Il est difficile d’estimer de façon précise le nombre de personnes LGBT (Lesbiennes, Gaies, Bies et Trans) vivant en France car les statistiques ne concernent souvent que les personnes gaies et lesbiennes. Les associations estiment que 5 à 10% de la population Française fait partie de la communauté LGBT . Cette catégorie de population a été particulièrement mise en lumière au début du quinquennat de François Hollande, pendant la discussion et le vote de la loi Taubira, dite loi du mariage pour tous. Cette attention médiatique et sociétale a été parfois violente. Les personnes LGBT sont toujours victimes de violences et de discriminations en France: discriminations à l’embauche, violence et insulte dans la rue, violence intrafamiliale, mais aussi discrimination d’Etat en ce qui cocnerne les personnes transgenres et le changement d’état civil. SOS homophobie a reçu 1575 témoignages de victimes de LGBTphobie en 2016 . Sur 3 ans, l’association en a reçu plus de 5000. Le Défenseur des Droits estime qu’en France, 1 à 2 millions de personnes cachent leur orientation sexuelle au travail . Il n’est pas anodin de constater que lorsque l’on recherche « homosexualité » sur Google, le troisième site (après deux pages Wikipédia) qui apparaît se nomme « Oser en parler », qui est un site chrétien proposant des solutions pour redevenir « normal » . Les périodes de campagnes présidentielles sont un moment clé pour les associations afin de faire connaître cette réalité au grand public et de demander des engagements aux candidat.e.s. Ce travail de recherche s’intéresse aux enjeux et parties prenantes de la campagne présidentielle de 2017, ainsi qu’aux représentations des personnes LGBT dans la société plus largement. Les questions LGBT renvoient au politique au sens des règles de la vie en commun dans la cité, sujet de préoccupation de la civilisation grecque jusqu’à nos jours. Elles exposent les arcanes et les mécaniques de la société : qui prend les décisions ? De quelle manière ? Qui est écouté dans l’espace public ? Elles posent la question de ce qui fait que des personnes peuvent vivre ensemble, et comment faire pour protéger les personnes qui sont prises pour cible parce qu’elles sont différentes. Les questions LGBT posent la question de la limite de ce que l’Etat peut faire ou non. Malgré le fait que ces questions renvoient à des questions larges et importantes, elles sont souvent traitées sur le plan de la politique et non du politique : ces questions sont dans l’arène du jeu partisan, de l’arène médiatique, du combat électoral, ce que prouvent les débats ayant eu lieu sur l’ouverture du mariage aux personnes du même sexe mais aussi la campagne électorale de 2017. Face à cette prise en otage, des associations tentent de professionnaliser leur communication, pour dépasser la politique et inscrire les questions LGBT dans le politique : dans des questions d’accès au droit, d’égalité, et d’égalité réelle. Ces interactions sont visibles dans le langage mobilisé par les deux camps et dans les influences que chaque camp a sur l’autre. Cependant, ces interactions montrent aussi la limite d’un langage et de représentations, soumises à l’histoire et à la manière dont s’est constituée la société.
L’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe est une période clé: ce débat long et difficile a laissé une trace profonde dans le paysage politique français, dans les associations, mais aussi dans la population, influençant également la campagne présidentielle de 2017. Cette période s’est étendue de janvier 2012, date de l’annonce par François Hollande de son intention d’ouvrir le mariage aux couples de même sexe à mai 2013, date de la promulgation de la loi par le Président de la République après validation du Conseil constitutionnel. Soit 427 jours.
L’annexe 2, reprenant des citations précises du documentaire « Mariage pour tous, le grand divorce »12 donne un aperçu des différents moments qui ont marqué le débat, ponctué par les manifestations de la « Manif pour tous ». Ce qui nous intéresse ici, ce sont les mots utilisés par ce collectif qui vont contaminer le reste du débat, sociétal comme politique et médiatique. Il s’agit d’une contamination langagière d’une efficacité redoutable, qui va très vite submerger les associations LGBT. Les acteur.rice.s de chaque côté de ce débat ont commencé à se mobiliser au même moment. Frigide Barjot et Ludovine de la Rochère ont commencé à mobiliser leurs réseaux à l’annonce de François Hollande pendant sa campagne. Les associations LGBT se sont mobilisées pour organiser le « grand meeting LGBT des Folies Bergères » le 31 mars 2012. Pendant la campagne présidentielle de 2012, les associations LGBT se sont alliées et ont porté une parole unifiée, grâce à la plateforme « Egalité LGBT 2012 » lancée dès février 2012. Cette plateforme a été créé par l’Inter-LGBT, interassociative regroupant une soixantaine d’autres associations, la Fédération LGBT qui regroupe les centres LGBT en région et la coordination InterPride France. Cette campagne s’articulait autour de 39 revendications, dont la première était « réformer le code civil pour ouvrir le mariage aux couples de même sexe ». Les autres revendications portaient sur l’adoption, la retranscription des unions conclues à l’étranger en France, la PMA pour les couples de lesbiennes et les femmes célibataires ou encore le changement d’état civil libre et gratuit pour les personnes transgenres. Ces revendications ne sont pas étayées par des chiffres ni argumentées. Elles sont pour la plupart très précises (références à des textes européens, citations de droits précis liés au PACS). Le vocabulaire utilisé ici est représentatif du vocabulaire et des arguments utilisés par les associations LGBT avant et pendant ce débat qui s’articulent autour de la fin d’une discrimination, par exemple : « assurer la non-discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre pour les personnes célibataires souhaitant adopter un enfant ». Concernant le mariage et l’adoption, cette plateforme fait référence à « l’ouverture d’une possibilité ». L’accent est mis sur la possibilité qui existe déjà pour les couples hétérosexuels, un argument souvent mis en avant par les associations : le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe sont l’ouverture d’un droit existant et non la création d’un nouveau droit. Ce même argumentaire est présent sur la page du site de SOS Homophobie dédiée au mariage et à l’adoption13 . L’association fait référence à plusieurs reprises à « l’égalité des droits » sur cette page rédigée sous forme de questions – réponses, dont voici un extrait qui renvoie à la terminologie à utiliser pour parler de ces unions :
« Les opposant-e-s au projet de loi utilisent les expressions “mariage homo” et “mariage gay » pour donner l’impression que ce sont des revendications communautaristes qui réclament des lois spécifiques, alors que c’est exactement l’inverse : aujourd’hui le mariage est réservé à la « communauté » présumée hétéro ! Avec le mariage pour tou-te-s, il s’agit d’obtenir les mêmes droits pour toutes et tous.»
Les associations LGBT se placent donc du côté du droit, de l’égalité, donc du côté du politique au sens des règles qui régissent la vie en société. La question du mariage est présentée comme plus qu’une « revendication communautariste » ; nous reviendrons sur les limites de cet argumentaire ultérieurement. Les associations LGBT ont donc fait le choix de se placer du côté de la raison et de la logique : si les couples hétérosexuels ont des droits, les couples homosexuels doivent en bénéficier également, au risque de créer une discrimination. La mobilisation des opposant.e.s à cette loi ne s’est pas jouée sur le même registre de la logique et de la rationalité, ce qui a invalidé l’argumentaire déployé par les associations LGBT. Dès le début de la mobilisation, La Manif pour tous a choisi de mettre sur le même plan la Procréation Médicalement Assistée (PMA) et la Gestation Pour Autrui (GPA). Ce sont pourtant deux choses très différentes : la PMA permet déjà aux couples hétérosexuels souffrant d’infertilité d’avoir recours à l’aide de la médecine, alors que la GPA consiste à avoir recours à une mère porteuse pour avoir un enfant. Pour ce faire, La Manif pour tous a choisi l’argument dit de la « pente glissante », faisant référence aux risques soi disant encourus : le mariage risque de mener à la PMA qui risque de mener à la GPA qui risque de mener à la destruction de la société.
Ce débat sociétal, mettant en scène des associations et des personnes membre du clergé ou de la société civile, s’est ensuite transformé en débat politique en arrivant à l’Assemblée nationale au début du quinquennat de François Hollande. L’annexe 1 regroupe des retranscriptions des débats qui se sont tenus à l’Assemblée nationale à différents moments : le début de la discussion du texte, la fin de la première lecture, la fin de la deuxième lecture et l’adoption du texte. Regrouper ces textes permet de faire plusieurs constats. Le vocabulaire de La Manif pour tous est largement utilisé par certains député.e.s dès le début de la lecture du texte. Plus les débats avancent, plus ces arguments sont avancés. Ces arguments, qui seront détaillés ci-dessous, ne se réfèrent que rarement aux amendements défendus par la personne qui a la parole. Enfin, l’extrême tension régnant dans l’hémicycle est à l’image de la tension présente dans la société au même moment : des député.e.s de droite s’emportent en tenant parfois des discours indignes sur l’homosexualité face à une majorité plus discrète, qui est en faveur du texte et qui tente de leur opposer des arguments rationnels en tombant parfois dans le pathos. Le texte est sorti de Conseil des ministres le 7 novembre 2012, mais n’a fait l’objet de discussion devant l’Assemblée qu’à partir du 29 janvier 2013 lors des questions au gouvernement. Christian Jacob, Président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, a commencé les débats en demandant au Gouvernement de repousser l’examen de la loi, afin d’attendre l’avis du Conseil Consultatif National d’Éthique (CCNE) mais également pour s’occuper du « vrai problème » : le chômage. Sa question était adressée au Premier ministre, mais Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille est choisie par Jean-Marc Ayrault pour répondre, provoquant l’indignation sur les bancs de l’UMP. Erwann Binet, rapporteur de la loi, a ensuite posé une question à Jean-Marc Ayrault. Il a parlé de « moment historique qui va enfin permettre à tous les couples de bénéficier des mêmes droits » mais a été interrompu par Philippe Meunier, qui a crié « et les droits des enfants ? », reprenant un argument très souvent utilisé par la Manif pour tous. Dominique Bertinotti et Jean-Marc Ayrault ont répondu longuement, usant surtout de rappels historiques. Le Premier ministre a évoqué la résistance de la droite au moment du PACS qui fait depuis l’unanimité, Dominique Bertinotti a rappelé que le droit de vote des femmes ou la dépénalisation de l’avortement ont été votés dans des moments de crise économique. La ministre déléguée en charge de la famille demande aussi à l’opposition de ne pas attiser les peurs, avant qu’Erwann Binet ne rappelle, en utilisant des arguments similaires aux associations, qu’il s’agit d’accorder des droits et de protéger des familles. Christiane Taubira, rapporteure de la loi, l’a présentée le même jour à l’Assemblée et a adopté un discours très historique sur le mariage qui s’est détaché de la religion catholique en 1791 avec le mariage civil. Elle parle de la possibilité de divorce reconnue en 1792, et termine :
« Puisque le mariage est la liberté des parties et non la sacralisation d’une volonté divine, cette liberté de se marier ne se conçoit qu’avec la liberté de divorcer, et, parce que le mariage va se détacher du sacrement qui l’avait précédé, il pourra représenter les valeurs républicaines et intégrer progressivement les évolutions de la société. »
La Garde des Sceaux a choisi un angle d’argumentation classique : le mariage fait partie de la loi, et la loi s’adapte aux évolutions de la société. On retrouve ici la notion de « valeurs républicaines » évoquées par les associations, dont fait partie l’égalité. Elle a posé l’ouverture du mariage aux couples de même sexe comme la continuation du chemin vers un mariage plus égalitaire et moins patriarcal. En arrivant sur le sujet du mariage pour les couples de même sexe, Christiane Taubira a précisé, ce qui a donné lieu à des échanges vifs : « Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Que l’on nous explique pourquoi deux personnes qui se sont rencontrées, qui se sont aimées (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),! M. Lucien Degauchy. On va pleurer ! M. Philippe Meunier. Sortez les violons ! Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. !qui ont vieilli ensemble devraient consentir à la précarité, à une fragilité, voire à une injustice, du seul fait que la loi ne leur reconnaît pas les mêmes droits qu’à un autre couple aussi stable qui a choisi de construire sa vie. » .
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : LE POLITIQUE, LA POLITIQUE ET LES QUESTIONS LGBT
I) LES DEBATS SUR LE MARIAGE POUR TOUS : DES DEBATS DIFFICILES DOMINES PAR LES OPPOSANT.E.S AU TEXTE
A) UNE DEMANDE CLAIRE DES ASSOCIATIONS FEDEREES, UNE CAMPAGNE DE DESINFORMATION VIOLENTE
B) UNE VIOLENCE REPRISE PAR LA POLITIQUE
C) UN DEBAT SYMPTOMATIQUE DE « L’INVERSION DE LA QUESTION HOMOSEXUELLE » ?
II) LA CAMPAGNE PRESIDENTIELLE DE 2017 : UN DEBAT INEXISTANT ET UNE SPHERE POLITIQUE HANTEE PAR LES DEBATS DE 2012 – 2013
A) DANS LES PROGRAMMES DES CANDIDAT.E.S, LES DEBATS DE 2012-2013 TOUJOURS PRESENTS
B) LES DROITS LGBT COMME MOYEN DE SE PLACER SUR L’ECHIQUIER POLITIQUE ?
C) DROITS DES FEMMES, LGBT ET FN : UN MONDE POLITIQUE MIS EN DIFFICULTE
III) LES DISPOSITIFS DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS ET L’HOMOPHOBIE : EST-CE LA QUE SE JOUE LE POLITIQUE ?
A) LE DEFENSEUR DES DROITS
B) LA DILCRAH
CHAPITRE 2 : UNE PROFESSIONNALISATION DE LA COMMUNICATION DES ASSOCIATIONS LGBT QUI TENTENT DE FAIRE LEUR PLACE DANS LE DEBAT PUBLIC
I) UNE PROFESSIONNALISATION QUI PASSE PAR LA VISIBILITE ET LA LISIBILITE
A) L’EFFORT DE CENTRALISATION DES DEMANDES ET DE LEUR LISIBILITE : LE GRAND ECART DES CAMPAGNES DE 2012 ET 2017
B) L’UTILISATION D’UN VOCABULAIRE PROCHE DU VOCABULAIRE POLITIQUE MAIS AUSSI DU DROIT
C) L’INTEGRATION DE L’IMPORTANCE DES MEDIAS
II) DE NOMBREUSES LIMITES SUBSISTENT A CETTE PROFESSIONNALISATION
A) DES STRUCTURES JEUNES EN MANQUE DE MOYENS FINANCIERS ET HUMAINS
B) LES ASSOCIATIONS LGBT : UNE PLURALITE DE POINTS DE VUE ET DE PRISES DE PAROLE
C) UNE BASE DE VOCABULAIRE COMPLEXE ET EN CONSTANTE EVOLUTION
CHAPITRE 3 : UN DIALOGUE LONG ET COMPLEXE CAR LES QUESTIONS LGBT METTENT AU JOUR LES NORMES DE LA SOCIETE ET LE FONCTIONNEMENT DE SON LANGAGE
I) UNE LUTTE QUI S’ATTAQUE A L’IMAGINAIRE SOCIAL ET A LA LANGUE
A) LES FONDEMENTS DE LA SOCIETE ANCRES DANS L’IMAGINAIRE SOCIAL
B) CET IMAGINAIRE SOCIAL EST PRESENT DANS LE LANGAGE, TERRAIN DE LUTTE POLITIQUE
C) LE MOUVEMENT LGBT EN LUTTE EGALEMENT CONTRE LES STEREOTYPES ET CLICHES, RACINES DES DISCRIMINATIONS
II) UNE LUTTE POLITIQUE QUI SE TRANSFORME EN COMBAT CULTUREL ?
A) LES ASSOCIATIONS ET LES INSTITUTIONS PRENNENT EN COMPTE L’IMPORTANCE DU TRAITEMENT MEDIATIQUE ET DE LA REPRESENTATION
B) LA FICTION A UNE INFLUENCE SUR L’IMAGINAIRE SOCIAL
C) INCARNER LA LUTTE MAIS AUSSI L’HOMOPHOBIE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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