Les Tfr, outil du contrôle
Au cœur du contrôle de ce processus de l’immunité humorale, les T follicular regulatory cells (Tfr) ou cellules T folliculaires régulatrices forment une population rare à l’action circonscrite aux centres germinatifs. De découverte récente, des incertitudes persistent tant quant à leur origine que concernant leur mode d’action. Nous reviendrons sur leur découverte (A) puis étudierons leur origine et leur développement (B) avant de nous attacher à décrire les marqueurs présents sur ces cellules et leur utilité (C) puis leur mode d’action (D) et enfin leur spécificité (E).
Découverte des Tfr
La découverte des lymphocytes T folliculaires régulateurs (Tfr) marque l’apogée de l’étude du fonctionnement des centres germinatifs et plus largement de l’immunité humorale. D’une part et comme nous l’avons précédemment évoqué, la découverte des Tfh est intervenue quelques années plus tôt et rapidement fait florès. D’autre part, l’idée que la formation et l’activité du centre germinatif sont précisément régulées commence à poindre. Cette régulation a d’abord été attribuée aux lymphocytes T régulateurs : il avait notamment été prouvé que les cellules Treg CD4+CD25+ pouvaient bloquer une production d’auto-anticorps dans certains modèles (Fields et al., 2005) et qu’à contrario leur absence, dans un contexte d’allergie par exemple, pouvait conduire à une hyperproduction d’anticorps. Un autre mécanisme potentiel évoqué était la présence parmi les cellules polyclonales du follicule, dans les centres germinatifs, de lymphocytes T régulateurs avec une spécificité ubiquitaire pour le soi. On comprenait déjà à ce moment l’importance d’une régulation pour prévenir l’auto-immunité humorale.
Néanmoins, le lien entre Treg et centres germinatifs restait très peu étudié. En 2004, des lymphocytes T régulateurs qui expriment CXCR5 sont identifiés et l’on s’attend à ce qu’ils migrent vers CXCL13 (donc dans des zones B, cette chimiokine étant produite par les CFD). Plusieurs autres indices redondants montrent que des cellules Foxp3 sont capables d’exprimer CXCR5 et qu’elles sont retrouvées dans les centres germinatifs humains (amygdales) ou de souris immunisées (Alexander et al., 2011; Lim et al., 2004, 2005). D’autres équipes ont montré la présence de cellules CD25+ (donc potentiellement des Treg) dans les centres germinatifs, supprimant la production d’immunoglobulines par les cellules B. Enfin, il a été découvert que certains Treg proviennent de Tfh dans les plaques de Peyer (Tsuji et al., 2009). Les observateurs de la dynamique du centre germinatif évoquaient la possibilité d’une régulation non pas par des cellules T mais également par la consommation d’antigène ou encore par le masquage de ce dernier (Keşmir and De Boer, 1999; Tarlinton, 2008).
La découverte des Tfr est, avec le recul, attribuée à 3 équipes. Ces dernières ont simultanément (à l’échelle de la recherche scientifique) identifié cette population :
– l’une d’entre elles a montré qu’une sous-population possédait des caractéristiques communes avec les Tfh (co-expression de CXCR5 et PD-1) mais exprimait aussi le Foxp3 (Wollenberg et al., 2011) ;
– une autre est partie du constat qu’à la fois les humains atteints de syndromes Immune Dysregulation, Polyendocrinopathy, X-linked syndrome (IPEX, dû à l’absence de lymphocytes régulateurs par défaut du facteur de transcription FoxP3 (Powell et al., 1982)) et les souris Scurfy (présentant une mutation de foxp3 conduisant à la traduction d’une protéine FoxP3 non fonctionnelle) présentaient des réponses humorales incontrôlées montrant qu’une souspopulation Foxp3+ était indispensable pour le contrôle des réactions du centre germinatif (Chung et al., 2011). Ces résultats sont connus de longue date et ont fait l’objet de nombreuses observations : les souris Scurfy subissent une augmentation des quantités d’IgG1 et IgE dans leurs sérums (Godfrey et al., 1991), à l’état basal et en contexte de réponse allergique (Curotto de Lafaille et al., 2008). De la même façon, les patients IPEX expriment dans leur sérum des taux anormaux d’auto-anticorps (Lampasona et al., 2013; Tsuda et al., 2010). Cette deuxième équipe découvre un sous-ensemble de cellules Foxp3+ qui expriment le facteur de transcription Bcl6 et la molécule CXCR5. Ils montrent le rôle essentiel de Bcl6 pour la génération de ces cellules grâce à un modèle Knock-Out (déficient, KO) et aussi l’importance particulière de ces cellules et pas seulement des Treg grâce à l’injection de Treg CXCR5- (Chung et al., 2011) ;
– de la même façon enfin, la troisième a directement identifié qu’il s’agissait une population partageant des caractéristiques communes avec les Tfh et les Treg (Linterman et al., 2011).
Dès les premières études, la question de l’origine de ces cellules s’est posée.
Origine et développement
Le développement des Tfr n’est pas aussi connu ni étudié que celui des Tfh. Cependant, certaines caractéristiques communes dans les processus ont été mises en évidences. Des points de divergence ont également été soulevés. Nous relaterons dans un premier temps les travaux réalisées sur l’origine de cette population avant d’évaluer les connaissances concernant son développement, puis la séquence temporelle d’accumulation au cours de la réponse immunitaire.
La question de l’origine
L’équipe de Wollenberg (Wollenberg et al., 2011) a montré que dans le thymus il n’y avait pas de cellules Foxp3 positives exprimant CXCR5 et PD-1, découverte indiquant que le phénotype Tfr était acquis en périphérie. Par des expériences de transfert, il a été montré que les Tfr provenaient des Treg et que la fraction de Tfr était plus large quand ces cellules étaient transférées avec des Tfh. Mis en lien avec le fait que des Tfh activés en présence de TGFβ (connu pour induire Foxp3 (Chen et al., 2003)) résistaient à la transformation en Tfr, les auteurs en ont conclu à une potentielle aide des Tfh à la différenciation en Tfr. Comme nous l’avons précisé au moment de l’historique des Tfr, l’équipe de Chung est partie du constat du non contrôle des réponses humorales chez les humains IPEX et les souris Scurfy. Ces cellules par conséquent indispensables pour les contrôle des réactions du centre germinatif sont une sous-population Foxp3 exprimant Bcl6 et CXCR5. Ils montrent le rôle essentiel de Bcl6 avec un modèle de souris KO ainsi que l’origine Treg de ces cellules. La réaction du centre germinatif est en effet moins contrôlée dans un modèle de souris ayant des Treg n’exprimant pas CXCR5. Ajoutons à cela l’observation faite que sous certaines conditions, les Tfr pouvaient provenir de cellules non régulatrices (Aloulou et al., 2016). Toutefois, cette découverte est à pondérer avec l’observation que lorsqu’une compétition existe avec des Treg pour la différenciation en question, ce sont toujours ces derniers qui mènent à un phénotype Tfr (Aloulou et al., 2016; Maceiras et al., 2017a). Pas encore définitivement tranchée, l’origine des Tfr semble tout de même se préciser. Elle fera l’objet de quelques points dans notre discussion. Une fois le Tfr généré il doit se développer avant de devenir fonctionnel.
Développement : phénomènes similaires aux Tfh
Le premier point commun dans la différenciation des populations folliculaires est le caractère multi-étapes des processus. Au moins deux étapes sont connues. Le processus a été décrit comme initié par la rencontre d’un lymphocyte T naïf avec une cellule dendritique pour les cellules Tfh, et continué par celle avec un lymphocyte B pour une différenciation finale (Crotty, 2011; Gerner et al., 2015; Goenka et al., 2011). Ces mêmes conditions semblent nécessaires pour un développement physiologique des Tfr. Plusieurs observations concordantes le confirment : des souris déficientes en cellules dendritiques présentent des défauts notamment quantitatifs en Tfr (Sage et al., 2014a) et de la même façon la déficience des souris en cellules B conduit à des défauts dans les populations Tfr (Baumjohann et al., 2013). Nous aurions donc deux interactions essentielles et successives :
– la première interaction avec des cellules dendritiques permet la mise en place d’un programme transcriptionnel des cellules T folliculaires régulatrices. Ces cellules ayant été identifiées dans de nombreux OLS (rate, ganglions lymphatiques, plaques de Peyer), il est probable que plusieurs sous-types de cellules dendritiques puissent être impliquées dans cette première interaction sans qu’une plus profonde caractérisation de ces dernières n’ait encore été détaillée ;
– la seconde interaction avec les lymphocytes B dans le follicule, permettant de renforcer et de maintenir la signature transcriptionnelle Tfr (Choi et al., 2011; Crotty, 2014).
Parmi les autres similarités de développement, nous relèverons la nécessité d’un signal via le TCR ainsi que de signaux de co-stimulation CD28 et ICOS, comme en attestent à nouveau des expériences avec des souris déficientes pour ces deux molécules, ne présentant ni Tfh ni Tfr (Linterman et al., 2011) ni même centre germinatifs (Ferguson et al., 1996; Sage et al., 2013). Dans la dernière étude, un mélange de moelles osseuses contenant des cellules de souris déficientes en CD28 ou non, a permis de montrer que Tfh et Tfr ne provenaient que des cellules capables d’exprimer CD28. Ces éléments importants sont à relier avec les observations de la nécessité de cellules B et de cellules dendritiques pour le développement des Tfr, puisque ces cellules expriment toutes deux les marqueurs CD80/CD86 et ICOSL, respectivement ligands de CD28 et ICOS sur les cellules folliculaires en l’occurrence.
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Table des matières
Introduction
I. L’immunité humorale, objet du contrôle par les Tfr
A. Principes de l’immunité humorale
1. Découverte
2. Rôle des anticorps
3. L’immunité humorale, partie de l’immunité adaptative
B. Les différentes phases de la réponse humorale initiale
1. Les prémices : une organisation spatiale
2. La rencontre du pathogène et du lymphocyte B, et plus si affinité
3. De la rencontre de l’antigène à la production d’anticorps, une séquence régulée
4. Mutations hypersomatiques, commutation de classe, survie : les deux facettes du centre germinatif
5. Le contact B – T et les trois signaux
C. Les T folliculaires helpers (Tfh)
1. Découverte de l’implication des cellules T dans la réponse humorale
2. Découverte des Tfh en tant que sous-population
3. Développement des Tfh
4. Molécules importantes dans la fonction des Tfh
5. Fonctionnement du Tfh
6. Spécificité des Tfh
II. Les Tfr, outil du contrôle
A. Découverte des Tfr
B. Origine et développement
1. La question de l’origine
2. Développement : phénomènes similaires aux Tfh
3. Développement : Phénomènes propres aux Tfr
4. Séquence temporelle différente
C. Marqueurs et mécanismes d’action
1. Foxp3 : régulateurs avant tout
2. Blimp-1
3. PD-1 : une liaison dangereuse
4. CTLA-4
5. Autres effets des Tfr
D. Spécificité
E. Controverse
III. Implication de l’immunité humorale dans la physiopathologie et la thérapie
A. Auto-immunité
1. Principes
2. Mécanismes et exemples
B. Cancer
C. Immunodéficiences
1. Primaires
2. Acquises
D. Vaccination
E. Greffes
Objectifs poursuivis
Résultats
Article 1 – Redéfinition et mode d’action des Tfr
Article 2 – Répertoire des Tfr
Discussion
Conclusion
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