Considérant le fait que les changements environnementaux sont souvent drastiques et très rapides, la survie d’un organisme dépend donc de sa capacité à détecter et répondre à ces modifications. Dans le cas des organismes unicellulaires tels que les bactéries, cette adaptation est nécessaire pour coloniser un milieu, ou même un hôte dans le cas des pathogènes. Pour les bactéries causant des pathogénies d’origine alimentaire comme certaines souches de Escherichia coli (E. coli), de Salmonella enterica (S. enterica) ou de Listeria monocytogenes, il est nécessaire de s’adapter à la différence d’environnement entre le milieu externe et le milieu interne de l’hôte. Notamment, pour avoir un succès infectieux, ces bactéries doivent pouvoir résister aux conditions de conservation et de transport des aliments avant l’ingestion par l’hôte. Il faudra ensuite que ces bactéries survivent aux systèmes de défense du corps humain comme les acides gastriques (pH 2,5 à 4,5) et les sels biliaires. Les bactéries doivent donc détecter ces rapides changements de conditions et y répondre en adaptant leur expression génique ainsi que leur activité protéique. Identifier les mécanismes qui régissent les changements moléculaires permettant aux bactéries de s’adapter à un hôte et le coloniser est un défi scientifique important.
Les stress bactériens subis lors d’une infection
Parmi les stress auxquels les bactéries pathogènes sont exposées, je vais ici détailler l’effet du stress osmotique, du stress thermique, du stress lié à une acidification et au stress métallique. L’enveloppe des bactéries à gram-négatif est composée, d’une membrane interne semi-perméable contenant en particulier des canaux protéiques permettant le transport facilité d’eau, les porines. Cette membrane est entourée, chez beaucoup de bactéries (dont E. coli) d’une paroi composée de peptidoglycanes permettant de maintenir la forme de la cellule. Chez les bactéries à gram-négatif ces deux couches sont entourées par une seconde membrane, dite externe, aussi semi perméable et contenant des porines . L’espace contenu entre les deux membranes constitue l’espace périplasmique (Meroueh et al., 2006).
Le stress osmotique
L’enveloppe bactérienne agissant comme une membrane semi-perméable, une différence de concentration de soluté entre le milieu externe et le cytoplasme sera équilibrée par osmose. Ce phénomène intervient par diffusion du solvant depuis le milieu le moins concentré en soluté vers le milieu le plus concentré. L’intégrité de la cellule et de ses compartiments dépend donc de l’équilibre des concentrations de soluté entre le milieu externe et les compartiments bactériens c’est-à-dire le cytoplasme et le périplasme. Un choc osmotique se produit donc lorsqu’il y a une modification soudaine de la concentration en soluté de l’environnement. Une concentration trop grande en soluté causera une sortie massive d’eau qui entrainera un phénomène de plasmolyse (perte d’eau cytoplasmique). Au contraire, une trop faible concentration en soluté dans le milieu externe causera un fort influx d’eau dans la cellule qui augmentera la pression intracellulaire entrainant une lyse cellulaire (Csonka, 1989). Les mécanismes osmoadaptatifs bactériens passent donc par l’accumulation ou le relargage de solutés en fonction du stress osmotique subi ou alors par une atténuation des flux d’eau à travers l’enveloppe bactérienne (Wood, 2015). La réhydratation des cellules peut se faire par accumulation de potassium dans le cytoplasme cette accumulation est médiée par l’activité proton motrice du symporteur (transporteur membranaire permettant le mouvement dans le même sens de plusieurs molécules) Trk (Binepal et al., 2016) ou par le transport actif effectué par des ATPase (transporteur permettant le transport actif par hydrolyse d’ATP de molécules à travers la membrane interne) comme le transporteur Kdp (Greie, 2011). L’accumulation de potassium dans la cellule va « forcer » l’entrée d’eau dans la cellule par osmose. Toutefois, cette réhydratation par le potassium est délétère pour la croissance bactérienne. Un autre moyen de réhydrater la cellule sans affecter la croissance bactérienne passe par la synthèse et l’accumulation d’osmolytes comme le glutamate, la bétaine, le tréhalose etc… (Rahman et al., 2018). À l’inverse, les mécanismes actifs mis en place lors d’un choc hyper-osmotique nécessitent l’export de ces osmolytes (Wood, 2015).
Le stress thermique
La capacité de détecter les changements de température est partagée par tous les organismes. Pour les bactéries, l’augmentation de la temperature du milieu peut être le signe d’une infection réussie. En effet, l’augmentation de la température corporelle lors d’une fièvre causée par une infection bactérienne est un signal pour les bactéries permettant de savoir quand exprimer certains facteurs de virulence (Konkel & Tilly, 2000). La détection de ces variations de température dans les bactéries peut être réalisée par différents types de macromolécules organiques. Par exemple, les modifications de l’ADN peuvent être un bon senseur de la modification de la température de l’environnement bactérien. Dans la cellule, l’ADN est sous forme compacte surenroulée. L’augmentation de la température externe va causer une relaxation de ce surenroulement permettant d’augmenter l’expression de protéines de réponse au choc thermique. Il est à noter que la diminution de la température (un choc froid) va au contraire accentuer le surenroulement de l’ADN ce qui empêchera toute expression de protéines du choc thermique . De même, la modification conformationnelle de protéines par la température peut permettre la régulation du stress thermique. Par exemple, chez Salmonella enterica, l’augmentation de la température cause un changement de conformation du répresseur TlpA (Hurme et al., 1997). Ainsi, TlpA se dissocie de l’ADN et la transcription des gènes de réponses au stress thermique est possible . D’autres macromolécules permettent aussi de détecter un changement de température comme les lipides ou l’ARN (Shapiro & Cowen, 2012).
Le stress acide
Les entérobactéries comme E. coli colonisent le tractus gastro-intestinal. Pour atteindre l’intestin il leur est d’abord nécessaire de survivre aux conditions physico chimiques très acides de l’estomac. Ces conditions acides vont d’abord modifier l’état de protonation des macromolécules comme les protéines, l’ADN et les lipides. Pour E. coli, la limitation du flux de protons passe d’abord par une réduction de la fluidité membranaire (Shabala & Ross, 2008).
L’exposition à un acide fort a aussi pour effet de modifier la force proton motrice au niveau des différents compartiments cellulaires. Il faut savoir que le pH cytoplasmique (pHc) dans la cellule est très précisément régulé et chez E. coli ; en fonction du pH dans lequel les bactéries sont cultivées, le pHc est compris entre 7,2 et 7,8 (Lund et al., 2014; De Biase & Lund, 2015). Lorsque les bactéries sont exposées à un acide fort (pH 2,5 à 4,5), une nette diminution du pHc à lieu (jusqu’à pH 5) mais les pompes à efflux permettent de rééquilibrer rapidement le pH jusqu’ 7,2. La membrane externe étant perméable mais non la membrane interne, il y a une différence de pH importante entre le pH périplasmique (pHp) et le pHc. Ces conditions acides causent l’activation de décarboxylases cytoplasmiques, impliquées dans le recyclage de d’acides aminés (Glu, Gln, Arg, Lys) et qui vont donc consommer des protons ce qui aura pour effet d’équilibrer le pHc. Le pH optimum de ces décarboxylases étant très bas, elles ne fonctionnent qu’en cas de stress acide.
Le stress métallique
Une fois arrivées dans l’intestin les entérobactéries pathogènes doivent se multiplier, mais les nutriments (matières organiques et métaux) nécessaires à cette multiplication sont séquestrés par les cellules du système immunitaire de l’hôte ou convoités par les bactéries commensales de l’intestin (formant le microbiote intestinal). Les métaux, tels que le fer, sont importants pour la bactérie car ce sont des cofacteurs de protéines impliquées dans divers processus allant du métabolisme à la réplication de l’ADN (Becker & Skaar, 2014). De ce fait, le développement de systèmes d’acquisition de métaux, comme les sidérophores, est essentiel à la croissance bactérienne. Un des moyens que le système immunitaire possède pour limiter ou empêcher ce phénomène est de sécréter des protéines qui lient les sidérophores, comme les lipocalines (Fischbach et al., 2006). Mais, ces inhibiteurs ne sont pas spécifiques aux sidérophores de bactéries pathogènes et ils affectent aussi ceux des commensales. Certains pathogènes tels que Salmonella enterica ont développé des sidérophores « améliorés » qui sont plus efficaces et non reconnus par les inhibiteurs du système immunitaire (Crosa & Walsh, 2002). Ils ne sont donc pas affectés par cette limitation en ions métalliques et ont, de surcroît, moins de concurrents. Il est à noter que les bactéries pathogènes peuvent subir un excès de zinc par les cellules de l’immunité innée que sont les macrophages. En effet, suite à la phagocytose des bactéries, il se forme une vésicule dans les macrophages, le phagolysosome qui permet la dégradation de ces bactéries (Stafford et al., 2013). Le zinc, lorsqu’il est accumulé dans la bactérie, prend la place d’autres ions métalliques dans les enzymes et les empêchent de fonctionner. Le succès d’un pathogène dépend donc de sa capacité à détecter et répondre de manière adéquate aux différents stress subis lors de l’infection. Un équilibre entre la carence et l’excès de zinc est notamment important pour une croissance bactérienne optimale.
La réponse majeure à tous ces stress se fait par la régulation (positive ou négative) de l’expression de gènes de réponse spécifique à ces stress. Cela est majoritairement effectué par la régulation de l’ARN polymérase bactérienne qui va transcrire les gènes de réponse aux stress.
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Table des matières
INTRODUCTION
Les stress environnementaux affectant les bactéries
1.!!Les stress bactériens subis lors d’une infection
1.a.!!Le stress osmotique
1.b.!!Le stress thermique
1.c.!!Le stress acide
1.d.!!Le stress métallique
2.!!Les systèmes de réponse aux stress extracytoplasmiques
2.a.!!Les voies σE et Psp
2.b.!!Le phosphorelais Rcs
2.c.!!Les systèmes à deux composants BaeSR et CpxAR
Mécanisme d’activation d’une histidine kinase
1.!!Détection du signal par le domaine périplasmique d’une histidine kinase
1.a.!!Les domaines senseurs adoptant un repliement PDC
1.b.!!Les domaines senseurs hélicaux
1.c.!!Les domaines senseurs adoptant un repliement PBP
1.d.!!Cas du domaine senseur de CpxA
2.!!Transmission du signal au travers des domaines transmembranaires
La gestion du zinc chez les bactéries
1.!!Généralités : Le zinc est important pour la bactérie
2.!!La bataille entre l’hôte et la bactérie pour le contrôle du zinc
3.!!Régulation de la concentration cytoplasmique en zinc
4.!!Les métallochaperons
4.a.!!Les métallochaperons cytoplasmiques
4.b.!!Les métallochaperons périplasmiques
État des connaissances sur le système Zra
1.!!Découverte du système Zra
2.!!Description des différents composants du système Zra
2.a.!!Le régulateur transcriptionnel ZraR
2.b.!!Le senseur histidine kinase ZraS
2.c.!!ZraP
2.d.!!Rôle du système Zra
MATÉRIELS ET MÉTHODES
1.!!Méthodes de microbiologie
1.a.!!Souches bactériennes, milieux de culture et plasmides
1.b.!!Conditions de culture et de conservation des souches
1.c.!!Stress bactérien en présence de Polymyxine B
2.!!Méthodes de biologie moléculaire
2.a.!!Extraction et purification d’ADN plasmidique
2.b.!!Clonage d’un fragment d’ADN dans un plasmide
2.c.!!Amplification d’ADN par réaction de polymérisation en chaîne (PCR)
2.d.!!Transformation des bactéries par de l’ADN plasmidique
2.e.!!Mutagénèse dirigée
3.!!Méthodes de biochimie
3.a.!!Purification de ZraSp-strep et de ces variants
3.b.!!Purification de ZraP et de ces variants
3.c.!!Décontamination en fer de ZraP
3.d.!!Dosage des protéines par la méthode de Bradford
3.e.!!Electrophorèse sur gel de polyacrylamide en présence de dodécylsulfate de sodium
3.f.!!Test d’interaction in situ par mSPINE
3.g.!!Test d’interaction in vitro entre ZraSp et ZraP
3.h.!!Immunodétection
3.i.!!Rétention de protéine sur résine d’agarose chargée en zinc (Zn-NTA)
4.!!Méthodes de biophysique
4.a.!!Dosage de la quantité de zinc liée à ZraSp
4.b.!!Suivi de la fluorescence de ZraSp par liaison du zinc
4.c.!!Activité de protection de la malate deshydrogénase (MDH) à la dénaturation thermique
4.d.!!Détermination de la température de demi-dénaturation de ZraSp et des variants
4.e.!!Dichroïsme circulaire
CONCLUSION