Au colloque de Caire en 1974, Cheikh Anta DIOP avait fini de convaincre ou «d’obliger » les égyptologues occidentaux à chercher du côté de l’Afrique s’ils veulent vraiment comprendre la civilisation égyptienne. La suggestion de Cheikh Anta DIOP semble avoir été suivie : l’article de Jean LECLANT « Égypte, Sahara et Afrique » publié dans la revue Achéo-Nil, dont le titre est révélateur, en est la preuve. Avant ce colloque, l’Égypte était classée parmi les pays de la Méditerranée et sa civilisation comparée à celle des Sémites. Ces égyptologues occidentaux ont certes reconnu l’africanité de la civilisation égyptienne, mais n’ont pas totalement abdiqué, car cherchant toujours à nuancer l’apport de l’Afrique noire à cette civilisation ou à y inclure des apports extracontinentaux. Aujourd’hui, les égyptologues africains, à travers des études comparées entre la civilisation égyptienne et celles négro africaines, ne cessent d’étoffer de preuves les thèses de Cheikh Anta DIOP, (le caractère nègre de la civilisation égyptienne, la race des anciens Égyptiens, l’origine égyptienne de certaines populations négro-africaines, etc.). Toutes ces thèses se sont heurtées au rejet des égyptologues occidentaux, à quelques exceptions près. C’est pourquoi, les raisons qui pouvaient expliquer ce rejet, et celles qui pouvaient expliquer l’acharnement de ces égyptologues occidentaux à rattacher l’Égypte au monde sémitique constituaient des questions qui nous taraudaient l’esprit. Nous semblons trouver des réponses convaincantes à ces interrogations avec Cheikh Anta DIOP selon qui, ce rejet est « la négation de l’histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs [qui vise à les tuer culturellement] (…) » , il va encore plus loin en considérant cette négation comme une élimination physique qui avait précédé la domination de l’homme noir. L’objectif était donc de véhiculer une idéologie axée sur la supériorité de la race blanche à travers l’histoire afin de dominer et de légitimer, d’aliéner et d’assujettir les peuples africains noirs. Pour y parvenir, ils les ont présentés comme des sauvages sans histoire ni civilisation et dont la socialisation incombait à l’Europe civilisée. La réponse de Aboubacry Moussa LAM n’est pas des moindres, cet auteur note dans l’introduction de Les chemins du Nil… que reconnaître l’africanité des anciens Égyptiens et de leur civilisation serait pour les Occidentaux un renoncement à plus d’un siècle et demi d’égyptologie occidentale . C’est donc une bataille idéologique qu’il faut remporter au prix même de l’objectivité scientifique. Le combat qui était donc politique à l’époque coloniale est aujourd’hui devenu un combat idéologique. Cette négation de l’histoire des Noirs et la marginalisation de cette race ne sont-elles pas l’explication de l’abandon de toutes nos traditions culturelles, l’assimilation totale de nos intellectuels, en un mot, l’abandon de nos civilisations en faveur de celles de l’Occident et/ou de l’Arabie ? Ne sont-elles pas l’une des explications d’un des fléaux qui gangrènent la santé de notre société, la dépigmentation ? C’est pourquoi, nous nous sommes proposé de réécrire cette page d’histoire de l’Afrique, comme l’a suggéré Babacar SALL , afin de redonner aux Noirs africains cette fierté culturelle et raciale. Nous devons réécrire cette page pour remettre en cause et déconstruire « des situations et autres acquis de culture érigés en données de nature » .
Dans une logique de progression, nous nous sommes intéressé aux origines des peuples noirs de l’Afrique. L’adage qui dit : « quand on ne sait pas où l’on va, on retourne d’où l’on vient » ne nous a-t-il pas invité à connaître cette origine, à l’étudier? Ne nous dit-il pas que le passé de l’homme n’est jamais du passé, qu’il lui est toujours utile ? Donc, l’étude de l’origine des Soninkés n’est pas vaine.
LES SONINKÉS : ZONES DE PEUPLEMENT ET NOMS
Zones de peuplement
Les Soninkés sont de la race noire et, de par leur langue, appartiennent au groupe mandé. Cependant, il n’y a pas d’intercompréhension entre cette ethnie et les autres ethnies du groupe mandé. Seule la langue azer parlée en Mauritanie du sud se rapprocherait très étroitement du soninké. Ce rapprochement même entre l’azer et le soninké s’expliquerait par une longue cohabitation des Soninkés et des Berbères qui aurait eu lieu à l’époque de l’empire de Ghana dans le Sahel. L’azer serait né de ce mélange du soninké et du berbère . Ce qui nous amène à conclure que la langue azer est récente par rapport au soninké, surtout quand on tient compte de l’arrivée des Berbères dans le Sahel. En effet, la cohabitation entre les Soninkés et les Berbères au Ghana (dans le Hodh et l’Aouker) est située aux environs du IXe siècle .
Les Soninkés occupent aujourd’hui les régions limitrophes du Sénégal, du Mali et de la Mauritanie, sur une bande longitudinale de 800 km à 1000 km à cheval sur le 15e parallèle. Cet espace regroupait de nombreuses régions naturelles qui constituaient des entités politiques vassales de l’empire de Ghana. Nous en comptons neuf avec Aliou Kissima TANDIA , seulement dans la partie occidentale du Sahel malien que sont : le Wagadu (du nom de l’ancien empire), le Baxunu, le Kiŋgi, le Gidinme, le Jaahunu (Jaafunu), le Triŋga, le Xañaaga, le Kusata (le pays des Kusa), et enfin le Jonbuxu. Le Gajaaga (le Galam) dont, selon Aliou Kissima TANDIA, les frontières ont constamment changé au cours de son histoire s’étend sur la rive gauche du sénégal allant de la région de Kayes (Mali) à Gandé (Sénégal). Du côté de la Mauritanie nous avons la région naturelle du Gidimaxa. Elle est limitée « au nord-ouest par le Gorgol, au sud par le fleuve sénégal, à l’est par l’Assaba et le Xara-xooro qui sépare ses parties maliennes et mauritaniennes » . Les limites de cette région aussi avaient connu quelques modifications au cours de son histoire. En effet, on distinguait le Gidimaxa actuel d’un Gidimaxa ancien qui se situerait plus au Nord. Entre le Gajaaga et le Fouta, la région naturelle du Hayire constitue une zone-tampon. Le Hayire s’étend sur la côte sénégalaise de Demban-kaani à Gumolu, et de Wompu à Aré sur la côte mauritanienne. Eric POLLET et Grace WINTER , dans leur étude monumentale portant sur la seule région du Jaahunu, ont divisé l’ensemble de l’espace occupé par les Soninkés en trois grandes zones géographiques : la partie occidentale regroupe le Gajaaga, le Gidimaxa, le Jaahunu, le Jonbuxu, le Gidinme, le Keñareme, le Triŋga et le Soroma ; la partie centrale est constituée par Kiŋgi avec les localités Ñooro et Jaara ; et enfin la partie orientale qui renferme le Baxunu et le Wagadu. Selon Abdoulaye BATHILY, les Soninkés à leur arrivée dans le Sahel s’étaient répartis entre quatre grands États : le Wagadu (le pays des Wagué) qui, de par son importance économique et militaire, allait dominer les trois autres États, le Karta (le pays des Karo), le Gajaaga (le pays des Gajaa), et enfin le Gidimaxa. Contrairement à ce que pensaient beaucoup, selon Abdoulaye BATHILY « le Wagadu n’a été (…) ni le premier ni le principal établissement des Soninké [à leur arrivée dans le Sahel]» .
Au-delà de ces régions traditionnelles, les Soninkés constituent quelques ilots de peuplement en Gambie, dans la Haute Casamance, en Guinée Bissau etc. En plus de ces zones de peuplement secondaires, ils constituent d’importantes communautés dans des pays d’immigration en Afrique ; dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Congo Brazzaville, la République Démocratique du Congo , même si dans ces deux derniers États leur nombre tend à diminuer à cause des instabilités politiques qui y règnent. En Occident également, les Soninkés sont fortement représentés en France avec près de 64% des migrants venus de l’Afrique Noire , en Angleterre, en Allemagne, en Espagne et même aux États-Unis. Selon ATSE N’CHO, ce dynamisme des Soninkés amena certains à considérer ce peuple comme les Juifs d’Afrique .
Les noms des Soninkés
La question des noms des Soninkés est aussi très importante. En effet, les Soninkés sont appelés sous de nombreux vocables. Cette multiplicité des noms des Soninkés s’explique, selon POLLET et WINTER, par la dispersion de ce peuple au sein de nombreuses populations . Ainsi, au Sénégal les Wolof les appellent par le vocable Sarakhollé. Sur ce terme de nombreuses spéculations ont été faites pour expliquer l’étymologie du nom, et même pour retrouver l’origine des Soninkés. C’est ainsi que certains auteurs ont très vite voulu faire des Soninkés des Blancs en déduisant que la traduction littérale de Sarakhollé en soninké donne « personne blanche ». C’est pourquoi, certains auteurs ont donné aux Soninkés une origine berbère ou judéo syrienne. Cette thèse n’est basée sur aucun fondement historique. Car, nous sommes convaincu par DELAFOSSE qui soutient qu’« Il est difficile de supposer que les Soninkés, nègres parfois métissés, mais incontestablement nègres, soient issus d’une fraction des Berbères Zénaga » . Abdoulaye BATHILY voit en ce nom une onomatopée utilisée par les Wolof pour désigner les Soninkés dont la langue leur paraît lourde. Selon Abdoulaye BATHILY, saraxolle signifie en langue wolof « crier en faisant claquer la langue dans la bouche ». Dans ce cas le terme sarakhollé ne serait pas un terme soninké qui signifierait « personne blanche », il serait plutôt un terme Wolof. Par conséquent, il ne pourra pas justifier une prétendue origine blanche de ce peuple. Pratiquement tous les peuples qui ont côtoyé les Soninkés leur ont donné un nom différent, soit pour désigner le groupe tout entier soit pour désigner une partie du groupe ethnique . C’est pourquoi, chez les Peuls, les Soninkés sont appelés Seɓɓe, ils usent aussi des noms comme Sillaɓe pour les Soninkés du royaume de Silla sur la vallée du fleuve sénégal, de Sossoɓe pour ceux de Sosso. Quant aux Peuls du Niger, ils se servent du terme Wagooɓe pour nommer les Soninkés. Chez les Sonrhay les Soninkés sont connus sous le nom de Ouankore qui dériverait d’Ouangara, nom que les Soudanais du nord et aussi les Haoussa utilisent pour nommer les Soninkés. Les autres membres du groupe mandé (Malinké, Bambara, Dioula etc.) se servent du terme Marka et ses variantes. Au Nord, les Maures Bérabich nomment les Soninkés par le terme Assouanik (sing. Souananki) c’est-à dire ceux d’Assouan, ou encore par le terme Azer ou Adjer.
|
Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE : LES SONINKÉS, ÉVOLUTION ET ÉTAT ACTUEL DE LA QUESTION DE LEUR ORIGINE
CHAPITRE I : LES SONINKÉS : ZONES DE PEUPLEMENT ET NOMS
A- Zones de peuplement
B- Les Noms des Soninkés
CHAPITRE II : LA QUESTION DE L’ORIGINE
A- L’ÉTUDE DES SOURCES ÉCRITES
1- Les thèses ethno-raciale et asiatique
2- La thèse autochtone
3- La thèse saharienne
4- La thèse nilotique
B- L’ÉTUDE DES SOURCES ORALES
1- La version recueillie par Charles Monteil
2- La version recueillie par Maurice Delafosse
3- La version recueillie par Abdoulaye Bathily
4- La version recueillie par Germaine Dieterlen
DEUXIÈME PARTIE : LES DONNÉES DE LA TRADITION À LA LUMIÈRE DE L’ÉGYPTOLOGIE
CHAPITRE III : LA PÉRÉGRINATION DE DIŋAA
A- SONI, PAYS RÉEL OU MYTHIQUE ?
B- LES ITINÉRAIRES DE LA MIGRATION L’ORIGINE DES SONINKÉS : LE SAHARA OU L’ÉGYPTE ? APPROCHE ÉGYPTOLOGIQUE
C- LE PEUPLEMENT PRIMITIF DU SAHEL A L’ARRIVÉE DE DIŋAA
1- Les pygmées (Goloma)
2- Les Kagoro (Kakolo)
CHAPITRE IV : DIABE CISSE A LA RECHERCHE DE WAGADOU
A- L’EXIL DE DIABE
B- LES MOBILES DU DÉPART
C- LES ANIMAUX DE LA LÉGENDE ET LEURS SIGNIFICATIONS
1- Le chien et/ou le chacal/renard
2- Le vautour et le serpent (Biida)
TROISIÈME PARTIE : LA CIVILISATION SONINKÉ CONFIRME LA TRADITION ORALE ET LA THÈSE NILOTIQUE
CHAPITRE V : LES TRAITS CULTURELS COMMUNS AUX SONINKÉS ET AUX ANCIENS ÉGYPTIENS
A- LA ROYAUTÉ
1- Le rôle fondateur du forgeron
2- Le roi
a- Le garant du spirituel
b- Le législateur
c- Le roi divinisé
B- LE MATRIARCAT
C- LA MORT ET LA CROYANCE A LA VIE POST-MORTEM
1- La réaction face à la mort
a- Les pleurs et lamentations
b- Le deuil
2- La croyance à une vie post-mortem
a- Les tombeaux, un cadre de vie
b- Le culte des morts
CHAPITRE VI : LE BERCEAU DE CETTE UNITÉ CULTURELLE L’ORIGINE DES SONINKÉS : LE SAHARA OU L’ÉGYPTE ? APPROCHE ÉGYPTOLOGIQUE
A- LE BERCEAU DE L’UNITÉ CULTURELLE
B- LA MÉTHODE DE DIFFUSION
CONCLUSION GÉNÉRALE