Les micelles inverses sont des nano-gouttelettes dโeau, thermodynamiquement stables, dispersรฉes dans une phase organique (gรฉnรฉralement une huile), entourรฉes dโune monocouche de dรฉtergents . Etudier les propriรฉtรฉs physiques et chimiques des macromolรฉcules biologiques, dans un environnement membranaire stable et contrรดlรฉ, voilร les avantages quโoffrent ces systรจmes micellaires inverses . Depuis la premiรจre description des micelles inverses par Hoar et Schulman (Hoar et Shulman, 1943) au dรฉbut des annรฉes 40, lโintรฉrรชt des scientifiques pour les propriรฉtรฉs physicochimiques de ces systรจmes nโa jamais cessรฉ dโรชtre dรฉmenti, et il existe, ร lโheure actuelle, un trรจs grand nombre de travaux qui traitent des propriรฉtรฉs structurales des micelles inverses. Car si ces systรจmes sont simples en apparence, ils recรจlent encore de nombreux mystรจres sur leurs structures, et leurs utilisations potentielles dans des domaines aussi variรฉs que la biochimie (cf. les revues (De et Maitra, 1995), (Chang et al., 2000)), la solubilisation de protรฉines membranaires (Waks, 1986)), la cosmรฉtique (Muller-Goymann, 2004), la pharmacie (Ghosh et Murthy, 2006) ou la synthรจse de nano-cristaux (Pileni, 2006) font quโils attisent encore la curiositรฉ des expรฉrimentateurs et des simulateurs. Un des systรจmes micellaires inverses les plus utilisรฉs est le systรจme ternaire constituรฉ de bis(2 รฉthylhexyl) sulfosuccinate de sodium (ou AOT), dโeau et dโun solvant organique. La dimension et le contenu en eau solubilisรฉe dans ces modรจles simples de membrane peuvent รชtre expรฉrimentalement contrรดlรฉs ร lโaide dโun unique paramรจtre, le rapport molaire [H2O]/[AOT], appelรฉ Wo .
Les propriรฉtรฉs physico-chimiques des micelles inverses peuvent รชtre รฉtudiรฉes ร lโaide de nombreuses techniques expรฉrimentales, telles que la diffusion du rayonnement (rayons X (SAXS) , neutrons (SANS) ou de la lumiรจre (DLS) ) ou la rรฉsonance magnรฉtique nuclรฉaire (RMN) , la spectroscopie de fluorescence. Au sein du Laboratoire dโImagerie Paramรฉtrique (LIP), les microรฉmulsions sont essentiellement รฉtudiรฉes ร lโaide des mรฉthodes acoustiques et densimรฉtriques, qui couplรฉes avec les techniques prรฉcรฉdentes, permettent de relier la structure des micelles aux changements de leurs propriรฉtรฉs volumรฉtriques. Lโensemble de ces techniques ont notamment mis en รฉvidence le caractรจre particulier de lโeau confinรฉe et notamment celle liรฉe aux tรชtes des dรฉtergents et son influence sur la stabilitรฉ des molรฉcules confinรฉes (Valdez et al., 2001). Cette eau confinรฉe diffรจre autant, par exemple, par ces propriรฉtรฉs statiques (diminution des liaisons hydrogรจnes, faible viscositรฉ et constante diรฉlectrique, etc.), que dynamiques (translationnelle que rotationnelle) (Levinger, 2002).
Gรฉnรฉralitรฉs sur les tensioactifsย
Une molรฉcule tensioactive est constituรฉe d’un groupement polaire hydrophile ou ยซย tรชte polaireย ยป, et d’une ยซย queueย ยป hydrocarbonรฉe constituรฉe d’une ou plusieurs chaรฎnes aliphatiques plus ou moins longues (Fig. I-1). La partie hydrophile est soluble dans l’eau, alors que la partie hydrophobe l’est dans l’huile. Le caractรจre amphiphile des tensioactifs permet de stabiliser un mรฉlange constituรฉ dโeau-huile, par exemple.
Il existe 2 grandes classes de tensioactifs en fonction de la nature des charges prรฉsentes sur la molรฉcule :
โข Les tensioactifs ioniques (anioniques/cationiques) : Leur solubilisation dans l’eau entraรฎne l’ionisation de la tรชte polaire. La tรชte polaire chargรฉe libรจre un contre ion dans la solution. Le bis(2-ethylhexyl) sulfosuccinate de sodium (AOT) fait partie de cette famille et sa structure molรฉculaire est prรฉsentรฉ sur la Fig. I-2. Un sous-groupe de cette classe contient les tensioactifs dits zwittรฉrioniques (ou amphotรจres) qui portent la combinaison des caractรจres anioniques et cationiques. On peut citer, par exemple, les dรฉrivรฉs dโacides aminรฉs, les bรฉtaรฏnes ou les phospholipides. Leur charge nette et leur propriรฉtรฉ dรฉpendent alors du pH qui dรฉtermine le caractรจre dominant de la molรฉcule : anionique ร pH basique, cationique ร pH acide, et, prรฉs de leur point isoรฉlectrique, elles portent les deux fonctions simultanรฉment.
โข Les tensioactifs non ioniques : Ils contiennent un groupement polaire non chargรฉ dont l’affinitรฉ pour l’eau est due aux interactions fortes dipรดle-dipรดle rรฉsultant de la liaison d’hydrogรจne. Citons, par exemple, celui que nous avons modรฉlisรฉ pour ce travail, le tรฉtraรฉthylรจne glycol monododecylether (C12E4), qui possรจde 4 groupes รฉthylรจne-oxydes (EO) (-OCH2CH2-). La fonction tensioactive de cette classe est modulรฉe en fonction par le nombre d’unitรฉs EO qui compose la tรชte hydrophile, mais aussi par la longueur de la queue hydrocarbonรฉe hydrophobe.
Le polymorphisme de phasesย
En raison de la prรฉsence conjointe de groupement ร caractรจre hydrophile et hydrophobe, les molรฉcules amphiphiles se placent de prรฉfรฉrence ร l’interface des compartiments hydrophiles/hydrophobes, pour fournir un environnement favorable ร chacune de leurs deux parties (Fig. I-1). En se fixant ร l’interface, elles abaissent la tension superficielle de celle-ci, et lui confรจrent une certaine rรฉsistance mรฉcanique. Dans le cas d’un tensioactif (TA) dans l’eau, la tension de surface, ฮณ, diminue en fonction de la concentration [TA], jusqu’ร une valeur, appelรฉe concentration micellaire critique ou CMC (Fig. I-3). Au delร de la CMC, la valeur de la tension superficielle reste constante, et on note que l’interface est saturรฉe en molรฉcules tensioactives. Les molรฉcules en excรจs forment des agrรฉgats appelรฉs micelles (Tanford, 1972), (Israelachvili et al., 1976).
La diminution de la tension de surface facilite de nombreux procรฉdรฉs technologiques, tels que la formation de mousses, d’รฉmulsions ou le mouillage d’une surface. Plus gรฉnรฉralement, elle favorise l’affinitรฉ des deux phases non miscibles et la dispersion de l’une dans l’autre. Une fois la CMC dรฉpassรฉe, on observe la formation d’une large variรฉtรฉ de morphologies supramolรฉculaires (que l’on nomme mรฉsophases). Il suffit alors de modifier les paramรจtres expรฉrimentaux pour explorer toute la sรฉquence de mรฉsophases. L’existence des diffรฉrentes structures dรฉpendent essentiellement des interactions entre les molรฉcules voisines. Ainsi, la variation d’un paramรจtre expรฉrimental comme la tempรฉrature (pour les systรจmes amphiphiles non ioniques), la force ionique (pour les systรจmes composรฉs d’amphiphiles chargรฉs), la composition de l’agrรฉgat supramolรฉculaire (pour les systรจmes mixtes impliquant un tensioactif et un co-tensioactif), ou encore la concentration en tensioactif (et en solvant organique pour les systรจmes ternaires) modifient la position ou l’รฉtendue de ces mรฉsophases dans le diagramme de phase.
Les phases micellaires directes L1 ร faible taux de tensioactif apparaรฎt une phase micellaire directe avec des agrรฉgats sous forme globulaire. La phase micellaire est optiquement isotrope. Son comportement rhรฉologique ร haute dilution est pratiquement le mรชme que celui de l’eau , (Fig. I-4(B)). Lorsqu’on augmente la concentration en tensioactif ou qu’on ajoute un co-tensioactif (i.e. gรฉnรฉralement un alcool), les micelles ont tendance ร s’allonger. La transformation globules โ cylindres est pilotรฉe par l’รฉvolution de la courbure spontanรฉe (qui elle-mรชme, est dรฉterminรฉe par le rapport co-tensioactif sur tensioactif). Ce concept sera prรฉsentรฉ briรจvement dans la section I.4. ร concentration plus รฉlevรฉe en tensioactif, ces micelles deviennent des cylindres infinis, organisรฉs suivant un rรฉseau bidimensionnel hexagonal (H1), et finalement une phase lamellaire, constituรฉe de bicouches (notรฉe Lฮฑ) empilรฉes les unes sur les autres et formant alors un ordre smectique.
Les phases vรฉsiculaires L4
Les vรฉsicules sont des objets formรฉs d’une bicouche refermรฉe sur elle-mรชme, enfermant du solvant ร l’intรฉrieur. Les propriรฉtรฉs macroscopiques de la phase constituรฉe de vรฉsicules sont analogues ร celles d’une phase micellaire. Cependant, leur taille peut รชtre trรจs grande et leur rayon peut atteindre plusieurs centaines d’angstrรถms, voir des micromรจtres pour les vรฉsicules lipidiques unilamellaires gรฉantes ou GUV (Fig. I-4(D)).
Les phases diluรฉes de bicouches
Lorsqu’on augmente le rapport co-tensioactif sur tensioactif dans le diagramme de phase gรฉnรฉrique, on passe des micelles aux bicouches. Le co-tensioactif favorise la croissance des micelles cylindriques et la transition LฮฑโL3. La premiรจre phase que l’on rencontre est la phase de vรฉsicules, suivie d’une phase lamellaire รฉtendue.
Les phases lamellaires Lฮฑ
Les phases lamellaires sont des bicouches empilรฉes parallรจlement les unes sur les autres, en alternance rรฉguliรจre avec le solvant aqueux (Fig. I-4(C)). Cette phase est optiquement anisotrope, car lโordre smectique dรฉfinit ร grande รฉchelle des directions prรฉfรฉrentielles dans l’espace.
Les phases รฉponges L3
Dans les phases รฉponges, la bicouche occupe tout l’รฉchantillon et est multiconnectรฉe ร elle mรชme. Elle divise l’espace en deux sous-espaces qui s’interpรฉnรจtrent mutuellement. Il n’y a pas d’ordre ร grande รฉchelle et la phase est optiquement isotrope. Notons que, les phases lamellaires et รฉponges sont constituรฉes de bicouches de longueurs ยซย infiniesย ยป.
Les phases micellaires inverses L2
A forte concentration en solvant organique et faible quantitรฉ d’eau, lorsque le paramรจtre de courbure Co (cf. section suivante) est inverse (par rapport ร celui favorisant la formation de micelles directes), on observe l’apparition de phases micellaires inverses L2 (Fig. I-4(E)). Dans cette phase, l’eau est protรฉgรฉe de la phase continue hydrophobe par une monocouche de tensioactif. Gรฉnรฉralement, la taille de la micelle inverse est directement reliรฉe ร la quantitรฉ d’eau solubilisรฉe au cลur de la micelle (cf. section I.5 et suivantes). Comme les systรจmes micellaires directs, cette phase est optiquement isotrope. Les propriรฉtรฉs structurales de ces objets seront discutรฉes dans les sections I.6.1.2 et suivantes. Ainsi, en modifiant les paramรจtres expรฉrimentaux, on modifie la gรฉomรฉtrie du tensioactif, et, par consรฉquent, la courbure du film interfacial et donc les phases accessibles par le systรจme. Le paramรจtre de courbure spontanรฉ joue un rรดle essentiel dans le type de mรฉsophase rencontrรฉ, et peut รชtre dรฉcrit soit ร l’aide d’une approche gรฉomรฉtrique, soit ร lโaide dโun modรจle รฉnergรฉtique. Ces deux approches seront discutรฉes ci-aprรจs. La forme des structures auto-assemblรฉes est dรฉterminรฉe par l’ensemble des interactions locales entre les molรฉcules de tensioactifs. Les chaรฎnes hydrophobes sont attirรฉes par ยซ l’effet hydrophobe ยป (Tanford, 1972), et cherchent ร former un cลur hydrophobe dense. Les tรชtes polaires hydrophiles, en revanche, se repoussent mutuellement ร cause des interactions stรฉriques (pour les tensioactifs non ioniques), de l’interaction coulombienne et de la contribution de la double couche รฉlectronique (pour les tensioactifs ioniques).
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Table des matiรจres
Introduction gรฉnรฉrale
Chapitre I : Les tensioactifs en solution et les micelles inverses
I.1 Introduction
I.2 Gรฉnรฉralitรฉs sur les tensioactifs
I.3 Le polymorphisme de phases
I.4 Origine du polymorphisme de phases
I.4.1 Approche gรฉomรฉtrique de la courbure spontanรฉe
I.4.2 La balance hydrophile-lipophile et la tempรฉrature dโinversion de phase
I.4.3 Approche รฉnergรฉtique de la courbure spontanรฉe
I.5 Les tensioactifs รฉtudiรฉs dans ce travail
I.5.1 Les micelles inverses dโAOT dans lโisooctane
I.5.2 Les micelles inverses de C12E4 dans le dรฉcane
I.6 Conclusion
Chapitre II : La dynamique molรฉculaire
II.1 Introduction
II.2 La dynamique molรฉculaire
II.3 Hamiltonien et fonction dโinteraction du systรจme
II.4 La fonction dโรฉnergie potentielle ou champs de force
II.4.1 Les interactions intramolรฉculaires ou ยซ liantes ยป
II.4.2 Les interactions intermolรฉculaires ou ยซ non liantes ยป
II.5 Les techniques de simulation de dynamique molรฉculaire
II.5.1 Les conditions pรฉriodiques de bords
II.6 Les ensembles thermodynamiques en simulation de dynamique molรฉculaire
II.6.1 Les moyennes statistiques
II.6.2 Comment simuler ร tempรฉrature et pression fixรฉe ?
II.7 Lโintรฉgration des รฉquations du mouvement
II.8 Le traitement des interactions รฉlectrostatiques
II.9 Le volume de Voronoi
II.10 La compressibilitรฉ
II.10.1 La compressibilitรฉ dโune micelle inverse
II.11 Comment construire et simuler des micelles inverses dans un solvant organique?
Chapitre III : Simulations de micelles inverses dโAOT dans lโisooctane
III.1 Simulations de micelles inverses dโAOT en fonction de lโhydratation
III.1.1 Introduction ร lโarticle
III.1.2 Article: Molecular Modelling and Simulations of AOT Water Reverse Micelles in Isooctane: Structural and Dynamics properties
III.1.3 Rappel des conclusions de lโarticle
III.2 Rรฉsultats complรฉmentaires ร ceux prรฉsentรฉs dans lโarticle
III.2.1 Introduction
III.2.2 Conformations des molรฉcules dโAOT en fonction du rapport Wo
III.2.3 Compressibilitรฉs isothermes des micelles dโAOT en fonction de leur hydratation
III.3 Simulations de micelles inverses dโAOT avec un peptide confinรฉ
III.3.1 Introduction ร lโarticle
III.3.2 Article: Structure, Stability and Hydration of a Polypeptide in AOT Reverses Micelles
III.3.3 Rappel des conclusions de lโarticle
III.4 Rรฉsultats complรฉmentaires ร ceux prรฉsentรฉs dans lโarticle
III.4.1 Introduction
III.4.2 Structure interne des micelles inverses en prรฉsence de peptides confinรฉs
III.4.3 Localisation des peptides dans les micelles inverses
III.4.4 Compressibilitรฉs isothermes des micelles inverses en prรฉsence de peptides confinรฉs
III.5 Conclusion
Chapitre IV : Simulations de micelles inverses de C12E4 dans le dรฉcane
IV.1 Introduction ร lโarticle
IV.2 Article: Effect of Surfactant Conformation on the Structures of Small Size Nonionic Reverse Micelles: A Molecular Dynamics Simulation Study
IV.2.1 Rappel des conclusions de lโarticle
IV.3 Rรฉsultats complรฉmentaires ร ceux prรฉsentรฉs dans lโarticle
IV.3.1 Introduction
IV.3.2 Compressibilitรฉs isothermes des micelles de C12E4 en fonction de la conformation des tรชtes polaires des dรฉtergents
IV.4 Conclusion
Conclusion gรฉnรฉrale