Les transformations de l’agriculture et du travail agricole

Les transformations de l’agriculture et du travail agricole

L’histoire récente de l’agriculture en France montre toute une association de phénomènes qui ont bouleversé l’agriculture et les milieux sociaux qui y sont associés. Ces phénomènes sont notamment de l’ordre des techniques (développement des outils, gains de productivité, changements des conceptions sur les techniques et le « progrès »), de l’ergonomie et du travail (normalisation du travail et formalisation des relations de travail ), de la constitution du groupe professionnel (professionnalisation des agriculteurs et autonomisation de la profession) et de sa représentation , du rapport à l’économie (isolement du travail vis-à-vis des autres activités sociales), des structures économiques (accroissement de la capitalisation des exploitations agricoles, insertion dans des circuits économiques de plus grande échelle, changements des logiques économiques), ou encore de l’ordre de l’organisation des rapports sociaux au sein des familles agricoles (tentatives de séparation du domestique et du professionnel, mise à l’écart des générations âgées et inactives), des temporalités et des trajectoires personnelles . Ces multiples transformations du travail et de la vie quotidienne ne sont pas tombées du ciel, elles sont le produit d’un ensemble de prescriptions, d’injonctions et de constructions, élaborées par les pouvoirs publics, les structures économiques et une partie des agriculteurs eux-mêmes, qui renvoient à un modèle agricole professionnalisé recherchant la performance économique. L’imposition du modèle agricole qui en résulte provoque des conséquences profondes, qui amènent à une métamorphose de l’agriculture, et notamment de la démographie agricole et des moyens de productions.

La modernisation de l’agriculture 

L’agriculture et l’État 

Les politiques agricoles ont et ont eu une influence déterminante sur les formes que prend l’agriculture. Depuis l’après-guerre, par la planification, des législations et des mesures économiques, les interventions publiques ont occupé et occupent toujours une place conséquente dans l’agriculture, au point d’être indispensables et de s’auto-entretenir . Dans l’immédiat après-guerre et le contexte de pénurie alimentaire et de reconstruction – où le maintien du rationnement nourri le mythe des lessiveuses des familles agricoles pleines de billets –, il apparaissait urgent d’augmenter les productions agricoles pour nourrir le reste du pays, mais également d’équilibrer la balance commerciale en exportant des denrées agricoles afin de faire rentrer des devises à réinvestir ensuite. Ce schéma de redressement économique – pour sa partie agricole – est formalisé par le Commissariat général au Plan dès les années 1946-1947 , qui inscrit dans ses objectifs principaux la modernisation des appareils productifs et notamment la mécanisation de l’agriculture , qui est décrite comme la condition nécessaire à sa modernisation et à son développement . Pour permettre des investissements massifs dans l’agriculture, des crédits à taux avantageux sont proposés aux jeunes agriculteurs, malgré la persistance du mythe des lessiveuses qui amènent les pouvoirs publics à penser que les agriculteurs pourront eux-mêmes soutenir une grande partie des investissements dans la mécanisation . La politique agricole d’aprèsguerre est donc surtout productiviste et met l’accent en premier lieu sur la mécanisation. Si cette perspective productiviste correspondait aux besoins du moment, elle a été très peu – voire pas – remise en cause dans les pratiques, pour des raisons économiques mais aussi idéologiques, à cause de la concurrence internationale et des enjeux de compétitivité qui prennent de l’ampleur à partir des années 1980. De même, la lecture techniciste du développement, qui accompagne ce productivisme et qui était hégémonique dans les années 1940 et 1950 , est encore aujourd’hui peu remis en cause au sein de la profession. Le premier acte de la modernisation de l’agriculture est donc intimement lié à la production agricole et aux moyens qu’on lui donne : une agriculture moderne doit être performante. Pour atteindre ce résultat, le domaine agricole doit aussi devenir un véritable secteur, autonome, contribuant à l’économie globale. L’objectivation des procédés de production a amené le groupe social à construire son autonomie technique (autonomie dans le travail) et à l’isoler du reste de la collectivité .

Le modèle agricole mûri après-guerre n’a pas pris forme qu’au travers de la réforme des moyens de production et de leurs perspectives, il s’est aussi appuyé sur l’émergence d’une population agricole modèle. La modernisation de l’agriculture connaît un tournant dans les années 1950 avec l’investissement de nombreux militants de la Jeunesse agricole chrétienne (JAC) dans le syndicalisme agricole . En reprenant le CNJA , ces militants jeunes et actifs localement défendent des thèses modernistes et appellent une intervention de l’État dans les structures foncières afin de faciliter les installations de jeunes et de promouvoir une élite agricole jeune capable d’opérer la modernisation de l’agriculture. Dans leur militantisme – au sein de la JAC et du CNJA – et leurs revendications, les jacistes ont endossé le rôle d’agents du changement , ont soutenu et bénéficié largement des politiques de modernisation . Leurs demandes de réforme foncière et de soutien aux jeunes sont satisfaites par les lois d’orientation agricole de 1960 et 1962, qui favorisent un modèle d’exploitation agricole reposant sur deux unités de travail humain (UTH), c’est-à-dire un couple indépendant. Plusieurs mesures encouragent alors le départ d’actifs agricoles âgés – grâce à l’indemnité viagère de départ – et la création de formes sociétaires – en particulier les GAEC – pour favoriser les installations de jeunes modernistes et la mise en pratique de la modernisation. Les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) sont créées et servent d’institutions corporatistes (la profession y est présente et a une très forte influence) de régulation des transactions de terres agricoles. Le transfert de compétences à ces institutions corporatistes contribue grandement à autonomiser la profession et à lui donner du pouvoir, l’État laissant des marges de manœuvre à la profession pour gérer et arbitrer elle-même sur des cas concrets « sur le terrain » . Ces lois font aussi évoluer les relations entre l’État et les organisations agricoles vers un modèle cogestionnaire où ces dernières sont décisionnaires localement – ce qui, par ailleurs, favorise une l’émergence d’un interlocuteur unique dans les interactions avec la profession. Depuis les fortes revendications des agriculteurs dans les années 1960 et les lois d’orientation de 1960 et 1962, c’est donc une « collaboration conflictuelle » qui relie une partie du groupe professionnel et l’État, ce dernier étant le premier partenaire de la profession tout en étant l’une des principales figures antagonistes. Ces deux lois d’orientation provoquent ainsi un changement de référentiel dans la politique agricole , qui se caractérisait alors par le maintien d’une population agricole aux dépens de sa modernisation (un « référentiel de maintenance ») : il faut moderniser l’agriculture sans se soucier du coût démographique , car après l’agriculture il y a les autres secteurs économiques. Dans ce contexte de profondes transformations du travail, beaucoup d’agriculteurs imitent les pratiques modernes pour rester dans le métier, la modernisation semblant être nécessaire pour se maintenir . Le modèle agricole modernisé s’impose alors à la plupart des agriculteurs dans les pratiques et les conceptions du travail agricole. Au tournant des années 1960, le phénomène est grandement avancé : le crédit bancaire se généralise, la motorisation – et la mécanisation supplémentaire qu’elle provoque – concerne la moitié des fermes, la culture du maïs pour alimenter les animaux s’étend, le recours à la science est de plus en plus régulier, la productivité et les productions agricoles augmentent fortement. Ces premières lois d’orientation ont ainsi favorisé l’émergence d’une élite agricole et l’imposition d’un modèle agricole spécifique et cherchant l’efficacité productive. L’autre versant de ces lois et des politiques agricoles de la période, est la sélection de la population agricole sur les critères de l’aptitude à être modernisé. La modernisation a été non seulement une phase de transformation technique, mais aussi une opération de sélection de la population agricole apte à mettre en pratique un modèle agricole répondant à des normes et à des exigences de productivité . C’est pourquoi les aides et les dispositifs des politiques agricoles ont traité inégalement les agriculteurs , bénéficiant principalement aux élites agricoles et aux modernisés .

Des rapports économiques radicalement changés 

La planification, les politiques agricoles et le Plan Marshall ont amené les agriculteurs à intégrer des marchés internationalisés et à s’exposer directement à la concurrence internationale. La pleine entrée dans des marchés dépassant le cadre national et la recherche de l’export a empêché le maintien de politiques de hauts prix et ont obligé les agriculteurs à être « compétitifs » sur des marchés plus instables. Les nouvelles configurations économiques qui se mettent en place avec la modernisation sont donc internationalisées et exercent une pression constante sur les prix agricoles . Aujourd’hui encore, l’idée que la capacité à exporter est synonyme de compétitivité et de performance économique perdurent, c’est-à-dire que la « puissance agricole » repose sur des critères quantitatifs et monétaires et la présence sur des marchés. En outre, si la pression constante sur les prix et l’abondance de l’offre alimentaire sont des phénomènes communs à une économie développée – au sens occidental –, elles se font au détriment de la valeur sociale de l’agriculture et de la situation financière des producteurs.

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Table des matières

Introduction
Un objet d’étude discret dans des espaces ruraux en mouvement
L’entraide entre configurations, réciprocités et échanges
Une enquête localisée
Voir la place du collectif dans les configurations du travail agricole
Les participant-e-s à l’enquête
Chapitre 1 : Les transformations de l’agriculture et du travail agricole
La modernisation de l’agriculture
L’agriculture et l’État
Des rapports économiques radicalement changés
Nouvelles conceptions économiques et corporatisme
Des métamorphoses concrètes
La question démographique
L’équipement et ses coûts
Les fermes et leur morphologie
Chapitre 2 : Les configurations habituelles du travail agricole
Le travail agricole au quotidien
Un métier, plusieurs travaux
L’intensité du travail, entre régularités et variations
Faire le travail
L’entraide habituelle
Les raisons de l’entraide
Groupes d’entraide et agriculture de groupe
Des liens et des signes
Chapitre 3 : Les solidarités familiales
Les formes du travail familial
Les enfants au travail
Les parents retraités actifs
Des conjointes plus que collaboratrices
La position ambiguë de la famille
Les habitudes de la reproduction sociale
Une génération pivot dépendante
Aux frontières du droit et de l’acceptable
Chapitre 4 : Quand les situations se compliquent
Les difficultés à s’entraider
Les conditions implicites de l’entraide
Faute d’entraide, accentuer la division du travail
Chercher des solutions individuelles
Rationaliser le travail
Partager chez soi : les GAEC à plusieurs ménages
Conclusion
Bibliographie

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