Les transformations des modèles nationaux de l’immigration

Toute une série de travaux théoriques, en sociologie, en sciences politiques et parfois en philosophie sociale, développe l’idée selon laquelle, chaque pays a une tradition nationale qui façonne la manière dont il traite de l’immigration et plus généralement des relations inter-ethniques. Les grandes lignes de la politique de l’immigration seraient ainsi dictées par le « projet national », au sens historique du terme, et la configuration des États-nations en termes de citoyenneté serait la variable explicative la plus pertinente pour la compréhension des politiques nationales de l’immigration (Schnapper, 1992). Des modèles de citoyenneté on pourrait ainsi passer aux modèles d’intégration des immigrés.

Ce type de travaux repose souvent sur une distinction des idéaux-types des régimes de citoyenneté (Brubaker, 1992) : l’exclusionnisme ethnoculturel, l’assimilationnisme civique, et le multiculturalisme pluraliste. Ces « modèles nationaux » de gestion de la diversité sont fréquemment présentés comme incompatibles. Ainsi, selon ce cadre théorique, et lorsqu’on passe à la réalité empirique, on oppose souvent la France conjointement à deux pays : les États-Unis d’une part et l’Allemagne d’autre part. Les travaux sur l’immigration, la citoyenneté ou l’intégration présentent habituellement ces trois pays d’immigration comme les exemples les plus aboutis des idéaux-types des régimes de citoyenneté. La France est l’exemple par excellence du modèle de l’État-nation universaliste et égalitariste, qui ne considère que l’assimilation individuelle des citoyens.

Existe-t-il une spécificité française de l’intégration des immigrés? 

Quelques perspectives comparatives : la place de la France parmi les pays d’immigration 

Dans une approche positive, et sans avoir recours à des concepts tels que la citoyenneté ou les modèles nationaux, G. Freeman (1995) dresse une typologie distinguant trois groupes de pays d’immigration. Cette typologie repose notamment sur l’histoire migratoire des pays concernés ainsi que sur l’ancienneté des politiques publiques relatives à l’immigration et leur degré d’institutionnalisation.

– Le premier groupe de pays concerne les « pays classiques » d’immigration. Il comprend l’Australie, le Canada, la Nouvelle Zélande, et les États-Unis. Pour chacun des ces pays, l’immigration est une réalité inhérente à leur existence même en tant que nations. Sur la scène internationale, et en dépit de la mouvance restrictive plus ou moins généralisée, ils représentent les pays les plus libéraux en matière d’immigration : ils continuent de nos jours à encourager la migration d’installation, l’immigration y occupe peu de place dans le débat public, et rares sont les partis politiques qui y sont fondamentalement opposés. Le multiculturalisme y représente un principe civique fondamental, les différentes communautés étant reconnues, respectées et parfois protégées par les pouvoirs publics. Elles interviennent sur la scène publique comme des acteurs politiques de première importance. Par ailleurs, chacun de ces pays est caractérisé par une longue tradition de politiques volontaristes menées par les gouvernements successifs en matière de gestion des flux, d’accueil des migrants et de lutte contre les discriminations. Par conséquent, une certaine confiance règne dans la capacité des institutions à gérer les problèmes d’immigration. L’Australie et le Canada représentent dans cette perspective un degré fort de rationalisation de la politique d’immigration, notamment au travers du formulaire détaillé sélectionnant les immigrés, et leur permettant de répondre assez rapidement aux demandes de l’économie en matière de main d’oeuvre .

– Le second type de pays regroupe les pays européens caractérisés par une immigration post-coloniale de main d’œuvre. Il s’agit principalement du RoyaumeUni, de l’Allemagne, de la Belgique, des Pays-Bas, de la Suède et de la Suisse. La France occupe une place particulière au sein de ce groupe ; parce qu’elle a connu très précocement une immigration de masse notamment au cours du XIXe siècle, le concept d’immigration post-coloniale ne lui convient pas. Néanmoins, la fonction économique de l’immigration, la rapproche fortement de ce groupe  . Pour chacun de ces pays, l’expérience de l’immigration a commencé alors que leur existence en tant qu’État-nation était affirmée. Le débat public autour de l’immigration est régi par des dilemmes notamment en ce qui concerne les questions de citoyenneté et de nationalité. La politique d’immigration est caractérisée par un retard constant, et partant, par des erreurs récurrentes. Erreur d’avoir soutenu et cru en l’illusion que la migration de main d’œuvre n’est que temporaire, et de n’avoir préparé que très peu, l’installation définitive inéluctable d’une grande partie des migrants ; erreur de ne pas avoir développé des programmes spécifiques à l’intégration des immigrés ; erreur de n’avoir compris que tard la nécessité de lutter activement contre les discriminations à l’encontre des populations immigrées. . . Ces erreurs s’accompagnent par un certain scepticisme quant à la capacité de l’État à contrôler l’immigration. Par conséquent, l’opinion publique et les gouvernements de ces pays sont caractérisés par une attitude bien moins positive vis-à-vis de l’immigration que celle que l’on trouve dans les pays dits classiques. Les conflits sociaux liés à l’immigration peuvent être relativement violents, et nombreux sont les partis politiques qui fondent leur programme et leur lignée idéologique sur l’hostilité aux immigrés. De plus, ils connaissent un certain succès dans l’opinion publique  . Ainsi, les politiques d’immigration ont pendant longtemps étaient caractérisées par une opposition entre l’attitude des entreprises et employeurs, plutôt favorable, et celle des opinions publiques plus ou moins opposée. Le contexte économique présente un impact fort sur les politiques d’immigration : c’est pour cela que ces pays ont connu à partir des années 1970, avec la dégradation du contexte économique, un retournement restrictif de leur politique d’immigration. Il est toutefois frappant de remarquer que la décision de suspendre l’immigration dans des pays comme la France, l’Allemagne et la Suède a été prise sans aucune consultation, débat public ou parlementaire (Hammar, 1985).

– La troisième catégorie concerne ce que l’on peut appeler les « nouveaux pays d’immigration ». Il s’agit notamment du Portugal, l’Espagne, l’Italie et la Grèce. Ces pays ont connu une transition entre leur ancien statut de pays d’émigration et leur nouveau statut de pays d’immigration. Ils ont constitué des pôles attractifs notamment après la fermeture des frontières des autres pays européens et on été confrontés plus ou moins brutalement à des flux migratoires conséquents. Or, ils souffrent d’une absence quasi totale d’expérience en matière de politique d’immigration. Celle-ci s’impose de manière urgente autour de trois axes : organiser les entrées légales d’immigrés, bloquer les entrées illégales et régulariser les immigrés clandestins. C’est la dernière politique qui fut surtout utilisée, comme en témoignent les expériences en Italie (par exemple en 1990, 1995, 1998, 2002) et en Espagne (par exemple en 1985, 1991 et en 2005). Par ailleurs, une forte pression s’exerce de la part de l’Union Européenne sur ces pays, considérés comme les maillons faibles de la stratégie de cette dernière en matière de régulation de l’immigration.

Il est frappant de constater que, en dépit des différences plus ou moins fondamentales qui existent entre les histoires et les politiques migratoires de ces pays, ils ont tous comme point commun une forme plus ou moins prononcée d’hostilité de l’opinion publique à l’immigration. Dans un article publié dans International Migration Review, R. Simon et J. Lynch (1999) comparent l’attitude vis à-vis de l’immigration en Australie, au Canada, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, au Japon et aux États-Unis sur la période 1970-1995. Ils montrent que, bien qu’aucun de ces pays ne présente une majorité stable favorable à l’immigration, il existe des degrés d’opposition plus ou moins forts. Les États-Unis sont caractérisés par une opinion publique plutôt favorable à l’immigration, comparativement aux autres, même si cette vision positive concerne plutôt les anciennes vagues migratoires (en 1993, 59% des Américains pensaient que l’immigration était une bonne chose pour le pays). Mais les pays classiques d’immigration ne sont pas tous caractérisés par une acceptation de l’immigration ; les gouvernements y sont souvent largement plus favorables que leur opinion publique. En Australie, entre 1988 et 1991, alors que les flux migratoires étaient très intenses, moins de 10% des Australiens pensaient qu’il fallait admettre plus d’immigrants sur le territoire (Freeman et Birrel, 2001). Dans les pays européens, et notamment en France, le rejet de l’immigration est plus lié à une peur de perte d’une identité nationale d’une part, ou à des questions d’insécurité sociale et économique d’autre part. En 1993, 76% des Français reconnaissent que les immigrés font le travail que les natifs refusent de faire. Néanmoins, les déclarations xénophobes connaissent une progression qui va de pair avec celle du Front National. En 1991, 71% des Français pensent qu’ »il y a trop d’Arabes en France » (Freeman et Birrel, 2001) ; en 2005, 47% des Français pensent qu’ »il y a trop d’immigrés en France »  ; en 2006, en France, une personne sur trois répond qu’elle pense être raciste (dont 24%, un peu raciste) .

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Table des matières

Introduction
1 Les transformations des modèles nationaux de l’immigration
1.1 Existe-t-il une spécificité française de l’intégration des immigrés?
a Quelques perspectives comparatives : la place de la France parmi les pays d’immigration
b France, États-Unis : deux conceptions de l’immigration?
c Le modèle républicain ou l’intégration à la française : entre discours et pratiques
1.2 Vers la reconnaissance de la diversité?
a Migrations internationales, globalisation, transnationalisme : les nouveaux enjeux de la question de l’immigration dans les pays développés
b Le rôle de l’Etat dans la gestion de la diversité
2 Les sciences sociales, l’immigration et l’intégration des immigrés : perspectives théoriques
2.1 Questions terminologiques : intégration, assimilation, insertion, accommodation, de quoi parle-t-on?
2.2 Le cadre théorique de l’analyse de l’intégration des immigrés : des racines aux développements récents
a La théorie classique de l’assimilation
b Une grande étape de la théorisation sociologique de l’intégration : M. Gordon et la notion de multidimensionalité
c La remise en cause du paradigme de l’assimilation classique : multiculturalisme et assimilation segmentée
d Repenser l’assimilation : retour aux sources de l’École de Chicago ?
3 Problèmes méthodologiques : l’analyse quantitative de l’immigration
3.1 La méthodologie quantitative : sociologie et statistique
3.2 Les statistiques de l’immigration en France : le problème des catégories ethniques
3.3 Données et méthodes
a L’Échantillon Démographique Permanent
b Les apports de l’analyse longitudinale
Conclusion

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