Les systèmes de cultures sous couverture végétale (SCV)
Les systèmes de culture en semis direct sont particuliers dans la mesure où ils peuvent être considérés comme des systèmes de cultures pérennes, avec des rotations de cultures annuelles. Ce sont des systèmes agro-écologiques qui s’intègrent donc dans un objectif d »agriculture de conservation (AC) comme définit par la FAO : l’agriculture de conservation repose sur les trois critères suivants : (i) l’absence de retournement profond du sol et donc une implantation des cultures en semis direct ; (ii) le maintien d’un couvert végétal permanent (mort ou vivant) ; (iii) la gestion des cultures en rotation en essayant de développer des synergies (insertion de légumineuses, association de cultures). L’AC vise à une meilleure utilisation des ressources agricoles par la gestion intégrée des disponibilités en sol, en eau et en ressources biologiques, avec une limitation des intrants externes. Elle contribue à la conservation de l’environnement et à une production agricole durable.
Principe des SCV
Le SCV est un système de culture en semis direct sous couverture végétale permanente. Semer directement signifie semer sans travailler préalablement le sol qui n’est alors plus perturbé par des outils. C’est l’activité biologique (faune, racines…) qui remplace alors l’effet de l’outil. Une couverture végétale permanente est une protection permanente et totale du sol par une biomasse végétale (cultures principales, résidus de cultures, intercultures, plantes fourragères,…) que l’agriculteur doit gérer. À aucun moment le sol n’est dénudé. Le semis direct se fait à travers le mulch, Il peut s’agir d’une couverture morte ou vive. Ces couvertures ont plusieurs fonctions (Raunet, 2007):
une fonction protectrice vis à vis des agressions climatiques, d’un excès d’évaporation, des mauvaises herbes et du poids des engins agricoles ;
une fonction restructurante et revitalisante du sol, par une réactivation biologique et une décompaction du sol par enracinement profond;
une fonction recycleuse des éléments minéraux en profondeur ;
une fonction fourragère, dans les intercultures ;
une fonction de séquestration du carbone dans la mesure où une partie de la biomasse (aérienne et souterraine) se transforme en humus stable et reste dans le sol.
Grâce à ce système, imitant l’écosystème forestier, le ruissellement de l’eau est moindre, le sol est protégé de l’érosion, et l’activité microbiologique du sol s’accroît.
L’évaporation de l’eau du sol est réduite et la fertilité s’améliore progressivement. La couverture permet de contrôler les adventices. Ainsi les rendements des cultures sont stabilisés au cours des années et peuvent même augmenter. Le SCV permet théoriquement de diminuer les temps de travaux et les coûts, et d’augmenter la productivité du travail (Séguy, 1999). Ces systèmes peuvent constituer une alternative à la jachère.
Dans un contexte où la productivité agricole est aléatoire et ne peut pas toujours
assurer la sécurité alimentaire et fournir une source de revenu stable, les exploitants s’orientent vers une exploitation non contrôlée des sols dégradés ; la fertilité du sol n’est pas renouvelée car les agriculteurs n’ont pas les moyens d’accéder aux engrais chimiques ;
l’intégration agriculture-élevage est peu développée et le surpâturage est fréquent par manque de production fourragère. Les itinéraires techniques SCV proposés semblent adaptés et permettraient de résoudre une grande part de ces problèmes (restauration de la fertilité, amélioration des rendements, production fourragère…).
Les différents itinéraires techniques pratiqués
Les systèmes SCV doivent être bien adaptés à la situation des agriculteurs (surfaces, productions, types de sols…) car pour eux tout doit être rapidement valorisable. La production in situ de biomasse par des légumineuses volubiles associées aux céréales qui servent ensuite de paillage pour la culture suivante sont préconisés pour restaurer la fertilité des sols. Le choix des productions doit également être judicieux. En effet, les agriculteurs préfèrent cultiver les légumineuses en association avec une céréale (riz, maïs) qui constitue une culture de subsistance ; ou encore, les productions de brachiaria et stylosanthes ne seront proposées qu’aux agriculteurs pratiquant de l’élevage, ou à ceux ayant de grandes surfaces et des sols très compacts et peu structurés.
L’enherbement par du Brachiaria spp. ou du Stylosanthes guianensis seul, en général sur des aires de parcours, est un autre type de couverture vive possible. On peut le considérer comme un système SCV si l’objectif à court terme du paysan est de reprendre sa parcelle en culture vivrière, qu’il implantera alors en semis direct. Le Stylosanthes associe fixation de l’azote et amélioration de la structure du sol. Le Brachiaria a une propriété restructurante du sol et agit comme une pompe biologique recyclant les éléments minéraux du sol. Ce sont aussi des fourrages, riches en protéines, capables de pousser pendant la saison sèche. Trois espèces sont diffusées : le Brachiaria humidicola pour restructurer les sols de tanety très dégradés, le Brachiaria ruziziensis pour reprendre les parcelles en cultures vivrières (après deux ans environ), et le Brachiaria brizantha qui à long terme sert surtout de pâturages. En association, le Brachiaria permet d’augmenter les rendements de manioc.
Les itinéraires de systèmes SCV se mettent en place sur plusieurs années, c’est pourquoi il est plus facile de travailler avec des agriculteurs propriétaires de leur parcelle.
Les contrats de location ou métayage sont instables et adopter le SCV dans ces conditions est un risque peu négligeable pour l’agriculteur qui n’est pas certain de pouvoir cultiver la même parcelle plusieurs années consécutives.
Les systèmes SCV sont réalisés sur les bas de pentes principalement, mais aussi sur versants de tanety et baiboho. Ils sont en général basés sur une rotation graminée légumineuse. Les propriétés des sols que l’ont retrouve sur la topographie sont différentes et on n’adoptera donc pas les mêmes systèmes (par exemple, les cultures de contre-saison ne sont pas possible sur les bas de pente car elles n’ont pas accès à l’eau de la nappe contrairement aux cultures des zones de baiboho). Les systèmes les plus fréquemment adoptés dans la région sont (Durand, Nave, 2007) :
sur bas de pente en couverture vive, une année de maïs et dolique associés (ou maïs et niébé), suivi d’une année de riz ; ce qui permet un apport d’azote et de pouvoir à terme, limiter les apports extérieurs d’engrais ;
sur baiboho en couverture morte, chaque année, la culture du riz est immédiatement suivie de cultures de contre-saison paillées (il s’agit souvent de cultures maraîchères et dans un premier temps on privilégie le haricot pour l’apport d’azote).
Le projet ANR « pépites »
Cette étude s’inscrit dans le cadre de la tâche 4 du projet « pépites » – Processus Ecologiques et Processus d’Innovation Techniques et Sociales en Agriculture de Conservation – lancé en 2009 et financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Ce projet, subdivisé en 9 tâches, s’articule en deux volets (Scopel, De Tourdonnet, Triomphe, 2009).
D’une part, l’étude des processus écologiques doit permettre d’approfondir les connaissances sur le fonctionnement de l’agrosystème (modification du biotope et de la biocénose) afin de valoriser ces processus (régulations des adventices par les plantes de couverture, création de porosité par les lombriciens…) et d’évaluer les services écosystémiques (accroissement de la biodiversité, amélioration de la qualité du sol…).
D’autre part, l’étude des modifications de l’agrosystème (système de culture et système de production) doit permettre de créer des connaissances, outils et méthodes pour conceptualiser et évaluer des systèmes de culture innovants notamment grâce à la mise en place de réseaux socio-techniques ; ces réseaux ayant pour but de croiser les savoirs des différents acteurs (chercheurs, opérateurs techniques et agriculteurs). Un agrosystème est un écosystème construit ou modifié par l’homme pour l’exploitation agricole et soumis à des pratiques agricoles ordonnées dans le temps et dans l’espace (Cirad, 2008).
ces deux volets sont en interaction permanente car l’enjeu principal est de créer une interdisciplinarité à plusieurs niveaux, c’est-à dire entre les différentes disciplines (sciences biophysiques, agronomie, écologie, sciences économiques et sociales) et entre les différentes équipes (UMR Innovation, SCRID, ISARA). La tâche 4 du projet, intitulée « évaluation ex-ante multi-critères et multi-acteurs des performances des systèmes de culture innovants en AC », a trois objectifs :
Développer une démarche intégrée d’évaluation multicritères et multi-acteurs des performances respectives des systèmes en AC par rapport aux systèmes traditionnels ;
Déterminer a priori dans quelles circonstances les systèmes en AC sont susceptibles d’améliorer les performances agronomiques, économiques et environnementales des systèmes de culture ;
Alimenter la réflexion collective des différents acteurs et orienter le processus de coconception de systèmes innovants et durables en AC.
Cette tâche est mise en œuvre sur deux terrains : Unai dans les Cerrados au Brésil et le lac Alaotra à Madagascar. Sur ce dernier, c’est à travers la thèse de Krishna Naudin – Choix des meilleurs systèmes AC en fonction du milieu physique, du type de producteurs et d’un cahier des charges lié – que sont menés les travaux. Pour répondre aux objectifs énoncés précédemment, une analyse multi-critères qualitative à l’échelle du système de culture et une optimisation multi-objectifs en programmation linéaire à l’échelle de l’exploitation sont conduits. C’est précisément pour cette optimisation multi-objectifs que ce stage a été mis en place.
Innovation, Modélisation & Agriculture
Dans le contexte actuel de développement durable, les structures de recherche et de développement agricole ainsi que les producteurs accordent une attention particulière aux innovations susceptibles de répondre aux nombreux enjeux en termes de production, de revenus et d’impacts environnementaux. Ainsi, de nombreuses méthodes de conception de systèmes de production innovants à l’échelle de l’exploitation agricole ont été construites, particulièrement ces dix dernières années (Novak, 2008).
En agronomie, l’innovation est définie comme un processus qui mobilise une invention et qui aboutit à sa diffusion. L’invention répond à un problème nouveau par une activité de conception fondée sur des connaissances scientifiques et empiriques, souvent la combinaison des deux. Pour devenir une innovation, l’invention nécessite des vecteurs qui peuvent être soit des chercheurs, des vulgarisateurs, des formateurs, ou bien directement des agriculteurs (Dugué et al., 2006). L’innovation est donc un processus qui relève de la volonté des agriculteurs, mais qui peut être influencé par des agents extérieurs, en particuliers les agronomes des structures de recherche et de développement. Il existe deux types d’innovations : l’innovation technologique qui ne remet pas en cause le fonctionnement de l’exploitation agricole (par exemple, variété, machine ou produit de traitement…) ; l’innovation à caractère ‘systémique’, c’est-à-dire se traduisant par une restructuration ou une reconfiguration plus ou moins profonde du système de production.
La conception est un processus actif, intentionnel, qui vise à générer simultanément des concepts et des connaissances, qui déboucheront éventuellement sur de nouveaux produits et de nouvelles technologies. Elle fait donc intervenir une volonté explicite de changement, exprimée par l’agriculteur ou par un autre acteur (Novak, 2008).
Dans cette étude, nous nous plaçons au niveau du système de production, défini comme un ensemble de ressources et de moyens de production mis en œuvre ensemble, dans le temps et dans l’espace, par un ou plusieurs acteurs, en vue de la valorisation des produits agricoles (Boiffin, Hubert, Durand, 2004). La notion de système de production peut s’appliquer soit aux façons de produire à l’échelle d’une région ; soit à la combinaison d’activités de production au sein d’une exploitation agricole, ce qui est le cas dans notre étude. Le système de production se décompose en trois sous-systèmes (Novak, 2008) :
Le système biophysique, comprenant les interactions entre les composantes physiques et biologiques du système (eau, sol, climat, adventices, ravageurs…) et la croissance des plantes ou le développement des animaux ;
Le système technique, défini comme la combinaison des techniques mises en œuvre par le producteur sur le système biophysique, depuis l’échelle de la parcelle ou du troupeau jusqu’à celle de l’exploitation, afin de satisfaire des objectifs de production ;
Le système décisionnel, système de gestion ou de pilotage de l’exploitation, représentant la composante humaine du système.
Ces trois sous-systèmes sont caractérisés par de nombreuses interactions, souvent complexes. La conception de systèmes innovants nécessite donc des méthodes dépassant les approches basées sur l’expérimentation, afin de prendre en compte ces multiples interactions. Ainsi, pour concevoir des systèmes innovants, fixer un cadre de contraintes et d’objectifs et évaluer les systèmes conçus, la conception in-silicoi présente des avantages indéniables par rapport aux expérimentations classiques, surtout à l’échelle de l’exploitation agricole où ces expérimentations sont très lourdes à mettre en place en terme de temps et de moyens. D’une manière générale, la modélisation est de plus en plus utilisée dans la recherche, à la fois comme moyen d’intégrer et de formaliser les quantités croissantes de connaissances, et comme outil de transfert de la recherche vers le développement (INRA,2005).
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Table des matières
SOMMAIRE
Introduction
1 Cadre de l’étude
1.1 Organisation de la zone d’étude
1.1.1 Madagascar, la grande île
1.1.2 La région du lac Alaotra
1.1.2.1 Le « Grenier à riz de Madagascar »
1.1.2.2 Le milieu physique
1.1.2.3 Dynamique agraire de la région
1.2 Les systèmes de cultures sous couverture végétale (SCV)
1.2.1 Principe des SCV
1.2.2 Les différents itinéraires techniques pratiqués
2 Problématique
2.1 Cadre institutionnel de l’étude
2.1.1 Contexte agricole mondial
2.1.2 Le projet ANR « pépites »
2.2 Objectifs de l’étude
2.3 Innovation, Modélisation & Agriculture
3 Méthodologie
3.1 GANESH : quel type de modèle ?
3.1.1 Domaine d’application
3.1.2 Echelle d’étude
3.1.3 Optimisation et MGPL
3.1.4 Un modèle hybride
3.1.5 Un outil « chercheurs »
3.2 Présentation des outils utilisés
3.2.1 La modélisation sous GAMS
3.2.2 Le stockage des paramètres sous Excel
3.3 Création du modèle GANESH
3.3.1 Source des données utilisées dans le modèle
3.3.1.1 Données pour les caractéristiques des itinéraires techniques
3.3.1.2 Données pour la structure de l’exploitation
3.3.2 Création du modèle
3.3.2.1 Echelles de temps utilisées
3.3.2.2 Modélisation de l’exploitation agricole
3.3.2.3 Création des successions culturales possibles
3.3.2.4 Itinéraires techniques sur RMME et baiboho
3.3.2.5 Contraintes et objectifs du modèle
3.4 Validation du modèle
3.5 Test de différentes contraintes et analyse des résultats
3.5.1 Test 1 : un agriculteur dit « standard »
3.5.2 Test 2 : Différents niveaux d’intégration des SCV
3.5.3 Test 3 : Sensibilité des exploitations agricoles aux aléas climatiques
3.5.4 Test 4 : Production laitière et fourragère
4 Résultats & Analyse
4.1 Validation du modèle
4.2 Maximisation du solde d’exploitation et minimisation de la charge de travail familial chez un agriculteur standard
4.3 La conversion aux techniques SCV, une nécessité ?
4.1 Le rôle tampon des systèmes de cultures SCV
4.2 Intégration de l’élevage dans le modèle
5 Limites et perspectives
5.1 Amélioration du modèle.
5.1.1 Limites techniques
5.1.2 Optimisation des assolements sur baiboho et RMME
5.1.3 Vers un modèle évolutif
5.1.3.1 D’un bilan annuel à un bilan bimensuel
5.1.3.2 Des caractéristiques de culture variables
5.2 GANESH, un outil d’aide à la décision ?
Conclusion
Bibliographie
Annexe : Les unités morpho-pédologiques de la région Alaotra
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