La personnalité : du normal au pathologique
Définitions
Les concepts de personnalité et de personnalité pathologique ont une origine double. Une première source, la plus ancienne, est celle de la médecine grecque avec la doctrine des tempéraments. La deuxième, d’origine psychologique, se situe au 19ème siècle avec le développement de la psychologie de la personnalité. L’utilisation du terme personnalité dans le langage psychiatrique a été introduite par T. Ribot qui, en 1885, a été l’auteur de l’ouvrage « Les Maladies de la personnalité ». Selon cet auteur la personnalité est susceptible d’être atteinte par la maladie à l’image de la pathologie de n’importe quelle autre fonction. Plus tard (1937), l’auteur américain et psychologue G. Allport définit la personnalité comme l’organisation dynamique des systèmes psychologiques qui déterminent les comportements caractéristiques d’un individu et ses pensées.
Pour le psychologue anglais H.J. Eysenck (1950), la personnalité représente l’organisation plus ou moins ferme et durable « du caractère, du tempérament, de l’intelligence et du physique » d’une personne, qui détermine son adaptation au milieu. P. Pichot en 1965 attribue au terme personnalité l’intégration dynamique des aspects cognitifs, conatifs (pulsionnels et volitionnels), affectifs ainsi que psychologiques et morphologiques d’un individu. Ces deux dernières définitions ont l’avantage d’énumérer les principales composantes du fonctionnement psychologique d’un individu, dont l’ensemble constitue la personnalité (1). Il est ici important de faire la part entre les termes personnalité, caractère et tempérament. Le caractère, une notion plus étroite que celle de la personnalité, correspond aux dimensions observables de la personnalité d’un sujet, qui le rendent socialement repérable par rapport à tous les autres individus (2). Selon une autre définition le caractère contient l’ensemble de traits psychologiques qui indiquent la manière la plus habituelle que la personne a de se comporter vis-àvis de lui-même, comme vis-à-vis des autres personnes, des situations ou des objets qu’il rencontre. Le tempérament en revanche, se réfère aux facteurs biologiques de la personnalité, c’est-à-dire aux dispositions qui sont génétiquement déterminées .
Théories et modèles généraux de la personnalité
Différentes théories et modèles généraux ont été élaborés afin d’aborder les concepts de la personnalité et de ses troubles. Parmi ces théories on peut citer les théories néo-béhavioristes, les théories cognitives, psychodynamiques et socio-culturelles, la psychologie de traits et les modèles typologiques. Les théories néo-béhavioristes intègrent trois courants théoriques, la réflexologie de I. Pavlov, le behaviorisme de D. Watson et la théorie de l’apprentissage de E. Thorndike. Ces théories sont dérivées de la théorie stimulus-réponse et reposent sur l’étude des processus d’apprentissage, l’environnement ayant un rôle structurant pour la personnalité. La notion de la motivation est placée au sein de l’étude des comportements, les connexions stimulus-réponse étant favorisées par la satisfaction et contrariées par la douleur et l’ennui. L’aspect dynamique de la personnalité est la pulsion (drive) qui fournit l’énergie. La personnalité, est alors la résultante des expériences conflictuelles : des apprentissages précoces et des sources de satisfaction ou de frustration. Les théories cognitives mettent l’accent sur le rôle des opérations mentales et des représentations, en dissociant les invariants personnels cognitifs et affectivo-motivationnels. Elles déterminent ainsi des dimensions cognitives de la personnalité. Selon cette conception, des croyances erronées, des schémas de pensée mal adaptés et des distorsions cognitives peuvent être à l’origine des troubles de la personnalité. Les théories psychodynamiques reposent sur la théorie des instincts. Les instincts représentent des pulsions d’origine biologique et constituent les forces qui poussent l’individu à accomplir une activité préformée dans les structures nerveuses. Lors du développement, la lutte entre le pôle pulsionnel de la personne et les nombreuses sources de tension détermine la formation de la personnalité, qui représente l’état d’équilibre du sujet. La psychologie dynamique élaborée par S. Freud utilise ainsi les concepts, entre autre, de pulsions, de désirs, d’obstacles et de conflits. La genèse de la personnalité est l’histoire du développement des pulsions primaires. Dans ce contexte, un développement pathologique peut être observé lorsque certaines périodes du développement sont marquées par des frustrations intenses ou prolongées et lorsque les mécanismes de défense sont insuffisamment efficaces.
Les troubles de la personnalité : classification et évaluation
Classifications en psychiatrie : du Koch au DSM-V
Aspects historiques
Dans l’histoire de la psychiatrie, différentes classifications ont été élaborées afin d’aborder le spectre de la pathologie de la personnalité. Ces classifications ont été inspirées par les théories et les modèles généraux de la personnalité, dont les principaux sont le modèle typologique, le modèle dimensionnel et le modèle structural de la psychanalyse freudienne. Les premières classifications apparues au cours du 19ème siècle se sont fondées sur le modèle typologique et catégorielle, qui s’est depuis imposé de façon exclusive lors des classifications ultérieures. Selon cette conception, les types de personnalité sont décrits en termes de catégories diagnostiques. La cinquième édition du DSM a été la première classification à introduire l’approche dimensionnelle dans la description des troubles de la personnalité, en l’incluant dans un modèle hybride. L’ébauche de la notion de personnalité pathologique est classiquement attribuée à P. Pinel sous le concept de la manie sans délire. En 1837, J.C. Prichard sera toutefois le premier à décrire un trouble de la personnalité : la folie morale (moral insanity), qu’on retrouve dans les classifications plus récentes sous une autre appellation, celle de personnalité antisociale. Plus tard B.A. Morel (1857) avec sa doctrine de la dégénérescence et J.J.V. Magnan, proposeront des descriptions et des théorisations mais pas encore une classification d’ensemble des personnalités pathologiques. J.L.A. Koch en 1888 dans son manuel « Eléments de psychiatrie » introduira le chapitre « Infériorités psychopathiques ». Ce chapitre sera développé dans une monographie (1891-1893) qui constitue le premier ouvrage d’ensemble sur les personnalités pathologiques (3). Depuis Koch des classifications ultérieures ont été proposées qui ont inclus un très grand nombre de catégories diagnostiques avec une très grande instabilité temporelle et « interclassificatoire » . Les deux principaux systèmes de classification sont jusqu’aujourd’hui la CIM (Classification Internationale des Maladies) publié par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), et le DSM (Manuel Statistique et Diagnostique des troubles mentaux) de l’Association Américaine de Psychiatrie (APA).
La publication en 1980 de la troisième édition du DSM a constitué pour autant un événement majeur dans l’histoire des classifications des troubles mentaux. Le DSM-III a introduit une approche athéorique, une définition critériologique des troubles mentaux, une évaluation multiaxiale en cinq axes avec la possibilité de diagnostics multiples sur les trois premiers axes (3). L’axe II a été exclusivement réservé aux troubles de la personnalité afin d’attirer l’intérêt des cliniciens sur la personnalité des patients indépendamment de leurs diagnostics psychiatriques. Les troubles de la personnalité ont été alors distingués des « troubles cliniques », en réservant la possibilité des associations comorbides .
Les limites des classifications catégorielles
L’utilisation de l’approche catégorielle pour la description des troubles de la personnalité, depuis le 19ème siècle et jusqu’à la publication du DSM-IV-TR, a fait l’objet de nombreuses critiques. Les limites du DSM-IV résident d’après différents auteurs, dont le président du groupe de travail sur les troubles de la personnalité pour l’élaboration du DSM-V, sur les points suivants :
➨ Les cooccurrences entre différents troubles de la personnalité sont extrêmement fréquentes. Il a été constaté qu’en population clinique 60% des patients présentant les critères pour un trouble de la personnalité présentent également les critères pour au moins un autre trouble, et 25% d’entre eux pour plus de deux troubles.
➨ Il existe une très grande hétérogénéité entre les patients recevant le même diagnostic. Ainsi, deux personnes peuvent recevoir le diagnostic de personnalité borderline tout en n’ayant qu’un seul symptôme en commun.
➨ Le seuil déterminant le passage du normal au pathologique est arbitraire.
➨ Les catégories diagnostiques ont un faible pouvoir descriptif : dans une méta-analyse de 51 études les troubles de la personnalité non spécifiés représentent 21% à 49% de tous les troubles de la personnalité en population clinique.
➨ Les classifications catégorielles ont une faible utilité clinique dans la mesure où ils n’existent pas ou peu de traitements spécifiques.
➨ L’évaluation clinique est complexe avec une concordance diagnostique interjuges faible, nécessitant le recours à des lourds instruments de recueil critériologique.
➨ Il existe une faible stabilité temporelle, le trouble obsessionnel-compulsif étant le seul à présenter une bonne stabilité temporelle à long terme .
DSM-V
Devant les multiples sources d’insatisfaction vis-à-vis des classifications catégorielles, un intérêt grandissant s’est développé chez les praticiens pour l’approche dimensionnelle de la personnalité, qui, en revanche, a toujours eu la préférence des psychologues. C’est dans ce contexte que le DSM-V a été élaboré.
Le thème de la personnalité a été inclus dans la Research Agenda for DSM-V et la piste dimensionnelle a été encouragée. Le groupe de travail chargé des troubles de la personnalité, présidé sous A. Skodol, a publié en février 2010 des recommandations initiales, dont la plupart réellement innovantes. Ces recommandations préconisaient des nouveaux critères diagnostiques généraux, une description dimensionnelle du fonctionnement global d’une personnalité en cinq points (de 0 à 4) ainsi qu’un modèle hybride, associant catégories et dimensions. Le nombre des catégories diagnostiques a été limité à cinq, les personnalités paranoïaques, schizoïdes, narcissiques, histrioniques et dépendantes étant considérées comme des simples traits pathologiques de personnalité. La manque de justifications empiriques suffisantes ainsi que l’insuffisance de démonstration de leur intérêt clinique ont été les arguments principaux pour cette décision. Six dimensions de la personnalité ont été retenues avec 37 facettes, choix inspiré par le modèle à cinq facteurs.
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Table des matières
1. INTRODUCTION
1.1. La personnalité : du normal au pathologique
1.2. Les troubles de la personnalité : classification et évaluation
1.2.1. Classifications en psychiatrie : du Koch au DSM-V
1.2.2. Evaluation des troubles de la personnalité
1.3. Les comorbidités
1.3.1. Troubles de la personnalité et troubles affectifs
1.3.2. Suicidologie
1.3.3. Troubles de la personnalité et addictions
1.4. Evolution des troubles de la personnalité
1.4.1. Le sujet âgé
1.4.2. Le trouble de la personnalité borderline
1.5. La thérapeutique
1.5.1. Traitements psychosociaux
1.5.2. La pharmacothérapie
1.6. Les troubles de la personnalité en soins primaires
1.6.1. La prévalence en population générale
1.6.2. Troubles de la personnalité et systèmes de santé
1.6.3. Les troubles de la personnalité au cabinet de médecine générale
1.6.4. Niveau de détection par le médecin généraliste
2. METHODE
2.1. Pourquoi ce sujet
2.2. Le choix d’une méthode qualitative
2.3. Le choix de l’entretien comme technique de recueil des données
2.4. L’entretien semi-dirigé
2.5. Le choix de l’échantillon
2.6. La taille de l’échantillon
2.7. Le mode d’accès aux interviewés
2.8. Modification du guide d’entretien au cours de l’enquête
2.9. Déroulement des entretiens
3. RESULTATS
3.1. Données sociodémographiques des médecins
3.2. Entretiens
4. DISCUSSION
4.1. Forces et limites de l’étude
4.2. Analyse
4.2.1. Nosologie
4.2.2. Démarche diagnostique
4.2.3. Conduite à tenir
4.2.4. Le suivi au cabinet de médecine générale
4.2.5. Représentation nosologique du terme trouble de la personnalité
4.2.6. Le rôle du médecin généraliste
4.2.7. Pistes d’amélioration
5. CONCLUSION
ANNEXES