Les stratégies de photoprotection chez Tisochrysis lutea

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La photosynthèse chez Tisochrysis lutea

Ce chapitre présente un résumé des résultats ayant été valorisés dans l’article « The Fucoxanthin Chlorophyll a/c-Binding Protein in Tisochrysis lutea: influence of nitrogen and light on FCP gene expression and fucoxanthin synthesis. » publié dans le journal Frontiers in Plant Science, Plant Biotechnology en février 2022. Il comporte des précisions sur le matériel et les méthodes utilisés ainsi qu’un résumé des résultats principaux décrits dans l’article, présenté en fin de chapitre.

Contexte et objectifs

Tandis que la voie métabolique exacte de la fucoxanthine chez les algues brunes soit à ce jour inconnue, il est possible de mieux comprendre la façon dont les cellules synthétisent ce pigment. Comme précisé dans le Chapitre 1, section 2.2.1., La fucoxanthine fait partie de l’antenne collectrice de lumière, elle se fixe avec d’autres pigments à la Fucoxanthin Chl a,c binding Protein (FCP) afin de capturer les photons et initier la chaîne de transport d’électrons de la photosynthèse. Étudier l’antenne collectrice de T. lutea dans son ensemble permet donc de comprendre la réponse physiologique précise de la microalgue en fonction des paramètres majeurs dans la synthèse de fucoxanthine, l’intensité lumineuse (l’irradiance) et les nutriments (notamment l’azote).
Les études sur la structure des FCPs et les gènes lhc ont été principalement menées sur des diatomées, dont les mécanismes photosynthétiques et photoprotecteurs sont actuellement bien décrits contrairement aux microalgues haptophytes [101]. Comme évoqué précédemment (voir le Chapitre 1, section 2.2.1.), l’étude de Wang et al. détaille avec précision les séquences et la conformation des protéines Lhcf, Lhcr et Lhcx composant la FCP chez la diatomée modèle P. tricornutum [105]. Les sites de liaison des Chl a, des Chl c, et des molécules de Fx ont été identifiés sur les acides aminés des protéines Lhcf de la microalgue et il a été démontré que la proximité spatiale des molécules de Chl a et de Fx permet de rendre très efficaces le transfert et la dissipation de l’énergie lumineuse chez P. tricornutum [124–127]. En s’appuyant sur la littérature scientifique et notamment sur les travaux de Wang et al., il est alors possible de proposer une caractérisation de la FCP chez T. lutea et de préciser la classification des gènes lhc composant la FCP chez les haptophytes.
Les objectifs de cette étude étaient dans un premier temps d’identifier par analyse de similarité les gènes lhcf, lhcr et lhcx codant pour la FCP chez T. lutea, puis d’identifier des sites candidats pour la fixation des Chl et de la Fx sur les protéines Lhcf. Dans un second temps, nous avons investigué la plasticité physiologique de T. lutea au niveau de l’antenne collectrice de lumière, c’est à dire au niveau de la FCP et des pigments associés. Ainsi, la transcription des gènes lhc ainsi que l’accumulation des caroténoïdes dans les cellules, dont la fucoxanthine, ont été étudiées en fonction de l’apport en N et de l’irradiance. Pour cela, les cultures de T. lutea ont été soumises soit à une lumière continue soit à un cycle jour/nuit, dans des conditions de limitation ou de réplétion en N.

Matériel et méthodes

Cette section a pour objectif de détailler la méthode d’analyse transcriptomique des gènes d’intérêt de T. lutea pour la présente étude du Chapitre 2 et celle du Chapitre 3.

Principe général de l’analyse transcriptomique

L’analyse transcriptomique, ou analyse RNAseq (RNA sequencing), étudie l’ensemble des ARN produits lors de la transcription du génome d’un organisme. L’ARN, ou acide ribonucléique, est synthétisé dans le noyau à partir de l’ADN durant la phase de transcription (Figure 24). Les gènes peuvent donc être transcrits ou non transcrits. La transcription des gènes peut être constitutive et/ou peut répondre à un stimulus de l’environnement des cellules. Par exemple, une variation de lumière influe sur les gènes liés à la photosynthèse dans l’antenne collectrice de lumière [120]. Les ARN messagers (ARNm) sont les ARN servant de matrice pour la synthèse des protéines. Après maturation, les ARNm sont transportés dans le cytoplasme de la cellule et peuvent être traduits en protéines (Figure 24). Parfois, la transcription et la traduction ne sont pas corrélés. L’analyse transcriptomique permet donc d’analyser les gènes transcrits dans les cellules, de les quantifier (un gène pouvant être transcrit de multiples fois), de démontrer que certains gènes spécifiques sont effectivement transcrits et de comparer l’effet individuel ou l’effet croisé de différentes conditions environnementales sur un organisme.
Figure 24. Schéma simplifié des processus de transcription et de traduction dans une cellule de T. lutea. ARNm = ARN messager.
À partir d’une culture de microalgues, les ARN totaux sont extraits, puis les ARNm possédant une queue poly(A), i.e. les ARN polyadénylés, sont sélectionnés. La polyadénylation est l’ajout de ribonucléotides adénosine (A) à l’extrémité des ARNm pendant la phase de maturation, elle permet aux ARNm d’être stables et transportables vers le cytoplasme. Les ARNm sélectionnés sont ensuite fragmentés, puis amplifiés avec le même nombre de cycles (de sorte à pouvoir les quantifier), et enfin séquencés avec la technologie Illumina (séquençage NGS = Next Generation Sequencing). Le séquençage Illumina est basé sur la synthèse d’un brin correspondant à chaque fragment, soit sur l’ajout séquentiel de nucléotides. Chaque nucléotide émet une fluorescence unique lorsqu’il est ajouté au cours du séquençage, ce qui permet de l’identifier (Figure 25). Le séquençage est simultané pour tous les fragments.
Figure 25. Analyse en cours d’un séquençage NGS. Chaque point représente l’ajout d’un nucléotide sur un fragment. La couleur du point indique la nature du nucléotide en cours d’ajout. Crédit image : Shendure et al., Science, 2005 [404].
Les « reads » correspondant aux différents fragments d’ARN sont ensuite récupérés. Comme les fragments ont été amplifiés, il y a un grand nombre de reads correspondant à un seul fragment. Si un gène est transcrit plusieurs fois, il y aura de nombreux fragments associés, et un nombre de reads proportionnel.
Le traitement bioinformatique des reads se déroule ensuite en plusieurs étapes. La qualité des reads est contrôlée, les éventuels ARN ribosomaux restants (qui ne sont normalement pas sélectionnés avec les ARNm poly(A)) sont éliminés, les adaptateurs également (spécifiques au séquençage Illumina, ils permettent de fixer les fragments lors du séquençage). Puis la qualité des reads dits corrigés est de nouveau contrôlée. Ensuite, les reads sont alignés sur un génome de référence (ou bien un transcriptome) dont les gènes sont annotés, afin que les reads soient attribués aux gènes correspondants. Les reads s’alignant sur des gènes correspondent donc à des gènes qui ont été transcrits. Ces derniers sont ensuite comptés puis normalisés (en général par leur taille). Il est alors possible d’analyser statistiquement les transcrits (par une analyse de l’expression différentielle entre un ou plusieurs facteurs, par un suivi de l’évolution de l’expression).

Méthode et outils utilisés

Après extraction des ARN totaux des cultures de T. lutea au laboratoire, le séquençage a été effectué par la plateforme GENOTOUL de l’INRAE de Toulouse (France). Ensuite, le traitement bioinformatique des reads pour chaque échantillon a nécessité l’utilisation du supercalculateur DATARMOR, localisé au Centre IFREMER Bretagne. Dans un premier temps, la plateforme internet Galaxy a été utilisée pour accéder aux outils de calcul DATARMOR de manière simplifiée. Puis, afin d’avoir plus de libertés dans les commandes et les paramètres de calcul, DATARMOR a été utilisé en ligne de commande.
La qualité des reads a été évaluée une première fois avec l’outil FastQC pour chaque échantillon [405]. Le score étant élevé, cela a mis en évidence que seuls les reads des ARN poly(A) avaient bien été sélectionnés pour le séquençage. L’élimination des adaptateurs des reads a ensuite nécessité l’utilisation de l’outil TrimGalore [406]. La qualité finale a été évaluée avec FastQC, et les reads ont été validés pour chaque échantillon. Le programme d’alignement HISAT2 [407] a ensuite été utilisé afin d’aligner les reads sur le génome de référence de T. lutea [408] afin de les référer aux gènes correspondant. Ensuite, pour plus de facilité, les outils de calculs ont été utilisés via l’environnement RStudio et la programmation en R. L’outil featureCounts [409] a été utilisé pour compter la totalité des transcrits par gène pour chaque échantillon. Tous les comptages ont ensuite été normalisés avec l’outil DESeq2 [410]. Puis, les gènes d’intérêt (lhcf, lhcr, lhcx) ont été sélectionnés et regroupés dans une table présentant le nombre normalisé de transcrits par gène et par échantillon.

Résultats et discussion

Précision de la classification des gènes lhc chez les algues Chromistes

À la lumière de l’étude bibliographique et des résultats de cette étude, les gènes lhcf ont été subdivisés en quatre groupes phylogénétiquement distincts et représentant les haptophytes (2 groupes), les diatomées (1 groupe), et les algues brunes (1 groupe). T. lutea possède 52 gènes lhc qui ont été identifiés par de multiples recherches de similarité et des alignements : 28 gènes lhcf, 12 gènes lhcr et 12 gènes lhcx. La proportion de lhcr suggère que la capture de la lumière chez T. lutea est importante dans le PSI tandis que chez une autre haptophyte, Emiliania huxleyi, elle se déroule principalement dans le PSII.

Identification des sites de fixation de la fucoxanthine et des chlorophylles

La comparaison des sites de fixation des pigments de P. tricornutum avec les séquences protéiques Lhcf de T. lutea suggère que T. lutea possèderait au moins neuf molécules de Chl et cinq de Fx se répartissant sur plusieurs séquences protéiques Lhcf. Trois séquences Lhcf possédant très peu de ces sites de fixation correspondent aux trois gènes transcrits les plus exprimés. Il est probable que ces séquences possèdent un rôle structurel très important dans la FCP plutôt que la fixation de pigments. Bien que la conformation exacte de la FCP de T. lutea reste inconnue, ces résultats suggèrent fortement que la capacité de capture de la lumière des haptophytes est similaire à celle des diatomées.

Expression des gènes lhcf, lhcr et synthèse de la fucoxanthine

Influence de la lumière

Les analyses transcriptomiques ont montré que les gènes lhcf et lhcr étaient exprimés le jour et peu voire non exprimés la nuit. À l’inverse, les pigments photosynthétiques comme la fucoxanthine s’accumulaient la nuit dans les cellules. Ces résultats suggèrent que les cellules ont synthétisé le complexe FCP pendant le jour afin de permettre la fixation des pigments photoprotecteurs, en anticipant l’accumulation et donc la fixation des pigments photosynthétiques à plus faible lumière. Il existe donc un compromis entre le besoin de photoprotection le jour, et le processus de capture de lumière particulièrement actif en début de nuit à faible lumière.

Influence de la disponibilité en azote

Il a été suggéré que la FCP représentant une fraction constante du quota d’azote total (qN) dans les cellules [411]. En passant d’une condition de limitation à une condition de réplétion en N, puis de la réplétion à la déplétion en N, il y a eu respectivement une augmentation puis une diminution significative de l’expression des lhcf et lhcr ainsi que du contenu en Fx. Ces résultats suggèrent une corrélation entre la fixation de la Fx sur les séquences Lhcf et Lhcr, si les gènes lhcf et lhcr transcrits sont effectivement traduits en protéines.

Expression des gènes lhcx et synthèse des pigments photoprotecteurs

La Dtx a été accumulée durant le jour contrairement à la Ddx, corroborant le rôle de la Dtx dans la photoprotection et illustrant la dé-époxydation progressive de la Ddx en Dtx. Cependant, la Ddx n’a pas été totalement dé-époxydée en Dtx, suggérant que la Ddx peut également jouer le rôle de pigment photosynthétique secondaire. En parallèle, les gènes lhcx ont été plus exprimés le jour. Ces résultats sont similaires à de nombreuses études chez les diatomées [118,120,412–414], et révèlent la corrélation entre les gènes lhcx spécifiques à la photoprotection, et le cycle de pigments xanthophylles photoprotecteurs Ddx-Dtx.

Conclusion

La FCP de T. lutea a été caractérisée pour la première fois dans cette étude, de trois manières différentes. Dans un premier temps, 52 gènes lhc codant pour la FCP de T. lutea ont été annotés. Ils ont ensuite été classés en 3 familles : lhcf, lhcr, lhcx. Le sous-groupe lhcz a été identifié au sein du clade lhcr de T. lutea. Ensuite, le potentiel de capture de la lumière de T. lutea a été évalué en localisant des sites de fixation putatifs des pigments sur les protéines Lhcf. En cherchant à redevenir stable, les molécules de Fx peuvent probablement transférer rapidement les électrons issus de leur état d’excitation aux Chl a et ainsi activer la chaîne de transport d’électrons. Enfin, l’expression des gènes lhc a été analysée. L’étude d’un cycle photopériodique dynamique et d’une variation de disponibilité en N a démontré une dynamique très sensible des pigments photosynthétiques et photoprotecteurs, ainsi qu’une nette différence dans l’expression des gènes lhc.

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Table des matières

Chapitre 1 – Introduction et état de l’art
1. Les microalgues
2. La photosynthèse et les pigments
3. La fucoxanthine
4. Objectifs de la thèse
Chapitre 2 – La photosynthèse chez Tisochrysis lutea
1. Contexte et objectifs
2. Matériel et méthodes
3. Résultats et discussion
4. Conclusion
5. Article : The Fucoxanthin Chlorophyll a/c-Binding Protein in Tisochrysis lutea: influence of nitrogen and light on FCP gene expression and fucoxanthin synthesis.
Chapitre 3 – Les stratégies de photoprotection chez Tisochrysis lutea
1. Contexte et objectifs
2. Matériel et Méthodes
3. Résultats et Discussion
4. Conclusion
5. Article : Light-response in two clonal strains of the haptophyte Tisochrysis lutea: evidence for different photoprotection strategies.
Chapitre 4 – La production de fucoxanthine par Tisochrysis lutea
1. Contexte et objectifs
2. Matériel et méthodes
3. Résultats et Discussion
4. Conclusion
Chapitre 5 – Optimisation d’un procédé d’extraction et de purification de la fucoxanthine
1. Contexte et objectifs
2. Matériel et méthodes
3. Résultats et discussion
4. Conclusion
5. Article : Improving the extraction and the purification of fucoxanthin from Tisochrysis lutea using centrifugal partition chromatography.
Chapitre 6 – Discussion générale, conclusions et perspectives
1. La caractérisation de la FCP chez Tisochrysis lutea
2. L’identification de gènes candidats de la voie de biosynthèse des caroténoïdes
3. La présence d’échinénone chez Tisochrysis lutea
4. La régulation de la photoprotection chez Tisochrysis lutea
5. La montée en échelle de la production de fucoxanthine : l’importance de la disponibilité de la lumière
6. La Chromatographie de Partage Centrifuge : une méthode innovante pour la purification de fucoxanthine
7. Conclusion générale de la thèse
Valorisation scientifique
1. Publications dans des journaux à comité de lecture
2. Article soumis et autres
3. Présentations dans des conférences internationales
4. Présentations dans des conférences nationales
5. Autres communications
Références
Annexes

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