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Vieillissement et motricité fine
Selon Aubert et Albaret (2001), la motricité fine peut être altérée par le vieillissement. En effet, l’apparition de difficultés de coordination entre le poignet et les doigts ainsi que de difficultés de régulation de la force peuvent impacter la précision des gestes fins. Ainsi, ces changements peuvent rendre la tâche d’écriture plus complexe et en dégrader la qualité, phénomène se répercutant ainsi sur la sphère sociale.
Dans le cadre de la maladie de Parkinson, il est observé observe un défaut général de coordination dans l’organisation des tâches bimanuelles (Aubert & Albaret, 2001). La bradykinésie ainsi que la rigidité vont aussi venir affecter la motricité manuelle de par un ralentissement des gestes unimanuels et une difficulté d’exécution de mouvements périodiques (Martin, 2018). Selon ces mêmes auteurs, une micrographie, correspondant à une réduction progressive de la trace au cours d’une tâche d’écriture, peut aussi apparaître. Chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, les difficultés cognitives peuvent venir impacter la motricité donnant ainsi naissance à des troubles graphomoteurs (Martin, 2018). Il existe aussi une agraphie allographique (minuscule et majuscule se mélangent), des troubles de l’image mentale des lettres et aussi dans les stades évolués, une dysorthographie (Martin, 2018).
Etude de cas : Mme Preux et Mme Lefèvre
Au cours de ce stage, j’ai eu la chance de rencontrer Mme Preux et Mme Lefèvre qui seront toutes les deux, ainsi qu’une autre résidente qui sera présentée ultérieurement, les cas cliniques sur lesquels s’est étoffée ma réflexion au cours de ce mémoire. Avant de commencer à évoquer les fonctions motrices de Mme Preux et de Mme Lefèvre, il me semblait important de les présenter dans leur contexte présent mais aussi antérieur pour avoir un regard plus complet sur leur observation clinique.
Quelles spécificités chez la personne âgée de classe sociale dominante?
Comme mentionné plus haut dans ce mémoire, le vieillissement est un processus biopsychosocial. Ainsi, son évolution dépend de facteurs divers, dont la classe sociale fait partie. Ainsi, quels sont les impacts de cette appartenance à une classe sociale dominante sur le vieillissement moteur?
Classe sociale, pratique sportive et vieillissement
Depuis environ 30 ans, on sait que l’entretien des fonctions motrices chez la personne âgée est fortement corrélé à la pratique d’une activité physique (Bernard, 2004). Dans les classes sociales élevées, il existe un fort investissement des activités sportives et cela dès l’entrée à l’école notamment avec la pratique du tennis, de l’équitation, du rugby et de la natation (Pinçon & Pinçon-Charlot, 2016). Pour les adultes, les pratiques sportives se centrent surtout autour du tennis, de l’escrime, de la natation ou encore de la chasse. Des clubs de sport privés sont aussi créés et des bals peuvent aussi être organisés (Pinçon & Pinçon-Charlot, 2016). Par ailleurs, pratiquer un sport dans ce milieu n’est pas une question de plaisir mais plutôt d’atteindre un « contrôle de soi afin de maîtriser les armes subtiles de la sociabilité qui lui permettraient de dominer ses rivaux et d’atteindre la renommée » (Pinçon & Pinçon-Charlot, 2016, p. 31-32). Ainsi, au sein de cette classe sociale, bouger est synonyme de performance et non de plaisir et de ressentis.
On peut donc penser que, chez ces personnes vieillissantes, la volonté d’investir une pratique sportive peut être retrouvée, toujours dans un but de performance et de contrôle de soi, et que, par conséquent, les capacités motrices de ces dernières peuvent rester très efficientes. Pour Mme Preux, cela se confirme. Je remarque chez elle une grande aisance motrice et aussi une volonté de bouger, de mettre en mouvement son corps que ce soit par ses participations actives aux différents groupes proposant des activités physiques ou par ses nombreux déplacements. Même si cette dernière n’a pas grandi dans ce milieu, elle y a tout de même passé une grande partie de sa vie, ce qui a pu influencer sa volonté à continuer à pratiquer des activités sportives. De plus, comme nous avons pu le voir lors du bilan, Mme Preux investit les propositions motrices avec engagement et volonté, dans un souci de bien faire et donc de performance, comme beaucoup de personnes issues de la classe sociale dominante. Par ailleurs, cette volonté de bouger et de performance, se trouve aussi être au carrefour des valeurs de travail et d’effort qu’elle a pu développer dans son enfance difficile.
Codes sociaux et motricité
Chez Mme Preux, une hypertonie globale est perceptible avec une posture rigide mais néanmoins une motricité, très investie, qui sait rester harmonieuse notamment dans sa marche et ses coordinations. L’hypertonie et l’incapacité de relâchement perceptible chez Mme Preux peuvent être en lien avec son histoire de vie où elle a dû beaucoup lutter. Néanmoins, elle peut aussi être en lien avec les codes sociaux de sa classe sociale d’adoption. En effet, comme le décrivent Pinçon et Pinçon-Charlot (2016), le corps des membres de la classe sociale élevée a une aisance de mouvement et une prestance induite par un port de tête, une allure fière, un regard élevé. Ainsi, ces premiers éléments de fluidité de mouvement peuvent se rapprocher, en psychomotricité, de l’aisance gestuelle retrouvée dans des coordinations harmonieuses de Mme Preux. Dans ce milieu social, la tenue et la posture particulière du corps peuvent aussi se rapprocher d’une organisation hypertonique au niveau postural, aussi visible chez cette patiente. Ainsi, ces codes sociaux incarnés, peuvent bien impacter le vieillissement notamment dans son aspect postural, tonique et dynamique.
L’impact des pratiques professionnelles sur le corps
La place du corps dans la pratique professionnelle est très diverse selon le métier exercé. Ainsi, la classe populaire, regroupant majoritairement des ouvriers ou des employés (Amossé, 2015), exerce des professions plus physiques et est ainsi plus exposée à des accidents professionnels ou à des substances toxiques. Dans la classe dominante, c’est souvent l’intellect qui est mis au premier plan dans des professions telles que cadre supérieur, président directeur général ou encore professeur. Le corps est ici mis en arrière-plan, la primauté étant donné aux capacités cognitives. Ainsi, le corps se trouve donc préservé des pathologies professionnelles au niveau fonctionnel, communes dans les classes populaires. Dans le cas de Mme Lefèvre, cette dernière ne présente, mise à part une hypertension artérielle, aucun autre souci de santé physique signalé. Néanmoins, comme en témoignent les observations psychomotrices, elle présente d’importantes difficultés motrices au niveau des coordinations, des équilibres, de la motricité fine ainsi qu’un très fort ralentissement psychomoteur. Ainsi, le corps préservé par un exercice professionnel très intellectuel ne peut être le seul facteur qui influence le devenir des capacités motrices.
Une possible dichotomie «corps-esprit»
Comme vu dans un paragraphe précédent, le sport est une des composantes culturelles de la classe sociale dominante. Néanmoins, une culture très intellectuelle est aussi présente (Pinçon & Pinçon-Charlot, 2016) pouvant aussi provoquer un désinvestissement du mouvement au profit d’une intellectualisation. En effet, dans la culture bourgeoise, l’intellect a une place de choix : les arts plastiques, la littérature et la musique sont des éléments culturels qui prédominent chez cette population (Pinçon & Pinçon-Charlot, 2016). C’est d’ailleurs le cas de Mme Lefèvre, passionnée d’art et de littérature, qui décline, toujours très poliment les propositions nécessitant de s’engager corporellement. En effet, elle participe au groupe de gymnastique douce mais participe parfois difficilement, préférant regarder les autres et écouter les musiques qui y sont passées. Ainsi, je peux supposer que son apathie actuelle et ses difficultés sur le plan moteur ont pu être favorisées par désintérêt du mouvement et de la mobilité au profit des activités culturelles et intellectuelles qu’elle a toujours investies et qu’elle continue d’investir dans son quotidien. Le dualisme entre «corps» et «esprit» évoqué par Descartes (2013) semble particulièrement adapté pour parler de cette dichotomie qu’il semble y avoir entre l’investissement de la sphère intellectuelle et celle du mouvement. Descartes évoque aussi une fiabilité et une suprématie de la sphère intellectuelle par rapport au corps, chose que l’on retrouve beaucoup chez Mme Lefèvre qui refuse les propositions de mouvement en investissant à la place, la parole et la sphère cognitive en général.
Evolution des fonctions cognitives chez la personne âgée
A l’image des fonctions motrices, le vieillissement a aussi un impact sur les fonctions cognitives. Selon le Collège des Enseignants en Neurologie (2017), les fonctions cognitives regroupent la mémoire, les fonctions instrumentales (langage, gestes et schéma corporel, capacités visuo-spatiales et calcul) ainsi que les fonctions exécutives. Néanmoins, le degré d’atteinte ou la préservation de ces dernières se base beaucoup sur des facteurs environnementaux et notamment le niveau socio-culturel.
Impact du vieillissement sur les mémoires
Lors du processus de vieillissement, la mémoire s’en trouve impactée. Néanmoins, il existe plusieurs types de mémoires et ces dernières ne s’en trouvent pas touchées de la même façon. Tout d’abord, la mémoire de travail, ou mémoire à court terme, est un système qui permet la rétention active et immédiate de l’information lors de différentes tâches cognitives (De Ribaupierre & Ludwig, 2000). Cette mémoire de travail est fortement impactée par la sénescence et notamment parce qu’elle fait intervenir les fonctions exécutives, fortement touchées par le vieillissement (De Ribaupierre & Ludwig, 2000).
La mémoire épisodique permet d’enregistrer « les informations autobiographiques situées dans un contexte temporel et spatial » (Giffard et al., 2011, p.2) et se trouve, elle aussi, très touchée par le vieillissement notamment en raison de difficultés à se souvenir d’éléments liés au contexte d’un évènement (Marquié & Isingrini, 2001).
La mémoire procédurale permet, selon Bernard Croisile (2009), « l’apprentissage de procédures, pas seulement motrices mais aussi perceptives ou cognitives, ce qui aboutit à la maîtrise de savoir-faire. » (p. 14). Dans le cadre du vieillissement sans pathologie, cette mémoire procédurale reste intacte (Marquié & Isingrini, 2001). Ainsi, les savoir-faire acquis mais aussi les praxies et les gnosies sont toujours efficaces et peuvent constituer un appui considérable pour des prises en soin thérapeutiques notamment en psychomotricité (Marquié & Isingrini, 2001).
La mémoire sémantique désigne la mémoire qui est en lien avec le langage, avec les connaissances sur le monde et sur soi (Eustache, 2017). Au cours du vieillissement, le contenu de la mémoire sémantique reste stable, voire peut être amélioré par rapport à des individus plus jeunes (Marquié & Isingrini, 2001).
La pathologie du sujet âgé qui illustre le mieux l’atteinte des mémoires est la maladie d’Alzheimer et ses apparentées. Selon Brouillet et Syssau (2005), chez les patients atteints de cette pathologie, il existe un déficit de la mémoire de travail (ou à court terme) qui est proportionnel à la gravité de la démence. Néanmoins tous les patients ne présentent pas un déficit de ce type de mémoire (Brouillet & Syssau, 2005). La mémoire à long terme, elle, sera de plus en plus impactée au fur et à mesure de l’avancée de la pathologie. La mémoire épisodique est très touchée notamment en raison d’un déficit d’encodage, de stockage et de récupération de l’information à mémoriser (Brouillet & Syssau, 2005). La mémoire sémantique est elle aussi impactée (Laisney, 2011). La mémoire procédurale, quant à elle, est maintenue (Van Der Linden et al., 2001).
Dans la maladie de Parkinson, il est aussi retrouvé des difficultés concernant les mémoires et notamment un ralentissement des mémoires en lien avec une bradypsychie. Néanmoins, ces dernières arrivent plus tardivement par rapport aux symptômes moteurs contrairement aux patients atteints de démence à corps de Lewy qui, eux, voient leurs fonctions motrices et cognitives touchées dès la phase initiale (Thomas-Antérion & Krolak-Salmon, 2010).
Les fonctions exécutives à l’épreuve du vieillissement
Les fonctions exécutives sont « les processus cognitifs qui contrôlent et régulent les autres fonctions cognitives » (Thomas-Antérion & Krolak-Salmon, 2010, p. 4). Elles permettent de faciliter l’« adaptation à des situations nouvelles en modulant et en contrôlant des habiletés cognitives fondamentales ou routinières » (Burgess cité dans Brouillet & Hupet, 2000, p. 83). Elles sont particulièrement liées à la mémoire épisodique et de travail, à l’attention mais aussi au processus de mise à jour, d’inhibition et de flexibilité mentale. Au cours du vieillissement, il existe une atteinte possible à ces dernières, notamment de la flexibilité mentale et des fonctions attentionnelles donnant lieu à des difficultés de double tâche.
Cette atteinte des fonctions exécutives se trouve encore plus présente dans le cas de pathologies et notamment de démences, de maladie d’Alzheimer et apparentées et de la maladie de Parkinson. Les personnes ayant une maladie d’Alzheimer et apparentées présentent un dysfonctionnement exécutif qui est présent très tôt dans l’évolution de la maladie ce qui entrave les activités complexes nécessitant attention et flexibilité mentale (Lapre et al., 2012). Dans le cadre de la maladie de Parkinson, l’atteinte des voies fronto-sous-corticales va provoquer des échecs fréquents lors d’actions nécessitant la participation importante des fonctions exécutives sans pour autant atteindre un niveau sémiologique démentiel (Thomas-Antérion & Krolak-Salmon, 2010). Dans le cas des démences, et notamment des démences vasculaires, ces déficits sont encore plus présents (Coste & Krolak-Salmon, 2010).
Fonctions instrumentales et vieillissement
Selon le Collège des Enseignants en Neurologie (2017), les fonctions instrumentales regroupent le langage, les capacités visuo-spatiales, le schéma corporel et le calcul.
Les fonctions du langage restent très bien conservées chez la personne âgée ne présentant pas de pathologies même si un manque du mot peut être présent par difficulté de récupération en mémoire (Marquié & Isingrini, 2001). Concernant la compréhension du langage, cette dernière est très en lien avec la mémoire sémantique qui, comme nous l’avons vu précédemment, n’est pas touchée par l’avancée dans l’âge. Ainsi, cette capacité compréhension reste conservée dans le cas d’un vieillissement sans pathologie (Marquié & Isingrini, 2001).
Les capacités visuo-spatiales sont, elles, légèrement impactées avec une potentielle détérioration de l’orientation spatiale dans les tâches de rotation mentale et dans l’orientation droite/gauche même si la perception ainsi que l’orientation spatiale restent globalement bien conservées (Aubert & Albaret, 2001). Par ailleurs, la structuration spatiale peut se trouver impactée (Aubert & Albaret, 2001).
Le schéma corporel, quant à lui, peut être défini comme «une construction kinesthésique, qui donne lieu à une sensation de son corps dans l’espace […] et s’appuie sur le biomécanique.» (Feillet, 2012, p. 19). Le vieillissement impactant beaucoup la sphère sensitive (Aubert & Albaret, 2001), le schéma corporel s’en trouve donc appauvri.
Par ailleurs, les capacités de calcul de la personne âgée se trouvent être fortement réduites car l’efficience de la mémoire de travail et l’habileté à raisonner diminuent significativement au cours du vieillissement (Aubert & Albaret, 2001).
Selon le dictionnaire Larousse (s. d.), les gnosies permettent la «reconnaissance d’un objet par l’intermédiaire de l’un des sens». Les praxies désignent quant à elles un «ensemble de mouvements coordonnés en fonction d’un but» (Larousse. s. d.). Chez la personne âgée, malgré quelques troubles de l’exécution gestuelle, les praxies et les gnosies se trouvent quasiment intactes (Aubert & Albaret, 2001).
Dans les pathologies rencontrées au cours du vieillissement, ces fonctions instrumentales se trouvent elles aussi atteintes. Dans la phase initiale de la maladie d’Alzheimer, il existe des troubles visuo spatiaux modérés et une aphasie s’aggravant au fil du temps (Aubert & Albaret, 2001). Une agnosie ainsi que des apraxies (constructive, idéomotrice, idéatoire, d’habillage…) peuvent apparaître dans un second temps selon ces mêmes auteurs. Ces apraxies se retrouvent aussi dans d’autres syndromes démentiels (Feve, 2014). Par ailleurs, dans cette phase, une désorientation temporo-spatiale majeure correspondant à une perte massive des repères temporels et spatiaux (Van Der Linden et al., 2001) peut aussi se développer. Notons tout de même que ces différentes atteintes sont variables d’un individu à l’autre. Chez les patients atteints de la maladie de Parkinson, ces fonctions instrumentales sont relativement bien conservées. C’est dans le cas de démences parkinsoniennes que l’on va retrouver une plus grande atteinte de ces fonctions (Meyer, 2014). Dans les démences fronto-temporales peuvent aussi être retrouvés des troubles du langage notamment de par une réduction progressive du langage, des stéréotypies verbales, des écholalies, des persévérations ou un mutisme (Meyer, 2014).
Le vieillissement cognitif des personnes âgées de classe sociale dominante
Comme nous l’avons vu dans une partie précédente, les fonctions cognitives peuvent se trouver altérées au cours du vieillissement et notamment dans le cas de pathologies. Néanmoins, il existe des facteurs externes influençant l’évolution de ces fonctions. En quoi le milieu socio-économique et culturel d’appartenance peut-il influencer la qualité du vieillissement cognitif?
Le niveau d’étude, facteur du vieillissement cognitif
Si nous nous fions à la classification proposée par Weber (1995), l’appartenance à une classe sociale est en partie considérée par les professions exercées par ses membres.
Il se trouve que 68% des personnes ayant un niveau socio-économique élevé ont un bac+2 et exercent des professions telles que cadres supérieurs (Insee, 2019). Ainsi, ces personnes ont, pour beaucoup, un haut niveau d’études. Par ailleurs, la fondation McArthur a initié une recherche portant sur les facteurs favorisant une vieillesse réussie, autrement dit, une vieillesse regroupant un évitement des maladies, un engagement social et un haut niveau physique et cognitif (Fontaine & Toffard, 2000). Il en ressort que le niveau d’étude serait le meilleur prédicteur d’une vieillesse optimale sur le plan cognitif (Fontaine & Toffard, 2000). Ainsi, il semble que les personnes issues d’une classe sociale élevée peuvent avoir un meilleur vieillissement cognitif en raison d’un haut niveau d’étude.
De plus, au niveau du MMSE, qui est un test pour évaluer le fonctionnement cognitif de la personne âgée, le score final doit être corrélé à l’âge mais aussi au niveau socio-culturel de la personne : plus le niveau socioculturel est haut, plus le score doit être élevé pour franchir le seuil pathologique. Par ailleurs, plus l’avancée dans les pathologies est grande, plus l’écart entre les scores du niveau socioculturel entre le niveau 1 (le plus bas) et le 4 (le plus haut) est grand. Ainsi, je peux faire l’hypothèse que les personnes au haut niveau socioculturel peuvent pallier plus longtemps les troubles cognitifs inhérents aux pathologies les affectant.
Dans le cas de Mme Preux, cela se confirme. En effet, ancienne professeure de biochimie, et donc ayant un haut niveau d’étude, ses fonctions cognitives actuelles restent très bien conservées hormis de grosses difficultés mnésiques et d’organisation temporelle. En tous cas, pour son âge mais aussi pour quelqu’un dont le diagnostic de la maladie d’Alzheimer a été posé il y a maintenant 6 ans, ses capacités cognitives restent très efficientes. Néanmoins, cela ne fait pas du cas de Mme Preux une généralité car, dans le cas de Mme Lefèvre, j’ai pu tout de même relever de grandes difficultés cognitives dans les sphères mnésiques, exécutives et instrumentales bien que cette dernière ait, elle aussi, un haut niveau d’étude en tant qu’ancienne professeure de lettre et directrice d’école.
Dans le cas des deux patientes évoquées précédemment, je remarque que leurs compétences langagières et sémantiques sont très efficientes et très investies dans leur quotidien. En effet, Mme Preux investi fortement le langage, apprécie jouer avec les mots et partager son savoir. Mme Lefèvre, elle aussi, investit beaucoup le langage, aimant philosopher et parler d’art ou de littérature. De plus, malgré ses difficultés d’expression de type aphasique, son stock lexical reste important et son langage reste globalement peu atteint en comparaison avec d’autres domaines cognitifs tels que la mémoire de travail, à court terme ou les fonctions exécutives, notamment attentionnelles qui, elles, se trouvent particulièrement touchées. Par ailleurs, l’efficience de leur capacité langagière est d’autant plus remarquable compte tenu du fait que toutes deux sont atteintes de la maladie d’Alzheimer, pathologie où l’aphasie est présente dès la phase initiale et s’aggrave au fil du temps. Cette constatation peut être mise en lien avec une étude réalisée par Ska, Schroeders, Poissant et Joanette (2000). Cette dernière montre que les effets du vieillissement sur les performances verbales sont particulièrement présents à partir de 75 ans et surtout pour les personnes ayant un faible niveau scolaire. Ainsi, un haut niveau scolaire semble être un facteur important concernant la préservation des performances langagières, chose observée chez ces deux patientes.
Le concept de réserve cognitive
Les changements cognitifs apparaissant cours du vieillissement ne sont pas homogènes d’une personne à l’autre. Ainsi, le concept de réserve cognitive a été proposé pour expliquer cette hétérogénéité des vieillissements cérébraux (Boller & Belleville, 2016). Ce dernier « représente la capacité du cerveau à limiter les conséquences cliniques des atteintes neuropathologiques ou des changements cérébraux liés à l’âge» (Boller & Belleville, 2016, p. 1). Cette réserve peut s’expliquer par des facteurs génétiques mais surtout par des facteurs environnementaux. Ainsi, un niveau d’éducation élevé et/ou la pratique d’une profession ou d’une activité de loisirs cognitivement stimulante seraient associés à un meilleur fonctionnement cognitif (Boller & Belleville, 2016). Par ailleurs, l’efficience de la réserve cognitive dépend aussi de la possibilité de plasticité cérébrale (Boller & Belleville, 2016). Cette dernière repose sur des facteurs de stimulation intellectuelle et la socialisation semble jouer un grand rôle dans la qualité de cette dernière au cours du vieillissement (Thomasson, 2000).
Dans le cas de Mme Preux et de Mme Lefèvre, elles ont toutes deux un niveau d’éducation élevé et ont toutes deux eu des professions et des loisirs très stimulants sur le plan cognitif.
En effet, Mme Preux, dans son métier d’enseignante en biochimie, avait l’habitude de beaucoup manipuler les chiffres, de gérer des groupes de jeunes adultes et de remodeler ses connaissances pour pouvoir les transmettre, ce qui est très stimulant cognitivement. Par ailleurs, ce savoir et cette pratique des mathématiques se ressentent dans l’item calcul du MMSE qu’elle réussit avec une grande facilité. Pour Mme Lefèvre, son métier de professeure de lettres et de directrice devait aussi être très stimulant.
Au-delà de leur profession, toutes deux appartiennent à une classe sociale élevée qui, dans ses codes culturels, donne une grande place aux activités intellectuelles (Pinçon & Pinçon-Charlot, 2016). Actuellement, cela se ressent dans les loisirs de ces patientes : Mme Preux affectionne particulièrement écouter de la musique classique, lire et discuter avec les soignants de divers sujets. Mme Lefèvre se trouve souvent dans un fauteuil du hall avec un des livres d’art de sa bibliothèque, elle apprécie philosopher et commenter des oeuvres d’art ou de littérature.
Par ailleurs, au sein de la classe sociale élevée, les rencontres sociales sont nombreuses : rallyes, clubs et dîners mondains sont des occasions fréquentes pendant lesquelles les membres de ce milieu social se réunissent (Pinçon & Charlot-Pinçon, 2016). Cette appétence relationnelle se retrouve chez Mme Preux et pourrait expliquer en partie la qualité de ses fonctions cognitives qui, comme nous l’avons évoqué plus haut, sont liées à la plasticité neuronale et à la notion de réserve.
Ainsi, il apparaît que toutes deux semblent avoir une importante réserve cognitive et une certaine qualité de plasticité cérébrale expliquant l’efficience de certaines de leurs capacités cognitives malgré une maladie d’Alzheimer bien installée. Il semble alors que le niveau socio-économique et culturel peut influencer la qualité de la réserve cognitive et de la plasticité permettant une certaine qualité de vieillissement cognitif.
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Table des matières
I- Présentation du lieu de stage
A. Présentation de la structure
B. La population accueillie
1) Population accueillie au sein de l’EHPAD
2) La notion de classe sociale
C. L’équipe pluridisciplinaire
II- Le vieillissement psychomoteur chez la personne âgée issue de classe sociale élevée
A. Le vieillissement des fonctions motrices chez la personne âgée issue de milieu social élevé
1) Evolution des fonctions motrices chez la personne âgée
a) L’apparition d’un ralentissement idéomoteur
b) Une évolution du tonus
c) Une instabilité des équilibres statique et dynamique
d) Vieillissement et motricité fine
2) Etude de cas : Mme Preux et Mme Lefèvre
a) Mme Preux
b) Mme Lefèvre
3) Quelles spécificités chez la personne âgée de classe sociale dominante?
a) Classe sociale, pratique sportive et vieillissement
b) Codes sociaux et motricité
c) L’impact des pratiques professionnelles sur le corps
d) Une possible dichotomie «corps-esprit»
e) Conclusion
B. Le vieillissement des fonctions cognitives chez la personne âgée issue de milieu social élevé
1) Evolution des fonctions cognitives chez la personne âgée
a) Impact du vieillissement sur les mémoires
b) Les fonctions exécutives à l’épreuve du vieillissement
c) Fonctions instrumentales et vieillissement
2) Etude de cas : Mme Lefèvre et Mme Preux
a) Mme Preux
b) Mme Lefèvre
3) Le vieillissement cognitif des personnes âgées de classe sociale dominante
a) Le niveau d’étude, facteur du vieillissement cognitif
b) Le concept de réserve cognitive
c) Codes sociaux et adaptation face aux difficultés cognitives
d) Conclusion
C. Représentation affective du corps et de soi
1) Evolution de la représentation affective du corps et de soi chez la personne âgée
a) Une image du corps altérée
b) Le vieillissement, une crise identitaire
c) Représentations sociales, vieillissement et identité
2) Etude de cas : Mme Dufour et Mme Preux
a) Mme Dufour
b) Mme Preux
3) La représentation du corps et soi chez les personne issues de classe sociale dominante
a) L’image du corps en milieu social aisé
b) Identité, personnes âgées et classe sociale élevée
c) L’identité bourgeoise, une identité sociale
d) Conclusion
III- La relation thérapeutique comme axe de travail en psychomotricité avec la personne âgée de classe sociale élevée
A. Du concept de relation aux spécificités de cette dernière en psychomotricité auprès de la personne âgée
1) De la relation à la relation de soin
a) Définitions
b) Les différents types de relations
2) De la relation de soin à la relation thérapeutique en psychomotricité auprès de la personne âgée
a) Le corps en relation, une spécificité de la psychomotricité
Un peu d’Histoire…
La place de la relation en psychomotricité
Le corps impliqué dans la relation
b) Quelques supports de la relation en psychomotricité auprès de la personne âgée .
Le dialogue tonico-émotionnel
L’accordage
L’empathie
La proxémie
Le toucher
B. Les spécificités de la relation thérapeutique en psychomotricité avec la personne âgée issue de milieu social élevé
1) L’intercorporalité
a) Etude de cas : Mme Lefèvre
b) Un dialogue des corps modulé par la classe sociale
2) L’accordage
a) Etude de cas : Mme Dufour
b) Quand la relation s’accorde à la culture
3) La place de la communication verbale
a) Etude de cas : Mme Lefèvre et Mme Preux
Mme Lefèvre
Mme Preux
b) Le langage verbal, un point d’ancrage relationnel
4) De la juste distance à la juste présence
IV- Des modalités de prise en soin psychomotrices impactées par la classe sociale
A. La place du bilan
1) Une objectivation des troubles et des ressources
a) Etude de cas : Mme Lefèvre
b) Le bilan, un outil objectif d’identification des troubles et ressources
2) Le contexte du bilan
a) Etude de cas : Mme Preux
b) Le bilan auprès de la personne âgée de milieu social élevé : un point crucial de la prise en soin entre rencontre et vécu
B. Les médiateurs
1) Le groupe «gymnastique douce»
a) Présentation du groupe «gymnastique douce»
b) Quand l’art se fait support du mouvement
2) Le groupe « Histoire »
a) Présentation du groupe «Histoire»
b) L’Histoire comme point d’ancrage culturel et médiateur de l’intersubjectivité .
2) Et quand les fonctions psychomotrices sont très altérées?
a) Etude de cas : Mme Dufour
b) Sensorialité, culture et identité
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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