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Le cas des Inuit
Les recherches linguistiques, archéologiques et anthropologiques tendent à suggérer que les populations Inuit sont dérivées d’une source commune et plus récente que les populations ayant colonisé le reste du continent américain (Park, 1993 ; Greenberg, 1996). Cette hypothèse se base sur des traits communs dont des caractérisations phénotypiques et génétiques que partagent les populations des îles Aléoutiennes, de l’Alaska, du Grand Nord au Canada et du Groenland. Les ancêtres des Inuits proviendraient de Sibérie et auraient traversé les îles aléoutiennes autour de -4500 ans et auraient occupé ce territoire jusqu’au Groenland (Schurr, 2004 ; O’Rourke et al, 2009, 2010 ; Rasmussen et al, 2010 ; Raghavan et al, 2014). L’haplogroupe d’ADNmt A (issu de Sibérie, représenté chez les Tchouktches) est présent sur l’ensemble du territoire américain, mais est prédominant chez les Inuit, ce qui tend à expliquer une migration plus récente n’ayant pas subi de dérive génétique (Chaline, 2014 ; Raghavan et al, 2014. Également, des études génétiques récentes sur les Inuit démontrent qu’ils possèdent un haplogroupe qui diffère des Amérindiens modernes (D2a1) appuyant cette théorie (Chaline, 2014).
Variation humaine
Plusieurs facteurs influencent la variabilité physique, incluant les mutations génétiques, les migrations et échanges entre populations, l’environnement extérieur, les stress biologiques et physionomiques, la nutrition ou les choix culturels. Ces changements peuvent être le résultat d’une longue adaptation et évolution et/ou d’acclimatations physiques à court terme durant une vie qui peut cependant être amenée à devenir une mutation génétique au sein d’une population.
Génétique des populations
L’une des méthodes utilisées en génétique des populations se fait par l’analyse des marqueurs génétiques présents à partir de l’ADN mitochondrial qui se transmet de mère en fille et de l’ADN du chromosome Y qui se transmet de père en fils (Chaline, 2014). Ces marqueurs exposent les variations neutres des séquences (migrations, mutations, variation durant la réplication, etc.) qui vont permettre d’établir la phylogénie des séquences génétiques et d’étudier l’histoire et les structures des groupes humains préhistoriques et modernes en comparant la génétique des ancêtres et des descendants probables (Chaline, 2014). Ici nous nous intéresserons à la variabilité liée aux mouvements de populations.
Le flux génique (« gene flow ») fait référence aux individus qui passent d’une population à une autre apportant et recevant de nouveaux allèles à leurs patrimoines génétiques, augmentant donc les taux de mutations et la probabilité que ces nouvelles mutations se fixent et se perpétuent entres ces populations. On distingue plusieurs niveaux d’impact dans le temps et l’espace : la colonisation, la relocalisation de populations, la fusion de différents groupes, etc.
La dérive génétique (« genetic drift ») au contraire correspond à la perte d’allèle aléatoire dans un groupe dû en particulier à leurs effectifs démographiques réduits ou à leurs isolements (barrières géographiques ou écologiques), qui mène à une réduction de la variabilité génétique due à un partage restreint du même matériel génétique.
Pour finir, la sélection positive d’allèles est un facteur de mutation important qui s’inscrit dans le patrimoine génétique ; par exemple, une sélection d’allèles pour résister à des pathologies propres à une zone géographique (Chaline, 2014).
Variabilité morphologique crânienne
Il est commun pour l’étude de l’histoire des populations d’étudier la variabilité morphologique crânienne pour déceler des modèles, caractères communs entre populations pour retracer leurs histoires (Powell et Neves, 1999 ; González-José et al, 2004 ; Hubbe et al, 2009, 2015). L’étude de la morphologie crânienne était l’un des seuls outils disponibles avant les avancées techniques et technologiques en génétiques, et reste encore une bonne alternative dans les cas où l’ADN est trop détérioré ou absent (période préhistorique ancienne). Cela présuppose que le crâne est le résultat d’une évolution influencée par l’histoire des populations et donc ayant hérité de caractères morphologiques ancestraux. Le phénotype peut être influencé par son génotype, mais également par son environnement direct qui nécessite une adaptation « physique » ou peut entraîner une sélection de certains allèles répondant le mieux à cet environnement (Betti et al, 2009 ; 2010 ; Von Cramon-Taubadel, 2009). Certaines études (Gonzalez-José et al, 2005 ; Von Cramon-Taubadel, 2011, 2014) tendent à nuancer cette hypothèse et avancent qu’il est important de cerner et quantifier les facteurs évolutifs et adaptatifs qui peuvent avoir une influence sur la variabilité morphologique globale ou plus spécifiquement sur certaines régions du crâne entres les différentes populations.
Adaptation aux climats extrêmes
Le lien entre la forme du crâne et l’adaptation au froid reste encore un sujet en débat, mais des études tendent à démontrer que la forme ronde et plate du crâne permet de mieux conserver la chaleur et qu’une cavité nasale haute et étroite contribue à réchauffer et humidifier l’air inspiré et à conserver ces traits lors de l’expiration (Hernández, 1997 ; Noback et al, 2011 ; Evteev et al, 2015, 2016, 2014). Néanmoins certains chercheurs estiment que ces caractères sont inadaptés aux environnements et que les populations se sont adaptées culturellement (Steegman, 1972), car malgré une certaine adaptation, l’Homme dépend en grande partie de ses innovations techniques pour survivre dans des environnements extrêmes froids ou chauds (vêtements, habitations, etc.).
Les stress biomécaniques liés à l’alimentation
Comme mentionné plus haut, certaines régions du crâne ne sont pas directement et/ou uniquement une réponse de l’expression génétique, mais pourrait également être influencé par leurs environnements directs (climats, altitude, alimentation etc.) entraînant donc une adaptation qui est de l’ordre de la plasticité phénotypique ou de l’épigénétique.
Plusieurs études (González-José et al, 2005 ; Sardi et al, 2006 ; Von Cramon-Taubadel, 2009, 2014) ont tenté d’aborder l’impact des facteurs adaptatifs en présupposant que la forme du crâne reflète des différenciations morphologiques ne répondants pas aux mêmes contraintes (mandibule, maxillaire et zygomatiques répondent par exemple au processus masticatoire) et donc ne seraient pas exclusivement variables en fonction de la variation génétique (proéminence de l’expression des gènes dans la croissance et variation crânienne).
La transition d’un mode de vie chasseurs-cueilleurs à agricole constitue une période importante dans l’histoire des populations entraînant de nombreux changements culturels et biologiques (Larsen, 1995). Cette transition n’est pas homogène chronologiquement et géographiquement, mais les découvertes archéologiques attestent de marqueurs communs : domestication des plantes et des animaux menant à une alimentation plus tendre et plus faible en protéines, réduisant le stress biomécanique lié au processus de mastication ; réduction du dimorphisme sexuel liée probablement à un nouveau partage des tâches au sein de la communauté ; sédentarisation menant à une diminution de la taille des individus (moins de mobilité liée à la sédentarisation) ; augmentation de la population et des pathologies liées à une baisse de la qualité nutritionnelle (et augmentation en carbohydrate) (Larsen, 1995).
Ces changements selon ce présupposé abordé plus haut ne seraient donc pas homogènes sur l’ensemble du crâne, mais refléteraient différentes variations, notamment celles liées à la mastication (habitudes paramasticatrices modifiant les tensions sur l’appareil masticatoire).
Dans le cas de la variation crânienne, plusieurs changements peuvent être observés, notamment au niveau masticatoire et postneuronal.
Pour les populations chasseurs-cueilleurs, on peut observer :
• Au niveau de la voûte crânienne, cette robusticité peut s’expliquer par rapport aux mouvements coordonnés entre la tête, le cou et la mâchoire (Hylander, 1986 ; Lieberman, 1996 ; Bernal et al, 2006 ; Sardi et al, 2006 ; Pashetta et al, 2010)
• Une taille généralement plus grande et une importante robusticité certainement liée à une augmentation de l’épaisseur des muscles masticateurs dus aux besoins paramasticateurs (Larsen, 1995 ; Sardi et al, 2006 ; Perez et al, 2007 ; Pashetta et al, 2010).
• Une modification au niveau de la face, comme un repositionnement musculaire antérieur du masséter et du temporal peuvent induire une face plus plane (Hylander et al, 1972 ; Bernal et al, 2006 ; Paschetta et al, 2010 ; Holmes et al, 2011 ; Von Cramon-Taubade 2011, 2014).
• Une mastication robuste augmente l’épaisseur des muscles liés à la contraction du masséter et du temporal et porte une tension importante sur l’articulation temporo-mandibulaire entraînant une forme aplatie des surfaces condyliennes (Incau, 2004 ; Sardi et al, 2006)
• Une usure dentaire et une égression dentaire compensatrice liée principalement à une mastication robuste due à une alimentation dure (Larsen, 1995 ; Pashetta et al, 2010). Les populations agricoles au contraire, consomment principalement des aliments abrasifs et corrosifs (maïs, tendres céréales, cucurbitacées, tubercules, etc.) ne demandant pas une mastication importante. Néanmoins, l’augmentation de l’apparition de pathologies dentaires (Larsen, 1995 ; Incau, 2004) liées à l’alimentation (forte en carbohydrates et faible en protéines) aurait mené à une réduction de la taille des dents et de la mâchoire pour prévenir ces infections (Pinhasi et al, 2007).
Problématiques et Objectifs
Même si une majorité de chercheurs s’accordent sur l’origine ancestrale et la voie de passage des premiers peuples à avoir atteint l’Amérique, le nombre de migrations, leurs anciennetés et leurs routes de dispersions au sein du continent, reste encore discuté (Powell et Nevers, 1991 ; 1999 ; Brace et al., 2001 ; Jantz et Owsley,2001 ; Nevers et al., 2005, 2007a, 2007b ; Neves et Hubbe, 2005 ; Gonzàlez-José et al, 2008 ; Galland, 2013 ; Rhagavan et al, 2014, 2015 ; Hubbe, 2015 ; Skoglund et al, 2015 ; Galland et Friess, 2016 ; Von Cramon-Taubadel et al, 2017). Il est commun pour l’étude de l’histoire des populations d’étudier la variabilité morphologique crânienne entre populations pour retracer leurs histoires (Powell et Neves, 1999 ; González-José et al, 2004, 2008 ; Von Cramon-Taubadel et al, 2009 ; Hubbe et al, 2009 ; Galland et Friess, 2016). À ce jour, il n’y a eu que peu d’études portant sur la variation mandibulaire pour répondre à des problématiques similaires au crâne (Nicholson et Harvati, 2006). Les travaux sur la mandibule concernent davantage les relations entre alimentation et morphologie pour différencier des populations de chasseurs-cueilleurs et d’agriculteurs (Paschetta et al, 2010 ; Von Cramon-Taubadel, 2011 ; Holmes et Ruff, 2011). Par ailleurs, l’impact de l’environnement, alimentation, culture sur la variation crânienne et mandibulaire reste discuté (Von Cramon-Taubadel, 2014). Les recherches sur les premiers peuplements de l’Amérique se sont surtout concentrées sur les populations en Amérique du Sud présentant un registre fossile plus important (Powell et Neves, 1991 ; 1999 ; Hubbe, 2015). Jusqu’à nos jours encore aucune étude n’a été réalisée sur la mandibule pour répondre à des questions relatives à l’histoire des populations d’Amérique à grande échelle comprenant des populations d’Asie et d’Amérique et utilisant la morphométrie géométrique.
Pour cette recherche, nous avons ainsi souhaité évaluer l’intérêt d’étudier la variabilité morphologique mandibulaire pour répondre à des problématiques liées au premier peuplement de l’Amérique et comparer avec les résultats obtenus sur le crâne. L’objectif était de quantifier l’influence des facteurs environnementaux et culturels sur la variabilité morphologique mandibulaire et crânienne pour étudier la variabilité phénotypique des populations d’Amérique du Nord par rapport à celles du Sud, ainsi que son impact sur les problématiques liées à l’histoire de ces peuplements. Nous avons privilégié un échantillonnage provenant d’Amérique du Nord, en raison de l’influence du climat supposée beaucoup plus importante dans les zones subarctiques (Evteev et al, 2015, 2016), pour une meilleure compréhension de l’hypothèse des flux récurrents (de Azevedo, et al, 2011 ; Galland et Friess, 2016) et de l’hypothèse d’une arrivée plus récente dans l’extrême Nord (Raghavan, 2014).
Pour répondre à ces problématiques nous utiliserons les techniques de l’imagerie 3D et de la morphométrie géométrique sur un échantillon à grande échelle (populations d’Australasie et d’Amérique).
La mandibule comparée au cranium
• Comparer les différences et/ou affinités morphologiques crâniennes et mandibulaires et déterminer s’il y a corrélation entre les variations du cranium et de la mandibule.
• Déterminer s’il est possible d’utiliser la mandibule pour décrire des patterns de migrations pour répondre à des questions relatives à l’histoire des premiers peuplements en utilisant la morphométrie géométrique.
Histoire des populations
• Évaluer l’importance de l’écart chronologique entre Kennewick et les populations modernes et déterminer si Kennewick est plus proche des populations amérindiennes, asiatiques ou océaniennes.
• Évaluer si les populations Inuit sont plus proches morphologiquement des Fuégiens de Terre de Feu ou des Tchouktches de Sibérie
• Confirmer la distinction morphologique de populations dites « reliques », Pericues (Basse-Californie) et Fuégiens, ainsi que des Nicoleño (Californie) par rapport au reste des Amérindiens.
• Déterminer avec quelles populations les Tsimshians (Colombie Britannique) partagent le plus de traits morphologiques et comparer s’ils sont plus proches morphologiquement des populations du Grand Nord-Américain (issus d’une vague de migration récente) ou du reste du continent.
Influence environnementale et culturelle
• Évaluer si on retrouve des regroupements significatifs des populations en lien avec le climat ou l’alimentation sur la variabilité mandibulaire et crânienne ou si le facteur géographique domine leurs répartitions.
• Évaluer et comparer l’influence de l’environnement et de l’alimentation sur la variabilité mandibulaire et crânienne de l’Amérique du Nord par rapport au Sud.
Matériels
L’analyse porte sur 225 crânes (cranium et mandibules) adultes, tentant d’équilibrer les deux sexes (ou individus graciles et robustes) au sein de chaque population en fonction des spécimens disponibles et de leurs états de conservation. Il est nécessaire pour la comparaison que le cranium et la mandibule de chaque individu soient présents et/ou relativement en bon état de conservation. Néanmoins, dans le cas où une des populations est faiblement représentée dans la collection (Péricues, Fuégiens, Équatoriens, Aïnou, Marquisiens) nous inclurons un maximum de spécimens en privilégiant les individus les mieux préservés. Dans la mesure du possible, nous inclurons 15 individus minimum par population.
Pour cette étude nous avons inclus des populations préhistoriques, les Tsimshians provenant du Musée de l’Histoire canadienne (Gatineau, Canada) qui ont été utilisé dans des études génétiques (Verdu et al, 2014 ; Raghavan et al, 2015), mais n’a jamais été inclus dans des études en morphométrie géométrique pour répondre aux problématiques liées au premier peuplement de l’Amérique. Ces populations sont les ancêtres des Premières Nations Metlakatl, et Lax Kw’alaams.
Nous avons sélectionné dix-sept populations (Fig.7), dont neuf amérindiennes (Américains natifs) provenant de régions géographiques et climatiques distinctes réparties sur l’ensemble du territoire américain (du Groenland jusqu’en Patagonie) : Inuit, Mexicains, Chumash (Santa Cruz, San Miguel), Nicoleño (San Nicolas), Équatoriens, Tehuelches (Patagons), Fuégiens (Selknam, Yamana) et Péricùes (Basse-Californie) provenant du Musée de l’Homme (Paris) ; les Tsimshians situés au Prince Rupert en Colombie-Britannique (Canada) provenant du Musée de l’Histoire canadienne (Québec), et un fossile paléoaméricain: l’Homme de Kennewick (Washington, États-Unis, 9200-9600 BP ; Chatters, 2000 ; Rasmussen et al, 2015). L’échantillon comparatif est composé de huit populations d’Asie de l’est (de Sibérie jusqu’en Tasmanie) : Tchouktches, Aïnous, Mongols, Japonais, Thaïlandais, Marquisiens, Australiens et Tasmaniens provenant du Musée de l’Homme (Paris). Ces populations ont été choisies notamment, car elles présentent certains traits morphologiques proches des Premières Nations et Paléoaméricains (Powell et Neves, 2005 ; Brace et al, 2001).
Par ailleurs, les populations ont été sélectionnées d’une part pour couvrir un large spectre d’environnements et de climats (de polaire à tropical) et d’autre part pour représenter différents comportements de subsistances (de chasseurs-cueilleurs à agriculteurs).
Nous avons décidé d’une part de privilégier les populations d’Amérique du Nord, car ce territoire est une voie de passage clé dans notre compréhension des voies de dispersion en Amérique. D’autre part nous avons également pris en compte un plus grand échantillon de populations localisées sur la côte Pacifique (Tsimshian, Chumash, Nicoleño, Pericùes, Équatoriens et Fuégiens) qui correspondrait probablement à la première route de migration empruntée par les premières populations arrivant sur le continent américain. Notre individu fossile, l’Homme de Kennewick est aussi localisé sur la côte Pacifique.
Nous nous sommes intéressés également à l’impact de l’isolement géographique sur la variabilité morphologique en incluant des populations dites « reliques », les Pericùes et les Fuégiens ainsi que les Nicoleño qui sont proches morphologiquement des paléoaméricains (González-José et al., 2003 ; Galland et Friess, 2016).
Collections
L’inventaire des collections est exposé en annexe (A.I), il existe relativement peu d’informations relatives à la collecte, la chronologie, et certains individus n’ont pu être associé avec précision à une tribu ou groupe des Premières Nations (Mexique). En se basant sur les informations archivées dans les collections des Musées et les articles afférents nous avons tentés de décrire un portrait global de ces différentes populations.
Amérique du Nord
Les peuples Inuit du Groenland (n=15)
Ces populations se situent au Groenland (Fig.8) dans le cercle arctique dans l’hémisphère Nord dans les plus hautes latitudes du globe causant des limites physiques et biologiques propres aux environnements de l’Arctique qui se traduit par une absence d’énergie thermique, une circulation atmosphérique froide et aride, et, peu de précipitation (exclusivement de la neige). Également l’absence de barrière naturelle et la haute latitude rendent les vents particulièrement violents. Cette latitude joue aussi un rôle important sur la saisonnalité. En effet le photopériodisme (l’alternance du jour et de la nuit) en Arctique est un phénomène entraînant des temps de l’année où il fait jour continuellement pendant certaines périodes et inversement. Se situant dans une cellule atmosphérique polaire, les sols de ces territoires restent gelés durant toute l’année (permafrost), excepté pour certaines zones sous des grandes étendues d’eau (Fjord). Les températures sont en général arides, mais on peut retrouver des contrastes dans cette distribution autour du cercle arctique. Au Groenland durant l’été par exemple les températures sont très basses sur la calotte glaciaire (cellule polaire), mais douce sur les côtes. Ces phénomènes particuliers ont évidemment un impact sur la topographie, la faune et la flore. (Bourque, 2012)
Comportement de subsistance
La culture de la chasse est primordiale chez les Inuit qui avaient organisé leurs modes de vie en fonction de la saisonnalité en faisant des peuples semi-nomades à mobilité logistique. Ils chassent principalement des mammifères marins (phoques, baleines, bélugas, etc.)
Les Tsimshians (n=52)
Les Tsimshian (phonétiquement, sh IH m – sh EE – UH n) ou « peuple de la rivière Skeena » constitue un ensemble de communautés autochtones situées sur la côte Nord-Ouest du Pacifique, appartenant à la famille linguistique « Tsimshiane ». Ces populations se situent dans la région de Prince Rupert en Colombie-Britannique au Canada et sont issues de plusieurs séries de fouilles de sauvetage de 1966 à 1978 menés par le musée National du Canada à la suite de nombreuses érosions mettant au jour des sites archéologiques et cimetière amérindien. (Cybulski, 1978 ; McDonald F. G Inglis R, 1981). Les fouilles ont mis aux jours cinquante sites le long de Prince-Rupert Harbour et les datations carbones 14 attestent d’une occupation du territoire aux alentours de 5,000 ans en faisant une des régions occupées les plus anciennes au Canada (Fig. 9).
Les territoires des Tsimshians sont traversés par de nombreux affluents dont deux fleuves Nisga’a et Skeena qui se jettent dans le détroit Hecate dans l’océan Pacifique. Le territoire est séparé entre les fjords sur la côte et les grandes forêts à l’est assurant une diversité faunique importante. Ils étaient entourés au nord (Alaska) par les Tlingit, à l’ouest (Îles de la Reine Charlotte) par les tribus Haïda, et à l’est dans les terres par les Gitksan et les Nisga’a avec qui ils entretenaient de nombreux échanges, mariages, rituels et guerres. La préhistoire de la région fut délimitée en trois grandes périodes par G. Macdonald et Inglis R (1981).
Prince Rupert III (3500 – 1800 BC) : cette période est la moins bien documentée en raison des faibles assemblages archéologiques et des zones d’occupation réduites. La technologie lithique et l’assemblage faunique attestent d’un mode de vie chasseurs-cueilleurs-collecteurs, avec une économie de subsistance axée principalement sur la chasse de faune terrestre (wapiti et cerfs principalement), et secondairement sur la pêche et la collecte de mollusques. Les découvertes archéologiques suggèrent que les territoires du Prince Rupert étaient occupés majoritairement durant l’hiver (Macdonald et Inglis R,1981).
Prince Rupert II (1800 BC – 500 AD) : Cette période est marquée par un grand changement dans le mode de vie de ces populations avec l’apparition de villages permanents (occupation toute l’année) avec de larges habitations faisant sûrement référence à une augmentation de la population. Les assemblages archéologiques attestent de nouvelles pratiques culturelles dont l’apparition de zones dédiées aux morts (casier rectangulaire, fosses découvertes avec offrandes) et d’un matériel funéraire probablement dépendant du statut social de l’individu (matière exotique, parures), très peu de femmes furent retrouvées dans les cimetières. Les études ostéologiques dépeignent une période d’hostilité entre les différents groupes de la région (Cybuslky,1978). L’économie de subsistance contrairement à la période précédente est principalement basée sur la pêche (saumon, poisson-chandelle, flétan, etc.) et la chasse d’animaux marins (phoques) et l’assemblage faunique marque un déclin de la chasse d’animaux terrestres. Les individus issus des fouilles de sauvetage sont majoritairement issus de cette période (A, I)
• Le site GbTo-18 est daté de 2 000 BC à 1700 AD,
• Le site, GbTo-23 de 2000 BC à 1100 AD – 1700 AD,
• Le site GbTo-30 de 1 AD à 1700 AD,
• Le site GbTo-31 de 1800 BC à 1700 AD,
• Le site GbTo-33 de 4000 BC à 1100 AD,
• Le site GbTo-36 de 3000 BC à 1500 AD.
La dernière période, Prince-Rupert I commence en 500 AD, où il y a continuité des pratiques culturelles de la période II jusqu’ à la période de contact avec les Européens qui est marquée par l’abandon progressif de leurs modes de vie (abandon des cimetières amérindiens entre autres) vers une économie basée sur les échanges avec les Européens (poste de traite des fourrures). En 1830, en raison des guerres commerciales liées à la traite des fourrures, les territoires du Prince Harbour sont abandonnés et relocalisés au Fort Simpson au nord. Cette relocalisation est marquée par une grave épidémie de variole qui décima la majeure partie de la population amérindienne. De nos jours, les descendants de ces populations se regroupent en sept tribus dont font partie les Metlakatla et les Lax Kwa’alaams.
L’Homme de Kennewick
L’Homme de Kenniwick (Fig.10) est un squelette paléoaméricain découvert dans l’État de Washington dont les résultats 14C confirment que le squelette était daté entre 9200 et 9600 BP le classant dans les rares spécimens fossiles anciens découvert en Amérique. Son affinité « caucasienne » entraîna un déferlement médiatique qui sous-entendait un premier peuplement d’origine européenne, car le squelette n’était pas d’aspect « mongoloïde » comme les Amérindiens modernes (Chatters, 1999, 2000 ; Rasmussen et al, 2015).
La revendication des restes humains par la NAGPRA (« Native American Graves Protection and Repatriation Act »), mena à de nombreuses controverses par la communauté scientifique jusqu’à un procès porté par plusieurs chercheurs, dont Douglas Owsley, C. Loring Brace et Dennis J Stanford, n’arrivant pas à un consensus sur son affinité morphologique. Les recherches menées par Joseph F. Powell (2005) et Brace et al (2001) sur l’homme de Kenniwick approuvèrent de grandes différences morphologiques avec les Amérindiens et les Asiatiques de l’Est, mais des affinités avec les Polynésiens-Mélanésiens et les fossiles préhistoriques du Japon (Aïnous), suggérant une migration en provenance de l’Asie. Les analyses génétiques, néanmoins l’associent aux Amérindiens et indiquent une continuité entres les Paléoaméricains et les Amérindiens de cette région et du continent (Raghavan et al, 2015). En 2016, les restes ont été rendus aux communautés autochtones pour l’enterrer au sein de la réserve de Washington.
Comportement de subsistance
Les analyses isotopiques indiquent que l’homme de Kennewick aurait une alimentation basée majoritairement sur la pêche (à 70%) et qu’il consommait surtout du saumon (Chatters, 2000)
Chumash
Les iles Channel se situent à l’ouest de la Californie aux États-Unis dans l’Océan Pacifique (Fig.11). Durant la dernière glaciation les quatre iles ne formaient qu’une seule grande ile relativement proche du continent, mais suite au retrait du glacier et phénomène isostatique, le complexe des iles Channel se sépara et ces populations furent isolées du reste du continent autour de -11 000 BP et devinrent endémiques aux territoires (e.g. le mammouth nain: Mammuthus exilis découvert à Santa Rosa, Santa Cruz et San Miguel, Semprebon et al, 2015). Les recherches archéologiques attestent d’une occupation humaine autour de -12 000 BP (Valentin, 2010). D’après les récits et almanachs de Californie, Léon de Cessac aurait collecté les restes ostéologiques dans des cimetières amérindiens.
San Miguel et Santa Cruz
Les iles sont situées au Nord-Ouest, le climat est méditerranéen, les étés sont doux et les hivers humides avec de fortes précipitations, la basse altitude des côtes ne protège pas l’ile des vents violents et de l’aridité, mais l’environnement côtier était très riche en espèces marines. L’arrivée des Européens et l’introduction de nouvelles espèces domestiques (chèvres, moutons, chevaux) a eu un impact important sur l’écosystème de l’ile, perturbant la biodiversité et le système hydrographique (Kerr, 2004 ; Rick, 2013).
Comportement de subsistance
Les recherches ethnologiques et archéologiques décrivent une population exploitant essentiellement les ressources marines en raison du climat aride de la région, leurs économies de subsistance sont basées majoritairement sur la pêche et la collecte de crustacés. Ils chassaient également du petit gibier (renard) et des mammifères marins (phoques, baleines, etc) et des oiseaux durant leurs migrations pour compléter leurs alimentations (Rick, 2013). Contrairement aux populations continentales, ceux des iles ne consommaient pas de maïs ou seulement par échanges entre groupes. D’après les registres ethnographiques, leurs subsistances dépendaient beaucoup des échanges entre les iles et la côte sur lesquels se reposaient leur économie et organisation sociale (Jesse D. Masson, 1883).
“The coast where they passed was very populous. They brought them a large quantity of fresh sardines, very good. They say that inland there are many villages and much food; these did not eat any maize” (Juan Rodriguez Cabrillo, 1542)
Nicoleño
San Nicolas
Cette population était originaire de l’île San Nicolas au Sud-Ouest du complexe des îles Channel. Les missionnaires déportèrent les Nicoleño des terres en 1800 et les rassemblèrent avec les populations Chumash (Valentin, 2010). Néanmoins, la dernière représentante, Juana Maria ou « The Lone Women » était restée sur l’île et fut retrouvée au 19e siècle et rapatriée
à Santa Barbara. D’après les témoignages de l’époque celle-ci ne parlait pas la même langue que les Chumash supposant que les Nicoleño étaient une population isolée du reste des îles Channel et du continent (Kerr, 2004 ;Valentin, 2010). Comme les autres îles, on retrouve un climat méditerranéen et une végétation éparse due aux vents océaniques, néanmoins contrairement aux îles Channel du Nord, San Nicolas est annuellement couverte par le brouillard rendant l’île difficilement accessible (Kennett et al, 2007 ; Valentin, 2010). Comportement de subsistance
Les comportements de subsistance sont équivalents aux autres îles Channel. Comme les Chumash leurs alimentations étaient exclusivement basées sur la pèche et la collecte de crustacés et mollusques, secondairement de chasse de petits gibiers et saisonnièrement de mammifères marins et oiseaux migrateurs (Kennett et al, 2007)
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Table des matières
Introduction
Origine(s) et premières hypothèses
Le Passage en Amérique
Théories du “Clovis First”
L’hypothèse solutréenne
Le modèle linguistique
Les modèles de peuplement
Modèle à une migration
Modèle à deux migrations
L’hypothèse des flux géniques récurrents
Le cas des Inuit
Variation humaine
Génétique des populations
Variabilité morphologique crânienne
Adaptation aux climats extrêmes
Les stress biomécaniques liés à l’alimentation
Problématiques et Objectifs
Matériel
Collections
Amérique du Nord
Amérique du Sud
Asie
Méthodes
Détermination de l’âge et du sexe
Usures et Pathologies dentaires
Morphométrie géométrique
Analyses statistiques
Résultats
Erreur intra-observateur
Usures et Pathologies dentaires : observations et comparaison avec la littérature pour l’estimation du régime alimentaire
Pattern de Variation
Les Tsimshians
Affinités entre populations
Affinités des populations avec Kennewick
Analyse de covariance « Two Block Partial Least Square » (2BPLS)
Test de Mantel
Discussion
Conclusion
Perspectives
Bibliographie
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