Les stratégies de revitalisation commerciale à l’ère de la métropolisation
Si nous pouvons aujourd’hui questionner les stratégies commerciales menées par les acteurs publics au sein des métropoles et des autres agglomérations, il est important de saisir les enjeux que soulève le développement des activités commerciales (localisation, forme, accessibilité, offre…). Ainsi, le commerce, et plus généralement la fonction économique à laquelle il se rattache, a connu de nombreuses évolutions liées à l’économie elle-même (industrialisation, mondialisation…) mais également à l’évolution de l’organisation des territoires et notamment la métropolisation. Cette dernière a en effet engendré de nouvelles stratégies portées par différents acteurs, un système complexe lié à la discipline de l’urbanisme commercial, elle-même pas totalement saisie par ces acteurs.
Le commerce : fonction urbaine structurante des territoires
Afin de saisir les enjeux actuels, il faut d’abord revenir sur le rôle de l’activité commerciale dans le développement des territoires, plus particulièrement dans les différents espaces urbains : la ville son centre et sa périphérie.
Le rôle de l’activité commerciale dans l’aménagement du territoire
De tout temps, l’activité commerciale et plus généralement l’activité économique a fondé l’existence des échanges entre les individus d’une même société. Plus particulièrement dans les villes, où la fonction économique est une des fonctions urbaines fondamentale afin d’assurer son fonctionnement.
Développement urbain et économie, des liens démontrés par l’histoire
Dans un premier temps, nous pouvons revenir sur les liens historiques entre ville et commerce. Cette interrelation entre ville et commerce est traitée et surtout attestée par de nombreux auteurs. Le premier élément qui illustre cette relation est celui du commerce comme source de richesse, plus particulièrement le commerce de détail et l’artisanat. En effet, comme le précise Gérard-François Dumont dans « L’évolution économique des centres-villes » (1997), la place du marché tient une importance notable dans la croissance des villes au cours du temps : « La ville ne se conçoit pas sans ses commerçants, marchands itinérants, artisans et fermiers qui finissent par constituer un quartier dans lequel le marché augmenté de rues spécialisées tient une place majeure », cela depuis le Moyen-Age. C’est en effet le trinôme « château, cathédrale ou église et marché », qui caractérise la ville depuis ce temps, et qui fait référence à trois fonctions majeures de la ville. Cette place de marché représentait à la fois les échanges, les flux, mais aussi la centralité de par sa position et des autres fonctions urbaines qu’elle accueillait, notamment le pouvoir politique et toutes les fonctions urbaines supérieures. A ce moment-là, le marché de proximité tient donc une place très importante, notamment sur le plan des échanges. Ainsi, G-F Dumont souligne que la ville est alors perçue de deux manières : de manière négative comme un lieu de luxe ou de perversion où l’on consommait toutes les richesses de la terre, et de manière positive dans le cadre des échanges entre la population des villes et celle des campagnes, permettant le savoir, l’innovation, la finance… le développement de l’artisanat et du commerce était alors moteur de la croissance urbaine.
Peu à peu, la place du marché va se marginaliser avec l’apparition des magasins spécialisés (XVIIIème siècle). Ensuite, dès le XIVème siècle, le commerce urbain prend une nouvelle forme avec le développement du commerce extérieur, et des imports-exports de produits de luxe grâce aux routes commerciales. Il n’en reste pas moins que, bien que le commerce international soit un sujet beaucoup plus traité par les auteurs, les statisticiens etc… le commerce de détail, pour des auteurs comme l’historien Pirenne ou J. Beaujeu-Garnier et G. Chabot, reste l’élément central de la constitution des villes. Ces derniers écrivent notamment que : « La fonction commerciale apparaît souvent comme la fonction fondamentale. […] Et certains auteurs ont inclus cette fonction dans la définition même de la ville, tant elle paraissait inhérente à la vie urbaine […] ». Ensuite, la grande période qui va impacter fortement la ville est celle de l’industrialisation. Celle-ci débute au XIXème siècle et se caractérise par un essor de l’industrie qui pénètre dans la ville et vient s’ajouter à ses autres fonctions. Les industries s’implantent autour et dans les villes, les commerces quant à eux se localisent le plus souvent dans les grandes artères et les grandes avenues, ainsi que les marchés de proximité qui perdurent encore. L’artisanat est plus diffus dans toute la ville. Dans la seconde moitié du XIXème siècle se développe également au sein des villes les premiers centres commerciaux, comme à Paris ou à Bruxelles, cela est synonyme de renouveau pour les centres villes des capitales européennes. Cette nouvelle centralité se renforce également avec l’arrivée des banques et assurances, des sièges sociaux de grands groupes industriels, qui marque le début du rayonnement économique des centres villes. Il est important de noter que c’est à ce moment-là que la première définition économique de la ville est donnée, par Max Weber. Selon lui la ville : « C’est là où la population satisfait une part économiquement substantielle de ses besoins quotidiens sur le marché local, surtout grâce à des produits que la population locale et celle des environs ont fabriqués ou qu’elles se sont procurés pour les vendre sur le marché » (1921). Cette définition, bien que ne prenant pas en compte ce qui se passera dans le futur concernant la mondialisation de l’économie, met bien en avant le fait qu’aujourd’hui encore « l’économie locale » (pain, fruits et légumes…) est très présente dans les villes. Puis, l’expansion de l’industrialisation mêlée à la croissance démographique des villes et l’urbanisation massive va changer le fonctionnement de celles-ci. Certaines villes se développent autour de sites industriels comme Roubaix en France, l’industrialisation donc dans ces cas-là change la forme des villes qui deviennent industrielles, avec la création de logements ouvriers. Dans une autre mesure, elle entraine également une modification des emplois exercés par les habitants. Après cette période, au XXème siècle et plus particulièrement dans les années 80, arrive celle du développement en périphérie des villes où les entreprises trouvent des conditions d’implantation plus favorables qu’en centre-ville. C’est donc dans la banlieue que se créée une nouvelle économie, presque autonome, car les habitants des banlieues ont un fort pouvoir d’achat. Débute en parallèle le mouvement d’appauvrissement des centres que nous connaissons encore aujourd’hui.
Le développement des zones commerciales périphériques, illustration des nombreux liens entre commerce et urbanisme
Afin d’illustrer les liens que peuvent entretenir le commerce et l’urbanisme, nous pouvons utiliser l’exemple du développement des zones périphériques. En effet, à travers ce phénomène, des changements sur le territoire sont apparus à plusieurs niveaux : morphologique, foncier, environnemental, économique… de ce fait, se dégagent aujourd’hui de nombreux enjeux quant à une planification renforcée des commerces qui s’implantent dans les zones périphériques et donc une appropriation de la thématique commerciale par les urbanistes.
Afin de comprendre et de qualifier le contexte, un constat a été réalisé, celui d’une surproduction des surfaces commerciales ces dernières années, qui s’apprécie au regard du nombre d’autorisations émises par les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) . Depuis 2004, selon les chiffres de l’AdCF, les commissions autorisent chaque année plus de 3 millions de m² de nouvelles surfaces de vente, cette croissance se fait forte jusqu’en 2012 .
En comparaison, sur la même période, le parc de logement global en France a stagné, ce qui illustre le décalage entre la production croissante de commerces, mais une situation de stagnation du logement et donc du potentiel de consommation des villes. En effet, aujourd’hui le seuil de surproduction a été atteint, et entraine donc un décalage entre les mètres carrés produits et les besoins des consommateurs. Car, si le stock de projets autorisés ou en cours dépasse largement la capacité d’absorption du territoire, cela créer une surdensité de l’offre et à terme un phénomène de vacance commerciale qui s’amplifie, une concurrence accrue entre les enseignes et donc des magasins qui ferment, des friches commerciales… Les enjeux qui en découlent touchent plusieurs thématiques, y compris celle de l’urbanisme et pas seulement des éléments économiques et sociaux. En effet, nous pouvons évoquer des impacts sur la préservation des espaces naturels et agricoles, de par l’étalement urbain qui résulte de la création des surfaces commerciales. Nous retrouvons également des impacts en termes de production de paysages urbains de faible qualité (banalisation des entrées de ville et standardisation de l’architecture commerciale). Enfin, des déséquilibres importants apparaissent entre les périphéries et les centres villes, concernant notamment les flux de circulation inégalement répartis (Ministère de l’environnement de l’énergie et de la mer, ministère du logement et de l’habitat durable, rapport : « Inscrire les dynamiques du commerce dans la ville durable », 2017).
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Les stratégies de revitalisation commerciale à l’ère de la métropolisation
1.1 Le commerce : fonction urbaine structurante des territoires
1.2 L’urbanisme commercial : naissance d’une discipline pour faire face aux enjeux de développement commercial
1.3 Acteurs publics et urbanisme commercial : une gouvernance complexe des projets commerciaux
2. Gouvernance métropolitaine des stratégies et des projets dans les centres villes : le cas de la métropole Aix-Marseille Provence
2.1 Présentation du terrain d’étude et de la méthodologie de l’enquête
2.2 1ère partie de l’enquête : Les politiques et stratégies commerciales à l’échelle d’AMP, pour comprendre et définir la situation actuelle
2.3 2ème partie de l’enquête : A l’échelle des centres villes : quels enjeux de gouvernance sur la revitalisation des commerces ?
CONCLUSION