Les sources qui ont influencé la création du répertoire de Decroux

Analyse de six pièces de répertoire d’Étienne Decroux

Le Menuisier

Le Menuisier est une pièce créée par Decroux en 1931 (mais qu’il révisera tout au long de sa vie). Elle fait partie d’une recherche plus longue appelée La V ie Artisanale, la deuxième étape de Les tr ois âges de la production : La V ie Primitive, La V ie Artisanal (ou Médiéval) et La Machine (ou Moderne) . Decroux était toujours captivé par la représentation des choses matérielles et par les travaux artisanaux. Pendant sa jeunesse, et à l’aide de la forte influence de son père, il a exercé plusieurs métiers, à savoir laveur de vaisselle, manœuvre dans une usine de réparation de wagons, poseur de fermetures hermétiques pour les glacières, infirmier , peintre, plombier, maçon, boucher et terrassier . Ces expériences vont influencer entièrement ses recherches corporelles jusqu’à le conduire à créer une pièce comme Le Menuisier. À propos des acteurs et des metteurs en scène Decroux disait, et en rapport à ces genre d’expériences de travail, « pauvres gens qui ni n’ont rien vu de tout ça. Je me demande comment ils font pour mettre une pièce en scène ».En ayant comme référence le rapport sportif de l’humain avec le monde, ou plus précisément,avec la matière, Decroux présente un homme (ou une femme) qui travaille avec une planche en bois. Disons sportive car les qualités du mouvement qu’il fait pour accomplir sa tâche viendront surtout de l’effort musculaire et d’un jeu physique qui oscille continuellement entre la contraction et la décontraction des muscles. En effet, au fur et à mesure qu’il avance dans sa création avec la planche en bois, le menuisier ne fait un effort qu’après avoir pris un moment pour respirer . Cela est significatif parce que dans le Mime Corporel la respiration est non seulement un mouvement naturel des poumonsmais aussi ce qui pourrait marquer un temps d’appel : avant de commencer son trajet, la partie du corps (ou le corps entier) qui fera l’action fait un petit mouvement d’abord dans la direction opposée pour après aller au bout de sa vraie direction. Autrement dit, aller à gauche pour aller à droite, aller vers le haut pour aller vers le bas, aller vers la périphérie pour aller vers le centre et vice versa. Ce principe physique/expressif nous ne le trouvons pas seulement chez Decroux. Selon Eugenio Barba cette danse des oppositions fait partie de la culture théâtrale oriental depuis ses origines comme nous le verrons chez les acteurs de l’Opéra de Pékin, du Théâtre Nô, Kabuki et Balinais . Cependant, il est important de clarifier que Decroux, pendant ses années de formation, n’a jamais eu un contact direct avec le théâtre oriental. T outefois, il faut remarquer que tandis qu’il était élève de Jacques Copeau à l’École du V ieux Colombier (1923), il a eu un cours avec Suzanne Bing, l’une des fondateurs de celle-ci, avec des éléments du Théâtre Nô. De plus, Bing, pour qui Decroux fut une figure de référence majeure , avait essayé de mettre en scène un spectacle qui reposait sur les principes du Nô (Kantan ) à l’époque de sa courtemais importante formation chez Copeau :

La Lavandière

D’après la thèse écrite par Sirlei Alaniz, et selon les paroles de Corinne Soum, Le Menuisier et La Lavandière sont des pièces que nous pouvons attribuer à la catégorie de l’Homme de Sport et, plus précisément, dans la sous-catégorie de L’Artisan . Comme nous l’avons déjà expliqué ci-dessus, ce sont des pièces dont le mouvement et la pensée, l’action et l’idée ont un rapport qui se matérialise dans une oscillation entre la présence et l’absence. Cependant, bien que les deux ont été créés sous les mêmes principes corporels et sous la même recherche (La Lavandière fut aussi créée en 1931, au moins sa première version) il faudrait faire une distinction importante entre ces deux travaux. T andis que le menuisier est dans un état de création, vu qu’il doit transformer la planche en bois en quelque chose d’autre qui puisse bien représenter son art, la lavandière par contre fera plutôt des tâches quotidiennes. Étant donné qu’elle ne doit pas trop réfléchir pour accomplir ses tâches, car elle les connaît bien, la lavandière se permet donc de s’évader par le songe. V oilà la grande différence au niveau de l’interprétation de l’acteur . Il s’agit de montrer plusieurs points de fuite pendant qu’elle lave le linge, essore et repasse le tissu ou lorsqu’elle coud : « Dans l’une des séquences, la Lavandièremime l’action de la couture. Paradoxalement, le fil, au lieu de diminuer, devient de plus en plus grand. Cet étirement illogique du fil est suggéré par un étirement du bras et par un arc du corps. Selon Decroux, ce n’est pas le fil, mais le temps qui est retardé à cause du rêve amoureux de la Lavandière » . Certes, l’abstraction donnée au niveau du mouvement pour indiquer que la pensée s’en va pour revenir et repartir à nouveau, serait le leitmotiv de cette pièce. Cette abstraction chez le Mime Corporel brise constamment les unités classiques detemps, d’espace et d’action aristotéliciennes. L ’action du fil citée ci-dessus en est un exemple : une action qui dans la vie réelle prend quelques secondes peut prendre, dans La Lavandière, un temps beaucoup plus large ou beaucoup plus court. La dilatation des mouvements dans le temps et dans l’espace est un élément qui permet d’entrer dans la poésie de l’action enrefusant les limites psychologiques et historiques d’un contexte. C’est donc le raccour ci de l’action dramatique que le Mime Corporel chercherait dans les pièces de répertoire. Celui estun terme utilisé non seulement par Decroux mais également par Meyerhold, Eisenstein,Dorcy , et Copeau pour décrire soit la concentration d’une séquence de mouvements en un geste soit la condensation d’une idée, de l’espace et du temps. Spécifiquement dans LaLavandière, lorsqu’elle fait, par exemple, la couture ou quand elle frotte le linge contre la planche, le raccour ci s’impose comme un outil scénique qui dilate la présence de l’acteur afin de rendre transparent une réalité sous-jacente qui est celle de la pensée. Nous soulignonsencore que la maîtrise du Mime Corporel tient justement au fait d’être un maître de l’ici et du maintenant :

Le Combat Antique

La première version du Combat Antique fut créée par Decroux en collaboration avec sa femme et puis avec Barrault. C’est une pièce qui va faire partie de La V ie Primitive : une exploration des actions des hommes qui vivaient de la pêche, de la récolte et de la chasse.
C’est une époque importante pour Decroux car c’est à partir de ce moment-là qu’il se dédie pleinement à son travail : « Donc, toujours, mes loisirs étaient occupés au mime. Et un jour , j’ai préparé un numéro. J’ai fait beaucoup de choses tout seul. Il le fallait, parce que les élèves que je préparais s’en allaient les uns après les autres. Un jour j’ai dit : “Maintenant, je vais faire mon numéro tout seul”. C’est ce qui m’a été bénéfique. Ça m’a permis de montrer à droite et à gauche ce que je faisais, ce que je voulais faire et ce que je voulais étendre » . Une deuxième version aura lieu grâce à l’invitation de Jean-Louis Barrault quelques années après leur séparation afin de représenter un intermezzo de l’œuvre Antoine et Cléopâtre de Shakespeare, plus spécifiquement la lutte entre Octave et Antoine. Finalement, Decroux va reprendre Le Combat Antique pour le jouer avec son fils Maximilien qui était l’un des acteurs principaux de la troupe qu’ils avaient créé à l’époque. Selon Maximilien : « Cette version, dans laquelle j’avais le plaisir de donner beaucoup de moi-même, avait un succès qui ne manquait jamais. Je le note en passant car le succès immédiat nous avait presque toujourséchappé ; je ne peux pas m’empêcher de signaler cette réussite très rare ».
Le Combat Antique est une pièce qui est jouée par deux comédien.ne.s : le Grand, plus fort mais plus lent, et le Petit, plus rapide mais plus faible ; voilà la confrontation entre un David et un Goliath. Les deux rôles, presque nus (vêtus uniquement de cache-sexe), se battent avec des lances et des couteaux (imaginaires bien sûr) afin de provoquer la mort de l’autre. Dans ce cas-là, et contrairement aux deux pièces que nous avons déjà analysées ci-dessus, les déplacements des acteurs dans l’espace deviennent essentiels (Le Menuisier et La Lavandière restent notamment sur place). Entre la préparation de l’action et l’action elle-même, il existe un jeu de proximité : le Grand et le Petit s’approchent et s’éloignent continuellement. L ’enjeu de cette pièce de répertoire vient, avant tout, du conflit spatial comme dans Le Duo Amoureux.
Ainsi, Le Combat Antique représente une lutte épique où les principes techniques de la grammaire du Mime Corporel sont mis en place à partir d’un engagement physique de haut niveau dans l’espace puisqu’il s’agit d’un combat de vie ou de mort ; les acteurs n’ont plus le temps de réfléchir , ses mouvements sont toujours en rapport aux réactions de l’autre. Plus de doutes, plus de pensées, plus d’hésitations, Le Combat Antique permet à l’acteur de rester dans un état d’alerte en même temps qu’il ne perd pas la précision et la beauté de ses gestes.C’est une pièce qui développe la présence et le jeu du comédien à partir d’une structure concrète où le dialogue corporel devient essentiel.

Le Duo Amoureux

Tout comme Le Combat Antique, Le Duo Amoureux est une pièce qui se joue en binôme mais cettefois-ci, entre un homme et une femme . Habituellement, le sujet du Duo Amoureux faisait partie des thèmes d’improvisation de l’école de Decroux tels que Le Penseur (qui deviendra une autre pièce de répertoire appelé La Méditation) et L’Attente, entre autres . Dans ce cas, le jeu de proximité des acteurs est aussi important parce qu’il s’agit d’exprimer l’état amoureux entre deux personnes à travers une codification corporelle précise. Pour Decroux, le calcul de la distance entre deux corps sur scène est fondamental pour bien exprimer leur connexion émotionnelle. Il disait « qu’il faut être loin et près à la fois », justement pour ne pas tomber dans une représentation réaliste de l’amour mais plutôt pour que les corps des acteurs soient vus comme des objets d’art qui interagissent l’un avec l’autre : « Il s’agit, pour l’acteur “sujet d’art”, d’instaurer une relation “d’objetsd’art” entre partenaire, afin d’éviter tout réalisme » . C’est une dialectique entre l’organicité et la géométrie du mouvement qui nous rappelle les tableaux cubistes de Picasso. Cette distance entre les deux corps est importante pour clarifier deux actions qui sont essentielles dans Le Duo Amoureux : le toucher et le r egar d. S’ils se touchent, ils le font avec le regard. Et à l’inverse, lorsqu’ils se regardent, ils le font en touchant le corps de l’autre. Ainsi, ce que nous touchons, nous ne le regardons pas et ce que nous regardons, nous ne le touchons pas. Cette synesthésie, c’est à-dire cette décomposition, inversion et transposition des actions physiques, est un élément central pour comprendre la pensée philosophique de Decroux que l’on trouve tout au long de son travail.

L ’Usine

En 1946 Decroux crée une pièce en trio représentant la troisième et dernière partie [des] tr ois âges de la production : La V ie Moderne. En ayant comme référence centrale le rapport de l’être humain à la machine, Decroux réalise une performance dont le corps est complètement soumis au temps, au rythme et à la vitesse de fonctionnement d’une usine. A vec des costumes noirs aux lignes blanches marquant la silhouette des corps et en masquant les visages des acteurs, Decroux fait le choix de supprimer toute identité individuelle pour qu’ils deviennent les instruments de la production massive. De plus, c’est la seule pièce où l’acteur doit connaître par cœur les mouvements de la musique pour la suivre (c’est un mélange de sonsarythmiques composé par Decroux lui-même) afin de mettre l’acteur dans une structureconcrète et immuable. Or, cette musique fut créée à partir du rythme interne d’actions physiques : « Dans ces cas, la musique suit le rythme de l’action, c’est-à-dire que le rythme émerge de la chorégraphie. Il y a d’abord l’action et ensuite le rythme avec lequel elle doit être exécutée, c’est à partir de l’action que le son est fait. Le mime construit son mouvement sur la base de son rythme interne, à l’instar du danseur moderne ; la musique n’est pas nécessaire et peut également affecter clairement le contenu expressif de la pièce, car il est facile pour une mélodie particulière d’induire une ambiance particulière » . En effet, Decroux préférait toujours des musiques notamment répétitives pour qu’elles ne dépassent pas l’importance du corps et des gestes (le concert de Brandenburg n° 5 de Bach pour Le Menuisier et le Boléro de Ravel pour La Lavandière, par exemple ). Ce sont donc les images des ouvriers militants qui travaillent sans cesse, sans plus penser, sans plus sentir . De même, ils ne sont pas seulement le portrait des gens qui travaillent dans l’usine, ils sont l’usine : « Par exemple, dans L’Usine, l’acteur passe par de types de présence différent, il peut être à la fois l’ouvrier , le contremaître, la machine, la pointeuse, l’horloge » . Bien que les qualités des mouvements soient très différentes, Le Duo Amoureux et L’Usine ont une similitude en termes de transformation du corps en objet d’art. Cependant, cette fois-ci, il ne s’agit plus d’un rapport émotionnel entre deux êtres mais plutôt d’une forme symbolique de l’industrialisation du corps. Il s’agit donc d’une pièce qui nous rappelle l’époque de la Révolution Industrielle à travers des gestes rapides de production en chaîne. Charlie Chaplin en fait de même dans son film Les T emps Modernes en 1936.
Il est important de remarquer qu’Étienne Decroux était une personne qui avait toujours une forte conviction politique et cela grâce à l’influence de son père. Il a été un exemple pour lui tantôt au niveau de métiers, tantôt au niveau idéologique : « Elles (les idées de son père) n’avaient rien de doctrinal. Républicain à une époque où la royauté comptait de nombreux partisans, il parlait à son fils de l’amour de l’Humanité, lui communiquait l’espoir d’un monde meilleur (“on ira au travail en chantant”), tout en l’incitant à se méfier des entraînements collectifs. Mais même s’il ne cachait pas sa résistance devant l’absence de programme chez les plus grands révolutionnaires, il préparait le terrain où germera ensuite un idéal anarchiste » . De plus, le père de Decroux lui transmettait toujours ses idées politiques lors des conversations qu’ils avaient de temps en temps : « Ses discussions avec son père sur la nature de la justice et de l’injustice l’ont conduit à de fortes convictions politiques ; cependant, pour quelqu’un d’origine modeste, avec un “accent du faubourg”, et dans un monde où le son amplifié artificiellement n’avait pas encore été inventé, des leçons de diction seraient nécessaires pour un aspirant politique » . Effectivement, avant des premières idées du Mime Corporel, Decroux cherchait une formation académique pour développer sa capacité comme orateur . Il trouve ce qu’il cherche à l’école du V ieux Colombier en 1923. C’est là où quelques principes du Mime Corporel lui sont révélés pour la première fois après avoir assisté à un spectacle privé des élèves de deuxième année : « Tranquille dans mon fauteuil, je vis un spectacle inouï. C’était du mime et des sons. Le tout sans une parole, sans un maquillage, sans un costume, sans un jeu de lumière, sans accessoires, sans meubles et sans décor .
Le développement de l’action était assez savant pour qu’on fit tenir plusieurs heures en quelque secondes etplusieurs lieux en un seul.
On avait simultanément sous les yeux le champ de bataille de la vie civile, la mer et la cité.
Les personnages passaient de l’un à l’autre en toute vraisemblance.
Le jeu était émouvant, compréhensible, plastique et musical.
Nous étions en juin 1924 »
Ainsi, il est évident que non seulement cette expérience mais aussi la pensée idéologique de son père, étaient des influences importantes pour créer une pièce comme celle de L’Usine. À ce propos, Decroux s’exprime dans son livre en disant que toutes les choses vues et vécues avec son père « …sont passés peu à peu dans l’arrière de la tête, descendues le long de l’arrière des bras, sont arrivée au bout des doigts où elles ont modifié mes empreintes digitales ».
L’Usine est l’image de l’amour que Decroux portait à la géométrie. V oilà ce qu’il va appeler une géométrie mobile. Influencé aussi par le Futurisme et le mouvement Bauhaus de l’époque, cette pièce se compose par des mouvements du corps segmentés qui dessinent toujours dans l’espace soit des lignes, soit des cercles. Grâce à une forte conscience de chaque segment du corps, les acteurs doivent parvenir à isoler les mouvements des jambes de ceux des bras ou les mouvements de la tête de ceux des poignets. Elle exige de l’acteur de développer non seulement sa capacité de coordination de mouvements, mais aussi de coordonner leurs différentes vitesses, tonalités musculaires et rythmes (notamment saccadés) : « Une duréeégale pour deux vitesses inégales » , disait le maître. Cette conscience des segmentations est l’un des principes les plus importants chez le Mime Corporel. D’après Decroux le corps est inégalitair e et par conséquent nous devons considérer chacune des parties du corps en termes d’articulation, de distension du muscle, de force du muscle et, finalement, de la rigidité des organes d’expression quand il convient qu’ils soient rigides . Pour atteindre cette conscience, lorsqu’un acteur commence sa formation, il doit reconnaître, avant tout, les six éléments expressifs dans lesquels son corps est divisé : la tête, le marteau (tête + cou), le buste (tête + cou + poitrine), le torse (tête + cou + poitrine + taille), le tronc (tête + cou + poitrine + taille + bassin) et la totalité du corps ou T our Eiffel. De cette façon, l’acteur élargit son vocabulaire gestuel en lui permettant de préciser sa dramaturgie corporelle sur scène. Maintenant, il est conscient qu’il peut faire des choix par rapport à ses organes expressifs. Il s’entraîneégalement à différencier les trois plans dans l’espace : inclinaison, rotation et profondeur .
Pour Decroux, cette perception géométrique autant de l’espace que du corps est fondamentale car : « On n’a pas le droit d’occuper ni de parcourir l’espace n’importe où. Dans cet espace il faut fixer imaginairement des lignes jugées idéales. La chiffre 3 s’impose : la verticale, l’horizontale et, entre deux, bien au milieu, la diagonale. L ’extension du principe se devine : ces trois lignes se retrouvent en bas, à droite, à gauche, etc. Ce sont les rues de l’espace ».
Decroux se réfère au triple dessin, c’est-à-dire, à la composition tridimensionnelle des trois mouvements purs sur une base fixe. Nous pouvons faire cela avec la tête, le buste, le tronc et la totalité du corps (ce dernier est, en revanche, un peu plus limité).
L’Usine est sans doute le résultat d’une grosse partie de toute la recherche accomplie par Decroux tout au long de sa vie et notamment en ce qui concerne la géométrie du corps et de l’espace. Elle est jouée par trois comédien.ne.s de tailles différentes : un Grand, un Moyen et un Petit. T out au début de la pièce, les trois arrivent d’une marche qui oscille entre le mécanique et le militaire. Au son de la cloche, ils commencent leur travail, faisant constamment un mouvement appelé piston. Au fur et à mesure, ils deviennent l’usine dans laquelle ils travaillent en réalisant toutes sortes de travaux avec rapidité et précision. Ils continuent sans s’arrêter jusqu’au moment du rêve : juste quelques secondes avant de terminer la pièce, Decroux ajoute encore un petit instant où le temps et la vitesse ralentissent (raccour ci) afin de nous donner l’image du songe. Cette image nous rappelle la pose des ouvriers pour le déjeuner (c’est surtout celui qui joue le Moyen qui montre cette image). C’est le seul moment où nous voyons des mouvements lents et doux comme dans une espèce de ralenti au cinéma. Néanmoins, et tout à coup, ils reprennent le travail pour ensuite sortir de lamême marche qu’au début. Un jour de travail comme les autres. Ainsi, Decroux utilise L’Usine avec l’intention d’exprimer des états poétiques comme l’indifférence, le dédain, la majesté, la sagesse sereine, la maîtrise, le déterminisme, la loi, la justice, le devoir, la logique, le paradis , entre autres, excluant ainsi, « la lutte de l’homme contre la matière, ou le problème, ou le libre arbitre ».

Les Arbres

À l’instar d’autres chercheurs des principes artistiques du corps de l’époque (Isadora Duncan, Rudolf von Laban, Jacques Copeau, Jacques Lecoq, entre autres), Decroux était aussi ungrand observateur de la nature. En effet, les animaux, les insectes et les plantes sont des références indispensables pour comprendre la nature du corps et du mouvement. De même, plusieurs éléments du Mime Corporel, comme les dinamo-rythmes et les causalités, viennent d’une analyse minutieuse des comportements de la nature. Or, il ne s’agit jamais de la reproduire fidèlement. Les Arbres est une pièce créée en 1946 et qui représente « le cycle de la vie qui nous renvoie au cycle de la vie de l’être humain » . Le point de vue poétique est très présent comme dans toutes les pièces de répertoire de Decroux.
Les Arbres est composée de quatre comédien.ne.s de différentes tailles (un petit qui commence devant le groupe, deux moyens qui se mettent derrière lui, et un grand qui est derrière ces derniers). Au contraire de L’Usine, les mouvements sont généralement doux et lents (accompagnés originalement de la Sonate au Claire de Lune de Beethoven). C’est l’image d’arbres qui transcendent la notion du temps ; un état de sérénité mais aussi de fermeté qui se présente à travers ces quatre corps qui jouent toujours en harmonie. Ces bras, jambes et colonne vertébrale sont disposés sur scène comme des branches, des fleurs et des racines qui se mêlent et se séparent continuellement. En un mot, la pièce exprime le rapport symbolique entre l’homme et la nature : « Donc, si j’ai pris les arbres comme sujet, c’est parce que j’ai voulu montrer l’Homme dans Les arbres. L ’homme ressemble, ou est analogue à un arbre. Par les racines, nous sommes fixés, et par le haut nous bougeons ».En ce qui concerne les catégories du Mime Corporel, nous pouvons placer cette pièce tantôt dans l’Homme de Songe, tantôt dans la Statuaire Mobile . Dans le premier cas, la pièce est surtout une évocation d’un état plutôt qu’un enchaînement d’actions physiques. Dû à l’absence d’une cause matérielle, l’Homme de Songe est le portrait d’un corps détaché du réel qui manifeste la nature du rêve éveillé . Il est la lutte de l’homme qui veut rester dans la verticale mais qui se trouve toujours dans un plan incliné et, par conséquent, dans un équilibre précaire constant. D’après Barba cela permettrai donc de dilater la présence de l’acteur: «Eugenio Barba, metteur en scène italien, fondateur de l’Odin T eatret (1964), fait référence àl’équilibre précaire utilisé dans le mime corporel d’Étienne Decroux, comme une sorte de mise en relief de la présence de l’acteur . Cette attitude est très proche de la notion de contrepoids, dans la mesure où, outre les qualités de l’énergie intérieure, les deux termes tendent à une expression personnelle de l’acteur » . De même, Corinne Soum souligne : « Decroux, sculpteur de l’invisible tente de retrouver par la forme ce qu’il y a de caché au plus profond de notre intimité » , ou encore « Le mime consiste à montrer au dehors ce qui se passe au dedans » . En effet, à travers cette catégorie Decroux essaie d’extérioriser les émotions, pensées et doutes les plus intimes avec l’intention de révéler , par le mouvement, ceque nous rêvons tandis que nous réalisons les mêmes actions de jour en jour : À quoi rêve Sisyphe en poussant la roche ? Les Arbres fait aussi partie de la catégorie de la Statuaire Mobile car elle est le portrait de l’invisible ou le « déplacement mental représenté par un déplacement corporel : mieux encore, déplacement intercorporel » . En raison de la présence constante de déplacements avec des ondulations, Les Arbres s’appuie, entre autres, sur ce que Decroux a appelé le mouvement annelé : un mouvement où un segment amène l’autre afin d’entraîner chacune des parties du corps jusqu’à parvenir à l’équilibre précaire dans une ligne courbe (comme les wagons d’un train ou le déplacement d’un serpent) et cela sur une base de triple dessin dans les trois plans déjà mentionnés ci-dessus. De plus, la Statuaire Mobile pourrait être le meilleur exemple de la différence entre la pantomime (ou mime objectif), et le Mime Corporel Dramatique puisque Decroux prend le tr onc comme élément expressif principal de l’acteur . Les mains et le visage, voire les extrémités, vont toujours prendre une place secondaire. Cette hiérarchie des parties du corps est fondamentale pour comprendre la vision de l’acteur de Decroux : « Le tronc a été choisi par Decroux comme moyen par lequel le corps de l’acteur-mime devrait exprimer-communiquer-raconter , précisément parce qu’il est plus désavantagé dans ces tâches que les mains et le visage, normalement utilisés à cette fin. Au plus haut niveau, le « body mass” (le tronc) possède en fait les caractéristiques de lourdeur ,d’épaisseur et de vulnérabilité que le mouvement corporel doit nécessairement prendre en compte » . En effet, c’est le tr onc qui déplace le poids et par la suite la pensée. Pourtant, il faudrait remarquer que Decroux n’a jamais été contre l’utilisation des mains et du visage, mais ces mouvements doivent trouver leur motif toujours à partir du tr onc. C’est grâce à celui-ci que les extrémités pèsent et donc qu’elles atteignent une véritable intention expressive. Autrement dit, le tr onc devient le moteur du reste du corps : « Le tronc, lui, est derrière nos yeux : lui donner une forme, c’est demander à un sculpteur de modeler sa glaise derrière lui, sans la voir . L ’acteur cédant à la facilité, et dépourvu d’une culture gymnastico-esthétique, se sert de ses bras autonomes lorsque cela convient et surtout quand ça ne convient pas… » . Néanmoins, les mouvements des bras et des mains dans Les Arbres ne sont pas sans importance. Étant donné que c’est le tr onc, c’est-à-dire l’ensemble du buste, torse et bassin, le grand moteur du mouvement, ce sont surtout les bras et les mains ceux qui vont donner l’illusion des arbres. De ce fait, la conscience des trois segments du bras, à savoir le gros du bras, l’avant-bras et le poignet est primordiale pour représenter le mouvement des branches contre le vent ou l’épanouissement des fleurs.
Ainsi, nous pouvons identifier ces deux catégories (Statuaire Mobile et l’Homme de Songe) dans Les Arbres plus clairement que dans les autres pièces du répertoire. Elle est aussi un bon exemple du principe des causalités du fait qu’elle soit composée de plusieurs personnes. À ce propos, et selon De Marinis, les causalités sont un aspect important de la recherche de Decroux sur les dynamo-rythmes. Faisant allusion à l’expérience de Corinne Soum et Steve W asson, il définit celles-ci comme.

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Table des matières
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : Analyse de six pièces du répertoire d’Étienne Decroux
1.1 Le Menuisier
1.2 La Lavandière
1.3 Le Combat Antique
1.4 Le Duo Amoureux
1.5 L ’Usine
1.6 Les Arbres
CHAPITRE 2 : Les sources qui ont influencé la création du répertoire de Decroux
2.1 Les sources directes
2.1.1. Le théâtre symboliste français de la fin du XIXe siècle
2.1.2 Les idées sur l’espace vivant d’Appia et le concept de la Sur-Marionnette de Craig
2.1.3. Le V ieux-Colombier de Copeau et L ’Atelier de Dullin : vers une nouvelle
pédagogie de l’acteur
2.2 Les sources indirectes
2.2.1. La conception du corps de F . Delsarte
2.2.2. Le rythme à travers le corps par Émile Jaques-Dalcroze
CHAPITRE 3 : Pédagogie et application du répertoire d’Étienne Decroux dans les arts de la scène contemporaine
3.1 Sur le concept de « Répertoire » dans les arts du geste
3.2 Entre transmission et transgression : le répertoire du Mime Corporel dans la formation pédagogique contemporaine
3.3 Le Mime Corporel et la construction du Personnage : convergence ou divergence ?
Analyse sur l’interprétation de La Lavandière et Le Menuisier
CONCLUSIONS
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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