Les succès de la relativité générale

Les succès de la relativité générale 

En Novembre 1915, Einstein présenta à l’Académie royale des sciences de Prusse, les équations du champ gravitationnel décrivant la structure de l’espace-temps. Cette publication marqua l’aboutissement d’une recherche débutée en 1905, visant à construire une théorie relativiste de la gravitation, la relativité générale.

Les trois tests classiques

Quelques jours auparavant, en utilisant ses équations de champs, Einstein (1915b) avait lui même démontré que l’anomalie observée depuis 1845 sur le taux de précession du périhélie de Mercure pouvait être expliquée de manière naturelle dans le cadre de la relativité générale. Jusqu’alors, les astronomes parmi lesquels Urbain Le Verrier, n’avaient fait que constater l’échec de la théorie newtonienne face à l’origine du taux de précession résiduel de 43 arcsec/siècle. Ce fût le premier grand succès de la relativité générale. Le second grand succès confirmant la théorie fit sensation peu après la fin de la première guerre mondiale en 1919, avec la découverte expérimentale de l’effet de déflexion de la lumière également prédit par Einstein. Deux expéditions dont l’une menée par l’astronome britannique Sir Arthur Eddington furent dépêchées, pour mesurer lors d’une éclipse totale, l’effet de courbure des rayons lumineux en provenance d’étoiles situées à proximité du Soleil. Les résultats se révélèrent en accord avec les prédictions de la relativité générale, avec des précisions relatives de 7% pour l’expédition envoyée au Brésil et de 17% pour la deuxième expédition envoyée sur l’île Principe au large de la côte ouest africaine (Dyson et al., 1920). Le dernier des trois tests classiques de relativité générale a été le premier proposé par Einstein (1908). Il s’agit du test du redshift gravitationnel, qui ne sera mis en évidence qu’en 1960 suite à une expérience initialement proposée par Pound et Rebka (1959). L’expérience consistant à utiliser l’effet Mössbauer sur une différence d’altitude de 22.6 m dans la tour du Jefferson Physical Laboratory de l’université d’Harvard, afin de mesurer le décalage en fréquence perçu entre deux observateurs situés à différentes altitudes dans le champ gravitationnel de la Terre. La mesure révéla avec une précision relative de 1%, que l’effet était en accord avec la prédiction de la relativité générale.

Depuis les trois tests historiques proposés par Einstein, les confrontations entre observations et prédictions se sont poursuivies. Ainsi, un large panel d’expériences et d’observations a été imaginé puis conçu afin de tester divers aspects de la théorie. À ce jour, ni les expériences de laboratoire, ni le suivi des sondes spatiales, ni même les observations cosmologiques n’ont pu mettre en défaut la relativité générale. Bien au contraire, la plupart des nombreuses prédictions de la théorie a pu être vérifiée.

La relativité générale confirmée par l’expérience

Parmi les prédictions vérifiées mentionnons le quatrième test proposé par Shapiro, en 1964. Des équations de la relativité générale, il démontra en utilisant une métrique de type Schwarzschild appliquée au cas du Soleil, que le temps d’arrivée d’un signal radio émis depuis une planète interne (Mercure ou Vénus) serait affecté d’un retard dû au potentiel gravitationnel du Soleil  . Cet effet sera confirmé, tout d’abord avec une précision relative de 5% à partir d’observations radars de Mercure et Vénus (Shapiro et al., 1971), puis avec une précision relative de 0.5% et 0.1% à partir de communications radio transmises à la sonde Viking (Shapiro et al., 1977; Reasenberg et al., 1979). D’après les prédictions de la relativité générale, la variation temporelle du retard Shapiro produit également un décalage en fréquence sur les signaux électromagnétiques. Ce décalage a pu être mesuré précisément par Bertotti et al. (2003) lors d’une conjonction solaire avec la sonde Cassini alors en transit vers l’orbite de Saturne. Bertotti et al. ont montré que le décalage en fréquence était en parfait accord avec la prédiction de la relativité générale, avec une précision relative de 0.002%. Une autre prédiction faite par la théorie est l’effet Lense-Thirring (Lense et Thirring, 1918; Thirring, 1918). La relativité générale prévoit ainsi que le mouvement de rotation propre d’un corps suffisamment massif puisse entraîner l’espace-temps. Un tel effet d’entraînement doit alors générer des perturbations notamment dans la dynamique orbitale mais également dans le mouvement de précession des gyroscopes en orbite autour du corps massif. En analysant les données de la sonde Gravity Probe B, Everitt et al. (2011) ont montré que l’effet de précession sur les gyroscopes était en accord avec la prédiction de la relativité générale avec une précision relative de 18%. Quant à l’effet sur la dynamique orbitale, il a été mesuré à partir des données LAGEOS et LAGEOS II par Ciufolini et Pavlis (2004) qui ont montré la bonne correspondance avec les valeurs prédites par la théorie avec une précision relative de 10%.

La théorie a également été confirmée par l’observation de phénomènes externes au système solaire, e.g. les ondes gravitationnelles. En bâtissant une théorie relativiste de la gravitation, Einstein admit le postulat de vitesse limite introduit par la relativité restreinte. Dès lors, aucune interaction, ni même la gravitation, ne pouvait se propager plus vite que la vitesse de la lumière. C’est donc Einstein (1916, 1918) lui même, qui fit la prédiction de l’existence d’ondes de gravitation se propageant à la vitesse de la lumière. Elles furent indirectement mises en évidence à la suite de la découverte par Hulse et Taylor (1975) du pulsar binaire PSR B1913+16. L’analyse des pulses radio permit à Taylor et al. (1979) de vérifier que la diminution de la période orbitale était compatible avec la perte d’énergie par rayonnement d’ondes gravitationnelles avec une précision relative de 18%. Il faudra attendre un siècle après la prédiction de l’existence des ondes gravitationnelles par Einstein, pour qu’elles soient finalement observées de manière directe par les détecteurs de LIGO (Abbott et al., 2016). Les signaux captés par LIGO se révélèrent en accord avec les signaux théoriques attendus lors d’émission d’ondes gravitationnelles par un système binaire de trous noirs stellaires coalescents. Cette découverte a ainsi permis de confirmer simultanément deux prédictions de la relativité générale, la double existence des ondes gravitationnelles et des trous noirs stellaires.

À l’échelle cosmologique, la relativité générale a également joué un rôle important. Elle a effectivement permis d’expliquer l’expansion de l’univers observée par Hubble en 1929. En effet, Friedmann (1922, 1924) et Lemaître (1927, 1931) ont montré indépendamment que la théorie possédait des solutions cosmologiques en expansion conduisant à l’actuel modèle du Big Bang. Depuis, la cosmologie est  devenue une discipline à part entière, extrêmement active et en mesure d’expliquer les premiers instants de l’univers primordial à partir du fond diffus cosmologique (Planck Collaboration et al., 2016a,b).

La relativité générale compte parmi les théories physiques les mieux vérifiées si l’on considère les prédictions qui ont permis de tester sa validité sur une grande gamme d’échelles de distances et de temps  . Le meilleur exemple de la confiance que les physiciens accordent à la théorie d’Einstein concerne l’utilisation qu’ils en font. La relativité générale est en effet au cœur de nombreux domaines scientifiques tels que la géodésie, l’astrodynamique, l’astrophysique ou encore la cosmologie. Cependant, malgré ces nombreux succès, certains aspects de la théorie d’Einstein laissent penser que la relativité générale ne serait probablement pas la théorie ultime de la gravitation.

Vers une nouvelle théorie de la gravitation

Afin de justifier l’existence d’une théorie plus large que la relativité générale, nous présentons quelques unes des possibles failles laissées en suspens par la théorie d’Einstein.

Considérations théoriques et observationnelles

i) Tout d’abord, rappelons que la relativité générale reste une théorie classique du champ. En effet, contrairement à la théorie quantique des champs qui explique les interactions électromagnétique, faible et forte par l’échange quantique de bosons virtuels, la relativité générale stipule que l’interaction gravitationnelle est la conséquence classique de la courbure de l’espace-temps par son contenu en matière-énergie.

Pourtant, la théorie quantique des champs est également une grande réussite de la physique moderne permettant à elle seule d’expliquer trois des quatre interactions fondamentales. Une formulation quantique de la gravitation permettrait d’expliquer l’ensemble des interactions fondamentales. Cependant, la relativité générale n’est pas renormalisable par les méthodes perturbatives standards de la théorie quantique des champs (Deser et van Nieuwenhuizen, 1974; ’t Hooft et Veltman, 1974).

ii) Ensuite, un second problème apparaît aux échelles galactiques. Dès les années 30, il fût remarqué par Zwicky (1933, 1937) que la vitesse de rotation des galaxies n’était pas compatible avec la quantité de masse lumineuse observée. Dans le cadre du modèle standard cosmologique, ces observations sont reproduites grâce à l’introduction de matière noire. Cette nouvelle composante, qui n’interagirait que par interaction gravitationnelle, constituerait 26.8% du contenu en matière-énergie total de l’univers, contre 4.9% pour la matière baryonique (Planck Collaboration et al., 2016a) (le reste étant constitué d’énergie sombre). En considérant que les différentes expériences effectuées en laboratoire n’aient, jusqu’à présent, pas permis de mettre en évidence cette nouvelle composante, certaines théories (Milgrom, 1983; Clifton et al., 2012) suggèrent de modifier la relativité générale afin d’éviter l’intervention de matière exotique.

iii) À l’échelle cosmologique, les observations des supernovæ de type Ia laissent suggérer que l’univers est dans une phase d’expansion accélérée (Riess et al., 1998; Perlmutter et al., 1999). Une telle accélération peut être recouvrée dans le cadre du modèle standard cosmologique moyennant l’introduction d’une constante cosmologique dans les équations de champ d’Einstein. Cette nouvelle entité, appelée énergie sombre, est alors perçue comme un fluide de pression négative produisant l’accélération observée et contribuant à hauteur de 68.3% au contenu en matière-énergie total de l’univers (Planck Collaboration et al., 2016a). En considérant qu’à l’heure actuelle, la nature de l’énergie sombre reste totalement inconnue, certaines théories proposent une modélisation différente de la gravitation afin de s’en affranchir (cf. la revue de Clifton et al. (2012)).

Ces quelques points illustrent ainsi le fait que la relativité générale n’est pas complètement satisfaisante. Dans l’attente de combler les lacunes exposées ici, plusieurs grandes théories d’unification sont en cours de développement e.g. la théorie des cordes, la gravitation quantique à boucle, la supergravité ou encore la géométrie non-commutative etc. Cependant, ces nouvelles alternatives n’en sont qu’à des stades précoces de leur développement et n’offrent pas, à l’heure actuelle, la possibilité d’être directement confrontées aux observations. Dans cette attente, des théories alternatives dites effectives ou phénoménologiques ont été introduites comme cas limite des grandes théories d’unification. Ces théories alternatives impliquent l’introduction d’un cadre théorique plus large que celui de la relativité générale et autorisent des violations aux principes fondamentaux sur lesquels la théorie d’Einstein est basée.

Principes fondamentaux de la relativité générale

Nous revenons sur deux notions fondamentales de la théorie d’Einstein qui vont nous permettre de discuter les implications des différentes théories alternatives. La première est le principe d’équivalence d’Einstein (EEP) permettant d’assimiler la gravitation à la courbure de l’espace-temps. La seconde est incarnée par les équations du champ gravitationnel permettant de décrire la dynamique de la courbure.

Le principe d’équivalence d’Einstein 

Il existe un fait remarquable propre aux champs gravitationnels et communément dénommé principe d’équivalence faible (WEP). Ce principe s’énonce ainsi : la trajectoire suivie par un corps d’épreuve en chute libre est indépendante de sa structure interne ou de sa composition. Dans le cadre de la théorie newtonienne, cet énoncé est équivalent à l’égalité entre la masse inertielle mi (apparaissant dans la loi fondamentale de la dynamique) et la masse gravitationnelle mg (apparaissant dans la force gravitationnelle). Dès lors, deux corps d’épreuves de masses différentes chutent avec la même accélération dans un champ de gravitation, conformément au principe d’universalité de la chute libre (UFF) énoncé par Galilée en 1638. Ainsi, en vertu du principe d’UFF les champs gravitationnels peuvent être localement effacés dans les repères en chute libre  . De même, les repères non-inertiels peuvent dès lors être localement équivalents à certains champs de forces. Cette équivalence locale est une autre facette du WEP. L’idée fondamentale de la relativité générale est d’utiliser cette équivalence en imposant que les lois non-gravitationnelles de la physique (celles de la relativité restreinte) soient localement applicables dans les référentiels en chute libre. Ce dernier point est connu sous l’appellation de principe d’équivalence d’Einstein (EEP). D’après Will (1993) le EEP s’énonce ainsi ,

i) le WEP est valide,
ii) le résultat d’une expérience locale et non-gravitationnelle est indépendant de la vitesse du repère en chute libre depuis lequel l’expérience est réalisée,
iii) le résultat d’une expérience locale et non-gravitationnelle est indépendant de la position dans l’espace-temps du repère en chute libre depuis lequel l’expérience est réalisée.

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Table des matières

1 Introduction
1.1 Les succès de la relativité générale
1.1.1 Les trois tests classiques
1.1.2 La relativité générale confirmée par l’expérience
1.2 Vers une nouvelle théorie de la gravitation
1.2.1 Considérations théoriques et observationnelles
1.2.2 Principes fondamentaux de la relativité générale
1.2.3 Théories alternatives de la gravitation
1.3 Le lunar laser ranging
1.3.1 Historique et principe de fonctionnement
1.3.2 La physique fondamentale avec le LLR
1.4 Travail réalisé dans le cadre de la thèse
1.4.1 Analyse détaillée de Battat et al. (2007)
1.4.2 Discussion de la méthodologie
2 Modèle dynamique
2.1 Introduction
2.2 Interactions newtoniennes
2.2.1 Équations du mouvement
2.2.2 Complément pour l’étude perturbative
2.2.3 Dérivées partielles
2.3 Corrections relativistes
2.3.1 Choix du repère
2.3.2 Positions barycentriques
2.3.3 Équations du mouvement
2.3.4 Dérivées partielles
2.3.5 Transformation d’échelles de temps
2.4 Potentiels non-sphériques
2.4.1 Équations du mouvement
2.4.2 Étude perturbative
2.4.3 Dérivées partielles
2.5 Effets de marées et de spin
2.5.1 Effets dissipatifs
2.5.2 Détermination des quantités retardées
2.5.3 Variation des coefficients de Stokes
2.5.4 Étude perturbative
2.5.5 Dérivées partielles
2.6 Rotation des corps étendus
2.6.1 Orientation du Soleil
2.6.2 Orientation de la Terre
2.6.3 Orientation de la Lune
2.6.4 Dérivées partielles
2.7 Résumé
3 Solution numérique en relativité générale
3.1 Introduction
3.2 Intégration du modèle dynamique
3.2.1 Adimensionnement des équations
3.2.2 Intégrateur numérique
3.2.3 Dérive du barycentre du système solaire
3.2.4 Procédure d’intégration des équations du mouvement
3.2.5 Comparaison à d’autres éphémérides
3.3 Analyse des données LLR
3.3.1 Réduction des données LLR
3.3.2 Ajustements par moindres carrés pondérés
3.3.3 Dérivées partielles
3.4 Discussion des résultats
3.4.1 Résidus de l’analyse des données LLR
3.4.2 Comparaison à d’autres éphémérides
3.4.3 Résidus à partir d’une solution ajustée
3.5 Résumé
4 Solution numérique dans le cadre du formalisme SME
4.1 Introduction
4.2 Modélisation du SME minimal
4.2.1 Présentation générale
4.2.2 Partie orbitale
4.2.3 Déflexion lumineuse
4.3 Modélisation du couplage gravité-matière
4.3.1 Présentation générale
4.3.2 Partie orbitale
4.3.3 Déflexion lumineuse
4.4 Détermination d’erreurs réalistes
4.4.1 Corrélations entre coefficients SME
4.4.2 Sous-estimation des erreurs formelles
4.4.3 Estimation des incertitudes systématiques
4.5 Présentation des résultats
4.5.1 Discussion des résultats
4.5.2 Bourgoin et al. (2016)
4.6 Résumé
Conclusion

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