dans lequel ils vivent, mais, avant tout, afin que les adultes l’aident à trouver les limites rassurantes à l’intérieur desquelles il pourra avancer vers l’âge adulte ».
Les réseaux sociaux et donc Instagram leur permet ainsi que de rentrer facilement et rapidement en contact avec d’autres jeunes.
Les soutiens proposés en ligne ne permettent pas de tisser une réelle relation thérapeutique.Depuis quelques années, plusieurs sites internet ont vu le jour, à l’image de Ciao.ch, pour permettre aux adolescent·e·s et jeunes adultes de s’informer de manière gratuite et anonyme sur différents sujets tels que la sexualité, l’argent, l’orientation professionnelle, mais aussi les troubles du comportement alimentaire. Cette autonomie leur confère une certaine domination sur la maladie comme le présentent Michaud et Bélanger (2010) : « Certains d’entre eux, surtout à partir du milieu de l’adolescence, sont capables d’aller chercher sur internet des informations sur leur maladie et sur leur traitement, augmentant du même coup le sentiment de contrôle qu’ils ont sur leur affection ».
22 Enquête initiée en 2010 par une équipe de chercheurs du Centre National de la recherche scientifique et de l’École des hautes études en sciences sociales sur la vie sociale des usagers des sites Web axés sur les troubles alimentaires.
La plupart des adolescent·e·s interrogé·e·s se sont lié·e·s d’amitié sur Instagram avec d’autres jeunes souffrant de troubles du comportement alimentaire. Ils / elles cherchent ainsi des personnes qui les comprennent et avec qui ils / elles peuvent échanger. Ils / elles sont ainsi intégré·e·s dans des groupes de pairs, ce qui se révèle parfois compliqué en dehors du cadre virtuel.
Bien que les adolescent·e·s soient plus à l’aise avec les nouvelles technologiques que leurs aînés, comme le constate ironiquement Twenge (2017) : « La génération IGen est arrivée. Nés à partir de 1995, ces jeunes ont grandi avec les téléphones portables, avaient un compte Instagram avant d’entrer au lycée et ne se souviennent pas de l’époque avant internet ». Ils / elles privilégient le contact avec des thérapeutes « en chair et en os » plutôt que derrière un écran. Plusieurs des jeunes ont confié que le contact par mail ou téléphone pourrait influencer la relation comme le dit une femme de 21 ans : « Personnellement je parle beaucoup avec les mimiques du visage et des mains donc les professionnels ne peuvent pas voir les vraies réactions et on peut maquiller la vérité ». Un sentiment partagé par une autre jeune femme de 24 ans « J’aurais été capable de dissimuler beaucoup trop de choses ». Certain·e·s des jeunes interrogé·e·s expliquent également qu’ils / elles se sentent davantage soutenu·e·s lorsqu’ils / elles sont face à des professionnels : « Je trouve ça plus soutenant et aidant les entretiens face à face lorsque l’on peut voir la personne […]. Je crois que je me sens plus à l’aise de voir comment le soignant réagit à ce que j’exprime ». La présence du ou de la thérapeute permet aussi d’être en adéquation avec le présent « En face à face on se sent davantage soutenu, ça nous raccroche à la réalité ».
Bien que les nouvelles technologies soient une opportunité pour les adolescent·e·s de rester connecté·e·s entre eux et elles à n’importe quel moment, en ce qui concerne la relation avec leurs thérapeutes, ils et elles préfèrent le contact en face à face. La plupart des jeunes interrogé·e·s confient qu’il serait trop facile pour eux et elles de dissimuler leurs véritables émotions derrière un écran.
L’aide en ligne est facile d’accès, mais reste méconnue.
Dans la lignée des sites internet d’informations, des services d’aide en ligne ont également été créés. Depuis le début des années 2000, l’Espace de soins pour les troubles du comportement alimentaires de Genève (ESCAL) a, par exemple, mis en place un service d’autotraitement pour les personnes boulimiques sous forme de programme en sept étapes. Il consiste à prévenir les compulsions alimentaires et à diminuer la souffrance liée au trouble. Les participant·e·s de ce programme sont accompagné·e·s par des psychologues qui suivent leur évolution et avec qui ils et elles peuvent échanger sur les progrès et difficultés rencontrées. Cependant, aucun·e des jeunes interrogé·e·s ne connaît ce genre de service.
L’association Boulimie Anorexie a également mis à disposition une adresse e-mail destinée à toute personne étant concernée, de près ou de loin, par les troubles du comportement alimentaire.
Toutefois, comme relevé par l’association elle-même, « Si le mail peut faciliter une première approche et sensibiliser à la nécessité de se faire aider, il n’est jamais à même de remplacer une prise en charge professionnelle ». Une notion validée par un jeune homme de 23 ans qui avait eu contact avec une ligne téléphonique : « J’ai trouvé aidant de pouvoir appeler une ligne 24h/24 pour une situation « urgente », mais je pense que ça ne remplace pas une aide à long terme ».
Bien que les sites internet, les mails ou les lignes téléphoniques permettent une aide accessible partout et à n’importe quelle heure, pour les jeunes interrogé·e·s, ils ne représentent que les prémices d’une prise en charge thérapeutique à moyen long terme.
Les adolescent·e·s ont honte de demander de l’aide Comme le précise le site de l’association Boulimie Anorexie « […] Le premier pas pour s’en sortir est de ne pas rester seul. Il faut en parler ! Or cela n’est pas chose aisée pour la personne qui souffre de TCA, car la honte, le sentiment de culpabilité, la peur du jugement et de l’incompréhension la maintiennent dans l’isolement ». La plupart des adolescent·e·s interrogé·e·s ont également souligné qu’ils / elles avaient honte de blesser leurs familles : « Honte qu’il ait un gosse (je me le disais comme ça) de 18 piges qui est souffrant d’une maladie qui n’est pas guérissable avec des médicaments, je ne méritais pas d’être leur enfant » ou encore « J’avais honte de faire souffrir autant ma maman ».
La méconnaissance des troubles du comportement alimentaire influence également la recherche d’aide comme en témoigne un jeune homme de 23 ans « Je pensais que les maladies comme les TCA et la dépression étaient liées à de graves problèmes, soit psychiques, soit dans la vie des personnes touchées ». Enfin, le propre jugement des adolescent·e·s sur leur maladie les retient parfois comme l’explique une jeune fille de 17 ans : « Une partie de moi me trouve pathétique à l’idée d’avoir de la peine à manger, d’avoir peur de la nourriture et d’être bloquée depuis si longtemps sur l’envie constante de peser un poids malsain ». Ce qui l’a empêchée de chercher du soutien comme elle le dit : « Je n’ai longtemps pas osé demander de l’aide, car je me sentais illégitime ».
Instagram incite les adolescent·e·s à maigrir pour répondre aux standards sociétaux.Un sondage réalisé en 2014 par Pro Juventute révélait que 52% des adolescent·e·s interrogé·e·s se comparaient à leurs ami·e·s sur Facebook. Selon les témoignages des jeunes, cela n’aurait pas changé, au contraire comme le confie une jeune femme de 18 ans : « De voir d’autres personnes si maigres m’a beaucoup donné envie de perdre du poids pour leur ressembler ». Si Instagram incite les adolescent·e·s à maigrir, il déforme aussi l’image qu’ils et elles ont de leur propre corps.
« Je pense qu’alors que j’avais déjà une sensation d’être « grosse », le fait d’avoir vu et de suivre à l’époque des filles minces, voir excessivement maigre m’a mené à déformer ma vision d’un corps « normal ». Je croyais que la norme c’était d’être très mince voir maigre et je me disais alors que je devais absolument perdre du poids, car j’étais « trop grosse ». (Or, je n’ai jamais été en surpoids, même plutôt eu tendance à être assez fine) ».
Jeune fille de 17 ans Ces récits sont inquiétants, car comme le souligne Cuzacq (2012) « la construction de soi est influencée par le rapport des adolescents avec leurs corps, le rapport à l’autre et à soi-même ». Instagram paraît être ici un outil pour ces adolescent·e·s pour pouvoir se comparer aux autres. Cependant, la plupart d’entre eux savent que les images partagées sur les réseaux sociaux ne reflètent pas toujours la réalité comme l’explique une jeune femme de 18 ans « Je sais qu’il y a beaucoup de Photoshop, que les lumières et les angles jouent beaucoup dans les photos sur Instagram ».
Comme nous l’avons vu, la plupart des adolescent·e·s ont honte de souffrir de troubles du comportement alimentaire, ce qui les a parfois empêchés de chercher de l’aide. Malgré la création de sites internet proposant des informations et conseils sur différents sujets propres aux questionnements adolescents, il existe encore une certaine ignorance sur ces maladies, que ce soit par les jeunes eux-mêmes ou leurs familles. Lorsqu’ils / elles recherchent de l’aide, on voit qu’ils / elles privilégient le contact en face à face. Cela leur permet de s’exprimer pleinement, non seulement par leurs paroles, mais également par le langage non verbal.
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Table des matières
1. Introduction
1.1. Choix de la thématique
1.2. Choix de la population
1.3. Problématique
1.4. Question de recherche
1.5. Lien avec le travail social
1.6. Objectifs visés
2. Cadre théorique
2.1. Le développement de l’adolescent·e.
2.1.1. Image du corps
2.1.2. Pression sociale
2.1.3. Appartenance à un groupe
2.1.4. Les adolescent·e·s sur les réseaux sociaux
2.2. Réseaux sociaux et instagram
2.2.1. Réseaux sociaux et troubles alimentaires
2.3. Les troubles du comportement alimentaire
2.3.1. L’anorexie mentale
2.3.1. Origine de l’anorexie
2.3.2. La boulimie
2.3.3. Origine de la boulimie
2.3.4. Conséquences des troubles
3. Hypothèses
4. Méthodologie
4.1. Risques et enjeux éthiques
5. Analyse
5.1. Les adolescent·e·s anorexiques / boulimiques créent des relations par le biais d’Instagram
5.2. Les soutiens proposés en ligne ne permettent pas de tisser une réelle relation thérapeutique
5.3. Instagram incite les adolescent·e·s à maigrir pour répondre aux standards sociétaux
6. Conclusion finale
7. Bibliographie
8. Annexes
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