DEFINITION DE L’ID
La Société Américaine d’Anesthésiologie (ASA) définit l’intubation difficile comme une « introduction convenable de la sonde d’intubation avec un laryngoscope conventionnel, nécessitant plus de trois tentatives et pendant plus de dix minutes » [19]. La Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (SFAR) considère qu’une intubation est difficile pour un anesthésiste expérimenté, « lorsqu’elle nécessite plus de 10 minutes et/ou plus de deux laryngoscopies, dans les conditions idéales d’intubation. » [20]. Pour certains auteurs, l’intubation difficile peut se définir comme toute intubation ne pouvant être réalisée par laryngoscopie directe [21]. Il n’existe donc pas, réellement de consensus sur la définition de l’ID car pour les uns il s’agit d’une anomalie d’exposition glottique, pour d’autres elle dépend de la durée de la procédure, du nombre de laryngoscopies ou du nombre d’opérateurs [22]. Dans notre étude, nous avons adopté la définition française en tenant compte uniquement du nombre de tentatives. Le choix de notre définition est plus applicable à la réalisation de l’intubation en urgence chez des patients en état critique, en raison de l’urgence avec laquelle la technique nécessite souvent d’être effectuée.
D’ailleurs, cette définition a été utilisée pour l’évaluation de l’incidence d’ID en médecine d’urgence par le Consensus d’actualisation SFAR 2010 [23]. D’autre part, considérant que les variations de difficulté d’une intubation sont continues, une équipe a évalué un nouveau score d’intubation difficile en le comparant au temps d’intubation réel et à une échelle analogique visuelle de difficulté (VAS) mesurant les difficultés de l’intubation perçues par l’opérateur qui a accompli le geste, et graduée à partir de 0 (intubation sans difficulté) jusqu’à 100 (maximum de difficulté) [24]. La corrélation entre ces trois moyens de mesure est bonne, ce qui pourrait permettre une approche plus uniforme de la définition de la difficulté d’intubation. L’échelle de la difficulté d’intubation (The Intubation Difficulty Scale ou IDS) est définie à posteriori et ne permet pas de prédire la difficulté d’intubation pour un patient donné. Néanmoins, elle permet de mieux cerner la définition de l’ID en la quantifiant, de comparer des techniques d’IT dans une population homogène d’opérateurs (évaluation de la technique) ou inversement dans une population homogène de patients difficiles à intuber et de comparer l’adresse et l’expérience des opérateurs (évaluation de l’opérateur) [24].
Arrêt cardio-respiratoire (ACR) : L’arrêt cardio-respiratoire (ACR) a été retrouvé dans plusieurs travaux comme étant associé à une intubation plus facile [47] [45]. Thompson et al. ont retrouvé l’ACR comme étant significativement (p<0,01) associé à la réussite d’une intubation en urgence dans une série de 862 tentatives d’intubation (le taux de succès moyen était de 91,4 %) [45]. Un travail français a retrouvé le même résultat dans une série de 355 intubations en milieu extrahospitalier [47]. Cependant, la présence d’un ACR n’est pas toujours synonyme de facilité, un travail de Sayre et al. a en effet révélé une incidence d’échec de 47% alors que tous les patients étaient victimes d’un ACR [43]. Dans cette étude, les opérateurs étaient des techniciens du système d’urgence anglo-saxon (EMT). Ce personnel est moins qualifié et moins bien formé que le personnel paramédical [49]. Moro et al. ont retrouvé, par contre, qu’il n’existe pas de différence significative (p<0,05) pour les ID entre les patients en ACR et ceux en activité cardiaque spontané [37]. Dans notre série, les patients admis pour ACR avaient une intubation facile. Ce résultat peut s’expliquer par la faible proportion des patients en ACR (9,5% des patients).
Pathologie traumatique : Parmi les pathologies associées à l’ID, les polytraumatismes et les traumatismes faciaux isolés ont été étudiés. Karch et al. retrouvent une incidence d’échecs de 49% dans une série de 94 patients polytraumatisés et pris en charge en milieu préhospitalier où les opérateurs étaient des paramédicaux. Parmi les raisons évoquées lors des échecs, l’agitation du patient ou la présence d’un réflexe nauséeux étaient rencontrés dans 34% des cas alors que les traumatismes faciaux ne représentaient que 9% des échecs [49]. Les traumatismes faciaux ne sont pas systématiquement associés à une difficulté supplémentaire. Vijayakumar et al. ne retrouvèrent pas, lors d’une analyse multivariée, le traumatisme facial comme prédictif d’une ID dans une série de 160 patients polytraumatisés intubés dans un service d’urgence [50]. En revanche, dans un travail du même type, Thompson et al. ont publié un résultat contraire en retrouvant le traumatisme facial significativement associé à l’ID [51]. Combes et al ont retrouvé que l’intubation de traumatisme grave de la face est aussi rendue difficile par le fait qu’une immobilisation cervicale stricte est nécessaire en raison de l’association non exceptionnelle à des lésions du rachis cervical.
L’intubation est non seulement souvent difficile mais aussi toujours à risques. Le risque d’inhalation pulmonaire lors de l’intubation des patients présentant un traumatisme grave de la face est constant [52] [53]. Dans notre étude, le polytraumatisme n’était pas associé significativement à la difficulté d’intubation, et le traumatisme facial n’a été noté que dans 1 cas et il était grave où l’intubation était difficile. La présence d’un traumatisme crânien, par la contrainte du respect de l’alignement tête-cou-tronc lors de la phase d’intubation, ne permet pas de positionner la tête du patient dans la position amendée de Jackson (flexion cervicale avec pose d’un coussin sous la tête) [54]. Kattou et al. ont etudié l’influence de l’alignement de l’axe tête-cou-tronc dans la difficulté de la laryngoscopie. Ils trouvent une laryngoscopie difficile chez 7% des patients dont le rachis cervical est immobilisé par un collier rigide [55]. Nolan et al. dans une étude pareille ont trouvé une laryngoscopie difficile chez 34 des 157 patients (21,6%) en respectant l’axe cervical tandis que ce pourcentage tombait à 2 sur 157 (1,2%) lorsque les patients étaient en position de Jackson [56]. Richard et all. one étudié l’incidence de recours à la trachéotomie chez des patients ayant un traumatisme crânien, indépendamment de leur score de Glasgow, et ont trouvé qu’elle était de l’ordre de 10% [57]. Dans notre étude, le traumatisme crânien n’était pas associé à une difficulté supplémentaire (p > 0,05). Ceci peut être en rapport avec l’absence d’utilisation systématique de collier cervical chez nos patients traumatisés crâniens. En plus, nous n’avons pas signalé de traumatisme rachidien chez les patients traumatisés.
Nature de la sédation : Le rôle de la sédation a été mis en évidence – indirectement – par une enquête prospective sur l’intubation préhospitalière de patients en coma toxique. Dans ce travail, les auteurs retrouvèrent une corrélation significative entre l’état de conscience (mesuré par la valeur du score de Glasgow) et la difficulté de l’intubation (trois tentatives). Il existait une difficulté supplémentaire pour les valeurs comprises entre 7 et 9 [59]. Cette difficulté était attribuée à une sédation inadéquate. Les patients avec un score de Glasgow supérieur à 9 bénéficiaient d’une anesthésie générale procurant de bonnes conditions d’intubation alors que les patients intermédiaires (7-9) avaient le plus souvent une sédation à base de benzodiazépines seules qui se révélait insuffisante pour obtenir de bonnes conditions d’intubation. De même, une relation entre la nature de la sédation et la difficulté était retrouvée ; les protocoles utilisant une induction en séquence rapide (avec curarisation) ou le propofol seul étaient associés à une baisse de la difficulté [60]. Plusieurs études ont évalué l’apport d’une sédation comprenant une curarisation de courte durée associée à un hypnotique d’action rapide, “crash-induction” ou induction en séquence rapide (ISR), dans la facilité de l’intubation. Sztark et al. trouvaient que l’introduction systématique d’une telle séquence améliorait les conditions d’intubation [61], tandis que Moro et al. ne trouvaient aucune différence significative entre les patients en ACR et ceux bénéficiant d’une crash induction dans l’incidence de l’ID en urgence [37]. Ma et al. retrouvèrent le même résultat: l’introduction d’une séquence ISR avait permis de baisser le taux d’échecs de 33,3% à 8,5% [62]. Vilke et al. ont comparé trois groupes de patients :
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Table des matières
INTRODUCTION
MATERIEL ET METHODES
I- LIEU D’ETUDE
II- MALADES ET METHODES
1- CRITERES D’INCLUSION
2- CRITERES D’EXCLUSION
3- LA PROCEDURE D’INTUBATION TRACHEALE
4- LES CRITERES DE JUGEMENT
5- RECUEIL DES DONNEES
6- ANALYSE STATISTIQUE
RESULTATS
I- ETUDE DESCRIPTIVE
1- FREQUENCE DE L’IT
2- DONNEES DEMOGRAPHIQUES
3- LE DIAGNOSTIC INITIAL
4- L’INDICATION DE L’IT
5- CRITERES PREDICTIFS DES DIFFICULTES D’IT
6- TECHNIQUES D’IT
7- DIFFICULTE DE L’IT
8- COMPLICATIONS IMMEDIATES (CI) DE L’IT
9- DEVENIR DES PATIENTS
II- ETUDE ANALYTIQUE
1- DIFFICULTE D’IT EN FONCTION DES FACTEURS ASSOCIES
2- COMPLICATIONS IMMEDIATES (CI) DE L’IT EN FONCTION DES FACTEURS ASSOCIES
3- INCIDENCE DES CI SELON LA DIFFICULTE D’IT
4- DEVENIR DU PATIENT SELON LA DIFFICULTE D’IT
DISCUSSION
I- FREQUENCE DE L’UTILISATION DE L’IT AUX URGENCES
II- LES PRINCIPALES INDICATIONS DE L’IT EN URGENCE
1- LA DETRESSE RESPIRATOIRE
2- L’ARRET CARDIO-RESPIRATOIRE (ACR
3- LA DETRESSE NEUROLOGIQUE
4- LA DETRESSE HEMODYNAMIQUE
III- LES DIFFICULTES D’IT
1- DEFINITION DE L’ID
2- EPIDEMIOLOGIE DE L’ID EN URGENCE
3- DETECTION DE L’ID EN URGENCE
IV- L’ABORD TRACHEAL EN URGENCE
1- PARTICULARITES DE L’IT EN URGENCE
2- LES IMPERATIFS TECHNIQUES ET LES MODALITES DE REALISATION DE L’IT EN URGENCE
3- LES TECHNIQUES ALTERNATIVES POUR L’ID EN SITUATION D’URGENCE
V- COMPLICATIONS IMMEDIATES (CI) DE L’IT
1- DEFINITION
2- INCIDENCE GLOBALE
3- INCIDENCE DES PRINCIPALES CI
4- LA SURVENUE DE CI SELON LES FACTEURS DE RISQUE
5- INCIDENCE DES CI SELON LA DIFFICULTE D’IT
6- LES DIFFERENTES CI
VI- STRATEGIE POUR L’ABORD TRACHEAL EN URGENCE
1- LA FORMATION POUR L’ABORD TRACHEAL EN URGENCE
2- ALGORITHME DECISIONNEL
CONCLUSION
RESUMES
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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