L’adaptation à la montée du niveau marin sur les espaces côtiers est une thématique actuelle majeure sur le plan international. Elle concerne l’ensemble des littoraux de la planète. La France est fortement concernée par ses façades maritimes métropolitaines, mais plus encore par ses territoires ultra-marins insulaires répartis dans tous les océans. La gestion actuelle et future de l’environnement de ces espaces ultra-marins implique la prise en compte des variations à la hausse du niveau marin, notamment du point de vue des représentations que s’en font les personnes qui y vivent. En effet, gérer l’environnement et les risques, c’est aussi gérer des représentations. La problématique fondamentale initiale posée se voulait au départ centrée sur l’adaptation à la transgression généralisée annoncée par les experts du GIEC , mais très vite, les premiers retours du terrain sur les représentations du phénomène par des populations locales nous ont amenés à intégrer les surélévations « instantanées » du niveau marin associées aux vagues de tempêtes et de tsunami dans la problématique. En effet, les aléas hydro-climatiques et telluriques sont potentiellement violents et fréquents dans l’espace intertropical. Ils focalisent l’essentiel de l’attention des populations lorsque l’on évoque avec elles les risques présents et à venir sur les domaines littoraux insulaires étudiés. A l’inverse, les effets actuels et surtout à venir de la transgression généralisée annoncée ne sont pas directement lisibles par les populations, car associés à des échelles de temps difficiles à conceptualiser. Cette réalité du terrain a donc fait évoluer le questionnement selon un schéma assez classique dans un travail de thèse. Les idées de départ sont souvent éloignées de celles développées au terme de la recherche. Si la sismicité et les vagues de tsunami n’ont aucun lien causal avec le changement climatique, les effets physiques sur l’espace littoral sont comparables, voire supérieurs dans bien des cas à ceux des vagues de tempêtes, dont on peut s’attendre à ce qu’ils augmentent avec le changement climatique global. Le traumatisme engendré permet, par sa soudaineté et sa violence, de montrer combien l’espace littoral est fragile et combien les risques sont importants pour les populations installées sur ces espaces.
De l’atténuation à l’adaptation
Le terme atténuation est employé lorsqu’il est question d’atténuer l’amplitude du réchauffement, et le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) le définit comme « une intervention anthropique pour réduire les sources ou augmenter les puits de gaz à effet de serre » (GIEC). L’atténuation, introduite à la conférence de Rio en 1992, devient dans le protocole de Kyoto en 1997, un engagement juridique avec les limites d’émission de gaz à effet de serre imposées aux pays les plus pollueurs. Dix ans plus tard, ce sont 181 pays qui ratifient le protocole et s’inscrivent ainsi dans une stratégie d’atténuation à l’échelle planétaire avec la UNFCCC (United Nations Framework Convention on Climate Change). L’adaptation n’y est mentionnée que succinctement et on y parle d’adaptation des écosystèmes naturels et non des sociétés humaines. Il en est de même dans le protocole de Kyoto (Tabeaud, 2010).
Cette tendance consistant à privilégier l’atténuation à l’adaptation se confirme dans les rapports du GIEC. Les rapports du groupe I (changements scientifiques) et III (atténuation du changement climatique) sont axés sur l’aspect physique des changements climatiques. Le groupe II est censé traiter de l’adaptation, mais en réalité, il évalue les impacts, surtout d’un point de vue économique, et très peu d’un point de vue social. Les sciences impliquées sont essentiellement les sciences dites dures et l’économie. Il manque cependant une entrée des sciences humaines et sociales pour une véritable pluridisciplinarité traitant des questions de l’adaptation des sociétés humaines à ces changements (Tabeaud, 2009).
L’atténuation se trouve confrontée à un double problème résultant de l’incertitude qui pèse encore. On ne sait pas en effet, si ce sont les gaz à effet de serre qui renforcent le réchauffement ou si c’est le réchauffement qui augmente la teneur en gaz à effet de serre de l’atmosphère. De plus, la modélisation offre des prévisions encore approximatives avec des échelles bien trop larges. Un affinement des modèles permettrait une meilleure anticipation des mesures d’atténuation et d’adaptation (Tabeaud, 2009).
Les enjeux de l’adaptation
Enjeux humains et environnementaux
– enjeu en vies humaines : Le risque a baissé (en données relatives) au fil du temps grâce à la délimitation de zones à risques (le fruit de l’expérience, en regard des désordres passés) puis, plus récemment, grâce à la mise en place de systèmes d’alerte météorologiques. Cependant, dans les îles, le risque associé à la montée des eaux (sur des échelles de temps très différentes) menace toujours les habitants concentrés sur la bande littorale, où l’habitat s’inscrit souvent de façon anarchique sur le bord de mer. Les tsunamis associés aux séismes, qui n’émargent pas directement à la problématique du changement climatique, peuvent entraîner une montée des eaux très brutale et, de ce fait, ils ont été intégrés aux questionnements de ce travail de thèse. Ce sont des phénomènes sans conteste beaucoup plus difficiles à prévoir que les cyclones et tempêtes tropicales car associés à des temps de réponses très brefs. La mise en place de systèmes d’alerte spécifiques à ce risque est récente et découle d’une prise de conscience associée aux graves évènements de ces dernières années. En regard de l’aléa tsunami, le risque de victimes potentielles est élevé sur tous les espaces insulaires étudiés dans ce mémoire, non parce qu’il n’existe pas de possibilité de repli à l’intérieur des terres, mais parce que la plus grande partie de la population vit à proximité du trait de côte et que les procédures d’alerte, et surtout de sensibilisation à ces alertes, ne sont pas encore parfaitement opérationnelles.
– enjeux sanitaires : en cas de cyclone et (ou) de tsunami, les inondations et les stagnations d’eau qui en résulteront favoriseront le risque épidémiologique, susceptible d’augmenter avec l’extension de la dengue, la fièvre jaune et le paludisme. De même, dans le contexte du réchauffement, si précipitations et températures augmentent, le climat plus humide et chaud favorisera la prolifération de moustiques. Enfin, les bactéries atteignant le système digestif se développeront d’autant plus rapidement dans un environnement plus humide.
– enjeux pour la sauvegarde des écosystèmes notamment des mangroves et des récifs coralliens dans les îles. Ces deux écosystèmes servent de rempart en cas de montée des eaux.
Il faut les protéger car leurs ressources sont limitées et épuisables à terme et, dans le cas des mangroves, en planter massivement pour privilégier des réponses « naturelles » et non invasives à la montée des eaux. Enjeu également pour la biodiversité avec une faune et une flore, en particulier sous-marine riche, dans les quatre îles étudiées.
– enjeu en matière d’intégration des sociétés dites traditionnelles, garant d’une gestion pertinente des ressources naturelles, dans la protection des écosystèmes et dans les stratégies d’adaptation. Comment efficacement intégrer ces sociétés dont le niveau d’information reste pour le moment assez limité dans toutes les îles étudiées? Par l’information et la sensibilisation.
Enjeux économiques et géopolitiques
– enjeu pour repenser le système économique : revoir les modes de production est l’occasion de contenir la dépendance vis-à-vis des importations car, en cas de catastrophe naturelle et de dégradation des ports et des pistes d’aéroport, les îles seront isolées et les îliens devront vivre, pour un temps, en autarcie. Comme des potentialités locales existent, il faut évaluer les coûtsbénéfices. Cela relancerait l’emploi local, fortement touché par le chômage, en particulier celui des jeunes.
– enjeu pour les énergies renouvelables : les îles étudiées bénéficient de conditions climatiques optimales pour le développement d’énergies renouvelables, qui peuvent participer à relancer l’économie locale, telles l’énergie solaire, les vents, les précipitations, l’eau de mer… Développer le secteur des énergies renouvelables constitue une formidable opportunité en matière d’innovation.
– enjeux du point de vue des coûts : l’enjeu est de limiter le coût de cette montée des eaux. Plus les mesures d’adaptation à la montée des eaux seront prises tôt et en amont, moins ce coût sera élevé. Par exemple, si les populations et leurs activités sont peu à peu déplacées vers l’intérieur des terres, lors d’un cyclone ou d’un tsunami, les dommages en bord de mer seront moindres. Pour le récent cyclone qui a touché Futuna et Wallis en mars 2010, le coût des dommages est considérable car les Futuniens sont concentrés sur la bande littorale qui a subi de plein fouet les effets du cyclone. Avec une montée des eaux progressive et sur le long terme, le constat est le même : les mesures anticipées en permettront une meilleure programmation des mesures de gestion.
– enjeu pour les assureurs : permettre à tous d’être assurés, ce qui n’est pas le cas dans les espaces étudiés, et augmenter les cotisations des personnes informées du danger mais qui construisent en zones à risque. En somme, assurer intelligemment.
– enjeu en matière de sécurité intérieure : la montée des eaux et le déplacement probable des populations va inévitablement provoquer des conflits surtout dans le domaine du foncier. Nous verrons dans le chapitre 3 que le foncier n’est pas cadastré et que foncier et coutume sont intimement liés. Ce sont les locaux qui se partagent les terres et cela a toujours provoqué de nombreux conflits fonciers. En cas de déplacement des populations, le problème risque de s’amplifier.
– enjeu pour l’outre-mer français : la mise en place de stratégies d’adaptation cohérentes et efficaces exige d’intégrer les contextes culturels propres aux différents ensembles régionaux. Il faut un tronc commun avec de grandes lignes directrices, puis des plans locaux d’adaptation mettant en avant la gouvernance locale de chaque île, en phase avec les territoires concernés. Il faut un outre-mer fort et solidaire pour réussir les négociations.
– enjeu politique : dans des espaces comme la Nouvelle Calédonie, avec un territoire de plus en plus autonome, les stratégies d’adaptation de l’outre-mer seront peut-être plus difficiles à mener, les négociations, probablement plus longues. A Mayotte qui va devenir DOM (Département d’Outre-mer), c’est l’inverse, le rattachement en tant que département est susceptible de faciliter les mesures décidées par le ministère de l’Outre-mer si les populations participent aux discussions.
– enjeu aussi pour les réfugiés climatiques : en cas d’échec des mesures d’adaptation locale, il faudra déplacer les gens hors de leur île. Ils deviendront alors réfugiés climatiques mais pour aller où ? Les éventuels réfugiés des petites îles de l’outre-mer français viendront sur les îles principales (la Nouvelle Calédonie pour Wallis et Futuna et Lifou et La Réunion pour Mayotte) ou en métropole, mais cela créera forcément des déséquilibres et pour les territoires d’accueil et pour les peuples déplacés.
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1 – Mise en contexte et méthodes
Section 1 – Contexte thématique et institutionnel de la recherche
1-1 De l’atténuation à l’adaptation
1-2 Les enjeux de l’adaptation
1-2-1 Enjeux humains et environnementaux
1-2-2 Enjeux économiques et géopolitiques
1-2-3 Enjeux socio-culturels
1-3 L’adaptation dans l’outre-mer : une priorité des politiques environnementales
Section 2 – Des marges de la France d’outre-mer : des géosystèmes comparés
2-1 De l’intérêt de l’étude des petites îles
2-1-1 Sur l’archipel des définitions
2-1-2 Des lieux-tests modèles généralisables ?
2-2 Des géosystèmes complexes
2-2-1 Eléments de terminologie du géosystème
2-2-2 Application des géosystèmes à différentes échelles spatiales
2-3 Présentation et justification des terrains d’étude
2-3-1 L’aire mélanésienne de Lifou
2-3-2 La Polynésie de Wallis & Futuna
2-3-3 L’aire malgache-swahili de Mayotte
Section 3 – Les enquêtes de perception
3-1 Choix d’une terminologie de la perception adaptée au sujet d’étude
3-2 Des méthodes complémentaires
3-3 Le questionnaire d’enquête : outil quantitatif associé aux méthodes qualitatives de collecte des données
3-3-1 Elaboration du questionnaire d’enquête, outil quantitatif
3-3-2 Application du questionnaire sur le terrain
3-3-3 Méthodes qualitatives
3-3-4 Traiter et interpréter des données de perception
Chapitre 2 – Les paysages littoraux insulaires face au risque de montée des eaux
Section 1 – Les aléas associés au risque de montée des eaux : explication des scientifiques
1-1 L’aléa local et régional de montée des eaux, combinaison des
1-1-1 Aléas climatiques
1-1-2 Aléa tsunami, engendré par l’aléa sismique
1-1-3 Conséquences des aléas sur les paysages, l’exemple de Futuna
1-2 L’aléa montée des eaux à l’échelle planétaire
Section 2 – Des espaces insulaires vulnérables par nature
2-1 Spécificités des milieux insulaires
2-1-1 propres à leur qualité d’îles
2-1-2 propres à leur littoralité
2-2 Des ressources naturelles littorales menacées
2-2-1 Des écosystèmes fragiles
2-2-2 Des pratiques et des usages excessifs
2-2-3 Des effets irréversibles
Section 3 – Une montée des eaux renforcée par les conséquences attendues des changements climatiques ?
3-1 Le réchauffement en débat
3-1-1 Temporalité du réchauffement climatique
3-1-2 Un phénomène naturel accéléré par l’homme?
3-2 Un réchauffement global et des effets locaux
Chapitre 3 – Des acteurs et des territoires du risque entre tradition et modernité
Section 1 – Les acteurs de l’adaptation
1-1 Les acteurs institutionnels
1-1-1 Etat
1-1-2 Associations et ONG
1-1-3 OI, l’UE et autres actions de coopération
1-2 Les acteurs locaux
1-2-1 Coutumiers et religieux
1-2-2 Services administratifs
1-2-3 Associations et ONG
1-2-4 Acteurs économiques
1-2-5 Autres personnalités influentes rencontrées
1-2-6 Etablissements d’enseignement et de recherche
1-2-7 Populations locales
Section 2 – Pratiques et usages de l’œkoumène
2-1 Milieu et insularité : la vision océanienne de l’espace
2-1-1 La construction de l’île, entre ouverture et fermeture
2-1-2 De la mer à la terre, des sociétés terriennes ou océaniennes ?
2-2 Les activités des acteurs locaux
2-2-1 Les activités du plateau
2-2-2 Les activités du bord de mer
2-2-3 Les activités sur les îlots
Section 3 – Dualité entre tradition et modernité : quelle organisation des territoires et des sociétés ?
3-1 Une coutume omniprésente dans
3-1-1 l’organisation sociétale
3-1-2 la gouvernance locale
3-1-3 le foncier
3-2 Des mesures de gestion de l’espace difficilement applicables dans un contexte si particulier
3-2-1 Diversité des statuts des îles étudiées
3-2-2 Les limites locales des mesures environnementales
CONCLUSION