À la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe , les Anglais et les Hollandais se lancent à l’assaut de l’empire établi depuis un siècle dans l’océan Indien par les Portugais, qui contrôlaient le commerce des épices. L’objectif de cette thèse est d’étudier quelle part ont pris les Français dans ce grand mouvement économique qui porta les nations européennes à exploiter les richesses des Indes orientales, dans le premier quart du XVIIe siècle.
L’expression « Indes orientales » englobe les rives de l’océan Indien, du cap de BonneEspérance aux îles de la Sonde, c’est-à-dire principalement Sumatra, Java et les Moluques, dans l’Indonésie actuelle. C’est là que se déroulait le commerce des épices – poivre, cannelle, clou de girofle, noix muscade… – et d’autres marchandises de valeur comme les pierres précieuses ou encore les porcelaines de Chine. Dans l’imaginaire des Européens, les Indes orientales ont certes toujours représenté un concept géographique relativement flou, mais avec toutefois une incontournable permanence : elles étaient associées aux plus incroyables richesses décrites dans les récits fabuleux du Moyen Âge tels que le Livre des merveilles de Marco Polo, les Voyages de Jean de Mandeville, ou encore les Mirabilia descripta de Jourdain Cathala de Séverac.
Après la mise en communication des deux mondes réalisée en 1498 par Vasco de Gama, les Portugais s’étaient progressivement établis dans les principaux points qui permettaient de contrôler le commerce des épices dans l’océan Indien, se substituant ainsi aux marchands arabes. Mais, en dépit de leurs efforts pour conserver les secrets de leur navigation, des informations filtraient jusque dans les ports de leurs voisins et rivaux européens, attisant les convoitises des marchands anglais et hollandais notamment.
LES SOURCES FRANÇAISES SUR L’EXPÉDITION DU CORBIN ET DU CROISSANT
François Martin
François Martin a publié son récit au début de l’année 1604 sous le titre : Description du premier voyage faict aux Indes orientales par les François en l’an 1603, qui connut une seconde édition en 1609.
La première édition de la Description du premier voyage… (1604)
Le titre complet est le suivant : Description du premier voyage faict aux Indes Orientales par les François en l’An 1603. Contenant les moeurs, loix, façon de vivre, religions & habits des Indiens : Une description et remarque des Animaux, Epiceries, Drogues Aromatiques & fruicts qui se trouvent aux Indes : Un traicté, du Scurbut qui est une maladie estrange qui survient a ceux qui voyagent en ces contrees. Dedié au Roy, Par François Martin de Vitré. A Paris, Chez Laurens Sonnius rüe S. Iacques au Cocq & Compas d’or. M.DC.IV.
Ce volume, paru en février 1604 (le privilège du roi est daté du 3 février), est d’un format 13,4 x 7,4 centimètres et contient 134 pages. Il en subsiste aujourd’hui très peu d’exemplaires . Après le frontispice, vient la dédicace Au Roy, signée : « Vostre tres-humble tres-obeissant subiect & serviteur François Martin de Vitré » (3 p.), puis une Ode sur le voyage du sieur François Martin de Vitré, signée : « Faict par Madamoyselle De Beaulieu » (3 p.).
Le texte paginé (p. 1-134), comprend :
– Description du premier voyage que les marchandz François de S. Malo, Vitré & la Val ont fait aux Indes Oriantales commencé le 18. May mil six cens un & fini en lannée mil six cens trois. Par François Martin de Vitré (p. 1-66), avec deux titres à l’intérieur : Les manieres de vivre que nous avons observés durant nostre ceiour aux Indes (p. 38) et De leurs pois, mesures, & Monnoies (p. 55).
– Dictionnaire malaique. Dictionnaire ou recueil d’aucuns motz du langage commun aux Indes, lequel est appellé Malaique, où Melaisin, & est tenu pour aussy eloquent en toute l’Inde Oriantale, comme la lange Latine par deca. Et ceux qui paroissent par dessus le commun peuple, s’y estudient & le scavent de façon que par toutes les Indes, ilz sont entendus avec ce langage, bien qu’il s’en trouve plusieurs qui parlent Portugais (p. 66-69).
– Description et remarque de quelques animaux, episceries, Drogues, Aromatiques, & fruicts qui se trouvent aux Indes (p. 70-120), avec le faux titre p. 70, suivi d’une page blanche non paginée, et d’une dédicace A Monseigneur des Nuptumieres, conseiller du Roy en ces conseils d’estat et privé, et President en sa Court de Parlement de Bretaigne, signée : « Vostre tres-humble tres-obeissant & Tres-affectionné serviteur François Martin » (p. 71-72). Le texte commence page 75 (il n’y a pas de pages 73-74), il est divisé en vingt-deux chapitres très courts.
– A Monsieur Du Laurens conseiller et Medecin ordinaire, du Roy, premier de la Royne, & Chancelier en l’Université de Monpellier (p. 121-122).
– Sur la navigation du sieur Francois Martin de Vitre. Sonnet, signé : « De Fontenay» (p. 122).
– Traicté du Scurbut qui est la maladie en laquelle tumbent ceux qui Voiagent sur Mer, Avec le moyen de sen guarentir (p. 123-133).
– Extraict du privilege du Roy, daté du 3 février 1604 (p. 134).
La seconde édition de la Description du premier voyage… (1609)
En 1609, l’ouvrage de François Martin connaît une seconde édition, quasiment identique. Celleci, comme la première l’avait été avec certitude, a sans doute été effectuée à la demande d’Henri IV, qui aurait souhaité par ce moyen relancer ses projets concernant le commerce avec les Indes orientales, mais aucun élément ne le prouve. Le titre complet est le suivant : Description du premier voyage faict aux Indes orientales par les François en l’An 1603. Contenant les mœurs, loix, façon de vivre, religions & habits des Indiens : une description et remarque des Animaux, Epiceries, Drogues Aromatiques & fruicts qui se trouvent aux Indes : un Traicté du Scurbut qui est une maladie estrange qui survient à ceux qui voyagent en ces contrees. Dedié au Roy, par François Martin de Vitré. A Paris, chez Laurens Sonnius rue S. Jacques au Cocq & Compas d’or, M.DC.IX.
Ce volume est paru en 1609, à une date qu’on ne connaît pas plus précisément, puisque c’est le privilège de l’édition de 1604 qui est reproduit à la fin. Il est d’un format 11,5 x 5,6 centimètres et contient 201 pages, soit 67 de plus que dans la première édition (134 p.), ce qui s’explique par le format différent des deux ouvrages (13,4 x 7,4 centimètres en 1604). Là aussi, il en subsiste aujourd’hui très peu d’exemplaires .
Les deux éditions sont identiques, le contenu est le même, à quelques détails près:
– un passage sur les huit indigènes de Sumatra ramenés à Saint-Malo a été actualisé ;
– les erreurs de pagination ont été corrigées, mais on en trouve une nouvelle : deux pages 178 ;
– une seconde dédicace au sieur des Nuptumières, intitulée « Au mesme » et signée « F. Martin », a été ajoutée entre la première dédicace et le « Traité du scorbut » (p. 110).
En dehors de ces points de détail, les éléments sont les mêmes ; seule la pagination a changé. Au début de l’ouvrage, il n’y a que six pages non paginées au lieu des huit de l’édition de 1604 car la pagination, qui commence à 7, démarre sur la seconde page de l’Ode sur le voyage… Les deux dernières pages de l’ode sont paginées 7 et 8.
Le frontispice, à l’exception de la date bien entendu, est identique. On trouve la même dédicace Au Roy et la même Ode sur le voyage… par Mlle de Beaulieu. Le texte paginé (p. 9-201) comprend :
– Description du premier voyage… (p. 9-101), avec les deux mêmes titres à l’intérieur (p. 63 et 88).
– Dictionnaire malaique… (p. 102-106).
– Description et remarque de quelques animaux, episceries, Drogues, Aromatiques, & fruicts qui se trouvent aux Indes (p. 107-180), avec le faux titre p. 107, p. 108 blanche, et la même dédicace (p. 109-110). Le texte commence p. 111. Même division en 22 chapitres.
– A Monsieur Du Laurens… (p. 181-182).
– le même Sonnet signé « De Fontenay » (p. 183).
– Traicté du Scurbut… (p. 184-200).
– Extraict du privilege du Roy, daté du 3 février 1604 (p. 201).
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Table des matières
Introduction générale
PREMIÈRE PARTIE : LES SOURCES
I. Les sources françaises sur l’expédition du Corbin et du Croissant
A. François Martin
1. La première édition de la Description du premier voyage… (1604)
2. La seconde édition de la Description du premier voyage… (1609)
B. François Pyrard
1. L’histoire de la rédaction des trois premières éditions : le rôle primordial de Pierre Bergeron
2. L’édition de 1611
3. L’édition de 1615
4. L’édition de 1619
5. L’édition de 1679 : une édition remaniée et ses « victimes »
5.1. Jean Mocquet
5.2. Henri de Feynes
5.3. Le jésuite flamand Nicolas Trigaut
5.4. Une « victime collatérale » : le jésuite normand Étienne de la Croix
5.5. Une haine de Pierre Du Val pour les Anglais ?
6. Les éditions en portugais et en anglais
C. L’intérêt multiple de ces deux récits
II. Les sources sur les voyages anglais et hollandais
1. Sources anglaises
2. Sources hollandaises
III. Les sources sur la première Compagnie française des Indes orientales (1604-1622)
1. 1604-1610
2. 1611-1615
3. La première expédition de la Compagnie (1616-1618)
4. Une expédition malouine menée en parallèle (v. 1616-1618)
5. Un troisième voyage (1619-1622)
DEUXIÈME PARTIE : L’EXPÉDITION DU CORBIN ET DU CROISSANT D’APRÈS LES SOURCES FRANÇAISES
Introduction
I. François Pyrard et François Martin avant leur départ
1. François Pyrard
1.1. Sa famille
1.2. Remise en cause de ses origines
1.3. Sa profession
2. François Martin
2.1. Vitré et Saint-Malo au XVIe siècle
2.2. Sa famille
2.3. Avant 1601
II. Le récit de l’expédition par Pyrard et Martin
1. Le voyage aller
2. Le séjour à Sumatra
3. Le voyage retour
4. Compléments sur le voyage retour
5. Chronologie du voyage
III. Motivations et destination du voyage
IV. Les équipages
1. Origine et nombre
2. Les deux capitaines
3. Les deux pilotes
V. Analyse de l’itinéraire et bilan de l’expédition
1. Le voyage aller
1.1. La route des Portugais
1.2. Itinéraire du Corbin et du Croissant et comparaisons
1.3. Bilan et comparaisons
2. Le voyage retour
2.1. La route des Portugais
2.2. Itinéraire du Croissant et comparaisons
2.3. Bilan et comparaisons
3. Bilan de l’expédition
3.1. La cargaison du Croissant
3.2. Un voyage très meurtrier
VI. La suite des aventures de Pyrard et la fin de la vie de Martin
1. Des Maldives à Laval
2. Le récit de Pyrard : un ouvrage destiné à ses successeurs
3. La fin de la vie de François Martin
Conclusion
TROISIÈME PARTIE : LES VOYAGES DES ANGLAIS ET DES HOLLANDAIS : DES RENCONTRES TRÈS INSTRUCTIVES
Introduction
I. L’apparition des Anglais et des Hollandais dans l’océan Indien
1. Les raisons
2. Les débuts
3. L’organisation
II. Les rencontres des Français avec les Hollandais lors du voyage aller
1. Balthazar de Moucheron
1.1. Les origines familiales et les débuts de Balthazar
1.2. Une carrière brillante, tournée vers les Indes orientales
1.3. Les Moucheron : « une tribu dispersée à travers l’Europe », liée à Vitré et à Saint-Malo
2. Guyon Lefort : le lien entre les Français et les Hollandais
2.1. Une famille établie à Vitré et liée à l’expédition du Corbin et du Croissant
2.2. Son premier voyage aux Indes orientales (1598-1600)
3. Le voyage aller de la flotte de Spilberg, ponctué par les rencontres avec les Français
3.1. Dans l’Atlantique
3.2. La Brebis et l’Agneau rencontrent les Français au cap de Bonne-Espérance (27 décembre 1601-1er janvier 1602)
3.3. Le Bélier rencontre les Français à Madagascar (février-mars 1602) : une rencontre fortuite ?
3.4. La Brebis et le Bélier se retrouvent à Ceylan, puis parviennent à Atjeh
III. L’escale commune à Atjeh
1. Les Français
2. Les Hollandais
3. Les Anglais
4. Bilan : la montée en puissance des Hollandais et des Anglais
IV. Les rencontres des Français avec les Anglais et les Hollandais lors du voyage retour
V. Le retour de la Brebis et de l’Agneau : une tentative de détournement par Balthazar de Moucheron, au service d’Henri IV et de la France
Conclusion générale