Les soins palliatifs
Cadre législatif des soins palliatifs
Le Code de la Santé publique définit les soins palliatifs comme des soins « actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage » (1). Trop souvent perçus comme l’opposé des soins « curatifs », il s’agit cependant bel et bien de soins actifs. La loi du 4 mars 2002 dite « Loi Kouchner » (2), relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, rappelle que toute personne malade « a droit au respect de sa dignité » (3). Elle insiste également sur le fait que tout professionnel de santé doit à son patient une information « loyale, claire et appropriée » (4). Ainsi, le patient est en mesure d’accepter ou non une intervention, un traitement. Son consentement doit être libre et éclairé. La loi du 22 avril 2005, dite « Loi Léonetti » (5), relative aux droits des malades et à la fin de vie, vient décrire les modalités d’application des soins palliatifs et donne un cadre législatif afin d’encadrer la bonne pratique médicale. L’obstination déraisonnable, qui consiste en la poursuite de soins curatifs alors que le malade n’en tirera aucun bénéfice, est proscrite. En effet, aucun acte ayant pour effet « le seul maintient artificiel de la vie » ne doit être entreprit (6). Par ailleurs, l’équipe médicale se doit d’assurer la qualité de fin de vie du patient en lui dispensant des soins palliatifs. Le médecin doit donc s’assurer de l’absence de tout type de douleur chez le patient. Le principe de « double effet » est également décrit, qui consiste en l’administration de substances visant à soulager la douleur du patient, même si celle-ci peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie (6). Cette pratique diffère de l’euthanasie de par l’intention première, qui est ici de soulager la douleur et non de donner la mort. Le principe de « double effet » a été définitivement inscrit dans la loi du 2 février 2016, dite « Loi Clayes et Léonetti » (6). Ces trois lois réaffirment également l’interdiction de l’euthanasie et du suicide assisté.
Les professionnels de santé doivent donc mettre en œuvre « tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort » (6). De plus, « Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement » (7) Toute décision doit, bien sûr, être inscrite dans le dossier médical .
La spécificité des soins palliatifs en périnatalité
Il existe plusieurs particularités propres aux soins palliatifs en période néonatale. Tout d’abord, le patient qu’est le nouveau-né, est «hors d’état d’exprimer sa volonté»(8). De plus, il est mineur et donc sous l’autorité parentale. Les professionnels de santé se doivent donc de recueillir l’avis des titulaires de cette autorité parentale. Cependant, la décision de mise en place de soins curatifs ou palliatifs revient, in fine, aux professionnels de santé. Enfin, cette décision doit être collégiale (9). En effet, à la maternité, l’équipe évoluant auprès du nouveau-né et de ses parents est multidisciplinaire. Sages-femmes, gynécologues-obstétriciens, pédiatres, infirmières puéricultrices, psychologues et anesthésistes travaillent ensemble pour le bien-être du couple et de son enfant. Lorsque ce type de situation se présente, ils doivent donc se concerter afin de prendre, ensemble, la décision la plus adaptée possible.
Les enfants concernés
Les soins palliatifs peuvent être mis en place en salle de naissance dans plusieurs situations : lorsque le couple n’a pas souhaité recourir à une interruption médicale de grossesse (IMG) lors d’une pathologie foetale sévère et létale, lorsqu’une affection congénitale n’a pas été diagnostiquée en anté-natal, lorsqu’une IMG est réalisée sans fœticide et que l’enfant naît vivant, lorsque la prématurité est trop élevée et enfin lorsque des complications à la naissance ont entraîné des lésions trop importantes pour permettre la survie de l’enfant (10). Dans ce travail, nous avons décidé de nous intéresser uniquement aux enfants nés vivants entre 18 semaines d’aménorrhée (SA) et 24SA, ces naissances ayant lieu lors d’accouchements très prématurés ou lors d’IMG réalisées sans fœticide.
Les enfants nés trop prématurément
Une fausse couche précoce (FCP) est l’expulsion spontanée d’une grossesse intrautérine de moins de 14 SA. Une fausse couche tardive (FCT) correspond à l’expulsion spontanée d’une grossesse entre 14 et 22 SA (11) . La prématurité concerne les naissances avant 37 SA. Cette notion inclue la prématurité extrême concernant les accouchements avant 28 SA, la grande prématurité qui concerne les naissances entre 28 SA et 32 SA, et la prématurité moyenne qui survient entre 32 SA et 37 SA (12). La viabilité est définie comme « l’aptitude naturelle d’un fœtus, d’un nouveau-né, à vivre » (13). Les progrès constants de la médecine néonatale permettent aujourd’hui à des enfants nés de plus en plus prématurément de vivre et ce même en l’absence de cette aptitude « naturelle ». On sait cependant qu’en deçà d’un certain seuil, l’enfant est trop immature pour survivre sans séquelles, ce malgré une prise en charge très active. Ce seuil, appelé seuil de viabilité, est fixé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à 22 semaines d’aménorrhée ou un poids supérieur à 500g (14). En France, la prise en charge en soins intensifs des enfants nés prématurément s’effectue à partir de 24SA (14), ce seuil peut varier en fonction des hôpitaux et des pratiques. Cette limite n’est pas fixe, elle varie bien évidemment en fonction du contexte : déroulement de la grossesse, grossesse multiple, pathologie maternelle ou foetale, contexte infectieux… Chaque prise en charge est singulière et chaque enfant possède donc son propre seuil de viabilité (au-delà des 22 SA nécessaires). Cette limite évolue également en fonction des avancées de la médecine.
Une prise en charge curative avant 24 SA entraînerait de plus ou moins lourdes anomalies du développement chez les enfants, notamment cognitif. Ces complications sont essentiellement dues à l’immaturité des grands systèmes de l’enfant. En effet, l’étude Épipage (15) menée sur les petits âges gestationnels montre un lien évident entre la survenue d’un handicap et l’importance de la prématurité. Une incapacité motrice, sensorielle ou cognitive (incapacité sévère, modérée ou mineure) est observée chez 49% des enfants nés entre 24 SA et 28 SA. Plus l’âge gestationnel augmente, meilleur est le pronostic. Il est cependant difficile de définir un terme à partir duquel aucune complication due à la prématurité ne surviendra. L’appellation « zone grise » est utilisée pour identifier cette période de la gestation entrainant, en cas de naissance, une double incertitude majeure : incertitude au niveau du pronostic, en ce qui concerne la mortalité et la morbidité et par conséquent, incertitude sur la détermination de la « bonne » attitude thérapeutique en période périnatale (14). Cette « zone grise » se situerait entre 24SA et 25SA incluse, elle n’est, elle non plus, pas figée, évoluant en fonction des progrès médicaux mais aussi en fonction des pays. Les limites de la zone grise sont en effet de 22-23 SA en Allemagne, 23-24 SA aux États Unis, au Canada et au Royaume Uni, 24-25 SA en Suisse comme en France, 26 SA aux Pays-Bas (14). Les naissances survenant dans cet intervalle de temps posent donc question aux équipes responsables de la prise en charge de ces enfants.
Les enfants issus d’interruptions médicales de grossesse sans fœticide
L’interruption médicale de grossesse peut être demandée par le couple à toute époque et « être pratiquée si deux médecins attestent, après examen et discussion […] qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic » (16). Elle est encadrée par la loi du Code de Santé publique du 17 janvier 1975 ( 17). L’IMG est également soumise à la législation en ce qui concerne l’agrément des praticiens des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) par le biais de l’Agence de Biomédecine (ABM). Enfin, la prise en charge du corps du fœtus est, elle aussi, encadrée par la loi (18). Il n’existe pas de liste prédéfinie de pathologies pouvant donner lieu à une IMG, chaque situation est évaluée par le CPDPN où travaillent ensemble médecins, sages-femmes, psychologues, pédiatres, fœtopathologistes et chirurgiens. Suivant le terme de réalisation de l’IMG, un fœticide peut être réalisé préalablement au déclenchement du travail. L’intérêt du fœticide est tout d’abord légal. En effet, il permet l’accouchement d’un enfant sans vie, l’infanticide étant puni par la loi et la pathologie justifiant l’IMG n’étant pas toujours létale à court terme. Il permet également d’éviter toute souffrance que pourrait engendrer l’accouchement sur un fœtus immature (18). Ce geste consiste en l’injection intracardiaque ou intra-cordonal de deux drogues, la morphine (sufentanil) étant anesthésiante / analgésiante et la lidocaïne (ou le chlorure de potassium) qui est elle, létale (18). Le fœticide est généralement pratiqué à partir de 24SA, cette limite varie selon les équipes médicales et les pratiques (18). Au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Caen, la limite a été abaissée à 22SA depuis le 12 septembre 2018 , un fœtus étant viable dès 22SA. Ainsi, on évite la naissance d’un enfant vivant et amené à décéder, cela pouvant parfois entrainer un grand désarroi chez les parents qui sont eux dans une démarche d’IMG et ce qui entraine aussi l’obligation pour la famille de prendre les obsèques en charge. Lorsque le fœticide n’est pas réalisé et que l’enfant naît vivant, des soins palliatifs peuvent être mis en place à la naissance, avec un accompagnement réalisé par les parents et/ou par l’équipe médicale. Cette naissance vivante peut être un choc pour les parents et la décision d’accompagnement en soins palliatifs par eux-mêmes peut être plus compliquée à prendre, puisqu’ils avaient fait le choix d’une IMG. Certains couples peuvent faire le choix de ne pas avoir recours à l’IMG et poursuivre la grossesse afin de rencontrer leur enfant vivant et partager avec lui un moment de vie, même s’il est court. Ceci est envisageable uniquement dans des cas très particuliers. Il faut en effet que le pronostic vital de l’enfant soit engagé à la naissance ou en période postnatale. Il est difficile d’établir une liste précise, cependant trois types de diagnostics peuvent être éligibles à cette situation : l’anencéphalie, l’agénésie rénale bilatérale et les cardiopathies inopérables. Dans ce cas, le projet de soins palliatifs est mis en place en anté-natal, les parents ont donc le temps de réfléchir à ce qu’ils souhaitent pour leur enfant. Ainsi, ces situations, même si elles sont rares, se déroulent dans de meilleures conditions car elles sont anticipées .
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Les soins palliatifs
1.1. Cadre législatif des soins palliatifs
1.2. La spécificité des soins palliatifs en périnatalité
2. Les enfants concernés
2.1. Les enfants nés trop prématurément
2.2. Les enfants issus d’interruptions médicales de grossesse sans fœticide
3. Conduite à tenir pratique des soins palliatifs en salle de naissance au CHU de Caen
4. Cadre administratif entourant l’enfant et ses parents après la naissance
4.1. État civil de ces enfants
4.2. Le devenir des corps
4.3. Le congé maternité / paternité
5. Les sages-femmes face aux soins palliatifs pédiatriques
5.1. Le rôle de la sage-femme dans le deuil périnatal
5.2. Les outils de la sage-femme
5.2.1. La formation initiale
5.2.2. La formation continue
MATERIEL ET MÉTHODE
1. Objectifs et hypothèses
1.1. Problématique
1.2. Objectifs
1.3. Hypothèses
2. Matériel et méthode
2.1. Le type d’étude
2.2. Lieu et durée de l’étude
2.3. Échantillon
2.4. Méthode
RÉSULTATS
1. Description de l’échantillon
2. Synthèse par entretien
2.1. Entretien numéro 1 : Lucie
2.2. Entretien numéro 2 : Léa
2.3. Entretien numéro 3 : Lou
2.4. Entretien numéro 4 : Lili
2.5. Entretien numéro 5 : Lola
2.6. Entretien numéro 6 : Anna
2.7. Entretien numéro 7 : Anouk
2.8. Entretien numéro 8 : Agathe
2.9. Entretien numéro 9 : Astrid
3. Analyse thématique des entretiens
DISCUSSION
1. Limites et points fort de l’étude
1.1. Limites de l’étude
1.2. Points fort de l’étude
2. Discussion
2.1. L’information des parents et le vécu de cette information par la sage-femme
2.2. Naissance de l’enfant
2.3. Accompagnement par l’équipe
2.4. Accompagnement par la famille
2.5. Relationnel avec l’équipe
2.6. Vécu de l’accompagnement et satisfaction de la sage-femme
3. Synthèse
4. Perspectives d’évolution
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES