Les tâches et les missions du bibliothécaire universitaire
Sources
Outre la bibliographie, j’ai utilisé des sources d’horizons assez différents, de façon assez logique au vu de l’ampleur chronologique du sujet. Pour le XIXe et la première moitié du XXe siècle, je me suis appuyée sur les manuels écrits à l’intention des futurs professionnels pour les préparer aux examens et au métier. Ces derniers, puisqu’ils visent à former un certain type de professionnel, capable de travailler au plus vite, sont à la fois révélateurs de la représentation que les professionnels eux-mêmes ont du bon bibliothécaire et des tâches que ces derniers ont à accomplir au quotidien. Les justifications et l’ordre de priorité des différentes missions du bibliothécaire sont autant d’indicateurs qui permettent aussi de faire ressortir l’idéologie sous-jacente de la profession. Puisque les auteurs font des remarques en fonction de leur propre expérience, on a également une vision partielle de leur ressenti du métier. Enfin, selon l’importance donnée aux bibliothécaires universitaires ou aux bibliothécaires municipaux dans ces manuels, on peut voir ce qui préoccupe les bibliothécaires dans leur ensemble, et notamment à quel point ils peuvent se montrer intéressés par la situation particulière de leurs collègues travaillant dans les bibliothèques universitaires (BU).
J’ai pu, à travers la thèse d’Alain Gleyze qui les cite, avoir accès à des commentaires de professeurs sur les BU et leurs nouveaux bibliothécaires. Il s’agit plus précisément des réponses des facultés à une enquête du ministère de l’Instruction en 1883. Si cette enquête visait surtout à connaître les positions de ces facultés sur la création en perspective d’universités régionales, les répondants ont généralement eu quelques mots pour (ou plutôt contre) les bibliothèques universitaires déjà mises en place. Cela permet de voir comment les bibliothécaires universitaires ont été perçus, accueillis, mais aussi d’avoir quelques indices sur les relations qu’ils ont pu entretenir dans les débuts avec leurs usagers professeurs. J’ai également recouru aux grands textes réglementaires. Je m’en suis tenu aux Instructions de 1878 et 1962 qui ont été les plus importantes (et bouleversantes) à la fois pour les BU et le métier de bibliothécaire.
Elles ont l’avantage de justifier leur existence, et donner les raisons et des arguments à leur mise en place : ce qui laisse voir les réticences qu’elles ont peur de soulever, mais aussi l’orientation qu’elles veulent donner au métier. Qui plus est, elles décrivent avec précision les nouvelles dispositions et méthodes de travail qui vont s’imposer aux bibliothécaires (donc leur réalité quotidienne, dès qu’elles seront appliquées). Concernant la première moitié du XXe siècle, je me suis beaucoup référée à deux études faites par des bibliothécaires désireux de réformes1. Elles ont le double avantage de faire un état des lieux de la situation des bibliothécaires, et d’être des tribunes pour leurs revendications professionnelles. Elles montrent quelles sont leurs attentes envers l’État et leurs stratégies pour améliorer la situation. Et puisque les auteurs justifient leurs demandes, ils laissent aussi à voir également les motivations qui les habitent et leurs réactions aux évolutions de la profession.
Dans un usage assez proche, j’ai consulté plusieurs revues professionnelles.
La Revue des Bibliothèques (1898-1933) et le Bulletin des Bibliothèques de France (dès 1956) ont en commun d’être plus centrés sur les bibliothèques que les professionnels eux-mêmes. Mais puisque les auteurs des articles sont bibliothécaires, cela nous donne leur point de vue. Et à travers les problèmes des bibliothèques, on perçoit ceux du personnel qui y travaille. Ces revues comportent également des mentions des mouvements de personnel. Le Bulletin d’informations de l’ABF quant à lui s’intéresse à l’aspect purement associatif, aux rencontres professionnelles et à ce qui touche plutôt au métier et au statut de bibliothécaire. J’aurai souhaité consulter plusieurs numéros, entre 1909 et 1924, qui comportaient des mentions de l’Association amicale des bibliothécaires universitaires. Je n’ai pu y accéder à temps, mais ce serait sans doute une bonne base de départ pour plus de détails concernant cette association. Après 1945, un certain nombre de journées d’étude ont été faites sur le thème des bibliothèques universitaires, et beaucoup ont donné lieu à des publications. Ce fut une autre source particulièrement intéressante. J’ai pu y trouver quelques témoignages de professeurs mais surtout ceux des bibliothécaires. Puisque les comptes-rendus de ces journées d’étude transcrivent les discussions qui ont eu lieu, elles transmettent bien les questionnements soulevés par les professionnels, ce qui les a préoccupés, et la divergence des opinions sur certains sujets.
Partir de peu après une longue période de rupture
Ce n’est pas que la France n’ait jamais eu de bibliothèques universitaires ou de bibliothécaires dans ses Universités : il y en a bien eu sous l’Ancien Régime6. Mais la Révolution française marque une rupture avec les institutions héritées de cet Ancien Régime – et les Universités dans ce contexte sont apparues comme des piliers qui ont en leur temps soutenu ce régime désormais désavoué, des piliers à abattre à leur tour. Les Universités sont ainsi supprimées officiellement par la Convention en 1793 – la France reste alors quelques années sans enseignement supérieur. Les bibliothèques universitaires connaissent un sort corrélé, assez logiquement : cela ne passe pas par une suppression officielle, mais l’institution qu’elles servaient étant contrainte de fermer, les bibliothèques universitaires perdent leur rôle, leurs moyens, et bientôt leurs collections, qui sont confisquées en 1795 pour alimenter les dépôts littéraires – beaucoup d’ouvrages se trouvent alors « mélangés, gaspillés, dispersés7 » dans ces amas de livres, tandis que l’ambitieux projet de faire une bibliographie nationale faisant un inventaire des ouvrages contenus dans ces dépôts avorte. Ces livres se retrouvent donc plus ou moins hors circuit, en tout cas rejetés hors de la sphère universitaire (les nationalisations ont bien plus bénéficié aux bibliothèques municipales dans l’ensemble) ; comme le souligne Alban Daumas : « la grande masse des livres nationalisés fut perdue pour les futures bibliothèques universitaires8 ». Ainsi, il a fallu au XIXe reconstituer complètement des collections.
Pour définir la période allant de la Révolution à la Restauration (comprise), Alban Daumas parle de « facultés sans livres9 » et de « quarante ans d’inexistence10 » (des bibliothèques en université) – ainsi les bibliothèques universitaires ne réapparaissent pas avec la (re)fondation des Universités impériales. Et si les pouvoirs publics commencent à porter de nouveau leur intérêt (modérément et ponctuellement) sur la documentation de leurs universités sous la monarchie de Juillet et le Second Empire – sous l’impulsion de quelques ministres de l’Instruction11 ou avec quelques textes légiférant dessus12 -, ce n’est que sous la Troisième République que les bibliothèques universitaires réapparaissent réellement en tant qu’institutions – avec un personnel de bibliothécaire à l’appui. A l’aube des années 1870, nombre de « bibliothèques universitaires » sont en réalité plutôt des locaux où sont déposés des livres, ou des armoires à livres dans les facultés (rien de centralisé ni de vraiment très institutionnalisé), pas systématiquement classés ni inventoriés, ni forcément gardés par un personnel dédié et professionnel – il peut s’agir d’un professeur qui tient ce rôle en parallèle. Elles peuvent être relativement sélectives d’accès et les règles d’usage (quand il y a une salle par exemple) sont très variables de l’une à l’autre – précisément parce qu’il n’y a pas vraiment de réglementation générale sur leur fonctionnement, mais que ces règles résultent des choix locaux. C’est dans ce contexte, où il y a beaucoup à faire, que les bibliothécaires universitaires nommés ont dû faire leur place. Mais avant d’entrer dans les détails des problèmes qu’ils ont pu rencontrer à leur arrivée, revenons d’abord sur les raisons qui ont poussé l’État français à reprendre le système documentaire de ses universités en main, ainsi que sur les réformes prises et sur la place qu’elles voulaient donner aux bibliothécaires.
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Table des matières
INTRODUCTION
PRESENTATION DE LA BIBLIOGRAPHIE ET DES SOURCES
BIBLIOGRAPHIE
LA (RE)NAISSANCE DES BIBLIOTHÉCAIRES UNIVERSITAIRES SOUS LA TROISIÈME
RÉPUBLIQUE
Partir de peu après une longue période de rupture
Le bibliothécaire universitaire : une des pierres angulaires de projet d’État de rehaussement de l’université
Le déclencheur et le modèle : en Allemagne
Projet global de réorganisation et de rehaussement des universités françaises
Bibliothécaire universitaire : une profession faite sur mesure pour le besoin de la réforme
Faire face aux réticences des professeurs
Bibliothécaire universitaire : un métier spécifique qui se dessine
Les tâches et les missions du bibliothécaire universitaire
La priorité : la conservation des collections
Registres et catalogues, la grande oeuvre du bibliothécaire
En troisième position : la communication au public
Les spécificités universitaires : rapports et thèses
Un constat de débrouille
L’esprit du métier
Dualité d’un métier à la fois technique et intellectuel
Un certain conservatisme de la première génération : de l’ordre
L’ambivalence du côté du service public
PREMIÈRE MOITIE DU VINGTIÈME SIÈCLE : PEU DE CHANGEMENTS EN SURFACE ET MENTALITÉS MOUVANTES
Des bibliothèques universitaires délaissées… et des bibliothécaires abandonnés à leur tâche ?
Vers un meilleur ancrage local
Vers une édulcoration des frictions
La concurrence ignorée : les bibliothèques d’instituts
Gérer les thèses : un problème envahissant au quotidien
Une structure du personnel qui évolue
Un personnel insuffisant et… déclassé
Une féminisation de l’emploi
Les mutilés de guerre, bons garçons de salle
L’avortement de l’Association Amicale des Bibliothécaires Universitaires : le poids de l’unicité voulue par les bibliothécaires
1945-1970 : VERS UNE RÉORGANISATION DES BIBLIOTHÈQUES UNIVERSITAIRES ET DU MÉTIER DE BIBLIOTHÉCAIRE UNIVERSITAIRE
Sous la Direction des Bibliothèques de France
Un acteur très présent auprès des bibliothécaires universitaires
La Direction des Bibliothèques remise en question : responsable de la distance entre bibliothécaires universitaires et leur université
Durand Emilie | Les bibliothécaires universitaires de province (1870-1970)
Le « problème » du rapport aux bibliothèques d’institut
Les bibliothèques d’instituts : un révélateur d’angoisses professionnelles
Vers un changement d’optique : la coopération
De nouvelles façons de travailler et d’appréhender la bibliothèque universitaire : remise en cause des vieux principes du XIXe
Une réaction au contexte mouvant des universités
L’impact des directives centralisées
Une formation professionnelle et des structures de personnel en mouvement
Une revalorisation de la formation et du diplôme
Explosion du personnel et nouveaux venus : techniciens et administratifs
Le cadre unique du métier de bibliothécaire
Pour des bibliothécaires universitaires spécialistes
Le rapport aux usagers
Des relations ambiguës avec les professeurs
L’étudiant : au centre des attentionsUn public à privilégier
Un usager à former
Un usager méconnu
Un acteur de la BU
La décennie 1970 : période de bilan pour les professionnels des BU
Un bilan noir et de vives revendications
Une identité professionnelle spécifique qui s’affirme
CONCLUSION
ANNEXE
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