Les symptômes psychologiques et comportementaux de la démence (SPCD)
Il s’agit de symptômes non cognitifs qui accompagnent la maladie d’Alzheimer et sont présents dès ses premiers stades. Ils peuvent concerner jusqu’à 90% des patients. Initialement décrits par Alois Alzheimer, ils ont été ensuite groupés par l’International Psychogeriatric Association. Ces manifestations aggravent les troubles cognitifs des patients et accélèrent l’avancée vers les stades plus sévères de la maladie. M-P. Pancrazi et P. Metais (2005) s’attachent à développer ces symptômes afin de mieux identifier leurs survenues, leurs manifestations et ainsi améliorer leur prise en charge. Leur classification est la suivante :
• les troubles émotionnels et affectifs
L’apathie, qui se manifeste par une perte de l’élan motivationnel, de l’initiative motrice, de l’intérêt cognitif et du ressenti affectif, est un des symptômes clés. Une humeur triste est souvent présente, bien que les authentiques états dépressifs soient rares. On peut également observer des épisodes pseudo-maniaques d’euphorie transitoire. L’anxiété est souvent importante, et peut évoluer vers le syndrome de Godot, une manifestation anxieuse au cours de laquelle le résident accompagne les soignants dans tous leurs déplacements.
• Les manifestations psychotiques
Elles apparaissent plus tardivement. Les délires sont de type paranoïde, et peuvent concerner un sentiment de vol ou d’intrusion. Les hallucinations sont principalement d’ordre visuel ou auditif. Les troubles de l’identification sont liés aux troubles visuels et à la prosopagnosie, l’impossibilité de reconnaître des visages.
• Les troubles comportementaux
L’instabilité psychomotrice peut se manifester à travers les déambulations ou les fugues. L’agitation peut être présente et se manifeste au niveau verbal et moteur. Elle peut être accompagnée par de l’agressivité. Les stéréotypies ou compulsions apparaissent plus tardivement.
• Les troubles des conduites élémentaires
On peut observer une inversion complète du rythme veille/sommeil. Des parasomnies peuvent être présentes, et sont la source d’une importante désorientation pour le résident : certains se trouvent dans un état de conscience intermédiaire entre l’éveil et le sommeil, ce qui peut donner lieu à des comportements aberrants.
Ces symptômes sont la principale source de motivation d’entrée en institution. A la lecture de ces derniers, nous pouvons aisément comprendre à quel point ils peuvent perturber le fonctionnement de la personne et menacer son autonomie. Ils ne doivent pas être écartés dans la prise en charge de personnes atteintes d’une démence. Selon certains auteurs, ces troubles se manifesteraient en réponse d’une inadéquation ou d’une modification de l’environnement. Aucun médicament ne possède à ce jour d’indication officielle dans leur prise en charge, voilà pourquoi l’approche non médicamenteuse est à privilégier.
La chute du sujet âgé
De nombreux patients sont hospitalisés à la suite d’une chute qui représente 90% des accidents de la personne âgée. Liée au vieillissement de l’appareil psychomoteur, la chute a de nombreuses conséquences. Elle peut ainsi provoquer une phobie de la chute, des troubles de l’équilibre statique, une station debout non fonctionnelle, une altération de la posture –en rétropulsion, le plus éloigné du sol, voire un refus de marcher. Cette fuite de la marche résulte en un appauvrissement du schéma corporel, un repli social et une perte de l’estime de soi. Elle renvoie la personne âgée à sa propre fragilité.
La maladie de Parkinson
Il s’agit de la principale maladie neurodégénérative après la maladie d’Alzheimer. Elle est provoquée par la destruction des cellules productrices de la dopamine dans le locus niger. Le déficit en dopamine affecte l’activité des noyaux gris centraux. On retrouve trois symptômes principaux, nommés triade parkinsonnienne : les tremblements de repos qui s’atténuent lors d’un mouvement volontaire, une hypertonie de type plastique et une akinésie, c’est-à-dire une incapacité à initier le mouvement. Les traitements médicamenteux comportent des effets secondaires très indésirables. On distingue plusieurs stades d’évolution de la maladie : la phase diagnostic, la phase lune de miel pendant laquelle le traitement est efficace et les symptômes moindres, les phases on/off correspondant à une alternance entre le moment où le médicament agit et ceux où les symptômes se manifestent, et une phase d’aggravation avec l’apparition de troubles cognitifs. Les répercussions sont nombreuses et ont un fort impact sur la santé du sujet. On observe ainsi des troubles de la régulation tonique, des troubles comportementaux et cognitifs, des troubles posturaux, des troubles de l’organisation gestuelle, des difficultés de communication, des troubles de la représentation du corps, une faible estime personnelle, et des troubles émotionnels.
Lecture psychomotrice du vieillissement
Nous allons à présent apporter un regard psychomoteur sur le vieillissement. Il est important de garder à l’esprit que les items que nous allons aborder interagissent ensemble. Une altération d’un de ces items aura donc un impact sur un autre, car ils fonctionnent en indissociabilité. Les croisements de notre lecture psychomotrice avec les données recueillies sur le vieillissement normal, réussi et pathologique nous permettront de mettre en exergue l’impact sur l’identité psychocorporelle du sujet âgé.
L’image du corps
Selon D. Liotard (2007), l’image du corps est « altérée par le temps et les pathologies, modifiée par la douleur et le plaisir, [elle] traduit ces changements dans les comportements, apparences, attitudes, ainsi que dans l’expression gestuelle de la personne et dans l’expression de son visage…C’est aussi tout le problème de l’identité qui est posé car comment maintenir une continuité alors que la personne sent et exprime une discontinuité. » (p.241).
E. Pireyre (2015), en s’appuyant sur les travaux de P. Schilder, F. Dolto, J. De Ajuriaguerra, A. Bullinger, et J-D Nasio, établit le concept d’image composite du corps. Selon lui, cette image composite du corps est formée de 9 sous-composantes:
• La continuité d’existence
Le sentiment de continuer à exister se construit grâce à l’équipement neurologique et sensoriel de la personne mais également grâce à son environnement humain. Ce sentiment de continuité d’existence est nourri par les stimulations visuelles mais aussi proprioceptives. Lors du vieillissement, ce sentiment est mis à mal puisque le corps devient défaillant. Les désorientations à la fois spatiales et temporelles viennent menacer cette continuité. Dans le cas des déambulations, que D. Strubel et M. Corti (2008) définissent comme un besoin répété, impérieux et prolongé dans le temps de marcher avec ou sans objectif, on constate une répétition des trajets ainsi qu’une régularité des horaires. Cette répétition et régularité peuvent alors être envisagées comme un moyen de maintenir ce sentiment.
• L’identité
L’identité humaine est complexe, plurielle, et composée de « l’ensemble des données historiques, comportementales, cognitives, émotionnelles et sociales qui fondent la singularité de chaque être humain et configurent ainsi son « Soi » ou « Self » » (Gil, Fargeau, & Jaafari, 2011, p.416). Les recherches menées par S. Sabat et L. Ploton (2015) peuvent apporter des éléments de réflexion supplémentaires quant à la manière d’envisager l’identité du sujet âgé. Ils s’attachent ainsi à décrire trois types de Self, qui font partie intégrante de l’individu.
Le premier de ces selfs est celui « de l’identité personnelle, vécue comme continuité d’un point de vue singulier à partir duquel l’on perçoit et agit dans le monde. C’est-à-dire que chacun d’entre nous, excepté dans le cas de psychopathologies telles que des troubles de la personnalité multiple, se sent n’être qu’une seule et même personne d’un moment à un autre par rapport à son environnement, et par rapport au temps passé, présent et futur. » (Sabat & Ploton, ibid. p.35). Ce premier self représente le sentiment d’unité vécu par la personne. Il permet de se situer dans l’espace-temps et d’exister, et est également le self qui permet au sujet de s’envisager en tant que tel et d’agir dans son environnement. Le second self se compose « des attributs mentaux et physiques tels que ceux que nous avons actuellement, et ceux que nous avons eus au cours de notre vie, en plus de nos croyances à propos de ces attributs, font partie de ce qu’on appelle SELF2. » (Sabat & Ploton, ibid. p.36). Le Self 2 englobe ainsi l’ensemble des caractéristiques physiques et psychologiques de la personne ainsi que la façon dont elle se les approprie. La connaissance de ce self 2 permet de se sentir différent de l’autre et donc unique. Certaines caractéristiques sont stables tandis que d’autres peuvent être temporaires et peuvent être vécues de manière positive ou négative. Pour les sujets en bonne santé, il existe une tendance à estimer un grand nombre de ces attributs.
Enfin le troisième self se caractérise par « les façons dont on peut se présenter dans le monde, avec sa personnalité et son caractère : elles font partie du Self 3.» (Sabat & Ploton, ibid. p.36). Les auteurs insistent sur la pluralité de ce troisième self car elle implique la manière dont l’individu se présente au monde et englobe la sphère sociale. Un individu peut se présenter sous divers aspects car plusieurs rôles sociaux et donc comportements intriqués lui incombent (par exemple être à la fois un enseignant et un parent). La subtilité de ce troisième Self réside dans le fait qu’il ne saurait exister sans l’apport des interactions interpersonnelles et est susceptible de se modifier. Ainsi, les fondements de l’identité d’une personne se déclinent en plusieurs catégories. Elle comprend tout d’abord la capacité de l’individu à se sentir « un » dans son environnement. L’identité se construit également sur la connaissance des caractéristiques qui sont propres à la personne. Elle possède en outre une dimension sociale et plurielle : le sujet peut se positionner par rapport à ses pairs à travers plusieurs rôles sociaux. Cette identité évolue, s’étoffe, se renforce ou s’affaiblit tout au long de l’existence. Elle peut ainsi être menacée dans le cas de ruptures par exemple la perte d’un statut social, d’un proche, ou encore après l’annonce d’une maladie. Cela est d’autant plus vrai que le vieillissement et les pathologies du vieillissement viennent fragiliser la mémoire de la personne et donc son identité. Les SPCD qui s’ajoutent aux démences perturbent en outre le comportement de la personne. Nous nous intéresserons à l’impact des stéréotypes sociaux sur le sujet âgé. H. Langenhove (cité par Sabat & Ploton, ibid.) explique que le positionnement du sujet consiste à conditionner les possibilités et les comportements du sujet selon certaines données. Dans le cas du vieillissement, le regard de la société tendrait à considérer une personne uniquement via les caractéristiques négatives qu’elle présente. L. Mc Ewen déclare que ces stéréotypes « restreignent le rôle social et le statut des personnes âgées, structurent leurs attentes à propos d’elles-mêmes, les empêchent d’atteindre leur potentiel et leur refusent des opportunités égales. » (cité par Sabat & Ploton, ibid. p.39). Ces représentations influencent nos comportements et en retour viennent modifier le regard que le sujet porte sur lui-même.
Brody (cité par Sabat & Ploton, ibid.) développe la théorie de l’excès de handicap. Selon ses recherches, il existe un écart significatif entre l’incapacité fonctionnelle du sujet lié à sa maladie et sa véritable incapacité. L’environnement social est responsable de cet excès de handicap. Kitwood (cité par Sabat & Ploton, ibid.) a défini ce qu’il nomme la « psychologie sociale maligne », c’est-à-dire des comportements qui favorisent le handicap. C’est le cas notamment de l’étiquetage (considérer un patient différemment entre avant et après le diagnostic), l’infantilisation (s’adresser à la personne comme si elle était un enfant), la prise de pouvoir (effectuer certains actes à la place du patient dans un souci d’efficacité et de vitesse alors qu’il est capable de les accomplir), et le débordement (réaliser des activités à un rythme trop élevé pour le patient). Ces différents comportements sont retrouvés chez les aidants ainsi que chez les soignants et contribuent ainsi malgré eux à affaiblir l’identité du patient.
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Table des matières
Introduction
I. Contexte d’intervention
A. Les différents espaces
1. Les lieux de vie
2. L’unité protégée
3. Les salles d’atelier thérapeutique
B. L’équipe institutionnelle
C. Population accueillie
1. Le vieillissement normal
2. Le vieillissement réussi
3. Le vieillissement pathologique
a. Les démences
b. Les symptômes psychologiques et comportementaux de la démence
c. La chute du sujet âgé
d. La maladie de Parkinson
4. Lecture psychomotrice du vieillissement
a. L’image du corps
b. Le schéma corporel
c. L’espace-temps
d. Les fonctions cognitives
II. La création de l’atelier de mime adapté à la psychomotricité
A. Constitution du groupe
1. Mme L
a. Anamnèse et histoire de vie de Mme L
b. Première rencontre avec Mme L
c. La sémiologie psychomotrice de Mme L
2. Mr M
a. Première rencontre avec Mr M
b. Anamnèse et histoire de vie de Mr M
c. La sémiologie psychomotrice de Mr M
B. Le mime adapté à la psychomotricité
1. La spécificité du mime en psychomotricité
2. Les objectifs de l’accompagnement psychomoteur dans cet atelier
C. Evolution du groupe de mime
1. L’identithérapie
2. L’algue
3. La marionnette
4. La vie à l’institution
5. Le tableau « clinique »
D. Synthèse
1. La synthèse de Mr M
2. La synthèse de Mme L
III. Discussion
A. La place du silence
B. Emotion et mémoire dans l’accompagnement psychomoteur du sujet âgé
C. Mon cadre en psychomotricité
1. Le cadre spatial
2. Le cadre temporel
3. Le cadre humain
4. Le groupe et la fonction contenante
D. Des espaces cloisonnés
1. Ce qui se passe dans la salle reste dans la salle
2. L’utilisation hors des murs
E. Mesurer l’évolution des patients
F. Les limites de la psychomotricité
G. Le deuil du sujet âgé
H. Un deuil psychomoteur ?
Conclusion
Bibliographie