La mitochondrie
Une des différences fondamentales entre une cellule eucaryote et une cellule procaryote est la présence dans les cellules eucaryotes d’organites divisant l’espace cellulaire en compartiments spécialisés. La mitochondrie est un de ces organites et elle joue un rôle primordial dans le fonctionnement de la cellule. Elle est notamment le siège de la production de l’ATP, molécule à haut potentiel énergétique qui intervient dans la plupart des voies métaboliques cellulaires. Les mitochondries fournissent 90% de l’énergie utilisée par nos cellules et sont considérées comme « les centrales énergétiques » de la cellule.
Historique, morphologie, dynamique
La première mention des mitochondries remonte à 1857 quand Kolliker (Université de Wurtzbourg, Allemagne) les décrit dans les fibres musculaires cardiaques mais il faudra attendre la fin du XIXéme siècle pour une caractérisation plus précise et pour qu’elles soient reconnues comme organites. Leur nom a été donné par Benda en 1898 et provient du grec « mitos », fil, et « chondros », grain, ce qui fait référence à leur forme variable, soit cylindrique soit sphérique. Leur forme et nombre varient en fonction du type cellulaire. Par exemple dans les cellules élaboratrices d’hormones stéroïdiennes les mitochondries sont filamenteuses avec un diamètre allant de 0,2 µm à 20 µm de long, alors que dans les hépatocytes (foie), elles sont granulaires, avec un diamètre de 0,5-5 µm. Leur nombre est proportionnel aux besoins énergétiques de la cellule et peut aller de quelques unités à plusieurs milliers. Cependant il est relativement vain de décrire avec précision la forme des mitochondries ou de les dénombrer exactement car elles ne sont pas des organites statiques : elles peuvent augmenter ou diminuer de volume, fusionner entre elles ou se fragmenter et tout cela dans un laps de temps n’excédant pas quelques minutes. Les mécanismes de fusion et de fission ont été beaucoup étudiés chez la levure Saccharomyces cerevisiae (pour revue voir Okamoto & Shaw 2005) Toutefois, quel que soit le type observé, les mitochondries présentent une structure similaire : elles sont entourées par une enveloppe formée de deux membranes, membrane externe et membrane interne . La membrane interne délimite l’espace matriciel et l’espace entre les deux membranes est appelé espace inter-membranaire.
Les deux membranes ont des compositions et des fonctions différentes. La membrane externe est lisse et composée, comme la membrane plasmique, de 40% de lipides et 60% de protéines. Elle est caractérisée par une grande perméabilité aux ions et aux petites molécules. Cette perméabilité est principalement due à la présence de VDAC (Voltage Dependent Anion Channel), une protéine homologue aux porines bactériennes, qui est perméable à des molécules d’une taille inférieure à 5000 Da. Il en résulte que l’espace inter membranaire a une composition très proche de celle du cytoplasme. Au contraire, la membrane interne est imperméable à la plupart des ions ou métabolites. C’est une membrane assez particulière caractérisée par sa richesse en protéines (80%) et en cardiolipide (plus de 15% des lipides) . Une caractéristique de la membrane interne est aussi son potentiel membranaire très élevé (autour de -180 mV) (Kamo 1979) par rapport à celui de la membrane plasmique (entre- 40 mV et -80 mV à l’état de repos). La membrane interne se replie pour former de nombreuses crêtes (cristae), ce qui a pour conséquence d’augmenter sa surface totale d’échange. Grâce à la microscopie et tomographie électronique, il a été montré que ces cristae ne sont pas des simples invaginations de la membrane mais plutôt des micro-compartiments internes, sous forme des tubules ou saccules, connectées à la périphérie de la membrane interne par des jonctions (Manella 2001) .
Cette topologie de la membrane interne a un effet sur la diffusion interne des métabolites et protéines solubles et régule ainsi différentes activités mitochondriales (comme la synthèse de l’ATP). Jusqu’à ce jour deux protéines ont été décrités comme étant impliquées dans la morphologie de la membrane interne: une GTP-ase appelé Mgm1p chez les levures et OPA1 chez les mammifères et l’ATP synthase (pour revue voir Mannella 2008). Cette composition et structure particulières de la mitochondrie ainsi que d’autres observations (comme le fait que la mitochondrie est capable de se diviser indépendamment de la cellule, qu’elle a son propre génome et ses propres ribosomes et ARNs de transfert similaires à ceux bactériens) ont conduit à la théorie de l’origine endosymbiotique de la mitochondrie, proposée par Lynn Margulis dans les années 1970. Selon cette théorie, les mitochondries proviennent de l’endocytose des procaryotes avec lesquelles une cellule eucaryote primitive aurait entretenu une relation symbiotique. La bactérie originelle pourrait être apparentée aux !-protéobactéries de la famille de Rickettista (Falah & Gupta 1994), selon des analyses des arbres phylogénétiques d’ARN ribosomaux (Yang 1985), des protéines chaperonnes (Viale 1994) et des cytochromes (Sicheritz-Pontén 1998). Au cours de l’évolution, la mitochondrie s’est spécialisée dans la production de l’énergie en condition aérobie. La majorité des gènes de l’endosymbionte originel a été perdue ou bien transférée vers le noyau de la cellule hôte. Aujourd’hui, l’ADN mitochondrial humain est circulaire et contient 37 gènes qui codent pour 22 ARN de transfert, 2 ARN ribosomaux et 13 protéines qui font partie des complexes de la chaîne respiratoire. Les autres protéines mitochondriales sont codées par des gènes nucléaires, synthétisées dans le cytosol et puis importées dans la mitochondrie. Le génome mitochondrial se transmet par la mère. Son étude permet donc de retracer les relations généalogiques entre les individus seulement selon la voie maternelle.
Fonctions mitochondriales
La mitochondrie exerce un rôle essentiel dans la respiration cellulaire qui a comme conséquence la production d’ATP. En effet, les dernières étapes du métabolisme du glucose (avec le cycle de Krebs) et des acides gras (dont la « -oxydation) prennent place dans la matrice mitochondriale. Les produits de ces processus (NADH et FADH2) s’oxydent en transférant leurs électrons aux complexes de la chaîne respiratoire. Le transfert d’électrons au sein des protéines de la chaîne respiratoire génère un gradient de protons entre la matrice et l’espace intermembranaire. Ce gradient est utilisé par l’ATP synthase pour catalyser la synthèse d’ATP à partir d’ADP et du phosphate inorganique. La découverte de ce couplage chimio-organique valut à Mitchell (Mitchell 1961) le prix Nobel en 1978. Parmi les autres fonctions importantes de la mitochondrie, on peut citer : participation à la mort cellulaire programmée (apoptose) et à la prolifération cellulaire, protection contre le stress oxydant, la synthèse de l’hème et des hormones stéroïdes, le maintien de l’homéostasie calcique et la production de chaleur.
Les transporteurs mitochondriaux
Vu la diversité et l’importance des fonctions que la mitochondrie assure, un échange rapide et spécifique des molécules entre le cytosol et la matrice mitochondriale est nécessaire. Cet échange est principalement réalisé par des protéines de la membrane mitochondriale interne appelées transporteurs mitochondriaux. Ces transporteurs ont des caractéristiques communes ce qui a permis leur rassemblement au sein d’une famille, la famille MCF (Mitochondrial Carrier Family) :
– une structure tripartite qui consiste en 3 domaines homologues d’environ 100 acides aminés chacun, probablement générée par des événements de duplication anciens successifs ; chaque répétition/domaine est formée de 2 hélices transmembranaires connectées par une boucle
– une séquence signature P-X-(D/E)-X-X-(K/R)-X-(K/R)-…20-30 résidus…- (D/E) GX-X-X-X-(W/Y/F)-(K/R)-G
– ils sont tous codés par des gènes nucléaires
– leur masse moléculaire est comprise entre 30 et 35 kDa
– d’après leur séquence ils contiennent probablement six hélices transmembranaires
– ils ont un point isoélectrique élevé (autour de 9) .
Le transporteur ADP/ATP et la protéine découplante UCP ont été les premiers membres de la famille des transporteurs mitochondriaux à être découverts. En se basant sur les caractéristiques énoncées ci-dessus, d’autres membres de la famille ont été découverts par la suite : 35 chez Saccharomyces cerevisiae, 59 chez Arabidopsis Thaliana et 50 chez l’humain (Palmieri & Pierri 2009). Actuellement, chez l’humain, la famille MCF est la plus grande parmi les familles de transporteurs SLC (Solute Carriers). Aucun homologue n’a jamais été encore observé chez les organismes procaryotes. La plupart des transporteurs mitochondriaux sont présents chez tous les organismes eucaryotes. Néanmoins il y a quelques exceptions comme le transporteur GDP/GTP (Vozza 2004) qui n’est pas présent chez les mammifères et les plantes, et qui est donc une cible potentielle de médicaments contre des parasites qui attaquent les plantes ou les humains .
Les substrats transportés par les transporteurs mitochondriaux sont très divers tant du point de vue de leur nature (anionique, cationique, zwitterionique) que de leur structure ou dimension. Les substrats peuvent être très petits comme le proton ou très grands comme l’ATP, le NAD+ ou la coenzyme A. En se basant sur la spécificité du substrat transporté, sur l’alignement de séquence de plusieurs MCF et sur la connaissance de la structure d’AAC bovin, Robinson & Kunji (2006) ont proposé un site de liaison du substrat commun à tous les membres de la MCF. Ce site serait formé par des résidus des hélices transmembranaires paires.
Les transporteurs mitochondriaux sont codés par le génome nucléaire et doivent donc êtres importés dans la membrane interne de la mitochondrie (pour revue Rehling 2004). Alors que de nombreuses protéines mitochondriales portent une séquence d’adressage Nterminale qui permet leur importation, ce n’est pas le cas pour la plupart des transporteurs mitochondriaux qui sont dénués d’une telle séquence. Les mécanismes de leur adressage sont encore mal connus, mais il semblerait que certaines séquences internes interagissent entre elles pour former un élément d’adressage tridimensionnel (De Marcos Lousa 2006). Plusieurs étapes distinctes de l’importation ont été identifiées : à la sortie du ribosome, la protéine est prise en charge par des chaperons (Hsp70 et Hsp90) et transportée vers le complexe général d’import TOM (Translocase of the Outer mitochondrial Membrane) de la membrane externe mitochondriale. Elle est transportée par celui ci vers l’espace intermembranaire où des membres du complexe d’import TIM (Translocase of the Inner mitocondrial Membrane) se chargent de les insérer dans la membrane interne sous une forme correctement repliée (Chacinska 2009).
|
Table des matières
Chapitre I Introduction
I.A La mitochondrie
I.A.1 Historique, morphologie, dynamique
I.A.2 Fonctions mitochondriales
I.B Les transporteurs mitochondriaux
I.B.1 Les transporteurs ADP/ATP
I.B.1.1 Petite histoire de la découverte
I.B.1.2 Rôle physiologique, isoformes et pathologies associées
I.B.1.3 Inhibiteurs et conformations
I.B.1.4 Structure
I.B.1.5 Caractéristiques du transport
I.B.1.6 Autres fonctions de l’AAC
I.B.2 Les protéines découplantes UCP (Uncoupling Proteins)
I.B.2.1 La protéine découplante UCP1
I.B.2.1.1 Petite histoire de la découverte
I.B.2.1.2 Rôle physiologique
I.B.2.1.3 Topologie
I.B.2.1.4 UCP1 – transporteur de protons
I.B.2.1.5 UCP1 – transporteur d’anions
I.B.2.1.6 Mécanisme de transport de protons
I.B.2.2 Les autres UCPs
I.C Production des transporteurs mitochondriaux
I.C.1 Transporteur ADP/ATP
I.C.1.1 Expression chez E. coli
I.C.1.2 Expression chez la levure
I.C.2 Protéine découplante UCP1
I.C.2.1 Expression chez E. coli
I.C.2.2 Expression chez la levure
I.D Production des protéines membranaires – un défi
I.E Objectifs de ce travail
Chapitre II – Matériel & Méthodes
II.A Produits chimiques
II.A.1 Milieux de culture
II.A.2 Surfactants et lipides
II.B Matériel biologique
II.C Techniques générales d’analyse biochimique et biophysique
II.C.1 Électrophorèse des protéines sur gel de polyacrylamide (SDS-PAGE)
II.C.2 Immunodétection (Western blot)
II.C.3 Chromatographie d’exclusion
II.C.4 RMN (Résonance Magnétique Nucléaire)
II.D Techniques de biologie moléculaire
II.D.1 Les ADNc utilisés
II.D.2 Les vecteurs d’expression
II.D.3 Préparation de l’ADN, dosage, amplification par PCR
II.D.4 Techniques de clonage
II.D.4.1 Clonage classique en utilisant des enzymes de restriction
II.D.4.2 Clonage sans enzyme de restriction (Restriction Free Clonning)
II.D.4.3 Réalisation des constructions
II.E Purification des transporteurs mitochondriaux natifs
II.E.1 Purification des mitochondries du tissu adipeux brun
II.E.2 Purification d’UCP1 à partir des mitochondries
II.F Production des protéines recombinantes
II.F.1 La synthèse in vitro
II.F.1.1 Tests d’expression
II.F.1.2 Production des protéines à l’échelle préparative
II.F.1.3 Purification
II.F.2 Expression chez E. coli
II.F.2.1 Tests d’expression chez E. coli
II.F.2.2 Expression à l’échelle préparative
II.F.2.2.1 Solubilisation des membranes
II.F.2.2.2 Purification
II.F.3 L’expression en ovocyte de xénope
II.G Techniques d’analyse fonctionnelle
II.G.1 Test fonctionnel spectrophotomètrique
II.G.1.1 Préparation des liposomes
II.G.1.2 Incorporation de la protéine
II.G.1.3 Mesures d’activité
II.G.2 Test fonctionnel basé sur la mesure des courants électriques
II.G.2.1 Préparation des liposomes
II.G.2.2 Incorporation de la protéine
II.G.2.3 Mesures d’activité
II.G.3 Test fonctionnel AAC – Radioactivité
II.G.4 Double électrode – Two Electrode Voltage-Clamp (TEVC)
Chapitre III Résultats & Discussion : Transporteurs mitochondriaux natifs
III.A Purification d’UCP1 native
III.B Tests d’activité d’UCP1
III.B.1 Test fonctionnel spectrophotométrique
III.B.2 Test fonctionnel basé sur la mesure des courants électriques
III.B.2.1 Détection d’un courant spécifique à l’UCP1
III.B.2.2 Effet de la congélation des liposomes
III.B.2.3 Stabilité du signal
III.B.2.4 Effet des acides gras
III.B.2.5 Effet des ions chlorure
III.B.3 Test SURFE2R – avantages et désavantages
Chapitre IV Résultats & discussion : Transporteurs mitochondriaux recombinants
IV.A La synthèse in vitro des transporteurs mitochondriaux
IV.A.1 Principe de la synthèse in vitro
IV.A.2 Mise au point des conditions de synthèse
IV.A.2.1 Vers une protéine soluble…
IV.A.2.1.1 La solubilisation du culot
IV.A.2.1.2 La production en présence de surfactants
IV.A.2.1.3 Expression en présence de liposomes
IV.A.3 Mise au point de l’expression d’autres transporteurs mitochondriaux
IV.A.4 Synthèse à l’échelle préparative – RTS 500
IV.A.5 Purification
IV.A.6 Analyse biophysique de la protéine purifiée
IV.A.6.1 Analyse par chromatographie d’exclusion de taille
IV.A.6.2 Analyse par RMN
IV.A.7 Analyse fonctionnelle de la protéine
IV.A.7.1 Test fonctionnel spectrophotométrique
IV.A.7.2 Test fonctionnel basé sur la mesure de courants électriques
IV.A.8 La synthèse in vitro – une méthode efficace de production de transporteurs mitochondriaux ?
IV.B Expression chez E. coli
IV.B.1 Protéines de fusion
IV.B.1.1 Protéines de fusion avec Mistic
IV.B.1.1.1 Criblage des conditions optimales d’expression
IV.B.1.1.2 Expression de Mistic-rUCP1 dans les membranes
IV.B.1.1.3 Solubilisation des membranes exprimant Mistic-rUCP1
IV.B.1.1.4 Expression dans les membranes et solubilisation des autres transporteurs mitochondriaux
IV.B.1.1.5 Fonctionnalité des protéines de fusion avec Mistic
IV.B.1.2 Protéines de fusion avec MBP
IV.B.1.2.1 Criblages des conditions d’expression et purification des protéines de fusions MBP
IV.B.1.2.2 Étude des propriétés fonctionnelles des fusions MBP
IV.B.1.3 L’expression chez E. coli – un système efficace de production de transporteurs mitochondriaux ?
IV.C Expression en ovocytes de xénope
Chapitre V Conclusions