Depuis quelques années, de nouveaux biomédicaments font leur entrée sur le marché français et constituent des remèdes à des pathologies considérées jusqu’alors comme incurables. Parmi eux se trouvent les thérapies géniques et cellulaires. Aujourd’hui, une dizaine de produits issus de ces technologies sont commercialisés en France. Des centaines d’essais sont cependant en cours de par le monde dans plusieurs domaines thérapeutiques, représentant un réel espoir pour de nombreux malades, notamment ceux atteints de maladies rares.
Ces nouvelles thérapeutiques diffèrent grandement des médicaments classiques et jouent sur des mécanismes liés à l’ADN et aux cellules souches. La législation relative aux procédures de développement et d’accès au marché de ces produits a donc dû évoluer afin de garantir leur qualité et leur sécurité vis-à-vis des patients et de la communauté. De plus en plus d’acteurs sont ainsi impliqués dans les différents processus d’autorisation de ces médicaments, ajoutant de nouvelles contraintes aux industriels et aux établissements désireux de mener la recherche.
LES THERAPIES GENIQUES ET CELLULAIRES
LES BIOTHERAPIES
Généralités
Les produits de thérapies génique et cellulaire font partie du grand ensemble des biomédicaments qui, par leur origine biologique, s’opposent aux médicaments «classiques » obtenus par synthèse chimique. Ils sont définis dans le code de la Santé Publique comme : « Tout médicament dont la substance active est produite à partir d’une source biologique ou en est extraite et dont la caractérisation et la détermination de la qualité nécessitent une combinaison d’essais physiques, chimiques et biologiques ainsi que la connaissance de son procédé de fabrication et de son contrôle (13) ».
Les médicaments biologiques incluent donc les thérapeutiques basées sur l’utilisation :
– De molécules conçues à partir d’un organisme vivant ou de ses produits,
– D’organismes vivants (levures, ferments, microbes, gènes, cellules, tissus, etc.),
– De substances ou mimétiques prélevés sur des organismes vivants (hormones, anticorps, interleukines, etc.)
– De produits physiologiques (lait, suc gastrique, bile, etc.(14)).
Origine des biothérapies
Même si les notions de thérapies géniques et cellulaires sont relativement récentes, celle de biotechnologie l’est bien moins. Les premières utilisations du vivant par l’homme remontent au Paléolithique quand les chasseurs-cueilleurs utilisaient le processus de fermentation pour conserver leurs denrées. Elles se sont ensuite diversifiées avec, par exemple, le brassage du pain durant le Moyen-Âge.
Le progrès des biotechnologies va de pair avec celui de la science permettant de comprendre la structure interne du vivant. C’est en 1680 que les cellules sont observées pour la première fois par Leeuwenhoek. Le vaccin contre la variole, premier médicament biologique, sera créé plus d’un siècle plus tard par le docteur Jenner en 1796.
Le début du 20ème siècle sera marqué par de nombreuses avancées dans le domaine des médicaments biologiques : utilisation d’enzymes pour des applications techniques, découverte de la pénicilline par Flemming, utilisation des transformations microbiennes à l’échelle industrielle, … Diverses notions émergent également, celle de génétique en 1906, de gènes en 1909 et de « gènes portés par les chromosomes » en 1911. La notion d’ingénierie génétique apparait en 1932 suivie de celles de correction génétique en 1944 et de thérapie génique en 1947. C’est cependant à partir de 1953, avec la découverte de la structure de l’ADN en double-hélice par Watson et Crick, que seront réellement posés les fondements des biothérapies modernes.
L’après-seconde guerre mondiale constitue l’avènement de l’antibiothérapie et les biomédicaments sont relégués au second plan. Dans les décennies suivantes seront tout de même établies les bases de génétique moléculaire : le code génétique, les notions d’isolement, conception, synthèse et transfert de gènes dans des bactéries, des cellules animales et humaines et enfin l’ADN recombinant avec systèmes de sélection.
Dans les années 80 et alors que les vaccins, thérapeutiques préventives, sont les seuls biomédicaments existants, les biothérapies commencent à être développées à l’échelle industrielle et l’on voit apparaître, en 1982, le premier médicament biologique curatif : l’insuline humaine.
Législation française
Les biothérapies sont régies par les lois de bioéthique. Définie comme l’étude systématique de la conduite humaine dans le cadre des sciences de la vie et de la santé examinée à la lumière des valeurs et des principes moraux, cette dernière vise à encadrer les pratiques biomédicales novatrices. Elle couvre les champs sociaux, juridiques, moraux et culturels de l’impact des avancées médicales sur l’Homme (15). Les premières instances compétentes dans le domaine des biothérapies furent le Conseil Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) créé en 1983 et le Comité international de bioéthique (CIB) de l’UNESCO, créé en 1993 (16). Ces organismes posèrent les fondements des lois concernant progrès biologiques, médicaux, et bioéthiques mais également des principes de dignité et de liberté de la personne .
Loi de bioéthique de 1994
En date de 1994 et élaboré par les Ministères de la Justice, de la Santé et de la Recherche, le premier projet de loi relatif à la bioéthique s’inscrit dans le Code civil et le Code de la santé publique. Ses buts sont la protection de la personne humaine et l’encadrement des pratiques nouvelles et du traitement des données individuelles dans la recherche médicale (18). La loi « relative au respect du corps humain » définit quant à elle les principes de respect et d’intégrité du corps humain faisant de lui une entité :
– Inviolable (exception faite d’une nécessité thérapeutique),
– Indisponible,
– Non-brevetable .
Ce projet traite enfin de l’ensemble des actes médicaux et bioéthiques autorisés sur le corps humain et précise notamment les exceptions à l’inviolabilité mentionnées dans la loi précédente. Sont ainsi encadrés :
– Le recours à la Procréation Médicalement assistée (PMA) et le don de gamètes,
– Le don d’organes et l’utilisation des éléments et produits du corps humain .
Ces lois n’incluent cependant pas la recherche et les expérimentations biomédicales, déjà encadrées par la Loi Huriet de 1988 .
En 1998 est créé le Comité intergouvernemental de bioéthique (CIGB) afin de passer en revue les avis et recommandations émis par le CIB .
Loi de bioéthique de 2004
En 2004, une nouvelle loi de bioéthique vient réviser les lois de 1994 (23). Elle interdit le clonage et la recherche sur embryon, toutefois admise de façon limitée en cas de progrès thérapeutique majeur. Tout comme la recherche sur embryon, le diagnostic préimplantatoire est prohibé hors objectif thérapeutique précis. Elle borde également les imports, exports et consentements présumés au don d’organe. Enfin, le cadre juridique relatif à la thérapie cellulaire est défini et la création de l’Agence de la Biomédecine est officialisée. Cette dernière entrera en activité en 2005, son champ d’action s’étendant de la procréation, embryologie et génétique humaine aux prélèvements, greffes d’organes, tissus et cellules.
Modifiée le 9 août 2004, la loi Huriet, ne permet toujours pas de concilier recherche biomédicale et bioéthique au sein d’un même texte.
Loi de bioéthique de 2011
La loi de 2011 s’appuie sur un rapport du conseil d’état rendu en 2009 qui suggère (24) :
– De soumettre la recherche sur l’embryon humain à un régime permanent et strict d’autorisations,
– De renforcer l’information et l’accompagnement des diagnostics prénatal et préimplantatoire,
– De mieux prendre en compte l’intérêt de l’enfant dans l’assistance médicale à la procréation,
– De respecter la volonté des personnes et de renforcer l’information liée à l’examen de leurs caractéristiques génétiques,
– De renforcer la solidarité et la transparence des dons, prélèvements et collections d’éléments du corps humain,
– D’accompagner la fin de vie,
– De créer un mécanisme national d’examen éthique des protocoles de recherche biomédicale financés, promus ou menés dans les pays étrangers.
Cette loi autorise le don croisé d’organes entre 2 couples de donneurs-receveurs et repose sur 3 fondements : l’information du donneur, l’anonymat entre les couples et la simultanéité des interventions chirurgicales. La vitrification (congélation intra ovocytaire ultra rapide) est légalisée et la recherche sur l’embryon et les cellules souches est assouplie.
L’Agence de la Biomédecine voit également ses prérogatives étendues à une mission d’information du Parlement et du Gouvernement sur le développement des connaissances et techniques dans le domaine des neurosciences.
Loi de bioéthique de 2013
La loi du 6 août 2013 autorise et encadre la pratique des recherches sur l’embryon humain, uniquement sujette à dérogations jusqu’alors, permettant l’émergence de nombreux projets de recherche (25). Les protocoles sont autorisés par l’Agence de biomédecine, avec avis du conseil d’orientation des ministres de la Santé et de la Recherche. Elle est suivie en 2016 de la loi Santé renforçant les process de biovigilance des organes et tissus, et la présomption de consentement au prélèvement.
Loi de bioéthique de 2021
Très controversée, cette loi ouvre l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et femmes célibataires et permet désormais d’établir une filiation devant notaire pour deux femmes avant la naissance de l’enfant. La gestation pour autrui (GPA) ainsi que la PMA post-mortem demeurent cependant interdites.
Cette loi modifie également le droit d’accès aux origines qui, sans dévoiler l’identité du donneur, permettra à l’enfant d’en connaitre les caractéristiques physiques à sa majorité. L’autoconservation des gamètes hors motif médical devient autorisée et le recueil du consentement du conjoint du donneur de gamètes est supprimé .
Les conditions d’accès à la greffe évoluent avec un élargissement des procédures de dons, notamment aux mineurs avec accord des parents, et les dons croisés sont facilités. Les dons de sang, « de corps », tests génétiques et données issues de l’intelligence artificielle (IA) sont également soumis à de nouvelles règlementations.
De nouvelles précisions sont apportées à la recherche sur embryons : la création de chimères entre humain et animal est formellement interdite tout comme la création d’embryon à des fins de recherche, clonage et réimplantation. La procédure de demande d’autorisation de recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires est cependant allégée .
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1 : LES THERAPIES GENIQUES ET CELLULAIRES
I- LES BIOTHERAPIES
I- Généralités
II- Origine des biothérapies
III- Législation française
i. Loi de bioéthique de 1994
ii. Loi de bioéthique de 2004
iii. Loi de bioéthique de 2011
iv. Loi de bioéthique de 2013
v. Loi de bioéthique de 2021
II- LA THERAPIE GENIQUE
I- L’insertion génétique
i. Les vecteurs viraux
ii. Les vecteurs non-viraux
II- Le remplacement génétique
III- La régulation génétique
i. Les oligonucléotides antisens
ii. Les ARN interférents (ARNi)
IV-La lyse par virus génétiquement modifiés : les virus oncolytiques
V- Les CAR-T cells
VI-Les essais cliniques de Thérapie Génique dans le monde
III- LA THERAPIE CELLULAIRE
I- La médecine régénérative
i. Les cellules totipotentes
ii. Les cellules pluripotentes
1. Les cellules pluripotentes embryonnaires
2. Les cellules pluripotentes induites (IPC)
iii. Les cellules multipotentes
iv. Les cellules unipotentes
II- L’immunothérapie cellulaire
i. L’immunothérapie active : la vaccination thérapeutique
ii. L’immunothérapie passive ou immunothérapie adoptive cellulaire
1. Les lymphocytes T
2. Les lymphocytes T infiltrants
PARTIE 2 : DEVELOPPEMENT ET ACCES DES THERAPIES GENIQUE ET CELLULAIRE
I- RECHERCHE ET DEVELOPPEMENT
I- Généralités
II- Le développement préclinique
III- Le développement clinique
i. Phase 1, pharmacocinétique et tolérance
ii. Phase 2, dosage et efficacité
iii. Phase 3, essais comparatifs d’efficacité clinique
iv. Phase 4, post-AMM
IV-Acteurs du développement clinique
i. Le Comité de Protection des Personnes (CPP)
ii. L’Agence Nationale de Sécurité du Médicament
iii. Spécificités des MTI
V- Médicaments de Thérapie cellulaire
i. L’Agence de la Biomédecine
VI-Médicaments de Thérapie Génique
i. Le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB)
1. Classification de l’OGM
ii. Le Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation (MESRI)
iii. Spécificités du dossier ANSM
VII- Programmes de développement accéléré
i. Les dispositifs Fast Track
ii. Le programme PRIME : Priority Medicine
II- AUTORISATION DE MISE SUR LE MARCHE (AMM)
I- Généralités
II- Autorisation par l’ANSM
i. La procédure nationale
ii. La procédure de reconnaissance mutuelle (MRP)
iii. La procédure décentralisée (DCP)
III- Autorisation par les autorités européennes : la procédure centralisée
i. L’Agence Européenne des médicaments (EMA)
ii. Le Comité des médicaments à usage humain (CHMP)
iii. La Commission Européenne
iv. Le Comité d’Evaluation des Risques en Pharmacovigilance (PRAC)
IV-Spécificités des MTI
i. Le Comité des médicaments de thérapie innovante (CAT)
ii. Le Comité des Médicaments Orphelins (COMP)
V- Les procédures d’accès précoce
i. L’évaluation accélérée ou Fast-Track
ii. L’AMM conditionnelle
iii. L’AMM dans des circonstances exceptionnelles (AMMCE)
IV-Accès hors-AMM
i. L’usage compassionnel
1. Autorisations Temporaires d’Utilisation (ATU)
2. L’Autorisation d’Accès Compassionnel (AAC)
3. L’Autorisation d’Accès Précoce (AAP)
III- REMBOURSEMENT
I- Acteurs du remboursement
i. La Haute Autorité de Santé (HAS)
ii. La Commission de la transparence (CT)
1. Le Service Médical Rendu (SMR)
2. L’Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR)
iii. La Commission d’Evaluation Economique et de Santé Publique (CEESP)
iv. L’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie (UNCAM)
v. Le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS)
vi. Le Ministère des solidarités et de la santé
PARTIE 3 : ENJEUX ET PERSPECTIVES LIES AUX THERAPIES GENIQUES ET CELLULAIRES
I- ENJEUX LIES AUX THERAPIES
I- Thérapies géniques
i. Les vecteurs viraux
ii. Les vecteurs non-viraux
iii. Les complexes CRISPR-Cas9
iv. Les CAR-T
II- Thérapies cellulaires
i. Caractérisation des thérapies cellulaires
ii. Rejets cellulaires
iii. Environnement cellulaire
III- Transposition industrielle
IV-Ethique
II- ENJEUX ORGANISATIONNELS
I- Poids administratif
II- Impact sur les établissements de soins
III- Impact sur les patients
IV-Perception par les différents acteurs
III- ENJEUX DE REMBOURSEMENT
I- Critères de décision
i. Luxturna® : un accès au marché réussi
1. Essais cliniques
2. Population cible
3. Données disponibles
4. Recommandations
5. Intérêt de Santé Publique (ISP)
ii. Waylivra® : un accès au marché non-concluant
1. Besoin médical
2. Essais cliniques
3. Recommandations
4. Conclusions
iii. Eléments de décision
iv. Perspective
II- Prise en charge à long terme
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE ET SITOGRAPHIE
ANNEXES