L’écriture
Le processus cognitif
Pour bien comprendre les applications didactiques possibles dans le domaine de l’écriture, il est important de comprendre le processus neuropsychologique de cette activité et retenir que ce processus est « coûteux ». Lorsque Michel Fayol annonce dès son introduction (2013, p.6) les difficultés qu’opposent l’écrit à l’apprenant, entre l’apprentissage d’un code et une nouvelle conception du langage selon d’autres modalités, il ajoute que l’écrit est rapidement affecté par un aspect négatif à l’inverse de l’oral : il est lent et solitaire. Si en cycles 2 et 3 l’apprentissage du code et de la modalité intrinsèque de l’écrit reste en cours d’acquisition, la lutte contre l’aspect négatif reste, elle, difficile à mener. Le plaisir de l’écrit est peu reconnu autant chez les adolescents que chez les adultes. Certes Michel Fayol recense des avantages au statut particulier de l’écrit : la vitesse peut être modulable, la trace écrite permet une relecture aisée… et pourtant cela n’arrive pas toujours à faire pencher la balance.
Il faut comprendre que l’écriture comporte des caractéristiques propres qui v ont influencer non seulement sa production, mais aussi l’affection du scripteur. Premièrement, à l’écrit le langage perd de son interactivité, nous n’avons pas lors de l’écriture d’un message les signes de réception de l’interlocuteur. Il est donc impossible de moduler son message pour s’assurer de la compréhension, de la bonne réception, de l’émotion produite, etc. L’écrit, pour être fonctionnel, nécessite donc une projection et une empathie de la part du scripteur (2013, p.18). Déjà abordée dans l’introduction, la production d’écrit par ailleurs est lente, si à l’oral un producteur peut énoncer entre 150 et 200 mots en une minute, à l’écrit il ne peut en graphier que 20 à 40. Parallèlement la production est physiquement difficile, elle nécessite une automatisation dès l’enfance (2013, p.19) et les modalités linguistiques et syntaxiques sont complètement différentes de l’oral, un nouveau langage est alors à apprendre. Ces difficultés sont des facteurs qui rendent l’écriture de prime abord négative, d’autant plus qu’elle réclame d’importants efforts cognitifs.
Pour comprendre il est intéressant de creuser davantage le processus. Les facteurs déjà énoncés impliquent un travail cognitif en trois étapes : préparer le message, le mettre en forme et l’exécuter. Cet ensemble de tâches appelle dans le cerveau trois actions qui se produisent simultanément : le cerveau produit un effort de planification où le contenu est défini, puis il exécute le processus dans la mise en texte, avant de pratiquer une révision qui vérifie la conformité du message (2013, p.24). Ce système, étudié par Hayes & Flower, est davantage détaillé dans l’étude didactique de Sylvie Plane où elle explique que l’on repère deux types de planifications. La macro-planification est un travail de production plus long où le cerveau organise les idées et le texte alors que la micro-planification est un travail plus court de millièmes à quelques secondes où il s’agit d’organiser le texte dans sa linéarité (1994, p.40). Cet ensemble de tâches confère à la production d’écrit un coût de production important.
Du scripteur à l’auteur
Aujourd’hui la recherche en didactique travaille sur différentes méthodes pour rendre à l’écrit un aspect positif à l’écriture, le tout en travaillant à réduire son coût. Peuvent être menées les automatisations de la mise en texte, par la pratique de l’écriture, de la macro planification par l’échafaudage de plan ou par la prise en compte de la forme et du lectorat, de la micro-planification par la répétition de structures et de formes syntaxiques. Il serait intéressant d’approfondir ces enseignements repensés, notamment ceux menés par Dominique Bucheton (2014) ou Claudette Oriol-Boyer (2002, 2003, 2004), pour questionner l’apport possible des études de l’imaginaire. Dans le cadre de cet écrit court, nous nous intéresserons aux réflexions sur le Sujet-Scripteur de Catherine Tauveron et la notion de motivation développée par Bernardin.
Pour rendre le plaisir de l’écriture à l’élève, et s’inspirant des notions de sujet didactique, Catherine Tauveron rappelle qu’il faut extirper l’élève de son écriture-tâche pour lui rendre le rôle qui lui revient, celui d’auteur de son texte. Si l’élève n’est pas écrivain, professionnel de l’écriture, il reste auteur d’un texte vecteur d’émotions, d’idées et de sensations (2007, p.77). Dans cette longue citation, dont nous avons caviardé les exemples pour raccourcir la lecture, elle énumère les fondamentaux pour rendre à l’élève l’entièrepossession de son texte.
« Autrement dit, le jeune scripteur n’est possiblement auteur que si, d’abord, on lui a appris à analyser son expérience de lecteur de littérature pour nourrir son expérience d’écriture (à se demander comment le texte littéraire lu a voulu que « quelqu’un l’aide à fonctionner », puis à se demander comment produire soi-même untexte pour « quelqu’un qui l’aide à fonctionner »), soit à postuler son Lecteur Modèle, de préférence « malin » comme ont dit des élèves de CM2, cultivé et sensible, « capable de coopérer à l’actualisation textuelle de la façon dont lui, l’auteur, le pensait » et à « mettre en œuvre une stratégie dont font partie les prévisions des mouvements de l’autre ». Il n’est possiblement auteur, ensuite, que s’il sait qu’à son intention artistique va répondre dans la classe une « attention esthétique » chez l’enseignant et chez les pairs. S’il sait en somme que son texte, fruit d’une liberté créatrice (en l’occurrence, étroitement « surveillée »), ne va pas d’abord et seulement subir un regard et un traitement orthopédiques, mais faire l’objet d’une lecture semblable à celle à laquelle ont droit les auteurs en titre, une lecturelittéraire attentive à la fabrique du texte, au grain et au jeu des mots, aux espaces vacants, à la polysémie potentielle, à la nouveauté de la trouvaille narrative, à l’émotion suscitée par la narration ou par le comportement de tel ou tel personnage… Soit une lecture qui ne convoque pas seulement des critères d’évaluation formels construits collectivement et imposés à tous mais des critères propres à l’évaluation d’un texte littéraire singulier inscrivant le lecteur au cœur de sa stratégie textuelle. Dans cet échange, peuvent apparaitre aussi bien des ratés pragmatiques, effets programmés non produits, que des effets en germination dont l’auteur n’avait pas conscience et dont il peut ensuite décider d’accélérer la croissance. En somme, l’écriture peut devenir dans une telle configuration « le lieu du hasard et de l’arbitraire qui se transforme peu à peu en nécessité ». Le jeune scripteur n’est possiblement auteur, enfin, que s’il est inscrit avec ses pairs dans une communauté d’auteurs, à l’image de la communauté de lecteurs qu’ils forment ensemble par ailleurs en d’autres temps de la classe. De même qu’ils sont sollicités (désormais ?) d’exprimer et de confronter leurs lectures singulières, les élèves ont tout à gagner à exprimer et à confronter leurs projets d’écriture singuliers, quand bien même ils s’inscriraient dans une problématique ou un projet communs, autrement dit : leurs choix narratifs […], ce qui les motive affectivement […], les effets escomptés, […], lesdifficultés rencontrées, les hésitations et les remords […], ce qu’ilsconsidèrent comme une réussite et satisfait leur ego d’auteur […].
Dans un tel forum, où chacun ouvre les portes de sa cuisine, l’écriture apparait pour ce qu’elle est – un travail d’artisan supposant des choix tactiques (dont on ne maitrise pas toujours les conséquences : écrire est un pari) et susceptible de procurer des bonheurs personnels. » (2007, p.79-80)
Pour remettre l’élève dans une situation d’auteur, il faut donc lui faire comprendre que la lecture, exaltée par le sujet-lecteur, procurant sensation et émotion est l’objectif ET la raison d’être de son écrit, puis il est important mettre en lumière ces effets auprès de ses pairs lors de la lecture de son texte et inscrire l’élève dans une communauté d’auteurs, dontCatherine Tauveron évince l’écrivain, mais qu’il serait au contraire intéressant d’accueillir.
En somme, afin de motiver l’élève, il faut relier l’activité de lecture à celle d’écriture, ce qui est régulièrement fait en tant que source (imitation, réécriture, etc…) mais trop peu en tant que finalité (souvent le devoir est noté ou consigné). Enfin, pour ne pas fixer un objectif littéraire insurmontable, que l’élève verrait dans l’imitation d’un écrivain, et donc rapprocher l’objectif de sa zone proximale de développement, il nécessaire d’insister sur la subjectivité intrinsèque aux deux activités, celle-ci raisonnable puisqu’individuelle.
Il serait intéressant d’approfondir ce rapprochement élève-auteur, notamment avec l’article de Jean Bernardin paru dans la revue du GFEN (2009, p.78). En effet, il propose de construire chez l’élève une posture d’écrivain, en engageant les élèves dans l’écrit par la volonté de traduire une pensée en mots, puis de rendre à ces mots cette pensée. Cette démarche relie l’élève à l’écrivain en lui proposant un cheminement identique : d’abord il faut faire naître chez l’élève une pensée initiatrice, un « embrayeur » à l’écriture, qui lance la rédaction de différents jets à confronter au lectorat ; puis il faut lui faire trouver la« nécessité interne » de réécriture pour restructurer ces écrits, afin de développer et dépasser l’idée initiale dans une nouvelle production de pensée.
Il nous semble que Jean Bernardin met le doigt sur un élément important de l’écriture, celui de l’« embrayeur ». Ce stimulus premier va permettre de motiver l’ensemble du processus d’écriture et peut-être que les ressources de l’imaginaire ont là un bassin d’embrayeurs inépuisable.
De la compréhension
Nous avons vu jusqu’à présent les différents intérêts de renforcer l’individualité et la subjectivité de l’élève dans l’apprentissage, puis de recentrer la production d’écrit sur cette individualité. Toutefois quelle place cette subjectivité a-t-elle dans la lecture scientifique des textes, l’analyse littéraire, pan important des programmes de français. Le retour à la subjectivité est une recherche importante pour les didacticiens, or nous citerons à nouveau Bertrand Daunay : « La question est de savoir comment didactiser la question de la subjectivité, autrement dit comment faire avec la subjectivité de l’apprenant. […] Le défi lancé à la didactique est précisément de pouvoir objectiver le sujet didactique pour ne pas le laisser dans l’imprescriptible ou le silence, mais en faire un sujet d’apprentissage » (2007, p.48-49). Pour creuser davantage le champ de l’analyse littéraire et sa subjectivité, au-delà des connaissances qui sont du ressort de l’instruction, nous nous sommes intéressés au processus de la compréhension.
Si l’apprentissage de la lecture commence par l’acquisition d’un code, elle se poursuit automatiquement par une activité de compréhension. Si le décodage peut poser des difficultés à des élèves en manque de pratique, de méthode et d’automatisme, lacompréhension reste un apprentissage qu’il faut poursuivre bien au-delà des cycles 2 et 3.
Pour cela, il est important d’en comprendre une nouvelle fois le fonctionnement.
Selon la méthode de Cebe et Goigoux, basée sur les récentes études en neuropsychologie, la compréhension en lecture nécessite cinq compétences : celle de décodage appelant l’automatisation des procédures d’identification des mots ; puis des compétences linguistiques, afin d’identifier la syntaxe et le lexique ; référentielles, en combinant des connaissances encyclopédiques ; textuelles, qui impliquent des connaissances en grammaire de texte et stratégiques, nécessitant une évaluation et une régulation de l’élèvesur son activité de lecture (2012, p.7).
Ces cinq compétences mettent en relief les difficultés des élèves : un lexique pauvre, des connaissances lacunaires, une mauvaise cohérence textuelle due à une lecture rapide, sans tri informatif, et des erreurs, voire des absences d’inférence. Cebe et Goigoux ciblent également une mauvaise stratégie de lecture et un objectif souvent incompris. Pour travailler cet ensemble de difficultés, les deux didacticiens proposent une série de conseils et d’objectifs qu’ils mettent en place dans une proposition de séquence. Nous n’en relevons que quelquesuns qui pourraient nous intéresser : rendre les élèves actifs (éviter les questionnaires quiappellent le picorage d’informations), inciter à la représentation mentale, inviter à suppléer les blancs du texte, s’interroger sur les pensées du personnage… (2012, p.7-13).
L’imaginaire, outil instinctif de représentation mentale des angoisses premières et primaires serait peut-être là aussi une ressource efficace dans la projection mentale d’un texte, puisqu’il puiserait dans le bassin d’images inéluctablement profond de l’élève.
Les plans d’architecture : établissement d’un protocole
Elever la subjectivité de l’élève au niveau de celle de l’auteur, afin de faciliter son entrée, sa compréhension et son analyse de l’œuvre, est l’objectif de notre tentative d’application des études de l’imaginaire en didactique. Une fois l’élève égal de l’auteur, nous espérons voir son rapport à la littérature profondément changé. Les chapitres précédents ont démontré, nous l’espérons, comment les structures anthropologiques de l’imaginaire peuvent être un outil à haut potentiel, essentiellement parce qu’investir l’imaginaire dans le développement de la subjectivité appelle à user d’une activité humaine instinctive que les élèves utilisent depuis leur plus tendre enfance, parce que cela permettrait de se réapproprier cette fonction inconsciente significative dans l’œuvre de création, parce que cette démarche rendrait au couple lecteur/auteur une complicité que la technicité de la littérarité peut entraver.
Certes, si l’apport des recherches sur l’imaginaire mériterait encore un approfondissement qui pourrait être envisagé plus tard, il est temps à présent de développer cette application concrète en une séquence didactique.
Afin d’amener l’élève à s’approprier l’outil imaginaire, nous pensons pertinent de préférer une démarche inductive avant de procéder à l’explicitation technique du phénomène.
C’est pourquoi nous souhaitons dans un premier temps développer la subjectivité de l’élève, à laquelle nous attacherons ensuite le système de structures mythiques hérité des recherches durandiennes. Porté par cette lecture personnelle, l’élève sera ensuite invité à procéder à l’analyse de l’œuvre, activité pendant laquelle le réinvestissement des notions acquises en cours d’année prendra sa place. Seulement une fois cette démarche inductive achevée nous institutionnaliserons le processus effectué pour donner à l’élève les clés de ce dernier et parachever ainsi l’apport de l’outil imaginaire. Une dernière étape visera à transférer les acquis dans une tâche complexe de fin de séquence.
Ce déroulement prévoit donc trois étapes : une mise en activité elle-même divisée en quatre étapes, une séance d’enseignement magistral pour expliciter les notions, puis une
activité de réinvestissement. Nous détaillerons dans le présent protocole chacune de cesétapes.
Le corpus
Le corpus se doit de respecter un panorama complet de l’imaginaire durandien. Nous l’avons vu, ce dernier se décompose en trois structures mythiques : héroïque, mystique ou synthétique. Cela signifie que ces trois catégories sont largement représentées dans les œuvres de création et donc dans les processus imaginant des individus. Afin qu’un élève puisse se reconnaître dans une des trois structures mythiques, il est important que le corpus prenne en compte les trois univers.
Nous avons donc choisi trois nouvelles, le genre permettant une certaine rapidité et une accessibilité de lecture. Le premier texte, Une petite femme, sous la plume non dénuée d’humour de Romain Gary, dresse le portrait d’une femme forte et assurée au cœur de la forêt vierge d’Indochine. Le tempérament courageux de cette « petite femme » armée d’un simple phonographe et de sa joyeuse ingénuité au milieu de cette jungle hostile s’inscrit dans le mythe héroïque par sa confrontation belliqueuse entre le protagoniste et son environnement.
Le second texte s’installe dans un univers mythique mystique. Manuscrit trouvé dans une bouteille d’Edgar Allan Poe s’inscrit parfaitement dans cette structure en proposant le récit fantastique d’un passage clandestin sur un vaisseau fantôme. Bien que chargé d’angoisse, le mythe développe le thème du refuge manifestement illustré par l’image du bateau. Enfin le dernier texte, L’homme qui plantait des arbres de Jean Giono, raconte l’histoire d’un berger qui a consacré sa vie à la plantation en toute humilité d’une forêt dans les terres désertiques deProvence. L’univers synthétique s’exprime dans ce récit progressif où d’un terrain hostile le temps cyclique fait surgir une forêt bienveillante.
Il est important de laisser l’élève choisir sa nouvelle en fonction de ses propres intérêts. Afin de le guider dans son choix et pour que celui-ci corresponde à son propre univers mythique, il est important de donner une information précise sur le contenu structurel de l’imaginaire de la nouvelle. C’est pourquoi, avant d’inviter l’élève à choisir, les nouvelles sont présentées ainsi :
Texte 1 : « Une femme étonnante accompagne son mari dans la jungle, dans ce milieu hostile elle essaiera de faire sa place. »
Texte 2 : « Un manuscrit trouvé dans une bouteille raconte le voyage calme et angoissant d’un homme sur un vaisseau étrange. »
Texte 3 : « Un berger patient et déterminé réussit grâce au temps et à la nature à transfigurer les terres de Provence. »
Ces descriptions factuelles comportent en elle le dynamisme du mythe qui permet de les classer selon leur univers. Il est important de ne pas donner plus d’informations sur le contenu de la nouvelle, pour ne pas influencer la lecture de l’élève. Evidemment, en réponse aux questions des élèves il est important de respecter l’esprit de la consigne, donner des informations factuelles et non interprétatives sur le contenu, ces informations doivent toutefois contenir une description du schème structurel du mythe de l’œuvre.
Le carnet de lecture
Les nouvelles attribuées, les élèves sont invités à les lire. Il est important de lancer dès les consignes de lecture un appel à la subjectivité. Pour déclencher le recours au sujet-lecteur nous utiliserons au carnet de lecture. Décrit dans le rapport d’Anne Vibert, la pertinence de cet outil a plusieurs fois été prouvée. Adaptée au petit format de la nouvelle, la consigne réclame un écrit personnel de trente lignes minimum et est accompagnée de questions conseils pour aider l’élève en difficulté dans cette démarche à laquelle il ne pourrait être non-habitué. (Annexe 1.a.). Ce travail est à faire à la maison.
Le dessin AT.9
La difficulté de notre expérimentation était d’amener les élèves à travailler la structure mythique des œuvres malgré leurs lacunes dans ce domaine de connaissances. Envisager un apprentissage au préalable des notions pourrait corrompre l’épanouissement de la subjectivité.
Effectivement l’objectif est de rapprocher l’élève de l’auteur en faisant prendre conscience à l’apprenant de la proximité possible de leur processus imaginant. Or rationnaliser l’étude des structures mythiques risquerait de considérer cet outil comme une nouvelle piste institutionnelle et technique dans laquelle un élève pourrait se sentir entravé.
Nous avons donc décidé d’adapter le test à neuf éléments présenté dans les chapitres précédents. Ce test clinique permet de faire émerger la démarche cognitive du processus imaginant, classée par la suite en structures mythiques. S’intéressant aux patients il permet donc de définir l’organisation de leur imaginaire individuel. Le test se compose d’un dessin et d’un écrit expliquant ce dessin. L’examen clinique ajoute un questionnaire permettant d’étudier la projection du patient et sa conscientisation symbolique. Puisque notre objectif n’est pas d’établir un examen clinique de l’élève mais simplement de définir la structure mythique de la nouvelle, nous nous sommes affranchis de l’analyse clinique inhérente au questionnaire et avons réécrit les consignes du test à neuf éléments pour centrer l’étude surl’objet littéraire.
Pendant un intervalle de trente minutes, l’élève doit donc à partir de la nouvelle composer un dessin avec une chute, une épée, un refuge, un monstre dévorant, quelque chose de cyclique (qui tourne, qui se reproduit ou qui progresse), un personnage, de l’eau, un animal (oiseau, poisson, reptile ou mammifère), du feu, puis dans un second temps il doit expliquer son dessin. Conformément à l’AT.9 classique le dessin doit être fait sur une feuille de format A4 et l’explication sur une feuille séparée (Annexe 1.b.). Afin de nous assurer de la conformité de l’exercice à celui défini par Yves Durand, nous reprenons les consignes oralesdonnées dans le protocole du test clinique, à savoir : « votre travail consiste donc à effectuer [à partir de la nouvelle] un dessin avec les 9 éléments qui vous sont proposés (c’est -à-dire : une chute, une épée, un refuge… du feu). Vous essaierez si possible de les utiliser tous… Par ailleurs vous pouvez en ajouter d’autres si cela facilite la composition que vous allez faire. Il n’y a pas de mauvaise réponse : une chute, par exemple, c’est la chute que vous voulez dès lors qu’elle s’accorde avec votre dessin. Lorsque vous aurez terminé votre dessin vous ferez […] un commentaire, une explication, un récit comme vous voudrez, pour préciser ce qu’il se passe dans le dessin. Enfin vous devez travailler avec un crayon à papier et cela sans utiliser de gomme ni de règle » (2005, p.218). Aux éventuelles questions, il est important de veiller à répondre dans l’esprit de la consigne pour ne pas influencer la production imaginante de l’élève.
Le questionnaire
Par les deux étapes précédentes nous souhaitons stimuler la subjectivité de l’élève et sa prise de conscience de l’imaginaire de l’écrivain, dans lequel nous stimulons une concrèteimplication. Il est important à présent d’user de cette entrée dans le texte pour aborder l’analyse littéraire plus technique, et relier ainsi la production imaginante à des outils littéraires dont le programme de Français impose la transmission. Pour cela nous nous basons sur le tableau d’analyse élaboré par Daniel Rocha-Pitta selon sa lecture de l’AT.9 (en annexe ci-dessous) (1998, p.272).
Le cours magistral
Une fois ces activités menées il est inévitablement important d’expliquer à l’élève le processus dans lequel il a été impliqué. Afin de pérenniser la démarche, l’apprenant doit être conscient des relations qui se sont jouées entre lui et l’auteur afin de pouvoir les intégrer et les transférer à d’autres lectures. Le cours magistral a donc pour objectif de rationnaliser l’analyse de l’imaginaire, non pas pour justifier cette nouvelle approche littéraire, cela nécessiterait un approfondissement trop complexe, pour comprendre la notion de visée et pour forcer le rapprochement entre le lecteur et l’auteur par leur proximité imaginante.
Le cours magistral se concentre donc sur deux notions : la propriété de l’imaginaire et une synthèse des structures anthropologiques. Dans un premier temps nous souhaitons faire comprendre aux élèves quel processus instinctif se joue dans la pensée imaginante. Il s‘agit donc d’invoquer le rôle protecteur de l’imaginaire face aux angoisses primaires et d’embrayer sur son universalité. Cette notion appelle donc à mentionner les postures néonatales fondatrices de la pensée durandienne. A partir de là, nous pouvons faire un rapide survol des trois structures mythiques, de leurs schèmes structurels et des archétypes qui les composent.
Nous pensons qu’il est important de se concentrer sur les images et les symboles, plutôt que d’entrer dans les détails structurels théoriques qui sont difficiles à acquérir pour un novice de ce champ disciplinaire.
Cette approche vulgarisée de l’étude sur l’imaginaire doit surtout s’inscrire dans l’explicitation du processus dans lequel les élèves ont été impliqués. C’est pourquoi il est important de conclure ce cours sur l’AT.9 (en veillant à bien faire comprendre qu’il s’agissait d’un outil pour faire ressortir le mythe interne de la nouvelle mais non d’un outil d’analyse littéraire). Il est alors possible d’illustrer ces notions par le travail qui a été fait sur les nouvelles et de développer les « Histoires de vie » des auteurs.
Enfin, afin de mener l’élève à une propre réflexion sur sa projection dans ce travail et de forcer la comparaison entre l’auteur et lui-même, il est intéressant de revenir sur la partie de l’implication que nous avons maintenue du questionnaire. Armé des connaissances sur l’imaginaire, d’un panorama des trois structures mythiques, d’une mise en application des notions découvertes et de trois exemples distincts de production imaginante, ce « métaregard » sur la projection de l’élève dans l’univers mythique de la nouvelle va permettre, nous l’espérons, à l’élève de se mesurer à l’auteur en tant qu’individu pensant et imaginant.
L’écrit
Pour conclure ce travail d’élévation de l’élève à un sujet-auteur, nous souhaitons lui donner à son tour ce rôle d’expression en proposant un sujet d’invention aux élèves en total liberté. L’objectif de ce sujet sans contrainte est de placer cette fois-ci l’élève en position d’auteur qui n’a pour seul contrainte que de satisfaire son objectif d’écriture. Cet exercice complexe appelle donc à intégrer et à transférer la relation entre visée d’écriture et travail stylistique.
L’écrit est donc un sujet libre de 60 à 120 lignes expliqué dans la consigne suivante : « Vous aussi, dans un écrit libre de soixante à cent vingt lignes, laissez parler votre imaginaire. Veillez toutefois à votre style, celui-ci doit être au service total de votre objectif d’auteur. » Composé en deux temps, ce travail prévoit un retour critique de l’élève qui doit proposer une analyse stylistique de son écrit en justifiant l’ensemble de ces choix d’écriture selon son propre objectif (Annexe 1.e.).
Recueil des résultats
Afin de juger de l’efficacité d’expérimentation en cours, il est important de fixer en amont les sources de résultats. Riche en productions écrites, l’expérience nous offre un panel de résultats large et varié. Nous nous baserons donc essentiellement sur les productions des élèves et l’ensemble des activités sera ramassé. Ainsi nous pourrons juger de la progression de l’implication et de l’apport subjectif au fil des quatre écrits, nous pourrons également analyser les productions AT.9 afin d’évaluer la pertinence de l’outil. Nous verrons effectivement si dans les dessins des élèves émergent avec régularité les structures mythiques des nouvelles.
Les questionnaires nous permettront de voir l’implication des impressions de lecture portées par le journal de lecture et l’AT.9 dans la compréhension de la nouvelle et dans la distinction de la visée. En effet ces deux outils auront été les seuls travaux préalables aux questionnaires.
Enfin l’investissement dans la tâche finale permettra de juger la force de stimulation de l’imaginaire. Effectivement le sujet libre sans contrainte n’a pour stimulation dans cette séquence que le rapport de l’auteur à son imaginaire, nous pensons donc que la diversité des résultats peut être un indicateur de l’implication de l’imaginaire dans la motivation des élèves.
Nous pensons également que les échanges durant les séances sont des indicateurs précieux pour connaître le degré d’implication et l’intérêt des élèves, ainsi que leur compréhension immédiate. C’est pourquoi nous estimons qu’il est important de relever l’ensemble des échanges émis en classe entre le professeur et les élèves.
Nous tenons à rappeler toutefois que cette démarche est un protocole expérimental créé en vue de proposer un rapprochement entre les avancées de ces dernières années dans le champ d’étude sur l’imaginaire et celles en didactique. Les activités et les étapes du protocole sont elles aussi des expériences expérimentales souffrant leur premier test. Bien que basée sur des processus d’analyse clinique, artistique ou didactique ayant fait leurs preuves, leur adaptation à une telle expérience est à vérifier bien au-delà du cadre du protocole de ce mémoire qui n’est qu’une modeste ébauche de proposition. Parallèlement, il s’agit d’une expérience ponctuelle dépendante des acteurs du processus. Ceux-ci sont les élèves de seconde générale option Arts Visuels accompagnés de leur professeur de Français. Le niveau social des élèves, leur cursus scolaire, les connaissances des deux acteurs sont autant de facteurs pouvant influencer la pertinence des résultats.
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Table des matières
Introduction
Les deux univers : état des lieux des disciplines
Un nouveau champ de recherche : l’imaginaire
Le développement de la pensée durandienne
Les Structures Anthropologiques de l’imaginaire
Les apports sur la recherche
La mythodologie
Analyse artistique
L’AT 9
Et en didactique ?
Tour d’horizon en didactique : une application possible ?
De l’importance du sujet-apprenant
Du sujet-lecteur
Au sujet-didactique
L’écriture
Le processus cognitif
Du scripteur à l’auteur
De la compréhension
Le passage : une passerelle est-elle envisageable ?
Les plans d’architecture : établissement d’un protocole
Le corpus
Le carnet de lecture
Le dessin AT.9
Le questionnaire
Questionnaire 1 : Fiche d’analyse
Questionnaire 2 : Analyse stylistique
Le cours magistral
L’écrit
Recueil des résultats
Analyse du terrain : échantillonnage et recueil des résultats
Analyse du journal de lecture
Analyse de l’AT.9
Analyse des questionnaires
Analyse du questionnaire 1
Analyse du questionnaire 2
Viabilité du projet : discussion de l’enquête
Le journal de lecture
Le dessin AT.9
Les questionnaires
Le cours et le sujet d’écriture
Conclusion
Bibliographie