LA RÉSILIENCE ALIMENTAIRE EN ÎLE-DE-FRANCE : ENJEUX ET DÉFIS
Il apparaît dans un premier temps primordial d’inscrire ce mémoire dans une démarche compréhensive et historique. En effet, pour parvenir à envisager les structures ESS de l’alimentation comme favorisant un territoire plus résilient, il convient de définir ce que nous entendons par résilience. Ce concept polysémique doit être envisagé par rapport à un territoire aux enjeux pluriels, occupant une position stratégique et abritant 19% de la population française . Il s’agira alors de chercher à caractériser la résilience dans son ensemble avant d’entamer une discussion sur le système alimentaire. Enfin, ces réflexions seront introduites dans une perspective locale pour tenter d’en dégager les défis et enjeux pour l’Île-de France.
La résilience, une notion polysémique en proie à de nombreux débats
Vers un concept « sur-mobilisé » ?
Les mots ont le sens que leur utilisateur veut leur donner. Ainsi, une définition, bien qu’écrite noire sur blanc pour tous, n’est jamais complétement identique et universelle. Elle est le fruit de la subjectivité de celui qui pense, ce qui rend alors difficile la caractérisation de concepts tels que la résilience. Pour parvenir à sortir de ces difficultés interprétatives et essayer d’établir un consensus conceptuel, il semble pertinent d’étudier l’évolution historique d’un terme qui prend de plus en plus de place dans le vocabulaire commun. Dans cette démarche, s’intéresser à l’étymologie permet de capter des premiers éléments de compréhension. Le terme résilience vient du latin resilio signifiant « rebondir », « rejaillir » mais également « se replier » ou « sauter en arrière » . Cette racine latine oppose, en son sens, deux différents mouvements : deux de ses significations se réfèrent à un mouvement vers l’avant quand les deux autres sont tournés vers l’arrière, le passé. Une telle remarque peut paraître anodine mais induit d’ores et déjà les débats que le terme résilience va pouvoir porter. Au-delà de ces différences, tous les sens ont en commun la réaction, ancrant ainsi le concept dans des contextes particuliers qu’il conviendra de définir. La résilience à quoi ? De qui, de quoi ? seront des questions que l’étymologie soulève et auxquelles la pratique sera confrontée.
La première utilisation scientifique du terme résilience date de 1625 dans le livre du philosophe anglais Francis Bacon, Sylva Sylvarum Or The Naturall Historie. Il introduit la notion en étudiant le retour de la voix d’un interlocuteur parlant face à un obstacle : l’écho (Pinto et al., 2018, p.33, Fig.3.1.). Ainsi, nous pouvons noter l’ancrage théorique et académique du terme. Il émane du champ de la recherche et sera notamment par la suite utilisé en physique pour désigner « la propriété d’un corps [à] reprendre sa forme initiale après avoir subi un choc » (Tisseron, 2017). Le lien sera alors vite établi, pour certains chercheurs, avec l’étude des comportements humains, qualifiant ainsi de résilient un être capable de se remettre d’un événement traumatisant sans en retirer quelconque enseignement. La notion d’équilibre, implicitement décrite dans la définition physique, nécessitera une définition préalable de l’équilibre souhaité pour un territoire et, donc, une réflexion approfondie des transformations à amorcer pour parvenir à cet équilibre. Il n’empêche que ce n’est que dans les années 1950, aux Etats-Unis, que le concept commence à prendre une ampleur importante dans le domaine de la psychologie. Des auteurs tels qu’Emmy Werner, Michael Rutter et Norman Garmezy (Tisseron, 2017) figurent comme les têtes de proue d’un vaste mouvement cherchant à identifier les facteurs allouant aux individus une résistance aux chocs et troubles de la vie. Ainsi, en menant des études de cas, ils identifient des éléments de résilience, de poursuite d’une vie heureuse et stable après des événements traumatisants (souvent ayant eu cours durant l’enfance, période des apprentissages fondamentaux). Il ne convient pas ici d’établir une étude approfondie de la résilience psychologique mais de pointer l’attractivité de la notion qui sera, par ailleurs, également utilisée en écologie, puis en économie. Pour les premiers, un écosystème est qualifié de résilient lorsque ses éléments constitutifs lui permettent de faire face à un choc. On retrouve alors le sens physique du terme, l’écosystème devant retourner à un « mono équilibre » (Dauphiné et Provitolo, 2007) allouant stabilité et bon fonctionnement. Ainsi, le temps de retour peut être perçu comme une mesure de la résilience, un temps long impliquant une moins bonne résilience qu’un équilibre retrouvé rapidement. Les économistes, eux, s’emparent également du concept pour caractériser les réactions aux grandes crises susceptibles de toucher les différentes régions du monde. Ils l’empruntent parfois à l’étude des systèmes dynamiques pour justifier le nonretour à l’état antérieur après un choc qui remet en question un certain nombre de principes de l’économie étudiée.
Entre résilience, vulnérabilité, résistance et stabilité
La littérature de nombreux domaines s’est fortement intéressée à décliner les nombreux facteurs pouvant caractériser la résilience. Ici, il s’agit d’établir une liste non exhaustive de ces derniers, sans se préoccuper, dans un premier temps, du contexte dans lequel nous les étudions. Tous les facteurs cités par la suite ne sont pas présents dans tous les ouvrages évoquant la résilience mais certains apparaissent comme récurrents. Ainsi, la diversité est souvent évoquée comme élément facilitant la persistance d’un système en présence de perturbations. En effet, cette dernière, à travers la modularité qu’elle permet, implique une plus grande réactivité et donc, in fine, une adaptation facilitée. Cette diversité peut prendre plusieurs formes selon l’élément étudié : diversité des acteurs, des débouchés, des fournisseurs, des partenaires… Il peut également être question de redondance, lorsque « une même fonction [est] assurée par plusieurs éléments indépendants du système » (Les Greniers d’Abondance, 2020). Ainsi, la diversité se doit d’être définie, envisagée selon les éléments auxquels nous nous référons. En outre, elle questionne les enjeux de préparation puisqu’elle ne peut être acquise dans l’urgence et doit être pensée en amont. En ce sens, l’apprentissage permet de mieux appréhender les futurs chocs. En effet, l’expérience de situations délicates précédemment vécues autorise une plus grande réactivité car des éléments auparavant pensés peuvent être remobilisés. Le rôle de la réflexion n’est alors pas à négliger et implique la prise en compte d’une multiplicité d’opinions, envisageant ainsi les acteurs comme éléments essentiels d’un système résilient. En effet, ces derniers doivent être au cœur des projets qui les concernent. Les principes d’auto organisation, d’initiatives remontantes, par l’engagement et la cohésion qu’ils permettent, contribuent à des systèmes plus robustes et résilients. Enfin, lorsque certains auteurs évoquent la transformation comme facteur de résilience, d’autres évoquent la persistance. Cette observation confirme la difficile caractérisation de ce concept en équilibre entre plusieurs notions.
Ainsi, le lien entre stabilité et résilience est étroit, nous verrons par la suite que des raccourcis sont souvent faits entre ces deux termes sur le terrain. En revanche, pour Aschan-Leygonie, il existe « une relation négative » (Aschan-Leygonie, 2000) entre résilience et stabilité. En effet, la prise en compte de la temporalité permet d’affirmer qu’un système éloigné de son équilibre (et donc ici moins résilient) sera perturbé plus fortement par des chocs légers mais il sera « capable de s’adapter à une situation nouvelle induite par une perturbation majeure. » (Aschan-Leygonie, 2000). Nous reviendrons sur l’importance de la temporalité dans la troisième sous-partie de ce 1. mais il est intéressant de noter les discordances que ce terme peut impliquer. Quand certains voient en la stabilité la preuve d’une résilience certaine, d’autres en critiquent l’immobilisme et donc, l’impossible adaptation pourtant nécessaire à la survie d’un système. Un autre débat oppose résistance et résilience. Pour Dauphiné et Provitolo, la résilience n’implique aucune opposition aux aléas mais une réduction maximale des impacts induits par ces derniers. Ainsi, les auteurs prennent l’exemple du dérèglement climatique : résister implique la lutte contre celui-ci avec la mise en place d’outils tels que le protocole de Kyoto. Être résilient, en revanche, c’est accepter le changement et en minimiser les effets (Dauphiné et Provitolo, 2007). Cette interprétation pose question, la fatalité qu’elle soulève entre en contradiction avec la positivité du terme résilience. Cependant, il est pertinent d’accorder une importance à cette définition car elle est parfaitement adaptable à la situation sanitaire dans laquelle notre étude s’inscrit : face à un confinement obligatoire, l’enjeu pour les structures, et au-delà pour le territoire, est de minimiser les effets de l’immobilisme économique et social en tentant non pas d’y résister, mais de s’adapter aux nouvelles modalités. Ainsi, cela soulève encore une fois l‘importance du contexte et de la temporalité dans la définition de la résilience, ce concept est propre à l’objet étudié et essayer d’en tirer une définition générale se heurte à des débats conceptuels et sémantiques.
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Table des matières
Introduction
1. LA RÉSILIENCE ALIMENTAIRE EN ÎLE-DE-FRANCE : ENJEUX ET DÉFIS
1.1. La résilience, une notion polysémique en proie à de nombreux débats
1.2. La résilience du système alimentaire
1.3. Les enjeux d’un territoire francilien résilient
2. VIVRE UN CHOC : L’EXPÉRIENCE DES STRUCTURES ESS DE L’ALIMENTATION EN ÎLE-DE-FRANCE
2.1. Le rôle majeur de l’engagement comme facteur clé de réactivité et d’adaptation.
2.2. Partenariats, collaboration et réseaux : la construction d’un tissu résilient
2.3. La résilience interne, entre préparation et adaptation au choc
3. L’ESS, PRÉMICES D’UN SYSTÈME ALIMENTAIRE FRANCILIEN PLUS RÉSILIENT ?
3.1. Favoriser une alimentation sécurisée pour tous
3.2. Les transitions vers un territoire plus résilient
3.3. Quel(s) territoire(s) pour 2050 ?
Conclusion
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