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Les facteurs majeurs contrôlant les flux de GES
Dans cette partie seront décrits les facteurs qui contrôlent les flux de carbone en commençant à une échelle relativement fine pour atteindre celle de l’écosystème qui nous intéresse plus particulièrement.
Les facteurs majeurs qui contrôlent les flux de carbone sont globalement connus.
Comme bon nombre de réactions biochimiques, les vitesses de réactions des processus décrits précédemment sont fonction de la température. Cette relation a été mise en évidence par un chimiste suédois en 1889, Svante August Arrhenius, sur la base de travaux réalisés par un autre chimiste, néerlandais, Jacobus Henricus Van’t Hoff. Le niveau de la nappe d’eau, interface entre une zone oxique et une zone anoxique, et la teneur en eau du sol vont également influencer sur ces flux. De même que la végétation, que ce soit de façon directe, comme siège de la photosynthèse et de la respiration autotrophe, ou indirecte en fournissant des nutriments via les exsudations racinaires et les litières.
Facteurs contrôlant la photosynthèse
À l’échelle des espèces végétales, la quantité de carbone assimilable par la photosynthèse est fonction de la quantité de lumière reçue (Long et Hällgren, 1993). La quantité de carbone assimilée augmente d’abord de façon linéaire avec le rayonnement, avant d’être limitée par l’activité d’une enzyme, la Rubisco 14, nécessaire à la fixation du CO2 (Figure 1.8). Les limitations de l’assimilation, que ce soit la pente initiale de la partie linéaire, ou l’assimilation maximale, varient de façon importante en fonction de l’espèce végétale considérée (Wullschleger, 1993). La régénération de la Rubisco, qui limite la photosynthèse, est contrainte par la capacité de transport des électrons. La vitesse de ce transport est fonction de la température et est traditionnellement décrite par une équation d’arrhenius modifiée, relativement complexe, ou par une équation simplifiée (Farquhar et al., 1980; June et al., 2004). À cette échelle, le niveau de l’eau va également influencer le développement de la végétation en facilitant plus ou moins leur accès à l’eau. Wagner et Titus (1984) montrent par exemple que deux espèces de sphaignes ont des tolérances différentes à la dessiccation : l’espèce vivant dans les gouilles est plus résistante que celle vivant sur les buttes. Dans des conditions expérimentales différentes, lors de re-végétalisation de deux tourbières, Robroek et al. (2009) montrent que différentes espèces de sphaignes se développent de façon optimale à différents niveaux de nappe selon leurs affinités. Cette variabilité entre espèces d’une même famille est elle même mise en évidence par leur variabilité en terme de productivité primaire (Figure 1.9). La productivité primaire varie également entre différentes communautés végétales : les bryophytes n’ont pas la même productivité primaire que les graminées ou que les arbustes (Moore et al., 2002 dans Rydin et Jeglum, 2013c).
Le niveau de la nappe d’eau et les propriétés physiques du sol contraignent également la teneur en eau du sol et la hauteur de la frange capillaire. Cette dernière atteint généralement la surface du sol tant que le niveau de la nappe d’eau ne descend pas en dessous de 30 à 40 cm de profondeur (Laiho, 2006). La hauteur du niveau d’eau va influencer le développement des différentes communautés végétales. Un niveau d’eau élevé peut diminuer l’accès de la végétation vasculaire à l’oxygène par leurs racines alors qu’il sera propice au développement de sphaignes. À l’inverse un niveau d’eau bas peut faciliter le développement de certains végétaux vasculaires au détriment des bryophytes. Cette compétition entre espèces végétales peut déterminer l’évolution à long terme des communautés et impacter la PPB. Gornall et al. (2011) montrent que les effets des bryophytes sur le développement des plantes vasculaires sont en partie positifs et en partie négatifs ; les effets négatifs étant de plus en plus prépondérants quand l’épaisseur de la strate muscinale augmente. La composition des communautés végétales va donc avoir un effet sur le potentiel photosynthétique de l’écosystème. Ce potentiel peut varier selon le végétal considéré et les conditions environnementales dans lesquelles il se trouve (Moore et al., 2002).
À l’échelle de l’écosystème dans son ensemble la température, la végétation et le niveau de l’eau co-varient, ce qui rend la discrimination de leurs effets respectifs difficile.
L’effet d’une variation de température peut, selon l’échelle de temps considérée, influencer le niveau de nappe et la végétation. Dans l’optique de discriminer l’effet de chacun de ces facteurs, Munir et al. (2015) isolent l’effet de la température en utilisant des OTC15 (Open Top Chamber ). Ils montrent que le réchauffement par les OTC augmente la PPB. Néanmoins la majorité des études réalisées sur le terrain montrent les effets de variation de la température et du niveau de la nappe simultanément. Cai et al. (2010) ont par exemple montré que les conditions plus chaudes et sèches d’une année augmentaient la PPB. Cependant l’effet du niveau de la nappe d’eau peut varier selon le contexte : dans une étude sur les effets à long terme d’une variation du niveau de la nappe, Ballantyne et al. (2014) montrent qu’une baisse du niveau de la nappe entraîne une augmentation de la PPB en facilitant l’accès des plantes vasculaires à l’oxygène et aux nutriments. Paradoxalement, un rehaussement du niveau de la nappe d’eau suite à un stress hydrique prolongé conduit également à une augmentation de la PPB (Strack et Zuback, 2013). Pour un gradient croissant de niveaux de nappe d’eau dans un haut-marais, Weltzin et al. (2000) montrent une diminution de la productivité des arbustes, tandis que celle des graminées n’est pas affectée. À l’inverse, pour un gradient similaire dans un bas-marais, la productivité des arbustes n’est pas affectée tandis que celle des graminées augmente. Des résultats similaires sont également relevés pour des graminées soumises à un réchauffement simulé. La productivité des graminées diminue dans le haut-marais et augmente dans le bas-marais (Weltzin et al., 2000). Les effets du niveau de la nappe d’eau peuvent donc être variables selon les communautés végétales et le contexte (l’écosystème, le niveau initial) dans lequel elles se trouvent.
Facteurs contrôlant la RE
La respiration est limitée par la quantité de substrat (organique labile) et l’accès à l’oxygène. La qualité du substrat (la facilité qu’il aura à être dégradé) détermine ainsi la vitesse de respiration : Moins les substrats sont dégradables plus leur utilisation est lente et plus ils s’accumulent. Inversement, plus les substrats sont facilement dégradable plus leur utilisation est rapide (respiration potentiellement élevée) Cependant ces derniers, rapidement utilisés et épuisés peuvent constituer un facteur limitant de la respiration. Les sucres, par exemple, peuvent devenir un facteur limitant (Gornall et al., 2011). Les tourbières, du fait de la quantité de matières organiques qu’elles contiennent, constituent un vaste réservoir de substrat organique. Réservoir de plus en plus difficile à dégrader avec la profondeur car contenant de plus en plus de matière récalcitrante à la dégradation.
À l’échelle de l’écosystème de nombreuses études ont mis en évidence une corrélation positive entre la respiration et la température (Singh et Gupta, 1977; Raich et Schlesinger, 1992; Luo et Zhou, 2006c). Cependant la diversité cumulée des processus, des communautés et des conditions environnementales qui influencent la respiration, font qu’aucune équation ne fait réellement consensus. Cependant la majorité de ces études décrivent une augmentation exponentielle de la respiration avec la température. Ainsi dans les tourbières, des observations in-situ ont montré que dans des conditions plus chaudes, mais également plus sèches (ces deux conditions sont difficilement séparables sur le terrain) la RE a tendance à augmenter (Aurela et al., 2007; Cai et al., 2010; Ward et al., 2013). D’autres observations sur des mésocosmes 16 de tourbe ont également montré une relation positive entre les variations de RE et celle de la température (Updegraff et al., 2001; Weedon et al., 2013).
Le niveau de la nappe d’eau conditionne l’accès des micro-organismes à l’oxygène, et de ce fait joue un rôle important : un niveau d’eau qui diminue se traduit généralement par une hausse de la RE que ce soit à long terme (Strack et al., 2006; Ballantyne et al., 2014) ou à plus court terme (Aerts et Ludwig, 1997).
De façon plus indirecte, le type de végétation influence la vitesse de décomposition des litières (Hobbie, 1996; Liu et al., 2000; Gogo et al., 2015). La végétation peut également stimuler la respiration des micro-organismes présents dans la rhizosphère 17 via la libération d’exsudats racinaires (Moore et al., 2002).
Facteurs contrôlant l’ENE
À l’échelle de l’écosystème le bilan des flux de CO2 gazeux est appelé l’échange net de l’écosystème
Flux de gaz à effet de serre et variables explicatives l’Échange Net de l’Écosystème (ENE) :
Bilan de la quantité de CO2 émise ou captée par l’écosystème. C’est la différence entre la Production Primaire Brute et la Respiration de l’Écosystème (ENE=PPB−RE). Ce flux est exprimé en quantité de carbone par unité de surface et de temps.
Ce terme correspond, au référentiel près, au Net Ecosystem Exchange anglais, qui prend l’atmosphère comme référence 18 (ENE=−NEE) (Chapin et al., 2006).
Les facteurs contrôlant l’ENE sont donc les mêmes que ceux qui contrôlent la PPB et la RE. Cependant l’effet d’un même facteur de contrôle peut être différent vis à vis de PPB et de RE selon le contexte environnemental, que ce soit par rapport à la nature de l’effet ou son importance. Ainsi une variation de l’ENE peut être contrôlée majoritairement soit par la PPB, soit par la RE, soit par les deux. Par exemple, une baisse du niveau de la nappe est souvent liée dans la littérature à une baisse de l’ENE (Aurela et al., 2007; Peichl et al., 2014). D’autres études ont montré que cette baisse de l’ENE est due à une augmentation de la respiration (Alm et al., 1999; Ise et al., 2008). D’autres l’attribuent à une diminution de la photosynthèse (Sonnentag et al., 2010; Peichl et al., 2014). La baisse de l’ENE peut résulter d’une augmentation de la respiration et de diminution de la photosynthèse (Strack et Zuback, 2013). Lund et al. (2012) montrent également que dans un même site, une baisse du niveau de la nappe deux années différentes entraînera une baisse de l’ENE dans les deux cas, mais que dans l’un des cas cette baisse est contrôlée par une augmentation de la respiration et que dans l’autre elle est contrôlée par une diminution de la photosynthèse. Enfin une étude de Ballantyne et al. (2014) ne montre pas d’effet d’une baisse du niveau de la nappe sur l’ENE, car l’augmentation de la respiration est compensée par une augmentation de la photosynthèse. La réponse des flux de CO2 vis-à-vis d’une variation du niveau de la nappe d’eau n’est donc pas triviale.
Le CH4
La production du CH4, par des Archaea méthanogènes principalement à partir de dihydrogène et d’acétate, est contrôlée par la disponibilité de ces substrats (Segers, 998). L’ajout de substrats (acétate, glucose, éthanol) pour les méthanogènes tend à augmenter les émissions de CH4 (Coles et Yavitt, 2002). Le niveau de la nappe d’eau associé à l’anoxie, est un autre facteur influençant les flux de CH4. Généralement, plus le niveau d’eau est élevé, plus la zone potentielle de production du CH4 est importante et plus les émissions sont fortes (Pelletier et al., 2007). Par contre, une augmentation du niveau de la nappe au dessus de la surface du sol peut conduire à une diminution des émissions de CH4 (Bubier, 1995). Pelletier et al. (2007) montrent également que les flux sont plus importants lorsque le CH4 est mesuré dans des zones avec végétation, et plus particulièrement des carex et des linaigrettes (Gogo et al., 2011). Ce lien avec la végétation est la conséquence d’une adaptation de certaines espèces aux conditions de saturation en eau qui peuvent faciliter l’échange de gaz entre l’écosystème et l’atmosphère grâce à un espace intercellulaire agrandi, l’Aérenchyme (Rydin et Jeglum, 2013e). Enfin la température joue généralement un rôle important en augmentant la vitesse de production du CH4. La sensibilité à la température de la production de CH4 varie selon le processus considéré et la communauté de méthanogènes associés (Segers, 1998). La température peut également faciliter le transport du CH4 par ébullition et/ou via la végétation (Lai, 2009).
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Table des matières
Introduction
1 Synthèse bibliographique
1.1 Les tourbières et le cycle du carbone
1.1.1 Zones humides et tourbières : définitions et terminologies
1.1.2 Tourbières et fonctions environnementales
1.1.3 Les tourbières et les changements globaux
1.2 Flux de gaz à effet de serre et variables explicatives
1.2.1 Les flux de GES entre l’atmosphère et les tourbières
1.2.2 Les facteurs majeurs contrôlant les flux de GES
1.2.3 Bilans de C à l’échelle de l’écosystème
2 Sites d’études et méthodologies employées
2.1 Présentation de la tourbière de La Guette
2.2 Autres sites du service national d’observation
2.3 Mesures de flux de gaz
2.3.1 Présentation des méthodologies principales
2.3.2 Les mesures de CO2
2.3.3 Les mesures de CH4
2.3.4 Le calcul des flux
2.4 Variables environnementales mesurées
2.4.1 Acquisitions automatisées
2.4.2 Acquisitions manuelles
3 Bilan de C de la tourbière de La Guette
3.1 Introduction
3.2 Procédure expérimentale et analytique
3.2.1 Protocole d’observation
3.2.2 Variables élaborées utilisées
3.2.3 Estimation des flux de GES dans le bilan de C
3.2.4 Estimation des flux de carbone organique dissout dans le bilan de C
3.2.5 Variabilité spatiale des flux et du bilan de carbone
3.2.6 Estimation de l’erreur associée aux flux et aux bilans
3.3 Résultats
3.3.1 Cinétique des variables environnementales et des flux de GES
3.3.2 Estimation des flux de GES
3.3.3 Le bilan de carbone à l’échelle de l’écosystème
3.3.4 Variabilité spatiale du bilan de CO2
3.4 Discussion
3.4.1 Modèles à l’échelle de l’écosystème
3.4.2 Les flux annuels à l’échelle de la tourbière de La Guette
3.4.3 Estimations du bilan net de l’écosystème à l’échelle de la tourbière de La Guette
3.4.4 Variabilité spatiale sur la tourbière de La Guette
3.5 Conclusions
4 Effets de l’hydrologie sur les flux de GES – approche expérimentale
4.1 Introduction
4.2 Procédure expérimentale
4.2.1 Expérimentation I
4.2.2 Expérimentation II
4.3 Résultats
4.3.1 Expérimentation I
4.3.2 Expérimentation II
4.3.3 Comparaison des deux expérimentations
4.4 Discussion
4.4.1 Comparaison des flux de carbone à ceux mesurés sur le terrain
4.4.2 Effet des variations du niveau de la nappe sur les flux de gaz
4.4.3 Effet des cycles hydrologiques multiples sur les flux de GES
4.4.4 Conclusions
5 Variation journalière de la respiration de l’écosystème
5.1 Préambule
5.2 Abstract
5.3 Introduction
5.3.1 Study sites
5.3.2 Data acquisition
5.3.3 Data synchronisation
5.3.4 Sensitivity of ER to temperature
5.3.5 Testing difference between daytime and nighttime ER sensitivity to temperature
5.3.6 Physico-chemical characterisation of the peat
5.4 Results
5.4.1 Air temperature and ER variability
5.4.2 ER and soil temperature synchronisation
5.4.3 Model implementation
5.4.4 ER and temperature relationship
5.4.5 Q10 evolution
5.4.6 Daytime and nighttime differences
5.4.7 Peat characterisation
5.5 Discussion
5.5.1 ER differences between sites
5.5.2 Time-delay between temperature and ER
5.5.3 Synchronising ER and temperature improves ER sensitivity to temperature representation
5.5.4 Differences between daytime and nighttime ER measurements
5.5.5 Q10 sensitivity to temperature depth and synchronisation
5.6 Conclusions
Conclusions et perspectives
Références bibliographiques
Annexes
A Tableau de données bibliographiques
B Photos supplémentaires
C Package m70r
D Résultats des ACP
E Le projet carbiodiv
F Calibrations flux de GES et facteurs contrôlants
G Tableau modélisation par groupe de végétation
H Cartes des flux par placette
H.1 PPB
H.2 RE
I Protocole végétation
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